1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Pouvoir politique, pouvoir économique du prolétariat

Le camarade Ernest Mandel invente des formules cabalistiques afin de marier l'eau et le feu, de séduire le diable et de le tenir en laisse. « L'autogestion ouvriè­re de la société et de l'économie » : ou c'est une for­mule vide, ou c'est un ralliement camouflé aux thèses des gauchistes, de la CFDT, du PSU puisées aux sour­ces de l'anarchisme, du proudhonisme. Un tout petit membre de phrase de la Thèse 16 est très inquiétant :

« ( ... ) le système yougoslave « d'autogestion », hy­bride, imparfait, mais néanmoins plus progressiste ».

Le label de progressiste est ainsi donné à « l'autogestion » en Yougoslavie. Jamais, en Yougoslavie, le prolétariat comme tel n'a pris et exercé le pouvoir. Et quel exemple plus fulgurant existe‑t‑il de la dislocation de la classe ouvrière, de son refoulement, que celui de « l'autogestion » yougoslave ? « L'autogestion » a donné une puissante impulsion au développement des inégalités, sociales et nationales. Elle a remis en cause la planification. Une fois encore, l'exemple yougoslave démontre que la détention du pouvoir politique est l'essentiel pour que les masses gèrent la société et l'économie.

« L'autogestion » a été un des moyens utilisés pour barrer aux masses la voie de la lutte pour le pouvoir politique. Dans un pays qui ne compte guère que quelques millions d'habitants, elle occasionné plus d'un million de chômeurs. Plus de 500 000 d'entre eux ont dû s'expatrier pour trouver du travail. Le capital a été exproprié en Yougoslavie, et pourtant ce pays exporte et vend la force de travail de la même façon que les pays arriérés soumis à l'impérialisme. Miracle de « l'autogestion ». Ce membre de phrase est encore plus dangereux lorsqu'on se rappelle qu'en Hongrie en Pologne, en 1956, les conseils ouvriers ont été relégués à des tâches « d'autogestion » des entreprises, et qu'à ce titre l'accès au pouvoir, à l'exercice de l'action politique, leur a été interdit. Ce fut le premier acte de leur liquidation. Du même coup, nous sommes au centre des problèmes de la révolution politique contre la bureaucratie, problèmes qui rejoignent ceux de la révolution sociale contre la bourgeoisie.

La force des bureaucraties parasitaires et contre-révolutionnaires vient de ce qu'elles ont le monopole du pouvoir politique. Garder ce monopole est une condition absolue de leur maintien au pouvoir dont dépendent leurs privilèges sociaux. La théorie démontre ‑ et l'expérience le prouve ‑ que mener la lutte contre la bureaucratie du Kremlin signifie défendre les libertés politiques, la liberté en art, en littérature, dans les sciences, dans tous les domaines de l'activité humaine. Toute l'activité de défense des bureaucraties parasitaires repose sur la dislocation, la désintégration politique du prolétariat comme classe. C'est du pouvoir politique ‑ qui a le pouvoir, qui dirige l'État ?, est la question directe, immédiate ‑ dont tout dépend en URSS, en Europe de l'Est, en Chine. Le non­-sens de « l'autogestion » dévie les masses de ce combat, la lutte contre la bureaucratie. Il n'a rien à voir avec le contrôle ouvrier sur la production, sur l'élaboration et la réalisation du plan, mais tente de limiter la vue des travailleurs à l'horizon borné de leurs entreprises, au mieux de leurs branches de production.

« L'élaboration d'un plan économique même le plus élémentaire ‑ du point de vue des intérêts des travailleurs et non de ceux des exploiteurs ‑ est inconcevable sans contrôle ouvrier, sans l'intervention du regard ouvrier dans tous les ressorts apparents et cachés de l'économie capitaliste. (La même chose est vraie de l'économie planifiée que gère actuellement les bureaucraties parasitaires. NDLR). Les comités des diverses entreprises doivent élire à des conférences correspondantes des comités de trusts, des branches d'industries, de régions économiques, enfin de toute l'industrie nationale dans son ensemble. Ainsi, le contrôle ouvrier deviendra l'école de l'économie planifiée. Par l'expérience du contrôle, le prolétariat se préparera à diriger directement l'industrie nationalisée, quand l'heure en aura sonné. » (Programme de transition.)

La marche concrète à la révolution politique, son développement, de même que ceux de la révolution sociale, peut être telle qu'avant de s'emparer du pouvoir politique, les ouvriers contrôlent une entreprise, une branche de l'économie. Avancer, ce n'est pas pratiquer « l'autogestion », c'est agir de telle sorte que le plus rapidement possible se réunissent des conférences de trusts, de branches d'industries, de régions économiques, enfin de l'industrie nationale, dans son ensemble. Centralisme et non particularisme (« fédéralisme », aurait écrit Lénine). Bien sûr, d'innombrables éléments interféreront. Cette belle logique risque fort de ne pas être rigoureusement et formellement respectée. Mais tout le mouvement du prolétariat, que ce mouvement établisse le contrôle ouvrier sur la production ou qu'il parte et ait comme objectif d'autres revendications, conduit à une seule et même conclusion : la prise et l'exercice du pouvoir centralisé. D'ailleurs, sans centralisme, la démocratie prolétarienne n'existe pas. En Europe de !'Est, en URSS, en Chine, l'élaboration et l'application du plan avec la participation active des masses est une brûlante nécessité. Cette nécessité dicte : il faut chasser du pouvoir politique, les bureaucraties parasitaires, prendre le pouvoir politique et l'exercer ; les moyens de l'exercice et du pouvoir, ce sont les soviets, les comites ouvriers nationalement centralisés.


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