1971

"L'histoire du K.P.D. (...) n'est pas l'épopée en noir et blanc du combat mené par les justes contre les méchants, opportunistes de droite ou sectaires de gauche. (...) Elle représente un moment dans la lutte du mouvement ouvrier allemand pour sa conscience et son existence et ne peut être comprise en dehors de la crise de la social-démocratie, longtemps larvée et sous-jacente, manifeste et publique à partir de 1914."


Révolution en Allemagne

Pierre Broué

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Essai de définition du rôle d'un parti communiste


XXII: Une conception allemande du communisme : Paul Levi

Après le congrès de Halle, et pour la première fois depuis la fondation de l'Internationale communiste, un parti communiste de masse existe dans l'un des pays les plus avancés d'Europe, précisément dans cette Allemagne que les révolutionnaires considèrent toujours comme la plaque tournante de la révolution prolétarienne. Victoire de l'Internationale communiste, dont le prestige a joué un rôle capital, ou victoire personnelle de Paul Levi qui a, presque seul, imposé à un K.P.D. (S) réticent et à une Internationale sur ses gardes la poursuite jusqu'à son terme de cette bataille politique qu'il avait le premier entrevue et recherchée ? Le débat reste ouvert. Il nous semble pourtant nécessaire, à cette étape, de tenter de retracer la physionomie du premier parti communiste de masse telle qu'elle apparaît à travers les analyses de l'homme qui l'a conçu.

Le cadre : la révolution mondiale.

Nulle part n'apparaît mieux qu'en Allemagne le lien privilégié qui unit la révolution russe et son parti bolchevique à la construction des autres partis communistes. Levi s'écrie, au congrès d'unification :

 « Ce n'est pas un événement allemand. Il n'y a plus d'événement allemand dans la révolution mondiale. Ce à quoi nos assistons, c'est à la formation du premier membre important et constitué sur le plan de l'organisation de l'Internationale des opprimé, aux côté, de la Russie soviétique » [1].

Sur la route qui mène inéluctablement le monde du capitalisme au socialisme, les différents prolétariats nationaux n'avancent pas du même pas : le développement de la révolution mondiale est aussi inégal que celui du capitalisme, dont il n'épouse même pas la courbe. C'est ainsi que les Etats-Unis, pays le plus avancé du monde dans le cadre du capitalisme, en sont, sur le plan de l'organisation ouvrière, au stade le plus primitif, celui de l'organisation unique, « one big union » — celui-là même qui a fait faillite, un siècle plus tôt, à l'aube du développement prolétarien, en Grande-Bretagne, avec le chartisme. C'est ainsi également que le prolétariat allemand a vu réduire à néant en quelques années les efforts de deux générations de militants dans le domaine de l'éducation socialiste et de l'organisation politique. C'est ainsi enfin que le prolétariat russe, formé et organisé sous le talon de fer du tsarisme, îlot numériquement faible dans l'immense océan rural, a été le premier à poser le problème de l'avenir de l'humanité dans les termes de la révolution mondiale. Les échecs de la révolution allemande s'expliquent dans ce cadre:

« Le plus grand obstacle au développement des forces communistes en Europe occidentale n'a pas été la bourgeoisie, mais les organisations ouvrières, et tous les mouvements révolutionnaires jusqu'à ce jour se sont brisés contre ce rempart » [2].

Il importe donc de bien comprendre que, contrairement à ce qu'ont longtemps semblé croire les bolcheviks, la révolution allemande ne peut ni ne doit suivre le modèle russe de 1917 :

« Dans aucun pays d'Europe occidentale la révolution ne progressera au rythme rapide sur lequel elle s'est apparemment précipitée en Russie de février à novembre 1917 ; apparemment, parce qu'on était enclin à oublier que la révolution russe avait déjà fait ses classes dix ans auparavant, et qu'elle a pu mettre à profit pour le prolétariat l'enseignement reçu en 1905, 1906 et 1907, pendant dix années d'un travail méthodique. Et déjà, le seul fait que nous soyons entrés dans la révolution, en Allemagne et en Europe occidentale, sans parti communiste, le fait qu'il ait dû se former dans le cours même de la révolution, et que précisément pour cette raison les erreurs. les fautes, les imperfections et les demi-mesures du prolétariat aient été doublées et triplées pendant la révolution, tout cela exclut un cours aussi clair et aussi linéaire de la révolution en sept mois que celui que la révolution russe a suivi jusqu'en novembre 1917 et ensuite » [3].

Cela posé, la nécessité d'un parti communiste allemand se fait d'autant plus sentir. Pour Levi, le problème n'est pas en effet seulement celui de la révolution allemande, de la révolution en Allemagne, mais celui de la révolution mondiale en Allemagne. Il n'existe pas, à ses yeux, de secteurs dans le monde où la lutte des classes revêtirait des aspects et se fixerait des objectifs différents. La bourgeoisie allemande, le militarisme allemand, constituent pour lui une menace concrète pour l'ensemble de la révolution mondiale et l'Allemagne le champ de bataille sur lequel le prolétariat européen livrera la bataille décisive. Pour cette raison, le parti communiste allemand dont le rôle sera déterminant, a une importance particulière pour la révolution mondiale. Il est nécessaire que tous les partis de l'Internationale apprennent de lui, de son expérience et de ses fautes, et le critiquent, non en référence au modèle russe, mais par rapport à ses tâches concrètes actuelles, qui sont, non pas de commencer la révolution dans un pays arriéré à l'aide d'un parti fermement constitué, mais de l'étendre dans un pays hautement développé tout en construisant le parti révolutionnaire indispensable :

« Nous sommes aujourd'hui dans le cours non seulement d'une révolution allemande, mais dans celle de la révolution mondiale, et face à toute possibilité d'action, il ne faut jamais perdre de vue toute possibilité de réaction, non seulement sur place, mais encore pour la révolution mondiale » [4].

La conquête du prolétariat.

La supériorité des communistes russes réside en ceci qu'ils ont réussi, entre février et octobre 1917, à gagner au communisme la majorité du prolétariat de Russie. S'il n'en a pas été de même en Allemagne, en 1918-1919, c'est parce que la révolution du 10 novembre constituait moins une victoire du prolétariat que la faillite de la bourgeoisie. Polémiquant tant contre Karl Radek que contre les gauchistes du K.A.P.D., Levi soutient en effet que la conscience de classe du prolétariat constitue la condition nécessaire de sa prise du pouvoir. C'est pour y parvenir que les communistes ont comme première grande tâche positive à accomplir l'organisation « du prolétariat en tant que classe au sein des conseils ». C'est la conquête de la majorité des travailleurs dans les soviets qui constitue le secret de la victoire des bolcheviks en Russie. Et, sous cet angle-là, leur victoire est exemplaire. Levi écrit déjà dans les thèses soumises au 2° congrès du K.P.D. (S) :

 « Dès avant la conquête du pouvoir, il est de la plus extrême importance de renforcer les conseils existants et d'en créer de nouveaux. Ce faisant, il ne faut d'abord pas perdre de vue qu'on ne peut ni créer ni maintenir de conseils ni d'organismes de type conseils à coups de statuts, de règlements électoraux, etc. Ils ne doivent leur existence qu'à la volonté révolutionnaire et à l'action révolutionnaire des masses, et ils constituent pour le prolétariat l'expression idéologique et organisationnelle de sa volonté de pouvoir, exactement comme le Parlement est celle de la bourgeoisie. C'est également pourquoi les conseils ouvriers sont les porteurs tout désignés des actions révolutionnaires du prolétariat. A l'intérieur de ces conseils, les membres du parti communiste allemand doivent s'organiser en fraction afin d'élever par des mots d'ordre appropriés les conseils ouvriers à la hauteur de leur tâche révolutionnaire, et afin de prendre la direction des conseils et des masses ouvrières » [5].

L'expérience négative de la révolution allemande — le refus de siéger dans les conseils aux côtés des majoritaires, la tentative de forcer leurs décisions de l'extérieur, les tendances « putschistes » manifestées au cours des premiers mois de 1919 — viennent ainsi confirmer l'expérience positive de la révolution russe victorieuse. Car l'éducation révolutionnaire du prolétariat ne peut être l'œuvre que d'un parti révolutionnaire.

Levi et les communistes allemands pensent en 1920 que l'histoire a définitivement réglé la vieille polémique sur le parti entre Lénine et Rosa Luxemburg. Levi déclare :

 « Il s'agit du vieux problème de la construction des partis socialistes. Je ne veux rien dissimuler. Il s'agit de nouveau de la vieille divergence entre Lénine et Rosa Luxemburg, la vieille divergence sur cette question : « Comment se constituent des partis social-démocrates (selon la terminologie de l'époque)? » Là-dessus, l'histoire a tranché. Lénine avait raison. On peut également former des partis socialistes et communistes par cette sélection ultra-rigoureuse. Dans une période d'illégalité, par la sélection la plus rigoureuse, et simplement par le processus mécanique d'addition d'un communiste à un autre, il a formé un bon parti, et peut-être, camarades, si nous avions devant nous une période de dix années d'illégalité, peut-être nous déciderions-nous à suivre cette voix » [6].

Tous pensent, du même coup, que l'histoire a également réglé la querelle de l'organisation et de la scission nécessaire entre opportunistes et révolutionnaires :

« Il n'est pas aujourd'hui en Allemagne un seul communiste qui ne regrette que la fondation d'un parti communiste n'ait pas été réalisée depuis longtemps, à l'époque de l'avant-guerre, que les communistes ne se soient pas regroupés, dès 1903, même sous la forme d'une petite secte, et qu'ils n'aient pas constitué un groupe, même réduit, mais qui aurait au moins exprimé la clarté » [7].

Mais il se refuse à tirer de cette constatation des considérations générales. La scission ne saurait être selon lui élevée à la hauteur d'un principe :

« Dans les époques révolutionnaires, où les masses évoluent rapidement dans une direction révolutionnaire, contrairement à celles où le processus de transformation est plus lent et plus pénible, il peut être avantageux pour des groupes d'opposition, radicaux ou communistes, de demeurer à l'intérieur des grands partis, pourvu qu'il leur soit possible de montrer à découvert leur visage de communistes, de procéder sans obstacle à leur agitation et à leur propagande » [8].

Pour Levi, marqué par la faillite de 1914, il ne faut jamais perdre de vue que le parti n'est en définitive rien de plus qu'un instrument historique pour trancher un combat de classe :

 « La question n'est pas pour les communistes d'obtenir le parti le plus grand, mais le prolétariat le plus conscient. En ce sens, le parti n'est rien, la révolution et le prolétariat sont tout » [9].

Sur ce point, Levi se trouve en contradiction avec la majorité des militants qui constituent son nouveau parti. Pour eux, le parti est tout, parce qu'il est l'instrument de leur efficacité, l'irremplaçable outil qui peut leur donner la victoire.

L'atmosphère politique s'est profondément modifiée au sein de la classe ouvrière allemande depuis 1918, où l'exemple russe se traduisait par l'impact magique du mot « conseil ouvrier » et la recette de l'insurrection armée détruisant le vieil appareil d'Etat des classes dominantes. Les travailleurs allemands veulent disposer d'une force plus efficace que les conseils ouvriers impuissants de 1918 ; ils en attendent un changement radical de leurs conditions de vie qui ne leur paraît plus possible que par le recours à l'une des traditions les plus solides du mouvement ouvrier de leur pays : l'organisation, dont la planification est un synonyme. C'est à eux que Zinoviev s'adresse quand il écrit :

« Nous possédons une issue, un espoir. Nous allons à la suppression complète de l'argent. Nous payons les salaires en nature. Nous introduisons les trolleys sans billet. Nous avons des école, gratuites, des cantines gratuites, quand bien même elles sont provisoirement pauvres, des appartements sans loyer, l'éclairage gratuit. Nous avons réalisé tout cela très lentement, dans les conditions les plus difficiles. Nous avons dû combattre sans cesse, mais nous possédons une issue, un espoir, un plan » [10].

C'est là un langage clair pour les ouvriers indépendants qui rejoignent les spartakistes dans les rangs du parti unifié. En fait, le seul qu'ils soient prêts à entendre après ces années de dure déception, la découverte que la « spontanéité » et l'inorganisation ne sont génératrices que de défaites, la confirmation de la vanité des espérances électoralistes. La persistance, la continuité de la tradition ouvrière social-démocrate d'organisation contribuent, avec ces circonstances favorables, à faire du parti, de sa cohésion, de sa discipline, de son efficacité, de sa capacité à organiser et à concentrer les forces ouvrières, l'objectif essentiel des efforts des militants révolutionnaires, et à créer une atmosphère propice à la construction, dans le parti et pour lui, d'un solide appareil.

Le nouveau parti compte des centaines de milliers de membres, et ses dirigeants pensent même qu'il atteint ou dépasse le demi-million. Il possède trente-trois quotidiens, des journaux ou revues spécialisés, édite une « correspondance de presse », organise des écoles. Il dispose de ressources matérielles importantes, d'hommes de bonne volonté, d'une confiance que traduisent ses scores dans les consultations électorales, en général le quart des voix qui vont au vieux parti social-démocrate. Il se sent fort et il veut démultiplier sa force.

L'organisation qu'il se donne au lendemain de la fusion combine les traits traditionnels, « social-démocrates de la vieille époque » — la tradition de la « vieille école » qu'il revendique très haut —, avec les méthodes inspirées de celles du bolchevisme [11]. Elle est tout entière axée sur la nécessité de développer l'influence du communisme. L'un des premiers « départements » spécialisés créés auprès de la centrale est consacré au travail des militants communistes dans les syndicats : le Gewerkschaftsabteilung s'attelle à la « conquête des syndicats » sous la direction des métallos communistes, le noyau des anciens délégués révolutionnaires [12]. Un autre département est fondé qui s'occupe de la propagande et de l'organisation dans les régions rurales, quelque peu délaissées jusque-là. Des « spécialistes » envoyés par l'exécutif aident à la réorganisation — parfois l'organisation — rationnelle d'un appareil clandestin, et particulièrement celui qui se consacre aux questions militaires, le M.-Apparat, et aux renseignements, le N.-Apparat [13]. Des dizaines de militants deviennent « professionnels », que ce soit pour la presse ou les entreprises du parti — imprimeries ou maisons d'édition — ou dans son appareil de secrétaires, voire son appareil clandestin. Pour eux comme pour les autres militants, c'est le parti qui est tout, parce qu'il est l'irremplaçable instrument de la révolution à venir, et l'appareil est sa colonne vertébrale.

 Le parti et l'Internationale.

Le parti unifié est né sous l'égide de l'Internationale, et Paul Levi le souligne. Pour lui, l'Internationale communiste n'existe que depuis 1920. Sa proclamation, en 1919, n'avait été, en quelque sorte, qu'une expression de la solidarité du prolétariat international avec la révolution et la Russie soviétique ; c'est seulement à son 2° congrès, en 1920, qu'en se donnant des statuts elle s'est véritablement organisée, comme il dit, en « parti des partis, c'est-à-dire en parti qui embrasse et réunit en lui les partis communistes du monde » [14]. Contrairement à Rosa Luxemburg en 1918, les dirigeants du parti communiste unifié ne sont pas embarrassés par le fait que la constitution de l'Internationale, d'abord, l'unification des communistes allemands ensuite, aient dû l'une et l'autre passer à la fois par Moscou et les dirigeants de la Russie soviétique : l'histoire est à leurs yeux un processus dialectique, et c'est désormais par l'intermédiaire de l'Internationale ainsi fondée que le prolétariat mondial parviendra à assimiler l'expérience acquise depuis la révolution russe par les différents partis, notamment le leur, parviendra à cette homogénéisation sans laquelle il n'est pas d'organisation internationale. Paul Levi dit à ce sujet :

 « Nous pensons que les Allemands ne sont pas un peuple élu, ni pour le bien, ni pour le mal, et nous croyons que les expériences que nous avons faites en Allemagne seront faites également par les autres partis occidentaux. Les mêmes conflits qu'en Allemagne, exactement les mêmes, se reproduiront en France, en Grande-Bretagne et partout. Peut-être ne prendront-ils pas un tour aussi aigu à cause du prix dont nous avons, nous, payé cet apprentissage » [15].

C'est également sans aucune gêne apparemment que Levi, au lendemain du 2° congrès de l'Internationale communiste, critique ouvertement certaines initiatives de son comité exécutif notoirement inspirées et soutenues par les dirigeants du parti russe. Au cours du congrès, les représentants allemands ont énergiquement protesté contre la proposition, avancée par les Russes et adoptée par l'exécutif, d'admettre comme invitées et à titre d'organisations « sympathisantes » des organisations de type anarcho-syndicalistes. Levi le dit :

« Instruits par l'expérience, nous avons combattu l'idée d'admettre dans l'Internationale communiste des éléments qui ne soient pas strictement communistes. (...) Guidés par cette idée, nous avons dit que nous ne laisserions pas obscurcir la ligne claire et unitaire et les limpides idées du communisme par quelques concessions que ce soit aux Russes » [16].

 Il admet d'ailleurs le danger qui naît, pour l'Internationale, du rôle prééminent joué par le parti au pouvoir en Russie. Il déclare sur ce point :

« Les camarades russes sont pouvoir d'Etat et organisation de masse. En tant que pouvoir d'Etat, ils ont à entreprendre en direction de la bourgeoisie des démarches qu'en tant que parti ils ne sauraient entreprendre par égard pour les masses prolétariennes. (...) On peut, bien entendu, concevoir théoriquement qu'il existe là un risque, celui que, si le lien entre l'Internationale communiste et le pouvoir d'Etat devenait très étroit, elle n'agisse plus elle-même en tant que parti ou superparti, pourrait-on dire, uniquement inspiré par le point de vue du communisme, mais qu'elle se place sur le terrain du jeu diplomatique entre les forces bourgeoises dont les bolcheviks doivent tenir compte, non en tant que parti, mais en tant qu'appareil d'Etat. (...) C'est un risque théoriquement concevable, mais dont je ne puis imaginer qu'il puisse devenir réel. Et, à mon sentiment, il n'est pas possible qu'il devienne réel, en raison de l'identité qui existe entre les intérêts de l'Internationale communiste, d'une part, et ceux de la République soviétique en tant qu'Etat politique, de l'autre, parce que l'identité entre les deux, de manière générale, et trop grande pour qu'une différence d'intérêt puisse se faire jour » [17].

 Les résultats du 2° congrès de l'Internationale communiste donnent du reste satisfaction aux dirigeants communistes allemands et en particulier à Levi sur des points qui ont été au centre des débats internes puis externes avec les gauchistes du mouvement communiste allemand. La condamnation par le congrès des partisans — notamment le P.C. autrichien — du boycottage des élections parlementaires, son affirmation que les communistes doivent militer à l'intérieur des syndicats réformistes pour y disputer aux dirigeants opportunistes la confiance des travailleurs, leur paraissent une confirmation de leurs propres positions passées, parfois vivement critiquées, à l'époque, dans les milieux dirigeants de l'Internationale. On comprend pourquoi le discours de Levi, lors du congrès d'unification des communistes allemands, revêt par moments des accents d'allégresse : sur le plan du programme, l'Internationale communiste est fondée sur la conception du communisme qu'il a défendue pendant ces deux années et, sur celui de l'organisation, le parti communiste allemand (Ligue Spartakus), devenu parti communiste allemand unifié (V.K.P.D.), est désormais un parti de masses qui peut prétendre gagner au communisme la majorité des travailleurs allemands.

Il reste que les rapports entre la direction allemande, en particulier Paul Levi, et l'exécutif de l'Internationale sont loin d'être définitivement clarifiés. L'homme qui projette, à travers l'Internationale qu'il préside, les expériences et les objectifs du parti russe, considère en effet d'un tout autre œil que Levi les problèmes de la lutte de classe en Allemagne. Marqué par l'expérience des trois années écoulées de révolution et de guerre civile en Russie, Zinoviev écrit dans le premier numéro de la Kommunistische Rundschau :

« Tous les travailleurs conscients doivent comprendre que la dictature de la classe ouvrière ne peut se réaliser qu'à travers la dictature de son avant-garde, c'est-à-dite de son parti communiste. (...) Nous n'avons pas besoin simplement d'un parti communiste, il nous faut un parti communiste fortement centralisé, avec une discipline de fer et une organisation militaire » [18].

Le conflit était inévitable entre cette conception et celle que Levi développait pour renouer avec la tradition allemande.


Notes

[1] Bericht Über die Verhandlungen der U.S.P.D (Linke) und der K.P.D. (décembre 1920), p. 38.

[2] Archives Levi, p 64/3, p. 14.

[3] Bericht 2 ... , p. 61.

[4] « Die Kehrseite », Die Internationale, n° 9-10, 4 avril 1919, p. 13.

[5] Bericht  über den 2. Parteitag ... , p. 24.

[6] « Le début de la crise dans le K.P.D. et l'Internationale », 24 février 1921. Archives Levi, P 64/3. p. 20.

[7] « Der Patteitag des K.P. », Die Internationale, n° 26, 1° décembre 1920, p. 41.

[8]   Archives Levi, P 124/8, p. 3.

[9] « Reinigung », Die Internationale, n° 15-16, 1° novembre 1919, p.283.

[10] Zinoviev, Zwölf Tage in Deutschland, p. 74. Notons cependant qu'il exprime plus les aspirations des ouvriers russes que celles de la classe ouvrière allemande àcette époque.

[11] Pour le détail, voir chap. XXVIII.

[12] C'est Richard Müller qui prend la direction du Gewerkscbaftsabteilung. A ses côtés, les plus expérimentés des militants ouvriers du moment, les Brandler et Heckert, du bâtiment, les métallos Malzahn, Fritz Wolff, Walcher, Eckert. (V. Mujbegović, op. cit., p. 341).

[13] Ruth Fischer (op. cit., p. 174) ajoute les groupes Z (sabotage) et T (terreur) sur lesquels nous ne possédons que des informations d'origine douteuse

[14]   Archives Levi, P 124/8, pp. 1-2.

[15] Ibidem, p. 3.

[16] Ibidem.

[17] Ibidem, pp. 12-13.

[18] Kommunistische Rundschau, n° 1, 1°  octobre 1920.


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