1946

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (Trotskyste) n° 66 – 4ème année


LA LUTTE DE CLASSES nº 66

Barta

6 septembre 1946


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QUE VEUT DE GAULLE ?

"L'organisation des pouvoirs" dans le deuxième projet de Constitution, élaboré par les trois partis au gouvernement, a suscité à nouveau, le 28 août, les "critiques" de De Gaulle.

De Gaulle oppose au "gouvernement d'Assemblée", c'est-à-dire au gouvernement contrôlé par une assemblée élue au suffrage universel, le pouvoir présidentiel, le pouvoir du chef de l'Etat, duquel, dit-il, le gouvernement doit procéder "en toute circonstance".

De Gaulle s'est prononcé ainsi ouvertement pour le régime pétainiste. Car le fait que ce président de la République soit élu par le Parlement (Assemblée et Union Française), ne doit pas nous faire oublier que Pétain, d'où procédait "tout le pouvoir en toute circonstance", se l'était fait lui aussi accorder en juin 1940 par le Parlement issu du suffrage universel en mai 1936.

Mais la lutte de De Gaulle contre le gouvernement d'Assemblée n'est qu'un prétexte.

En réalité, le Parlement, du fait du heurt violent depuis 1934 entre les organisations de la classe ouvrière et les organisations paramilitaires de droite, et ensuite du fait de la guerre, s'est entièrement subordonné, sous Daladier et sous Pétain, au pouvoir Exécutif. Et De Gaulle, en tant que chef du gouvernement provisoire, avait fait consacrer juridiquement cette subordination, par le référendum d'octobre 1945.

Un petit "incident" qui s'est produit le 9-8-1946 à l'"Assemblée Constituante", montre parfaitement la situation véritable. Ayant à discuter sur un chapitre du budget, des députés s'opposèrent au projet du ministre des Finances : "Et bientôt, pour couper court à l'insistance de certains auteurs d'amendements qui engagent de nombreux milliards de dépenses, M. Robert Schuman... à son grand regret est dans l'obligation d'utiliser la seule arme possible, l'article 5. L'article 5 lui étant ainsi opposé, l'Assemblée adopte sans discuter davantage l'ensemble du projet". (Le Monde, 10-8-1946).

Six cents députés se pliant impuissants devant un seul ministre, est-ce là un gouvernement d'Assemblée, ou un Parlement croupion ?

Mais si ce n'est pas l'indépendance du gouvernement vis-à-vis de l'Assemblée qui est en jeu, que veut alors De Gaulle ?

C'est M. Roure, porte-parole des 200 familles et gaulliste, qui se charge de nous l'expliquer : "Nous subissons une crise d'autorité de plus en plus aigüe, l'Etat se disloque en partis et en factions. Il faut bien reconnaître que la rude discipline du Parti communiste et ses appels à la production ont permis de maintenir jusqu'à présent l'ordre social ; mais ne voit-on pas dans ce fait même un indice grave de la dissolution de l'Etat, dont le rôle serait rempli par un organisme extérieur et irresponsable". (Le Monde, 30-8-1946).

Ce n'est donc pas la dépendance du gouvernement vis-à-vis de l'Assemblée qui ne laisse pas dormir De Gaulle, mais c'est la dépendance du gouvernement et de l'Assemblée et de l'ordre social, de la collaboration avec le Parti stalinien. Ce que la bourgeoisie ne peut plus longtemps tolérer, c'est que l'ordre social soit sauvé à l'aide du P.C.F., et par la "collaboration" de plusieurs partis antagonistes. Car si pour saboter les mouvements grévistes commencés, pour faire "cesser une grève", le P.C.F. et la C.G.T. sont assez forts, pour délivrer entièrement la bourgeoisie non pas seulement du mouvement révolutionnaire, mais du mouvement ouvrier en général, avec les heurts de classe, les mouvements revendicatifs, etc., et réaliser l'ordre bourgeois le plus implacable, cela seule la destruction des partis, seul le pouvoir fort voulu par De Gaulle peut le réaliser.

On ne peut pas ne pas rappeler au sujet de la situation actuelle en France, la leçon tirée par Trotsky au sujet de l'Allemagne : "Si la social-démocratie a sauvé la bourgeoisie de la révolution prolétarienne, le fascisme est venu à son tour délivrer la bourgeoisie de la social-démocratie."

Voilà ce qui se cache derrière les soi-disant conceptions constitutionnelles de De Gaulle : sous prétexte d'une Constitution, il s'efforce de mobiliser les masses pour un coup d'Etat, dans le style de la rue de Châteaudun.

C'est en se prévalant de ce danger, qui les menace eux-mêmes, que les chefs staliniens se donnent une figure démocratique et appellent les travailleurs à les suivre aveuglément, en tant que champions contre la réaction. Mais nous avons vu que la bourgeoisie ne combat pas le P.C.F. parce qu'il est au service du peuple, mais parce qu'il n'est pas assez fort pour mater entièrement les travailleurs : malgré tous leurs efforts pour maintenir l'ordre social bourgeois, les conflits avec le patronat naissent constamment et arrivent même à déborder complètement les bureaucrates ouvriers.

La classe ouvrière ne peut donc pas lutter contre le pétainisme de De Gaulle sous la direction des bureaucrates ouvriers, dont tout le travail au service de la bourgeoisie ne fait que lui ouvrir le chemin.

C'est pourquoi la tâche de s'émanciper de la direction actuelle par sa propre activité, est la condition première de TOUTE LUTTE VICTORIEUSE de la classe ouvrière, aussi bien revendicative que contre l'Etat capitaliste et le fascisme.

Il faut reconnaître que la classe ouvrière accomplit en ce moment un grand travail dans cette direction. Alors qu'au mois de juillet nous en étions encore à constater une résistance passive à la bureaucratie ouvrière fourrière du fascisme (abstention au vote dans les usines, etc...), aujourd'hui, par la grève des postiers , les manifestations de Cherbourg, Nantes, Dijon, etc., les travailleurs entrent en rébellion ouverte contre l'ancienne direction et essaient de se donner dans l'épreuve de l'action une direction nouvelle. PLUS VITE S'ACCOMPLIRA CE REGROUPEMENT AU SEIN DE LA CLASSE OUVRIERE MOINS IL RESTERA DE CHANCES DE VICTOIRE AU PETAIN NUMERO 2.

A. MATHIEU


L'ORGANISATION NECESSAIRE

Benoît Frachon essaie de justifier la position du P.C.F. vis-à-vis du mouvement gréviste, dans L'Humanité du 28 août. En relatant, à sa façon, les manifestations et grèves de Nantes, Dijon, Bordeaux, etc..., il tire les conclusions suivantes :

"La grève n'est pas une arme dont on use à tort et à travers... Il est des gens qui sont pris d'une subite et violente passion de retour d'âge pour la grève... Tout cela avec l'objectif bien arrêté de créer un climat favorable à l'éclosion de grèves désordonnées... Nous demandons à tous les militants d'être vigilants, de faire échec à toutes les tentatives des excitateurs pour qui les revendications ne sont qu'un prétexte."

Sur le même ton, Le Populaire vient à sa rescousse, le 30-8 : "La grève est une arme précieuse pour la classe ouvrière. Mais il ne faut l'employer qu'à bon escient et ne pas la placer, surtout, entre toutes les mains. Il en est de plus ou moins honnêtes ou bien intentionnées."

Ce sont là des vérités générales. Mais dans le cas présent, elles n'ont d'autre but que de créer la confusion parmi les ouvriers et de déplacer les propres responsabilités de ces "dirigeants syndicaux; et politiques sur... la réaction et le Malin !

Examinons de plus près leurs affirmations :

"Dans la totalité des cas, le mécontentement ouvrier est légitime", les ouvriers ont raison, le motif de leurs grèves est juste, reconnaît L'Humanité. Mais... on peut obtenir satisfaction sans grève ! "Le résultat que les postiers ont obtenu, ils pouvaient l'avoir sans grève", dit Frachon. "Le mécontentement est provoqué par la réaction et la grève exploitée par elle." Or, "la C.G.T. a montré qu'elle est une organisation sérieuse, puissante, qui sait obtenir, sans vaine gesticulation, ce dont la classe ouvrière a besoin."

Ainsi donc, les ouvriers pourraient voir leurs revendications satisfaites sans grève, d'une manière pacifique ; et bien que la "puissante" C.G.T. soit partisan de cette tactique rationnelle, une minorité de réactionnaires prend le dessus dans de nombreux conflits !

Ainsi donc, au lieu de suivre la tactique géniale et facile du P.C.F., qui peut obtenir des concessions sans l'action des ouvriers, de façon "économique", les ouvriers tendent leurs nerfs et leurs muscles dans des conflits grévistes répétés, sont en butte aux attaques de la bourgeoisie et des organisations prétendument ouvrières, mènent des combats inutiles à seule fin de satisfaire des réactionnaires !

Ce ne sont là que calomnies et mensonges d'autant plus flagrants que, dans tous les mouvements jusqu'à présent, les ouvriers ont repris les revendications même de la C.G.T., non satisfaites malgré toutes les négociations.

Si les revendications ouvrières pouvaient être satisfaites sans grève, verrait-on les ouvriers faire grève ? C'est parce que depuis deux ans les ouvriers ont eu le temps de mettre à l'épreuve la tactique géniale des Frachon, qui enchaîne tous les jours un peu plus les ouvriers à l'exploitation patronale, qu'ils prennent sur eux, de plus en plus, d'entrer en mouvement à l'encontre de ces "dirigeants".

Les mouvements ouvriers actuels, c'est la situation générale des classes travailleuses qui les commande, et rien d'autre.

Ils surgissent de l'opposition d'intérêts irréductible entre bourgeoisie et prolétariat, ils représentent la lutte de la classe ouvrière contre sa paupérisation, au sortir d'une guerre qui a été pour la bourgeoisie un moyen de réduire les classes laborieuses à une situation de misère.

Il y a dix mois, nous écrivions dans La Lutte de Classes (n°53) : "...Par suite de la politique menée par la bourgeoisie, les grèves, les protestations, etc..., sont tout à fait inévitables dans la situation actuelle et leur importance ne fera que croître." Car... "tout le labeur à bas prix des ouvriers n'est pas destiné à la reconstruction, mais à soutenir la concurrence capitaliste. Il n'y a pas, dans ces conditions, d'amélioration possible à la situation des masses ouvrières en Europe. Dans la concurrence capitaliste acharnée qui se livre en même temps que se prépare la nouvelle guerre, les ouvriers seront sacrifiés économiquement, comme ils le furent physiquement pendant la guerre". (Lutte de Classes. 56, 24-12-1945.)

Le fait qu'aujourd'hui les ouvriers entrent en lutte à l'encontre des dirigeants officiels n'est que le résultat du fait que ces dirigeants ne veulent pas aider les ouvriers à lutter contre la bourgeoisie, mais aident la bourgeoisie contre les ouvriers.

En prétendant que les ouvriers font des grèves inutiles suscitées par la réaction, les chefs staliniens reprennent les calomnies bourgeoises, selon lesquelles le mouvement ouvrier est provoqué non par les besoins profonds de la classe ouvrière, mais par des "meneurs" et des "excitateurs", que la classe ouvrière par son "ignorance" met en danger "l'ordre", etc...

Mais comme le mouvement ouvrier répond, en réalité, au besoin profond de la classe ouvrière de s'opposer à la politique de spoliation de la bourgeoisie, comme ce mouvement témoigne d'une forme de conscience supérieure prise par les ouvriers, dans le fond les arguments de Frachon ne sont qu'un aveu que les chefs staliniens sont en dehors de ce mouvement, qu'ils ne sont pas à la tête des ouvriers dans leur lutte contre la bourgeoisie, qu'ils s'opposent à cette lutte ; c'est pour cela qu'ils recourent aux plus basses calomnies.


En présence d'une C.G.T. opposée à leurs luttes, les travailleurs ont réagi en ne tenant pas compte de son opposition, et en poursuivant la lutte contre la volonté de la direction.

Après Cherbourg, Nantes, le mouvement des postiers, il n'est pas rare de trouver maintenant dans L'Humanité des mises en garde et des protestations de la C.G.T. contre les travailleurs de différentes usines qui font grève sans tenir compte de celle-ci.

Cependant, là où le mouvement dépasse en importance des entreprises isolées ou même des localités, plus exactement dans la grève des postiers où il s'agissait de coordonner en un seul mouvement la lutte de travailleurs dispersés à l'échelle nationale, il a fallu remplacer l'organisation syndicale défaillante.

Cette nouvelle organisation, c'était les Comités de grève, reliés entre eux par un Comité central.

L'opposition de la direction cégétiste aux grèves n'a donc nullement paralysé le mouvement gréviste, n'a pas pu le priver d'organisation. Au contraire, dans les Comités de grève couronnés par un Comité de grève national, les travailleurs ont trouvé une organisation de lutte bien plus démocratique et plus efficace. A la tête du mouvement se trouvaient des gens non pas en vertu de postes de permanents syndicaux, mais élus par tous les travailleurs. Le Comité de grève réalisait ainsi l'unité de tous les ouvriers engagés dans la lutte, indépendamment de leur appartenance politique ; c'est ainsi que malgré l'opposition de la Fédération stalinienne au mouvement, des membres du P.C.F. ont été élus dans des Comités de grève locaux. Mandatés pour une action déterminée, ils donnent la possibilité à la masse ouvrière de contrôler et de renouveler ses dirigeants, sur la base de leurs actes.

Même s'il manque de cadres véritablement prolétariens, par des réunions fréquentes, en donnant aux Comités un caractère permanent, en procédant à des élections de bas en haut, en changeant ceux qui ne donnent pas satisfaction, les Comités fournissent à la classe ouvrière un moyen de former une nouvelle direction, par la sélection de nouveaux cadres.

Dans le mouvement des postiers, des "dirigeants" profitant de leur situation centrale se sont proclamés Comité national, sans élection préalable par les délégués de tous les Comités de base, sans être donc l'expression fidèle de ce mouvement.

Mais même si pour un moment des Jouhaux ou des Staliniens se glissent à la tête des Comités, la forme elle-même de l'organisation, basée sur les éléments engagés dans la lutte, ne leur permet pas de rester à la tête, pour peu que la lutte se prolonge, mettant à nu leur véritable position.

Dans les Comités de grève, aussi bien sur le plan local qu'en les coordonnant sur le plan national par un Comité Central, la classe ouvrière possède la meilleure arme pour s'opposer aux menées bureaucratiques et pour se donner, dans le cadre des luttes à venir, de nouveaux dirigeants dévoués à ses intérêts.


QU'ETAIT-CE QUE LA LIBERATION ?

[reproduction du tract "TRAVAILLEURS, depuis cinq ans..." (15.08.1944)]


"PROMESSES" IMPERIALISTES

[article reproduit de La Lutte de Classes n° 7 du 1er Janvier 1943.]


La Voix des Travailleurs

ASSEMBLEE DES CADRES SYNDICAUX DE LA REGION PARISIENNE

Devant la vague de grèves revendicatives qui échappe à leur contrôle et sentant, l'exemple et les résultats qui ont été obtenus par ces grèves aidant, la combativité de la classe ouvrière grandir et qu'un mouvement plus large pourrait se déclencher, l'Union des Syndicats de la R.P. a voulu s'assurer des délégués en organisant une assemblée des cadres syndicaux de la Région Parisienne le vendredi 23 août, à la Maison des Métaux, rue Pierre-Timbaud, pour y entendre un exposé de Lunet sur la "grande victoire" des 25%. Prévue à 18 h.15, ce n'est que vers les 19 heures qu'il prit la parole et pour plus d'une heure pendant laquelle, après avoir fait le bilan des résultats "positifs" obtenus, il fit un appel à l'unité et mit en garde contre les "diviseurs".

D'après Lunet, l'amélioration du sort des travailleurs vient de l'effort, "effort qui va en partie aux ouvriers". Il établit avec quelques chiffres les possibilités nouvelles du pouvoir d'achat de familles ouvrières avec quatre enfants ou avec deux. Le relèvement du niveau de vie devant porter sur le salaire brut, les ouvriers ne veulent connaître que celui-ci et non les chiffres fantaisistes obtenus avec les allocations. De plus, le budget ouvrier, nous le connaissons, nous n'avons pas besoin d'un Lunet pour nous l'apprendre, mais qu'il nous parle plutôt du budget de ceux qui ont en mains les moyens de production, et de leur niveau de vie. Pour lutter contre la hausse des prix, il propose les Commissions locales d'assainissement, mais la hausse des matières premières et articles de consommation étant autorisée par arrêté ministériel, il faudrait donc que ces Commissions entrent en lutte contre l'Etat et non utopiquement contre les satellites (classes moyennes) dépendant des gros industriels ou producteurs.

Puis il passe aux calomnies contre les dernières grèves et parle de l'unité menacée par les "meneurs de la réaction", du danger de mouvements isolés. Ce bureaucrate oublie que le meilleur moyen d'éliminer les mouvements isolés serait qu'une vaste offensive de la C.G.T. appelle tous les travailleurs à l'action, ce qui, mieux que tous les discours, réaliserait l'unité.

Il termine en rappelant que les délégués doivent apporter beaucoup d'attention à la présentation des journaux locaux, les rendre agréables, car beaucoup d'ouvriers ne les lisent pas. Si à chaque fois qu'un délégué fait un article qui n'est pas dans "la ligne", il n'était pas censuré par les Commissions, et qu'ainsi les ouvriers trouveraient un journal de classe, ils n'auraient pas besoin d'être "agréables" pour être lus. Egalement, le citoyen Lunet trouve que les travailleurs se désintéressent des provocations réactionnaires, de la politique étrangère. La classe ouvrière en a assez des exhortations à la défense d'une "démocratie" en qui, de plus en plus elle découvre le visage même de la réaction, et si elle se désintéresse de la politique étrangère, nous pouvons penser que les Lunet et consorts y sont pour quelque chose, à avoir pendant des mois et maintenant encore, mené une politique chauvine. Comme il terminait et que beaucoup de délégués pensaient pouvoir prendre la parole, le poisson fut noyé par un bonze du bureau qui, annonçant que Mme Viollis, l'auteur d'Indochine S.O.S., était dans la salle, proposa qu'elle présidât le bureau pendant que Tollet ferait un exposé sur l'Indochine.

Comme il était près de 20 heures, beaucoup de délégués commençaient à partir et ceux qui restaient furent faits à l'usure, car l'exposé de Tollet devait se terminer vers 20 h.45 devant une salle très clairsemée. Dans un discours très "gauchiste", il démontra l'exploitation organisée par les colons en Indochine, le sort misérable des travailleurs recrutés de force par la police et le rôle réactionnaire des troupes de Leclerc. Brusquement, Tollet découvre dans Leclerc, présenté pendant des mois, dans la presse ouvrière, avec De Gaulle, comme de grands démocrates, un général capable de faire éditer des tracts de style fasciste où sont insultés les patriotes indochinois. Que Tollet nous dise franchement qu'il fallait fatiguer l'auditoire pour le moment du vote de la motion sur les augmentations de salaire.

Mais, malgré tous les moyens dont usent les renégats pour faire passer leur marchandise de trahison, aucune motion votée sous un masque de démocratie, qui cache l'atroce dictature d'une poignée de politiciens décadents, n'empêchera la classe ouvrière de faire son expérience dans la lutte et de reconquérir, malgré eux, au travers de celle-ci, son contrôle sur ses propres organisations.


CORRESPONDANCE

Dans la Lutte de Classes du 19 juillet, j'ai lu un article intitulé : "49 millions de bénéfices, sans contrôle ouvrier". Dans cet article, vous nous laissez entendre que la maison Citroën peut payer l'augmentation de ses ouvriers, parce qu'elle a fait des bénéfices. Mais, alors, là où la direction prétend avoir fait des pertes, les travailleurs seraient-ils donc obligés de continuer à s'escrimer avec des salaires de famine ? Les ouvriers n'ont pas à prendre en considération de tels arguments. Il est toujours facile à nos exploiteurs, dans le système capitaliste, de présenter des bilans déficitaires. Et ils voudraient que ce soient nos femmes et nos enfants qui supportent les conséquences de leur gabegie.

Je vais vous citer un fait qui s'est passé chez nous, à la Thomson. Nous avions demandé un acompte de 1.000 francs sur l'augmentation des 25%. Le patron les a refusés, sous prétexte que la maison n'avait pas fait assez de bénéfices pour nous payer immédiatement cette somme. Nous, nous n'avons pas voulu connaître ses histoires de comptes. Nous sommes montés tous ensemble à la direction et avons menacé le directeur. Résultat, nous avons eu nos 1.000 francs.

En liant nos revendications aux bénéfices des patrons, on voudrait nous faire croire qu'il est de l'intérêt des ouvriers que leurs exploiteurs fassent des bénéfices. Comment admettre une pareille chose, quand on sait qu'au contraire, les capitalistes ne peuvent faire des profits que dans la mesure où ils imposent aux travailleurs des bas salaires.

Plus les travailleurs sont désarmés, plus les capitalistes ont de facilités pour les exploiter et leur faire suer des bénéfices. Notre meilleur moyen de défense est donc de nous organiser et de lutter sans merci contre nos exploiteurs. Ce n'est qu'en leur imposant notre volonté que nous leur arracherons de meilleures conditions de vie.

C'est pourquoi, c'est nous mentir que de nous faire croire qu'augmenter la production, c'est travailler à améliorer notre niveau de vie. Ceux-là mêmes qui lancent ces mots d'ordre nous apprennent que la production est à 80% de celle d'avant-guerre. Et pourtant, nous savons tous que notre niveau de vie est loin d'atteindre 80% de celui d'avant-guerre. La vérité, c'est qu'à travers la guerre, notre niveau de vie s'est peu à peu stabilisé à un niveau de famine. Et la bourgeoisie a intérêt à nous maintenir à ce niveau de famine, car c'est pour elle le seul moyen de continuer à réaliser des bénéfices. C'est pourquoi, malgré tous nos efforts de production, il nous sera impossible d'améliorer notre sort sans une lutte sans merci contre nos exploiteurs.

B.L.

N.D.L.R. - Dans le prochain numéro du journal, nous ferons paraître un article sur "l'Echelle mobile" et "l'ouverture des livres de comptes".


...ECHOS...


RENAULT – Economie planifiée en régime capitaliste

D'après le plan quinquennal en France, pour l'automobile, voici 18 mois que la Juvaquatre devait être retirée de la circulation. Mais cela ne pouvait être fait qu'à condition que Peugeot fasse la petite voiture de luxe, Citroën la moyenne et grosse voiture de luxe et Renault les gros camions. Mais cela ne marche pas. Citroën veut faire à sa guise, Peugeot également. Quant à Renault, les considérations d'exportation l'obligent à maintenir sa Juvaquatre en fabrication. Or, le plan quinquennal prévoyait une rationalisation de la production, une division du travail entre les grosses firmes. Et la C.G.T., à l'époque des discussions, se vantait de sa participation. Les résultats sont là.

Quelle est la contrainte qui oblige Citroën, Peugeot et autres Renault à agir conformément au plan ? Leurs intérêts les poussent au contraire à l'anarchie.

On en a une preuve de plus avec la Juvaquatre. Dans le prix de cette voiture les frais généraux sont comptés pour 300% des frais de production. Or, il y a longtemps que les frais généraux, frais d'outillage et autres, sont amortis pour cette voiture, puisque la fabrication devrait en avoir cessé depuis 18 mois.

Que représentent donc ces 300% ? Certainement une manière aisée de camoufler les bénéfices réels réalisés sur cette voiture. Et on comprend maintenant pourquoi Renault ne tient pas à cesser la fabrication d'une telle mine à profits !


Bas salaires, travail au rendement et production

CHEZ THOMSON-FAVORITES

Il y a quelques mois, quand nous débutions notre apprentissage, nous espérions que ce sacrifice de six mois à un salaire réduit, allait faire de nous des ouvrières qualifiées. C'est pourquoi nous apportions à notre travail l'application et l'attention que nécessite le travail bien fait.

Il fallut revenir très vite à la réalité quand nous reçûmes nos premières feuilles de paye. Afin de nous avantager (?), nous étions payées au rendement, à un taux beaucoup trop accéléré pour des débutantes. "Nous sommes payées pour aller vite, et non pour faire un bon travail", disent maintenant les apprenties. Au-dessous d'un certain taux, nous sommes renvoyées. Si le travail est mal fait, il faut le réviser.

Plusieurs s'en vont, d'autres restent, sabotant le travail, allongeant celui des ouvrières qui doivent le reprendre, s'attirant les foudres des contrôleurs, décourageant les monitrices. Certaines ouvrières travaillent maintenant pendant le quart d'heure de pause, et même certaines avant l'heure, le midi.

L'apprentissage que nous faisons, c'est celui de l'exploita-tion capitaliste. C'est pourquoi, indépendamment de toutes opinions, les apprenties de la C.G.C.T. sont contre le salaire au rendement et contre tous ceux qui le défendent.


CHEZ CITROEN

Il est question, chez Citroën, à Grenelle, de faire porter l'augmentation des 25% à la fois sur le taux d'affûtage et le boni.

Cette nouvelle a provoqué l'indignation des ouvriers qui voient là, avec juste raison, un moyen de les crever davantage.
En effet, même si le boni était augmenté de manière à ce que le salaire horaire total de l'ouvrier (taux d'affûtage plus boni) soit augmenté de 25%, il n'en resterait pas moins que cette augmentation ne serait nullement assurée à l'ouvrier. Elle dépendrait entièrement de la cadence de sa production, autrement dit de son degré de fatigue. Ainsi, loin d'améliorer les conditions de vie des travailleurs, l'augmentation ainsi conçue ne ferait que renforcer leur degré d'exploitation, les mettant davantage sous la coupe du patron, et défavorisant les plus affaiblis.


CHEZ CARNAUD

Comment l'on enchaîne davantage les ouvriers

A trois reprises, nos délégués avaient réclamé un acompte de 1.000 francs sur l'augmentation, pour la paye du 6 août. La direction tergiversait, ne voulant accorder que 700 francs. Mais la peur d'un débrayage l'a finalement fait céder.
A midi, les ouvrières avaient l'habitude de prendre le monte-charge pour se rendre au réfectoire, situé au 4e étage. Un matin, le chef d'atelier nous attendait au 4e et nous déclara : "C'est défendu de prendre le monte-charge ; des sanctions seront prises." Peu après, on nous avertissait par une affiche qu'il était interdit de prendre le monte-charge, sous prétexte qu'il n'était pas assez assuré en cas d'accident.

Ainsi, pour s'éviter une dépense minime, la direction impose aux ouvrières la fatigue supplémentaire de quatre étages à grimper.


CHEZ RENAULT

Au sujet de l'augmentation des 25%, les ouvriers sentent nettement, à la suite des résultats du Conseil Economique, que pour eux, ils s'en tirent avec une augmentation massive des prix et un os à ronger comme salaires. L'indignation est grande et les travailleurs considèrent la C.G.T. comme la première responsable de cet état de choses. Certains disent : "Il n'y avait qu'à ne pas discuter... on a été vendus... etc..." La grande majorité des ouvriers est toujours décidée à faire la grève, mais l'un d'eux a traduit la préoccupation d'une grande partie : "Oui, c'est une grève qu'il faudrait, mais il n'y aurait pas d'organisation, puisque la C.G.T. est contre."


CHEZ GNOME-&-RHONE

Les ouvriers, chez Gnome, étant comme partout ailleurs mécontents, le directeur a été changé. Avant les vacances, au restaurant (n'ayant jamais de réunion syndicale, elles se font pendant que nous mangeons et souvent ce jour-là il y a une bouteille de vin pour quatre), les responsables syndicaux nous avaient dit : "La direction n'interprète pas les 25% comme nous, mais nous allons engager la discussion", et ils avaient prêché le retour au Syndicat des camarades l'ayant quitté. La section syndicale prêche le calme dans le bulletin du Comité mixte de juin-juillet, afin de ne pas embrouiller une situation difficile par des "critiques stériles", de faire confiance dans l'avenir à M. Vaulchier qui a montré vouloir faire face à un certain nombre de revendications laissées en attente pendant des mois par l'ancien directeur.

Devons-nous accorder confiance à ce nouveau directeur plus qu'à l'ancien ? Non, car derrière ces bonshommes que l'on déplace, se trouve toujours le même maître capitaliste.
Lorsqu'au début d'octobre dernier, la catégorie professionnelle 3° échelon fut instituée chez Gnome, les ouvriers protestèrent énergiquement et rejetèrent, par vote en réunion, cette décision. Malgré le vote, la section syndicale laissa appliquer celle-ci, se dégageant en ces termes : "C'est Parodi qui a institué les P.3, que cela nous serve de leçon pour les prochaines élections, car nous ne pouvons rien faire." Depuis, Parodi a été remplacé par "le camarade" Croizat, et rien n'a changé.

En réalité, les responsables syndicaux pouvaient tout faire, car nous étions prêts à les suivre dans une action et même nous la demandions. Mais comme disait Delteil, la section syndicale reste les pieds par terre et ne "rêve" pas comme les révolutionnaires. Voulant aider par les moyens du bord les hauts personnages à qui l'Etat a confié la direction de l'usine, la direction syndicale, qui reste les pieds par terre, devait les aider à trouver une solution pour empêcher que les ouvriers ne quittent l'usine pour aller gagner plus ailleurs. Mais comment les garder ?... Augmenter les salaires ? L'Etat bourgeois accorde des crédits trop justes pour pouvoir le faire. Alors, payons seulement plus cher les ouvriers susceptibles de faire défaut par leurs départs. L'ex-directeur Bernière déclara : "Comité mixte, je vous fais confiance, faites les nominations." Et celui-ci en fixa le nombre.

Devant le mécontentement ouvrier et les protestations qui suivirent ces nominations, le directeur joua le rôle de bouc émissaire et le syndicat, rendant compte de son entrevue avec lui, déclara : "La direction les impose catégoriquement." Ce mécontentement, ajouté à d'autres, a nécessité le changement de direction, mais les ouvriers ne sont pas dupes, car beaucoup ont compris ces manœuvres.

ANDRE


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