1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


3
Le communisme et la dictature du prolétariat

24 : La conquête du pouvoir politique

Le prolétariat réalise sa dictature par la conquête du pouvoir politique. Mais qu’est-ce que la conquête du pouvoir ? Beaucoup de gens croient qu’il est aussi simple d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie que de faire passer une balle d’une poche dans une autre.

Cette manière de voir est tout à fait fausse, et avec un peu de réflexion, nous verrons où se trouve l’erreur.

L’Etat est une organisation. L’Etat bourgeois est une organisation bourgeoise dans laquelle des rôles déterminés sont affectés aux hommes : des généraux, pris parmi les riches, sont à la tête de l’armée, des ministres, riches également, à la tête de l’administration, etc. Lorsque le prolétariat lutte pour le pouvoir, contre qui lutte-t-il ? Avant tout, contre cette organisation bourgeoise. Mais s’il lutte contre elle, sa tâche est de lui porter des coups, de la détruire. Et comme la force principale de l’Etat consiste dans son armée, il faut avant tout, pour vaincre la bourgeoisie, miner et détruire l’armée bourgeoise. Les communistes allemands ne peuvent renverser Scheidemann et Noske sans détruire au préalable leur garde blanche. Tant que l’armée de l’adversaire reste intacte, la révolution ne peut vaincre; si la révolution est victorieuse, l’armée de la bourgeoisie se décompose et s’effrite. C’est pourquoi, par exemple, la victoire sur le tsarisme n’était qu’une destruction partielle de l’Etat tsariste, une décomposition partielle de l’armée; seule la victoire de la révolution d’Octobre acheva la destruction de l’appareil d’Etat du Gouvernement provisoire et la dissolution de l’armée de Kerensky.

Ainsi, la révolution détruit le pouvoir ancien et crée un pouvoir nouveau. Il est évident que dans ce nouveau pouvoir entrent certains éléments essentiels de l’ancien, mais ils y trouvent une autre utilisation. La conquête du pouvoir d’Etat n’est donc pas la conquête de l’ancienne organisation, mais la création d’une organisation nouvelle : l’organisation de la classe qui a vaincu dans la lutte.

Cette question a une valeur pratique énorme. On reproche, par exemple, aux bolcheviks allemands (comme autrefois aux bolcheviks russes) de décomposer l’armée et de favoriser l’indiscipline, la désobéissance aux généraux, etc. Cette accusation paraissait et paraît encore grave à beaucoup de gens. Et pourtant elle n’a rien de si effrayant. Une armée qui marche contre les ouvriers sur l’ordre de généraux et de bourgeois, qui sont pourtant nos compatriotes, cette armée, il faut la détruire, sinon la révolution est morte. Nous n’avons rien à craindre de cette destruction de l’armée bourgeoise, et c’est un mérite pour un révolutionnaire de détruire l’appareil d’Etat de la bourgeoisie. Là où la discipline bourgeoise n’est pas rompue, la bourgeoisie est invincible. On ne peut désirer la soumettre et, en même temps, craindre de lui faire du mal.

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