1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Au bord du précipice

L'aide économique américaine, la puissante impulsion économique venue des USA, dont les dépenses militaires et le parasitisme sont très rapidement devenus le volant d'entraînement, les investissements US en Europe ont sauvé, après la guerre, le capital européen du désastre. Le degré de pourrissement de l'économie et de la société américaine provient en partie de là.

Les USA ont imposé la constitution du Marché commun européen aux puissances capitalistes d'Europe réticentes. La CEE a permis de multiplier les échanges des pays qui y participaient, d'alléger les crédits américains, de les remplacer par des investissements US croissants et de les rentabiliser.

Mais de plus en plus, le capital américain doit maintenant rejeter sur le dos des capitalismes européens et japonais les contradictions qui l'accablent. Le 15 août 1971, Nixon a annoncé à grand fracas la politique qu'il entendait suivre : il suspendait la libre convertibilité du dollar (ultérieurement, il était dévalué deux fois). Nixon déclarait que les puissances européennes et le Japon devaient désormais supporter leur part du fardeau commun. Il affirmait que les USA ne continueraient plus à lutter sur le marché mondial « ainsi qu'un homme qui aurait un bras attaché derrière le dos ». Il déclarait à sa manière que l'Amérique était contrainte de réduire l'Europe à la portion congrue. La pression américaine sur l'Europe s'est donc fortement accrue : les USA ne sont pas étrangers, par exemple, à la hausse des prix du pétrole. Cette pression n'est pas cependant allée jusqu'au point où elle écraserait le capitalisme d'Europe et du Japon. Bien plus, pour maintenir les échanges internationaux, endiguer et refouler la crise économique menaçante, les USA, les impérialismes européens, le Japon ont passé compromis sur compromis, rapidement remis en cause, instables, suivis d'autres compromis tout aussi instables et remis en cause. En utilisant le FMI, à coup de crédits, avec l'aide de dépenses militaires croissantes aux USA, d'une inflation internationale sans précédent, ils ont alimenté la machine économique. En fin de compte, ils minent plus encore les fondements du régime capitaliste et préparent une chute sans exemple.

Les effets de cette catastrophe seront dévastateurs pour les pays capitalistes d'Europe. Le Marché commun a contribué à la multiplication des échanges européens. Il souligne la nécessité historique de l'unification économique de l'Europe. Et il démontre que le capital en est incapable. L'intégration au niveau de la production entre les partenaires du Marché commun est restée à l'état de fumeux projets. Le capital financier de chaque pays défend ses positions, essaie d'en conquérir de nouvelles, en s'abritant et en utilisant son État et son gouvernement bourgeois. Un groupement de sidérurgistes vient de se constituer sous le contrôle, l'impulsion et la direction du capital financier allemand, qui se fixe ouvertement comme objectif d'écraser à l'intérieur du Marché commun les autres groupements sidérurgistes de la CEE, pour mieux combattre sur le marché mondial. C'est un exemple d'autant plus significatif que la Communauté européenne du charbon et de l'acier existe depuis plus de vingt ans. Elle n'a pu intégrer la sidérurgie en Europe. La conjoncture économique l'exigeant, la bataille entre les différents groupes capitalistes nationaux se fait plus féroce. Elle annonce la rupture du Marché commun. A la relative libre circulation des marchandises et des capitaux derrière les barrières du Marché commun, succéderont la résurgence des barrières nationales, la guerre économique et financière. L'entrée de la Grande‑Bretagne au sein de la CEE indique quelles voies cherche à s'ouvrir le capital anglais. Elle ne fait qu'ajouter à la fragilité du Marché commun européen. Conscients de la gravité exceptionnelle que la dislocation du Marché commun aurait pour le régime capitaliste, les gouvernements bourgeois s'efforcent de différer l'échéance, comme ils diffèrent celle de la dislocation du marché mondial et de la division internationale du travail.

Le Marché commun européen n'empêche pas, bien au contraire, que chaque pays capitaliste d'Europe développe ses propres relations avec le marché mondial. Chaque groupe du capital financier tente d'acquérir la base la plus large en Europe, de se renforcer ainsi pour mieux répondre à la concurrence sur le marché mondial, augmenter sa capacité à la pénétrer et à s'y renforcer. Sur le marché mondial, les différents groupes capitalistes se retrouvent en concurrence avec leurs partenaires et rivaux du Marché commun. Les capitalismes européens, conjointement aux capitalismes des USA et du Japon, font pression sur l'URSS et les pays d'Europe de l'Est afin que la porte de ces pays s'ouvre à la libre pénétration des marchandises et des capitaux. En même temps, chaque pays capitaliste d'Europe tente que les portes de ces marchés potentiels s'ouvrent préférentiellement pour lui plutôt que pour ses rivaux. Là aussi, la position occupée à l'intérieur du Marché commun aide considérablement à la réalisation de cette politique. Dans ce domaine encore, le capital allemand occupe la première place pour le meilleur... et pour le pire.


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