"Selon la légende stalinienne, le Parti bolchevik, à de rares exceptions près, a toujours suivi la volonté de Lénine. Le parti aurait été pratiquement monolithique. En fait, rien n'est plus éloigné de la vérité. De façon répétée, Lénine a dû batailler pour obtenir l'accord de ses camarades."

1976

Tony Cliff

Lénine (volume 2)
Tout le pouvoir aux soviets

Chapitre 5 — Crise et chute du régime tsariste

Des dirigeants en plein désarroi

La prédiction de Lénine selon laquelle la guerre impérialiste, en exacerbant les contradictions internes du capitalisme, mènerait à la guerre civile était essentiellement basée sur l'expérience de 1904-1905. A cette époque, la défaite militaire du tsarisme devant le Japon avait conduit directement à la première révolution russe. Désormais, la guerre impérialiste étant d'une échelle beaucoup plus vaste, les répercussions révolutionnaires devaient être d'autant plus importantes.

Pendant les années de guerre, les classes dirigeantes de Russie furent confrontées à des crises de confiance croissantes, à une chute du moral et à des divisions dans ses rangs. La crise de direction minait le tsarisme et les cercles dirigeants de la société.

Parmi les symptômes d'une situation révolutionnaire, Lénine relevait les suivants :

Impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée ; crise du « sommet », crise de la politique de la classe dominante, et qui crée une fissure par laquelle le mécontentement et l'indignation des classes opprimées se fraie un chemin. Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que « la base ne veuille plus » vivre comme auparavant, mais il importe encore que « le sommet ne le puisse plus ».1

Plus la crise générale est profonde, plus les diverses sections de la classe dirigeante entrent en conflit les unes avec les autres. L'hostilité générale de la masse du peuple envers le régime amène des groupes de la classe dominante à se quereller entre eux et avec le gouvernement, augmentant la haine générale ressentie par la bureaucratie d'Etat contre la coterie de la cour. Plus le tsar se trouvait isolé, et plus il sacrifiait un ministre après l'autre dans l'espoir d'éviter la catastrophe.

L'historien Cherniavsky décrit ainsi l'état d'esprit des cercles dirigeants en 1915-1916 :

un sentiment croissant de catastrophe ; la diffusion de ce sentiment, conscient et parfois inconscient, dans le gouvernement, les classes cultivées et l'élite sociale dans son ensemble ; et la paralysie en résultant, l'incapacité de décider et d'agir... submerge le gouvernement.2

Commentant les minutes du conseil des ministres d'août-septembre 1915, le même historien écrivait : « Les... minutes du conseil des ministre illustrent la pré-condition psychologique d'une révolution dans le gouvernement, dans la classe dirigeante – parmi ceux qui craignaient et haïssaient la révolution, qui souhaitaient l'empêcher par tous les moyens possibles, et qui pourtant n'ont rien fait d'autre que de l'attendre. »3 Un autre historien, I.V. Hessen, écrivait à propos des mêmes minutes : « Le gouvernement s'était mis en grève. Longtemps auparavant, alors qu'il était officiellement tout-puissant, il avait cessé de douter que l'effondrement viendrait tôt ou tard. »4

V.I. Gourko, le ministre adjoint de l'intérieur, monarchiste loyal, écrivait quelques années après la révolution : « Toute révolution commence au sommet ; et notre gouvernement des années de guerre transforme en détracteurs, sinon des couches, en tous cas des individus se trouvant au pouvoir, et par leur méthodes de direction, les éléments les mieux intentionnés du pays. »5 Les cliques entourant le tsar prenaient de plus en plus d'importance. Le conseil des ministres voyait son pouvoir décliner de jour en jour.

Un exemple montrera clairement à quel point le gouvernement agissait peu collectivement, à quel point les ministres étaient ignorants des plans, ou des gens formellement sous leur autorité : le cas de la décision de l'autorité militaire d'organiser une évacuation massive de Kiev en juillet-août 1915 est à cet égard flagrant.

On pourrait supposer que le ministre de la guerre ou le ministre de l'intérieur était impliqué dans la prise de cette décision, ou du moins qu'il avait été consulté à son propos. Mais non. Le ministre de la guerre, A.A. Polivanov, intervenant à propos de l'évacuation, disait dans une session du conseil des ministres en date du 19 août 1915 :

Les plans et les intentions du quartier général me sont inconnus, car il est considéré superflu de tenir le Ministre de la Guerre informé du cours des événements, mais, pour autant qu'il me soit possible de juger des questions militaires, je suis convaincu que Kiev ne court aucun danger immédiat et que discuter de son évacuation à tout le moins prématuré.6

Le ministre de l'intérieur, le prince Chtcherbatov, commentait :

D'une manière générale, il continue de se passer avec cette évacuation quelque chose d'invraisembable. Les autorités militaires ont fini par perdre la tête et le sens commun. Le chaos et le désordre sont créés partout, comme un fait exprès. Toute la vie locale est mise la tête en bas. Il est enfin nécessaire de prendre des mesures pour régulariser les rapports entre les autorités civile et militaire. Il est impossible, dans une affaire aussi extraordinairement compliquée qu'une évacuation, qui affecte profondément toute notre existence, de concentrer toutes les dispositions entre les mains des militaires. Ils sont complètement ignorants de la situation des provinces intérieures, et cependat ils orientent des vagues de réfugiés selon leur bon plaisir.7

Le ministre des affaires étrangères, S.D. Sazonov, disait :

Toute cette histoire me hérisse profondément. Le Ministre de la Guerre exprime la conviction qu'aucun danger ne menace Kiev, alors que ces messieurs les généraux, affolés, veulent l'évacuer, la laissant à la merci des autrichiens. Je peux m'imaginer l'impression produite sur nos alliés lorsqu'ils apprendront l'abandon de Kiev, centre d'une immense région céréalière.8

Commentant le 24 août la même évacuation, A.V. Krivochéine, ministre délégué de l'agriculture, disait :

L'historien ne voudra pas croire que la Russie a conduit la guerre à la légère, et est arrivée de ce fait au bord de la ruine – que des millions de gens ont été sacrifiés sans réfléchir à l'arrogance des uns et à la criminalité des autres. Ce qui se passe au quartier général est un scandale et une horreur absolus.9

La nature des rapports habituels entre les ministres et la tête du gouvernement peut être éclairée par des bribes de conversation, au conseil des ministres du 2 septembre 1915, au sujet de la dissolution de la Douma :

A.V. Krivochéine : Toute notre discussion d'aujourd'hui a montré, avec une complète netteté, que ces derniers temps les divergences entre vous, Ivan Longuinovitch [Goremykine, le premier ministre], et la majorité du Conseil des Ministres, en ce qui concerne notre évaluation de la situation et des opinions sur l'orientation politique, se sont encore approfondies. Vous avez informé Sa Majesté l'Empereur de cette divergence, mais Sa Majesté a daigné agréer votre point de vue et non le nôtre... Pardonnez-moi cette question : Comment pouvez-vous à agir alors que les représentants du pouvoir exécutif sont convaincus de la nécessité d'autres méthodes, alors que tout l'appareil gouvernemental qui est entre vos mains est en opposition, lorsque les circonstances aussi bien externes qu'internes deviennent chaque jour plus menaçantes ?

I.L. Goremykine : Je remplirai mon devoir envers Sa Majesté l'Empereur jusqu'au bout, quels que soient les obstacles et le manque d'empathie qu'il me soit donné d'affronter...

S.D. Sazonov : Demain le sang coulera dans les rues et la Russie plongera dans l'abîme! A quelle fin et pourquoi ? Tout cela est terrible! En tout état de cause, je déclare avec force que dans les circonstances présentes je ne prendrai pas sur moi la responsabilité de vos actes...

I.L. Goremykine : Je prends sur moi la responsabilité de mes actes et je ne demande à personne de la partager avec moi.10

Il n'est pas surprenant que le chroniqueur des minutes ait écrit en introduction : « Si l'on doit juger de l'état des affaires par les conversations du conseil, on risque fort, au lieu d'écrire l'histoire, de se retrouver bientôt pendu à un réverbère. »11

En proie au désespoir, Krivochéine déclarait, le 19 août 1915 :

Le rapport du ministre de l'intérieur [Chtcherbatov] m'a profondément ébranlé... Il faut dire clairement à Sa Majesté que la situation intérieure, telle qu'elle existe... ne permet que deux solutions : ou une vigoureuse dictature militaire, si l'on peut trouver quelqu'un qui fasse l'affaire, ou la réconciliation avec le public. Notre cabinet ne correspond pas aux attentes du public, et il doit céder la place à un autre dans lequel le pays puisse croire. Atermoyer, s'accrocher à des demi-mesures et à des temporisations est impossible... J'ai hésité longtemps avant d'en venir finalement à cette conclusion, mais maintenant chaque jour est comme une année et la situation change à une vitesse étourdissante. De toutes parts, on est contraint d'écouter les plus sinistres prédictions si des mesures décisives ne sont pas prises pour apaiser l'anxiété publique.12

Malheureusement, c'est exactement ce que le tsar était incapable de faire : établir une « vigoureuse dictature militaire » ou libéraliser le système de gouvernement. Le tsarisme devenait de plus en plus un régime de crise permanente.

L'importance des ministres fut de plus en plus réduite par la méthode même de leur sélection ; la règle apparemment en usage était très simple : la promotion des plus incompétents. Des changements dans la composition du gouvernement étaient fréquents, et remarquablement ineptes. Lorsque la guerre éclata, le premier ministre de Russie était I.L. Goremykine. « Âgé de soixante-quinze ans, conservateur, avec derrière lui une longue carrière de bureaucrate, il avait été, selon ses propres termes, « ôté comme un manteau d'hiver de la naphtaline » en janvier 1914 pour présider le gouvernement, et il aurait pu tout aussi facilement être remis dans son placard. »13

Voici comment Buchanan , l'ambassadeur britannique, le décrivait :

Un aimable vieux gentilhomme aux manières plaisantes, d'un tempérament indolent et tout à fait dépassé par son travail, il n'avait pas changé avec le temps... Avec l'art consommé d'un courtisan-né il avait gagné les bonnes grâces de l'impératrice, même si, hormis ses opinions ultra-monarchiques, il n'avait aucune qualité particulière qui pût le recommander.14

Goremykine se sentait si vieux qu'il demandait constamment la permission de démissionner. Mais le tsar refusait. « Voilà si longtemps qu'on aurait dû me mettre au cercueil ! Je l'ai dit, l'autre jour encore, à l'empereur ; mais Sa Majesté n'a pas voulu m'entendre... » disait-il lugubrement.15 Comme c'était un monarchiste à l'ancienne mode, il était trop précieux au tsar pour qu'il puisse s'en priver.

Malgré tout, en février 1916, le tsar remplaça enfin Goremykine par Stürmer. Buchanan décrit ainsi le nouveau premier ministre :

Nanti d'une intelligence de second ordre, sans expérience des affaires, un sycophante, motivé uniquement par la promotion de ses intérêts personnels et extrêmement ambitieux, il devait sa nomination au fait qu'il était ami avec Raspoutine et qu'il était soutenu par la camarilla de la tsarine... Je peux mentionner, pour montrer quelle sorte d'homme il était, qu'il désigna comme chef de cabinet un ancien agent de l'okhrana (la police secrète) répondant au nom de Manouiloff, qui fut arrêté quelques mois plus tard et jugé pour avoir fait du chantage à une banque.16

L'ambassadeur français était tout aussi avare de compliments :

le personnage est au-dessous du médiocre : intelligence pauvre, esprit mesquin, caractère bas, probité suspecte, aucune expérience ni aucun sens des grandes affaires  ; toutefois, un talent assez ingénieux de ruse et de flatterie... sa nomination s’explique, si l’on admet qu’il n’a été choisi qu’à titre d’instrument, c’est-à-dire en raison même de son insignifiance et de sa servilité.... [Il] a été... vivement patronné auprès de l’Empereur par Raspoutine.17

En novembre 1916, Stürmer fut remplace par Trepov, qui à son tour fut remplacé en janvier par le vieux prince N.D. Golitsine. Golitsine avait plaidé en vain avec le tsar, arguant qu'il était malade, qu'en quarante-sept années de service il ne s'était jamais occupé de politique (la plus grande partie de son activité pendant la guerre avait été en relation avec la Croix-Rouge) et qu'on « éloigne cette coupe. »18 Il supplia le tsar de choisir quelqu'un d'autre. « Si quelqu'un d'autre se servait du langage dont j'use pour me décrire, je serais contraint de le provoquer en duel, » disait-il.19

D'autres ministres arrivaient et repartaient comme des ombres. Le ministre de la guerre, Soukhomlinov, fut renvoyé en juin 1915 dans des circonstances très suspectes. Il était accusé d'un massif détournement de fonds :

Il y eut des rumeurs de détournements se produisant dans les ministères chargés de la production. De fait, le ministère dont on disait cela depuis longtemps, celui de la marine, entraîné au début de la guerre par un élan patriotique à suspendre par une déclaration générale toute maltôte lors de la conclusion de grands contrats, ne s'y est pas tenu longtemps. On parla bientôt de corruption impudente de la part de personnes qui se trouvaient tout prêt des hautes sphères du ministère de la marine.20

Un comité spécial fut nommé

pour déterminer qui était coupable de l'approvisionnement insuffisant de l'armée. Ce comité mit de fait en accusation l'activité de Soukhomlinov et finit par attirer l'attention de l'autorité judiciaire sur lui.
L'affaire Soukhomlinov fit grand bruit en son temps et son passage devant le tribunal discrédita toute la sphère gouvernementale, à tel point qu'il paraît nécessaire de s'arrêter un moment sur sa personnalité.21

De plus, son assistant, S.N. Miassoïédov, fut soupçonné d'être un espion allemand. Il fut jugé par une cour martiale, condamné et exécuté.22 Soukhomlinov fut arrêté. A sa place, Polivanov fut nommé ministre de la guerre, mais il fut renvoyé quelques mois après et remplacé par Chouvaïev, que Buchanan décrivait comme « une complète nullité ».23

Lorsque Polivanov fut congédié, la tsarine écrivit au tsar : « Oh, quel soulagement! Maintenant je vais bien dormir. »24 D'autres étaient stupéfaits. Polivanov était « indiscutablement le meilleur organisateur militaire de tout la Russie, et son renvoi fut un désastre, » écrivit Sir Alfred Knox .25 Un homme fut même nommé ministre de l'intérieur parce que Raspoutine, le « saint homme » confident de la tsarine, aimait sa voix.

Raspoutine rencontra un soir un chambellan de la cour nommé A.N. Khvostov qui dinait dans le cabaret Villa Rode. Lorsque le chœur tsigane commença à chanter, Raspoutine n'était pas satisfait ; il considérait que les basses étaient trop faibles. Remarquant Khvostov, qui était grand et massif, il lui tapa dans le dos et dit : « Frère, va les aider à chanter. Tu es gros et tu peux faire beaucoup de bruit. » Khvostov, grisé et de bonne humeur, sauta sur la scène et fit résonner une basse de tonnerre. Ravi, Raspoutine applaudit et clama son approbation. Peu de temps après, Khvostov devint de manière inattendue ministre de l'intérieur. Sa nomination poussa Vladimir Pourichkévitch, un membre de la Douma, à déclarer avec dégoût que les nouveaux ministres devaient désormais démontrer leur talent, non pas en gouvernement, mais en musique tsigane.26

Comique ou macabre ?

Le ministre de l'intérieur qui dut affronter la Révolution de Février était Aleksander Protopopov . C'était un candidat de Raspoutine. « Grigori vous demande expressément de nommer Protopopov », écrivait la tsarine en septembre. Deux jours plus tard elle répétait : « S'il vous plaît, prenez Protopopov comme ministre de l'intérieur. »27

Le tsar céda et télégraphia : « Ce sera fait ». Dans une lettre, il ajouta : « Que Dieu fasse que Protopopov s'avère l'homme dont nous avons besoin aujourd'hui. » Ravie, la tsarine répondit : « Que Dieu bénisse votre choix de Protopopov. Notre Ami dit que vous avez fait un choix très sage en le nommant. »28

C'était aussi l'idée de Raspoutine de donner à Protopopov la responsabilité de la tâche cruciale de l'organisation des fournitures alimentaires. La tsarine lui donna le pouvoir de contrôle des fournitures de denrées sans même se donner la peine d'obtenir l'approbation du tsar. « Pardonnez-moi pour ce que j'ai fait – mais je le devais – notre Ami disait que c'était absolument nécessaire, » écrivit-elle.

Stürmer vous envoie par ce messager un nouveau papier à signer donnant toute la fourniture de denrées immédiatement au ministre de l'intérieur... J'ai dû prendre cette initiative sur moi car Grigori a dit que Protopopov aura tout entre ses mains... et par cela sauvera la Russie... Pardonnez-moi, mais j'ai dû prendre cette responsabilité pour votre doux bien.29

Cet homme stupide fut mis en charge de la police et des fournitures des denrées durant l'hiver crucial de 1916-1917 parce que, comme le tsar et la tsarine, il était pénétré de l'esprit médiéval du mysticisme. Près de son bureau il conservait une icône à laquelle il parlait comme à une personne. « Elle m'aide à tout faire, tout ce que je fais est par son conseil, » expliquait Protopopov à Kérensky, lui montrant l'icône.30

Buchanan décrit Protopopov ainsi : « Mentalement dérangé, il répétait, dans ses audiences avec l'impératrice, des recommandations et des messages qu'il avait reçus dans ses conversations imaginaires avec l'esprit de Raspoutine. »31

Pendant les deux années et demi de la guerre, la Russie eut quatre premiers ministres, cinq ministres de l'intérieur, quatre ministres de l'agriculture et trois ministres de la guerre.

Raspoutine

L'anarchie qui régnait au sommet de l'appareil politique russe permit à une clique corrompue de se former autour du tsar, clique à la tête de laquelle se trouvait nul autre que Grigori Raspoutine, un symbole de la décadence générale de la société.

A la date du 1er novembre 1905, c'est-à-dire au moment le plus critique de la première révolution, le tsar écrit dans son journal : « Avons fait la connaissance d'un homme de Dieu, Grigori, de la province de Tobolsk. » Il s'agissait de Raspoutine, paysan sibérien, qui avait à la tête une cicatrice indélébile à la suite de coups reçus pour vol de chevaux. Mis en valeur au moment opportun, « l'homme de Dieu » trouva bientôt des auxiliaires haut placés, ou, plus exactement, ils le trouvèrent, et ainsi se forma une nouvelle coterie dirigeante qui mit solidement la main sur la tsarine et, par l'intermédiaire de celle-ci, sur le tsar.
A dater de l'hiver 1913-1914, dans la haute société pétersbourgeoise, on disait déjà ouvertement que de la clique de Raspoutine dépendaient toutes les hautes nominations, les commandes et les adjudications. Le « saint vieillard », le staretz, était devenu lui-même, peu à peu, une institution d'État. On veillait soigneusement à sa sécurité et, non moins soigneusement, les ministères en rivalité le faisaient espionner. Les limiers du département de la Police tenaient à jour un horaire de son existence et ne manquèrent pas de relater que Raspoutine, en visite chez les siens, au village de Pokrovskoïé, étant ivre, s'était battu jusqu'au sang, dans la rue, avec son propre père. Le même jour, le 9 septembre 1915, Raspoutine expédiait deux télégrammes affables, l'un pour l'impératrice, à Tsarskoïé-Sélo, l'autre pour le tsar, au G. Q. G.
Ils sont épiques les rapports des mouchards, écrits, au jour le jour, sur les fredaines de l'Ami. « Il est rentré chez lui, aujourd'hui, à cinq heures du matin, complètement saoul. » « L'artiste V*** a couché chez Raspoutine dans la nuit du 25 au 26. » « Il est arrivé avec la princesse D*** [femme d'un chambellan de la Cour] à l'Hôtel Astoria. » On lit un peu plus loin : « Il est rentré chez lui de Tsarskoïé-Sélo vers onze heures du soir. » « Raspoutine est rentré chez lui avec la pr. Ch.  ; il était très ivre  ; tous deux sont ressortis presque aussitôt. » Le lendemain, dans la matinée ou le soir, visite à Tsarskoïé-Sélo. Un mouchard, demandant avec componction au saint vieillard pourquoi il semblait soucieux, obtint cette réponse : « Je ne puis résoudre si l'on convoquera ou non la Douma. » On lit ensuite, encore : « Est rentré chez lui à cinq heures du matin, assez ivre. » Ainsi, pendant des mois et des années, la même mélodie se jouait sur trois tons : « assez ivre », « très ivre », « complètement ivre ».32

Dans leur désarroi face à la tempête qui se levait, le tsar et la tsarine se confiaient aux pouvoirs mystiques de l' « homme de Dieu ». « Ecoute Notre Ami, » écrivait la tsarine en juin 1915.

Crois en lui. Il a à cœur notre intérêt et celui de la Russie. Ce n'est pas pour rien que Dieu nous l'a envoyé, mais nous devons prêter plus d'attention à ce qu'Il dit. Ses mots ne sont pas prononcés à la légère et il est d'une grande importance d'avoir non seulement ses prières mais ses avis... Je suis hantée par les souhaits de Notre Ami et je sais que ce sera fatal pour nous et pour le pays s'ils ne sont pas exaucés. Il pense ce qu'il dit lorsqu'il parle aussi sérieusement.33

En septembre 1916 : « J'ai une confiance totale en la sagesse de Notre Ami, envoyé par Dieu pour conseiller ce qui est bon pour vous et notre pays. Il voit loin, et dès lors on peut se fier à son jugement. »34

Après le départ du tsar au quartier général pour assumer sa fonction fictive de commandant en chef, la tsarine prit ouvertement en charge les affaires intérieures de l'Etat, avec l'aide et la complicité de Raspoutine. Cela convenait très bien au fataliste et velléitaire Nicolas.

Raspoutine intervenait aussi dans les questions militaires. Même si son mandat informel du tsar était de ne s'occuper que de superviser les affaires intérieures, la tsarine ne tarda pas à déborder de ce domaine.

L'inspiration était venue à Raspoutine, dit-il à l'impératrice, en songe pendant son sommeil : « Maintenant, avant d'oublier, je dois vous transmettre un message de Notre Ami sur ce qu'il a vu durant la nuit », écrivait-elle en novembre 1915.

Il vous prie d'ordonner d'avancer sur Riga, il dit que c'est nécessaire, sinon les Allemands vont s'installer si fermement pendant tout l'hiver que cela causera une grande effusion de sang et des ennuis pour les faire partir... il dit que c'est aujourd'hui la chose la plus essentielle et vous prie sérieusement d'ordonner aux nôtres d'avancer, il a dit que nous le pouvions et le devions, et que je devais vous écrire immédiatement.35

L'intervention de Raspoutine dans les affaires militaires fut à son zénith pendant la grande offensive russe de 1916. Dès le 25 juillet, la tsarine écrivait : « Notre Ami... pense qu'il vaut mieux que nous n'avancions pas de manière trop obstinée car alors les pertes seraient trop grandes. »36 Le 8 août : « Notre Ami espère que nous ne gravirons pas les Carpathes pour tenter de les prendre, et il répète que les pertes seraient à nouveau trop grandes. »37

Le 21 septembre, le tsar écrit : « J'ai dit à Alexéïev d'ordonner à Broussilov de mettre un terme à nos attaques sans espoir. » La tsarine répondit joyeusement : « Notre Ami dit des nouveaux ordres que vous avez donnés à Broussilov : « Très satisfait des ordres de Père [le tsar], tout va bien se passer ». »38

Ceux que les dieux veulent détruire, ils rendent d'abord fous

Leur obscurantisme médiéval rendait impossible à la tsarine et à sa cabale de comprendre la signification de la vague révolutionnaire montante. Son arrogance ne connaissait pas de limites. Les gens avaient tout simplement besoin du fouet. Ainsi, le 14 décembre 1916, moins de dix semaines avant la chute de la monarchie, elle demandait au tsar d'arrêter tous les membres dirigeants de la Douma : « Sois Pierre le Grand, Ivan le Terrible, l'empereur Paul ; brise les tous! » Dans une autre lettre, écrite cinq jours avant la Révolution de Février, elle allait encore plus loin :

Vous n'avez jamais perdu l'occasion de montrer votre amour et votre gentillesse ; faites-leur maintenant sentir votre poing. Ils le demandent eux-mêmes – tant d'entre eux m'ont dit récemment : « Nous avons besoin du fouet. » C'est étrange, mais telle est la nature slave – la plus grande fermeté, et même la cruauté, et – l'amour chaleureux. Ils doivent apprendre à vous craindre ; l'amour seul n'est pas suffisant.39

L'étendue de la perspicacité politique de la tsarine et de sa compréhension du peuple est démontrée par une lettre qu'elle écrivit au tsar le 26 février, alors que la capitale était aux prises avec la grève générale :

C'est un mouvement de voyous, des jeunes qui courent partout et qui crient qu'il n'y a pas de pain, tout simplement pour créer l'excitation, en même temps que des ouvriers qui empêchent les autres de travailler. Si le temps était très froid ils resteraient sans doute à la maison. Mais tout cela va passer et le calme va revenir, si seulement la Douma sait bien se tenir.40

Avec la tsarine et sa clique conspirant contre la Douma, contre les ministres, et contre les généraux de l'état-major, il n'est pas étonnant que les membres de l'administration tsariste se soient sentis désemparés, isolés de tous, et en conflit avec chacun.

Le 21 août 1915, lors de la séance du conseil des ministres, Chtcherbatov, ministre des affaires intérieures, déclara :

Il faut soumettre une déclaration écrite à Sa Majesté, et expliquer qu'un gouvernement qui n'a ni la confiance du détenteur du pouvoir suprême ni celle de l'armée, ni celle des villes, des zemstvos, de l'aristocratie, des négociants, des travailleurs – non seulement ne peut pas travailler, il ne peut pas exister ! C'est une évidente absurdité. Nous sommes là, assis, comme des Don Quichotte !41

A la séance du 28 août, Krivochéine, le ministre délégué de l'agriculture, disait :

On parle partout d'unité et d'accord avec la nation, et toute cette année les autorités civiles et militaires ne sont pas arrivées à se mettre d'accord et à travailler ensemble. Le Conseil des Ministres discute, requiert, exprime des désirs, formule des souhaits, présente des demandes – et ces messieurs les généraux nous crachent dessus et ne souhaitent rien faire.42

Le 9 août de la même année, Sazonov, ministre des affaires étrangères, annonçait : « Le gouvernement est suspendu entre ciel et terre, il n'est soutenu ni en haut ni en bas. »43

Le député d'extrême droite A.I. Savenko pouvait déclarer, lors de la session de la Douma du 29 février 1916 :

Quelle chose terrible c'est pour le pays, dans une période où notre patrie traverse les plus grandes épreuves, le pays ne fait pas confiance au gouvernement ; personne ne se fie au gouvernement, même la droite ne lui fait pas confiance – en fait le gouvernement n'a pas confiance en lui-même et n'est pas sûr du lendemain.44

La révolution de palais n'aura pas lieu

Alors que la crise du régime tsariste s'approfondissait, de plus en plus de cercles de la classe dirigeante se laissaient aller à des spéculations sur la nécessité d'une révolution par en haut... pour prévenir une révolution par en bas.

En août 1916, le dirigeant octobriste d'aile droite Alexandre Goutchkov envoya au général Alexéïev , au quartier général, une lettre dont des copies étaient largement diffusées, selon laquelle

le front intérieur est dans un état de désintégration complète... La pourriture s'est mise aux racines du pouvoir d'Etat... La gangrène sur le front intérieur menace à nouveau, comme l'an passé, d'entraîner nos vaillantes armées du front, notre stratégie pleine de bravoure, et tout le pays dans un marécage sans espoir ; on ne peut s'attendre à un fonctionnement correct des communications sous la direction de M. Trepov ; ni à un bon travail de notre industrie lorsqu'elle est confiée au prince Chakhovskoï ; ni à la prospérité de notre agriculture et à une gestion convenable des approvisionnements entre les mains du comte Bobrinsky. Et... ce gouvernement est présidé par M. Stürmer, qui s'est établi (à la fois dans l'armée et parmi le peuple en général) une solide réputation de quelqu'un qui, s'il n'est pas à proprement parler un traître, est tout prêt à commettre une trahison... Vous comprendrez quelle anxiété mortelle pour le destin de notre mère-patrie s'est emparée de l'opinion et du sentiment populaire.
Nous autres, à l'arrière, sommes impuissants, ou presque impuissants pour combattre ces maux. Nos méthodes de lutte sont à double tranchant et peuvent – du fait de l'état d'excitation des masses populaires et en particulier de la classe ouvrière – être la première étincelle d'une conflagration dont personne ne peut prévoir ou localiser les dimensions...
Pouvez-vous faire quelque chose ? Je ne sais pas.45

C'était pratiquement un appel au coup d'Etat. Goutchkov et d'autres membres de la classe dirigeante priaient silencieusement pour que les militaires rassemblent leur courage et prennent le pouvoir. Hélas, le général Alexéïev refusa de sauter le pas.

Trois mois plus tard, selon Kérensky , le futur chef du gouvernement provisoire, un autre complot préparait un coup d'Etat qui devait avoir lieu au quartier général du tsar les 15-16 novembre. C'était un arrangement privé entre le prince Lvov et le général Alexéïev. Ils avaient décidé que l'emprise de la tsarine sur le tsar devait être brisée pour mettre fin aux pressions exercées sur lui, à travers elle, par la clique de Raspoutine. A l'heure prévue, Alexéïev et Lvov espéraient persuader le tsar d'envoyer l'impératrice en Crimée ou en Angleterre.46

En janvier 1917, le général Krymov arriva du front et se plaignit devant des membres de la Douma que l'état des choses en cours ne pouvait continuer plus longtemps.

« Le sentiment dans l'armée est tel que tous accueilleront avec joie la nouvelle d'un coup d'Etat. Un coup d'Etat est nécessaire et on le sent au front. Si vous décidez de prendre cette mesure extrême, nous vous soutiendrons. Il est clair qu'il n'y a pas d'autre moyen. Vous avez, comme beaucoup d'autres, tout essayé, mais l'influence néfaste de la femme est plus puissante que les paroles honnêtes prononcées devant le tsar. Il n'y a plus de temps à perdre. »
Chingarev (...) intervint : « Le général a raison – un coup d'Etat est nécessaire. Mais qui osera en prendre l'initiative ? »
Chidlovsky s'exclama avec hargne : « On ne peut pas le ménager et le plaindre [le tsar] alors qu'il ravage la Russie. » (…) On invoqua les paroles du général Broussilov : « A choisir entre le tsar et la Russie, je choisis la Russie. »47

C'était toute la question. Personne n'osait agir. Il y avait des palabres à n'en plus finir sur un coup d'Etat, mais les plans n'avançaient pas d'un pouce.

Même des membres proches de la famille du tsar se laissaient aller à parler de l'urgence d'un coup d'Etat. Rodzianko , le président de la Douma, se souvenait :

L'idée qu'il était nécessaire que le tsar abdique circulait avec insistance à Pétrograd à la fin 1916 et au début 1917. (…) Des représentants de la haute société déclarèrent que la Douma et son président devaient assumer cette responsabilité devant le pays et sauver l'armée et la Russie.48

Rodzianko poursuit en relatant d'étonnantes histoires. Il décrit comment, un jour de janvier 1917, il fut invité d'urgence à déjeuner au Palais Vladimir.

La grande duchesse parla de la situation intérieure, de l'incompétence du gouvernement, de Protopopov, et de l'impératrice... qu'il était nécessaire de changer, écarter, détruire...
Je voulais comprendre plus précisément où elle voulait en venir et lui demandais :
— Ecarter, comment cela ?
— Eh bien, je ne sais pas... Il est nécessaire d'entreprendre quelque chose, inventer quelque chose. Vous comprenez... La Douma devrait faire quelque chose... Elle doit être éliminée.
— Qui ?
— L'impératrice.
— Votre Altesse, dis-je, permettez-moi de considérer que cette conversation n'a pas eu lieu.49

Le 8 janvier 1917, le frère du tsar, le duc Michel Alexandrovitch, vint voir Rodzianko. Il lui dit :

— J'aimerais vous parler de ce qui se passe et vous consulter pour savoir à quoi s'en tenir. Nous comprenons très bien la situation... Pensez-vous qu'il y aura une révolution ?
— (…) Il est encore temps de sauver la Russie, et même maintenant le règne de votre frère peut connaître des sommets de grandeur et de gloire inédits dans l'histoire, mais pour cela il faut changer toute la politique du gouvernement. Il faut nommer des ministres qui auraient la confiance du pays, qui ne heurteraient pas le sentiment populaire. Je suis désolé de devoir vous dire que ceci ne serait possible que si la Tsarine était éloignée... Elle et le Tsar sont entourés de personnages sinistres,de vauriens et d'incompétents. Alexandra Feodorovna est détestée, partout et dans tous les cercles on réclame son éloignement. Aussi longtemps qu'elle sera au pouvoir, nous irons vers la ruine.
— Figurez-vous, dit Mikhaïl Alexandrovitch – que Buchanan a dit la même chose à mon frère. Toute la famille se rend compte à quel point Alexandrovna Feodorovna est nuisible. Elle et mon frère ne sont entourés que de traîtres – tous les gens décents sont partis... Mais que faire dans ce cas ?50

Exactement. Que fallait-il faire ? La Douma attendait des actes de la part des généraux. Les généraux espéraient en la Douma. La famille du tsar elle-même priait silencieusement pour un coup d'Etat.

Des diplomates étrangers, en particulier les ambassadeurs français et anglais, étaient impliqués dans un complot. Le 28 décembre 1916, l'ambassadeur de France écrivait dans son journal :

Hier soir, le prince Gabriel-Constantinowitch offrait un souper chez sa maîtresse, une ancienne actrice. Parmi les convives, le grand-duc Boris... quelques officiers et une escouade de brillantes hétaïres.
Durant la soirée, on n'a parlé que de la conjuration – des régiments de la Garde sur lesquels on peut compter, des circonstances qui seraient le plus propices à l'attentat, etc. Tout cela, dans le va-et-vient des domestiques, en présence des filles, au chant des tziganes, dans la vapeur du Moët et Chandon, « brut impérial », qui coulait à flots.51

L'ambassadeur britannique se souvenait :

La révolution était dans l'air, et la seule inconnue était sa provenance : d'en haut ou d'en bas. On parlait ouvertement d'une révolution de palais, et lors d'un dîner à l'ambassade un de mes amis russes, qui avait occupé une haute position dans le gouvernement, déclara que la question était simplement de savoir si l'empereur et l'impératrice seraient tués tous les deux, ou seulement cette dernière. D'un autre côté, une révolte populaire, provoquée par la disette en cours, pouvait se produire à n'importe quel moment.52

Mais tout le bavardage sur la révolution par en haut, les complots, tout cela ne mena à rien. Le 5 mai 1917, un cadet, V.A. Maklakov, s'exclama lors d'une conférence de membres de la Douma :

Il y a eu un moment où il est devenu clair pour tout le monde qu'avec le vieux régime il était impossible de mettre un terme à la guerre, de remporter la victoire ; et pour ceux qui croyaient qu'une révolution serait ruineuse, c'était leur tâche et leur devoir de sauver la Russie d'une révolution par en bas au moyen d'une révolution de palais, par en haut. Telle était la tâche qui se présentait devant nous, mais que nous ne remplissions pas. Si la postérité maudit cette révolution, elle maudira aussi ceux qui n'ont pas compris par quelles méthodes elle pouvait être évitée.53

Le 2 août 1917, Goutchkov faisait tristement écho aux sentiments de Maklakov :

Le mode d'action qui s'imposait était un coup d'Etat. Le défaut, si l'on peut parler du défaut historique de la société russe, résidait dans le fait que cette société, représentée par ses cercles dirigeants, n'était pas suffisamment consciente de la nécessité du coup d'Etat et ne l'entreprit pas, abandonnant par là même à des forces aveugles et spontanées le soin de mener à bien cette opération douloureuse.54

Même le très perspicace Lénine fut amené par la rumeur générale d'un coup d'Etat à croire que les leaders de la classe dirigeante russe et l'ambassadeur anglais étaient réellement en train de l'organiser, et que leur action avait contribué à la Révolution de Février.

Tout le cours des événements de la révolution de février-mars montre clairement que les ambassades anglaise et française qui, avec leurs agents et leurs « relations », prodiguaient depuis longtemps les efforts les plus désespérés pour empêcher des accords « séparés » et une paix séparée entre Nicolas II… et Guillaume II, ont organisé directement un complot de concert avec les octobristes et les cadets, avec certains généraux et officiers de l'armée et surtout de la garnison de Pétersbourg en vue de déposer Nicolas Romanov.55

En tout état de cause, la crise sociale qui avait amené de riches industriels, des généraux et des ducs à parler de coup d'Etat les a aussi paralysés. En 1908, Rodzianko avait exprimé son admiration pour les Jeunes Turcs (un groupe d'officiers qui avaient pris le pouvoir à Istambul). Mais lui et ses amis russes ne pouvaient pas les imiter. Il n'avaient derrière eux aucun prolétariat pour les pousser en avant.

Le manque de détermination pour accomplir une révolution de palais mena à son remplacement par une caricature – l'assassinat de Raspoutine, le 16 décembre 1916, par le prince Félix Youssoupov, héritier de la plus grande fortune de Russie, le grand duc Dimitri Pavlovitch, et le député monarchiste d'extrême droite de la Douma Pourichkévitch, qui voyaient dans ce meurtre le dernier moyen à leur disposition pour sauver la monarchie.

L'impact de la mort de Raspoutine fut l'inverse de ce que ses auteurs espéraient. Elle n'émoussa pas la crise, mais l'aiguisa. Dans tous les milieux, les gens parlaient du meurtre et pouvaient voir que même les grands ducs n'avaient d'autre recours face à la clique tsariste que le poison et le revolver. La violence contre la monarchie était inévitable, et le tsarisme ne devait survivre que dix semaines au meurtre de Raspoutine.

Notes

1 Lénine, « La faillite de la II e Internationale  » Œuvres, vol.21, p.216.

2 M. Cherniavsky, Prologue to Revolution. Notes of A.N. Iakhontov on the secret meetings of the Council of Ministers, 1915, New York 1967, pp.2.

3 Cherniavsky, p.3.

4 I.V. Hessen, « в двух веках », Архив русской революции, vol.22, Berlin 1937, p.355.

5 V.I. Gourko, Черты и силуэты прошлого .

6 Iakhontov, Тяжелые Дни .

7 Ibid.

8 Ibid.

9 Ibid.

10 Ibid.

11 Cherniavsky, p.128.

12 Iakhontov, Тяжелые Дни .

13 Cherniavsky, p.7.

14 J. Buchanan, My Mission to Russia , London 1923, vol.1, p.165.

15 Maurice Paléologue, Le crépuscule des tsars: Journal (1914-1917), Mercure de France, 2007, p. 143.

16 Buchanan, vol.2, p.3.

17 Maurice Paléologue, p. 278.

18 Cherniavsky, p.245.

19 R.K. Massie, Nicholas and Alexandra, Londres 1968, p.367.

20 V.I. Gourko, Черты и силуэты прошлого .

21 V.I. Gourko, Черты и силуэты прошлого .

22 V.I. Gourko, Черты и силуэты прошлого .

23 Buchanan, vol.2, p.6.

24 B. Pares, ed., Letters of the Tsaritsa to the Tsar, 1914-1916, Londres 1923, p.297.

25 A. Knox, With the Russian Army, 1914-1917, New York 1921, p.412.

26 Massie, p.325.

27 Pares, pp.394-95.

28 Pares, p.398.

29 Pares, p.428.

30 A. Kerensky, The Crucifixion of Liberty, New York 1934, p.218.

31 Buchanan, vol.2, p.51.

32 Trotsky, Histoire de la révolution russe .

33 Pares, pp.86-87.

34 Pares, p.390.

35 Pares, p.221.

36 Pares, p.377.

37 Pares, p.382.

38 Pares, p.411.

39 W.H. Chamberlin, The Russian Revolution, New York 1935, vol.1, p.68.

40 Chamberlin, p.73.

41 Iakhontov, Тяжелые Дни .

42 Ibid.

43 Ibid.

44 Cherniavsky, p.18.

45 G. Katkov, Russia 1917 : The February Revolution, London 1969, p.257.

46 A. Kerensky, Russia and History’s Turning Point, New York 1965, p.150.

47 Rodzianko, « крушение Империй », in Архив русской революции , vol.17, pp.158.

48 Ibid, p. 159.

49 Ibid., p.159.

50 Ibid., p.160.

51 Maurice Paléologue, La Russie des tsars pendant la grande guerre , p.155.

52 Buchanan, vol.2, p.141.

53 R.P. Browder and A.F. Kerensky, The Russian Provisional Government 1917 – Documents, Stanford 1961, vol.3, p.1276.

54 Kerensky, Russia – History’s Turning Point, p.152.

55 Lénine, « Lettres de loin  », Œuvres, vol.23, p.330.

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