1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


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Le communisme et la dictature du prolétariat


19 : Caractéristiques du régime communiste

Nous avons vu pourquoi doit disparaître le régime capitaliste (et nous le voyons disparaître sous nos yeux). Il périt parce qu’il contient en lui deux contradictions fondamentales : d’un côté, l’anarchie de la production, qui conduit à la concurrence, aux crises, aux guerres; d’un autre côté, son caractère de classe, qui a pour conséquence inévitable la lutte de classes. La société capitaliste est comme un mécanisme mal ajusté, où une partie accroche toujours l’autre [1]. C’est pourquoi, tôt ou tard, cette machine doit inévitablement se briser.

Il faut, et c’est clair, que la nouvelle société soit plus solidement organisée que le capitalisme. Une fois que les contradictions fondamentales du capitalisme auront fait sauter le régime, il faut que, sur ses ruines, se forme une société nouvelle qui ignore les contradictions de l’ancienne. Les traits caractéristiques de la société communiste sont les suivants :

1. Elle doit être organisée, c’est-à-dire qu’elle ne doit : Contradictions principales du régime capitaliste. comporter ni anarchie dans la production, ni concurrence des entreprises privées, ni guerres, ni crises;

2. Elle ne doit pas être une société de classes, composée de deux moitiés en lutte éternelle l’une avec l’autre et dont l’une est exploitée par l’autre.

Une société sans classes et où toute la production est organisée ne peut être qu’une société fraternelle, la société du travail, la société communiste.

Examinons cette société de plus près. Le fondement de la société communiste, c’est la propriété commune des moyens de production et d’échange, c’est-à-dire que les machines, les appareils, les locomotives, les bateaux à vapeur, les bâtiments, les entrepôts, les élévateurs, les mines, le télégraphe et le téléphone, la terre et le bétail, sont la possession de la société qui en dispose. Ce n’est ni un capitaliste particulier, ni une association de quelques gens riches qui ont le droit d’en disposer, mais la société tout entière. Qu’est-ce que cela veut dire : la société tout entière ? Cela veut dire non pas une classe particulière, mais tous les hommes constituant la société. Dans ces conditions, la société se transforme en une immense communauté fraternelle. Là, ni dispersion de la production, ni anarchie. Au contraire, seul un tel régime permettra d’organiser la production. Là, point de lutte ni de concurrence entre les entrepreneurs, car toutes les fabriques, usines, mines, etc., ne sont, dans la société communiste, que les différentes sections d’un grand atelier populaire embrassant toute l’économie générale. Il va sans dire qu’une aussi formidable organisation suppose un programme général de la production. Si toutes les fabriques, toute la culture forment une immense association, il faut évidemment calculer exactement comment répartir les forces de travail entre les différentes branches de l’industrie; quels produits il faut fabriquer et en quelle quantité; comment et où diriger les forces techniques, et ainsi de suite. Tout cela doit être calculé d’avance, au moins approximativement, et il faut dans l’exécution se conformer au plan tracé. C’est bien ainsi que se traduit l’organisation de la production communiste. Sans un plan général et une direction commune, sans un calcul exact, il n’y a pas d’organisation. Dans le régime communiste, tout cela existe.

Mais l’organisation seule ne suffit pas. L’essentiel, c’est qu’elle soit une organisation fraternelle de tous les membres de la société. Le régime communiste, son caractère organisateur mis à part, se distingue encore par ce fait qu’il supprime l’exploitation, qu’il abolit la division de la société en classes. Car on peut se représenter l’organisation de la production, par exemple, de la façon suivante : une poignée de capitalistes possède tout, mais le possède en commun; la production est organisée, les capitalistes ne secombattent plus, ne se font plus concurrence, mais soutirent ensemble de la plus-value à leurs ouvriers, devenus des demi-esclaves. Là, il y a bien organisation, mais il y a aussi exploitation d’une classe par une autre. Là, il y a bien propriété commune des moyens de production, mais dans l’intérêt d’une seule classe, la classe capitaliste. Ce n’est donc point là du communisme, bien qu’il y ait organisation de la production. Une pareille organisation sociale ne supprimerait qu’une des contradictions fondamentales du capitalisme : l’anarchie de la production, mais elle renforcerait l’autre : la division de la société en deux camps; la lutte de classe s’accentuerait encore. Cette société ne serait organisée qu’à moitié : la séparation en classes n’y serait pas abolie. La société communiste n’organise pas seulement la production, elle libère aussi les hommes de l’oppression d’autres hommes. Elle est intégralement organisée.

Le caractère social de la production communiste se manifeste dans tous les détails de son organisation. Dans le régime communiste, par exemple, il n’y aura pas de directeurs perpétuels d’usines, où des gens passent toute leur vie sur le même travail. Aujourd’hui, il en est ainsi. Un cordonnier fait toute sa vie des chaussures et ne voit rien en dehors de ses formes; le pâtissier fait toute sa vie des gâteaux; le directeur de fabrique ne fait que diriger et commander; quant au simple ouvrier, il lui faut, sa vie durant, obéir et exécuter les ordres des autres. Rien de pareil dans la société communiste. Là, tous les hommes jouissent d’une large culture et sont au courant de toutes les branches de la production; aujourd’hui, j’administre, je calcule combien il faudra fabriquer, pour le mois prochain, de pantoufles ou de petits pains; demain, je travaille dans une savonnerie, la semaine suivante, peutêtre, dans une serre de la ville, et trois jours après, dans une station électrique. Cela ne sera possible que lorsque tous les membres de la société jouiront d’une instruction convenable.


Notes

[1] Cf. plus haut et § 13


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