1908

Traduit de l'allemand par Gérard Billy, 2015, d'après la réédition en fac-similé publiée par ELV-Verlag en 2013

Karl Kautsky

Karl Kautsky

Les origines du christianisme

IIème partie. La société romaine à l'époque impériale.
1. Une économie esclavagiste

d. L'arriération technique de l'économie esclavagiste

1908

Dans l'agriculture, la grande entreprise n'était alors pas encore comme dans l'industrie d'extraction une précondition pour une hausse de la productivité. Certes, la production marchande en pleine expansion entraînait une accélération de la division sociale du travail dans l'agriculture ; un certain nombre d'exploitations se spécialisaient dans la culture des céréales, d'autres dans l'élevage, etc. Parallèlement, s'ouvrait la possibilité que ce soient des hommes de formation scientifique, voyant plus loin que la routine paysanne, qui pilotent la grande exploitation. Effectivement, on trouve déjà dans les pays de latifundia, chez les Carthaginois, ensuite chez les Romains, une théorie de l'agriculture aussi élaborée que l'économie agricole européenne du dix-huitième siècle. Mais ce qui manquait, c'était les forces de travail capables, sur la base de cette théorie, de faire passer la grande entreprise à un niveau supérieur à celui de l'exploitation paysanne. Le travail salarié, déjà, ne peut égaler le travail de l'exploitant libre, intérêt et application y sont moindres, et de ce fait, il n'est avantageux que là où la grande entreprise dispose d'une importante supériorité technique sur la petite. L'esclave, lui, quand il n'est pas intégré dans la vie de la famille patriarcale, est un travailleur encore plus réticent, il serait même content de porter tort à son maître. Déjà dans le cadre domestique, le travail des esclaves avait la réputation d'être moins productif que celui du propriétaire libre. Ulysse remarque :

« Les serviteurs, quand ils ne sont plus aiguillonnés par un souverain impérieux,

Se mettent aussitôt à lambiner pour faire le travail nécessaire.

La providence de Zeus diminue de moitié la vertu

Chez celui qui est rattrapé par la servitude ! »


Que dire alors des esclaves maltraités quotidiennement jusqu'au sang, pleins de désespoir et de haine pour le maître ! Il aurait fallu que la grande entreprise ait une énorme supériorité technique sur la petite pour obtenir les mêmes résultats avec le même nombre d'ouvriers. Mais, non seulement elle ne la dépassait en rien, mais elle lui était inférieure à maints égards. Les esclaves, étant eux-mêmes maltraités, se soulageaient de toute leur fureur sur les bêtes, et la qualité de celles-ci en pâtissait. Il était de même inenvisageable de leur confier des outils plus délicats.

On trouve ces considérations déjà chez Marx. Voici ce qu'il dit de la « production basée sur l'esclavage » :

« Ici, pour reprendre la très juste façon de dire des Anciens, le travailleur est un instrumentum vocale (outil doué de parole) qui se distingue de l'animal, instrumentum semivocale (outil doué de voix, mais pas de parole), et de l'outil inerte, instrumentum mutuum (outil muet). Mais il fait sentir à l'animal et à l'outil qu'il n'est pas leur semblable, qu'il est un être humain. Il affirme sa conscience et sa fierté d'être différent d'eux en les maltraitant et en les saccageant con amore. C'est pourquoi, dans ce mode de production, un principe économique reconnu est de n'utiliser que les outils de travail les plus rudimentaires, les plus grossiers, et donc précisément pour cette raison difficiles à détériorer. Jusqu'au début de la guerre civile, on trouvait pour la même raison dans les États esclavagistes bordant le golfe du Mexique des charrues d'un modèle chinois antique qui défoncent la terre comme un porc ou une taupe, mais ne la fendent ni ne la retournent … Dans son ouvrage « Sea Bord Slave States », Olmstedt raconte entre autres la chose suivante : « On me montre ici (dans ces États esclavagistes) des outils que chez nous aucun homme doué de raison n'imposerait à un travailleur auquel il paie un salaire. Ils sont si lourds et frustes qu'à mon avis, ils doivent entraîner une dépense de travail supérieure de dix pour cent à celle qui va avec les outils en usage chez nous. Mais je suis aussi persuadé que, vu l'indifférence et la maladresse des esclaves qui les utilisent, il serait économiquement contre-indiqué de leur donner des outils moins lourds et moins primitifs, et que les ustensiles comme ceux que nous confions à nos ouvriers en permanence et avec profit, ne tiendraient pas une journée dans un champ de blé de la Virginie, alors que le sol y est plus léger et moins empierré que chez nous. Et quand je demande pourquoi, partout dans les fermes, on a des mulets et non des chevaux, la première raison qu'on me donne, et il faut le dire, la plus convaincante, est que les chevaux ne résistent pas au traitement que les nègres leur font subir. Chez eux, les chevaux ne tardent pas à devenir boiteux et perclus, alors que les mulets supportent d'être battus à coups de gourdins, de ne pas être nourris une ou deux fois de suite, ils n'attrapent pas de maladies quand on les néglige ou leur impose des efforts excessifs. Et je n'ai qu'à regarder par la fenêtre de la pièce où j'écris, pour voir presque chaque fois les animaux traités d'une façon qui, dans les États du nord, mènerait infailliblement au renvoi immédiat du cocher par le fermier. » (Le Capital, I, 2ème édition, p. 185).

Stupide, hargneux, malveillant, à l'affût de toute occasion de nuire à son bourreau de propriétaire, l'esclave du latifundium était bien moins productif que le paysan. Au premier siècle de notre ère, Pline évoquait déjà la fertilité des champs italiens à l'époque où les généraux ne dédaignaient pas de les cultiver eux-mêmes, alors que la terre-mère s'était mise à regimber quand on la fit maltraiter par des esclaves enchaînés et marqués au fer rouge. Ce type d'agriculture pouvait certes fournir dans certaines circonstances des excédents plus importants que l'économie paysanne, mais elle était hors d'état de garantir l'aisance du même nombre de personnes. Cependant, tant que le bassin méditerranéen fut agité par les guerres permanentes lancées par Rome, l'expansion de l'esclavagisme continua, et en même temps le déclin de la paysannerie que celui-ci asphyxiait, car la guerre rapportait un riche butin, de nouveaux territoires et des masses énormes d'esclaves bon marché aux grands propriétaires fonciers qui étaient aux commandes.

Nous trouvons donc dans l'empire romain une évolution économique qui, en apparence, présente une ressemblance frappante avec l'évolution moderne : déclin de la petite entreprise, progression de la grande, et augmentation encore plus rapide de la grande propriété foncière, des latifundia qui exproprient les paysans et les transforment, de propriétaires libres qu'ils étaient, en métayers assujettis, quand ils ne les remplacent pas par des plantations ou autres grandes exploitations.

Pöhlmann cite dans son histoire du communisme et du socialisme dans l'Antiquité entre autres « La complainte du pauvre contre le riche » du recueil pseudo-Quintilien de déclamations, dans lequel est très bien décrite la croissance des latifundia. C'est la complainte d'un paysan appauvri qui se lamente :

« Je n'avais pas au début de riche voisin. Autour de moi vivaient dans de nombreuses fermes et en bon voisinage des propriétaires qui qui cultivaient leur modeste domaine et partageaient ainsi tous la même situation que moi. Comme les choses ont changé ! La terre qui nourrissait autrefois tous ces citoyens est maintenant une seule grande plantation qui appartient à un seul riche. Il a repoussé de tous côtés les limites de son domaine ; les fermes qu'il a englouties sont rasées, les sanctuaires des Ancêtres détruits. Les anciens propriétaires ont pris congé du dieu qui protégeait la maison paternelle, ils ont été contraints d'aller au loin avec femmes et enfants. L'uniformité règne sur toute cette vaste étendue. De tous côtés, la richesse me cerne comme une muraille, ici le jardin du riche, là ses champs. Ici ses vignes, là ses forêts et ses pâturages. Moi aussi, j'aurais aimé partir, mais je n'ai trouvé nulle part d'endroit où je n'aurais pas eu de riche pour voisin. Où en effet ne se heurte-t-on pas à la propriété privée des riches ? Ils ne se contentent même plus d'étendre leurs possessions, comme les territoires des nations, jusqu'aux rivières et aux montagnes qui forment une frontière naturelle, ils s'emparent aussi des déserts montagneux et des forêts les plus éloignées. Et nulle part, cette expansion ne rencontre de limite sauf quand un riche rencontre un autre riche. Et le mépris injurieux avec lequel les riches nous traitent, nous autres pauvres, se manifeste aussi dans la désinvolture avec laquelle ils ne se donnent même pas la peine de nier nous avoir fait violence. » (II. p. 582, 583)

Pöhlmann y voit une description des tendances générales « du capitalisme extrême ». Mais la ressemblance entre cette évolution et celle du capitalisme moderne avec sa concentration des capitaux est purement de façade, et on se tromperait grandement à assimiler l'une à l'autre. En creusant un peu, on tombe bien plutôt sur des évolutions totalement opposées. Surtout en ceci que la tendance à la concentration, à l'élimination des petites entreprises par les grandes, de même qu'à une accentuation des liens de dépendance des petites entreprises vis-à-vis des grandes fortunes, se manifeste aujourd'hui essentiellement dans l'industrie et beaucoup moins dans l'agriculture, alors que c'était l'inverse dans l'Antiquité. Ensuite, le moteur de cette victoire de la grande entreprise sur la petite est aujourd'hui surtout la concurrence, qui donne l'avantage à l'entreprise dotée de machines et d'installations puissantes et donc plus productive. Dans l'Antiquité, les trois facteurs à l’œuvre étaient le service armé qui paralysait le paysan libre, le bas prix de la main-d’œuvre que l'apport massif d'esclaves mettait à la disposition des propriétaires fortunés, enfin l'usure, sur laquelle nous reviendrons. Ces trois facteurs faisaient baisser la productivité du travail, ils ne l'élevaient pas. Les conditions requises pour le développement et l'application pratique du machinisme étaient absentes dans l'Antiquité. L'artisanat libre n'avait pas atteint un degré de développement suffisant pour fournir en masse des forces de travail libres et adroites, prêtes en grand nombre à se louer en permanence en échange d'un salaire, le type de forces de travail qui seul est à même de produire des machines et de les faire tourner. Rien n'incitait donc les penseurs et les chercheurs à inventer des machines qui seraient de toute façon restées sans application pratique. En revanche, dès que sont inventées des machines qui peuvent être efficaces dans la production, et qu'il existe une main-d’œuvre libre et abondante qui se bouscule pour les produire et les servir, celles-ci deviennent l'une des armes les plus importantes engagées dans la lutte de concurrence que se livrent les entrepreneurs. Il s'ensuit un perfectionnement de machines de plus en plus performantes, la productivité du travail augmente, augmente aussi la différence entre le salaire payé et le gain réalisé, augmente la nécessité de garder en réserve une partie de cet excédent, d'accumuler pour faire l'acquisition de nouvelles machines de qualité encore supérieure, augmente enfin aussi la nécessité de faire constamment reculer les limites du marché, étant donné qu'une machinerie améliorée livre toujours plus de produits qu'il faut écouler. Et par voie de conséquence, le capital augmente, la production des moyens de production prend de plus en plus de place dans le mode production capitaliste, celui-ci est contraint, pour placer la quantité toujours croissante de moyens de consommation produits par ces moyens de production eux-mêmes en quantité croissante, de chercher sans cesse de nouveaux marchés, en sorte que l'on peut dire qu'il aura suffi d'un siècle, le dix-neuvième, pour qu'il conquière le monde entier.

Les choses se sont passées très différemment dans l'Antiquité. Nous avons vu qu'on ne pouvait confier aux esclaves des grandes entreprises que les outils les plus grossiers, qu'on ne pouvait employer que les travailleurs les plus primitifs et les moins intelligents, que donc, seul le prix extrêmement bas de la main-d’œuvre les rendait à peu près rentables. Il en résultait chez les patrons de ces entreprises une propension permanente à pousser à la guerre, qui était le moyen le plus efficace d'obtenir des esclaves bon marché, et à étendre toujours plus le territoire de l’État. Ce fut à partir des guerres contre Carthage l'un des plus puissants moteurs de la politique romaine de conquêtes, celle qui, en deux siècles, soumit tous les pays bordant la Méditerranée, et s'apprêtait à l'époque du Christ, après avoir assujetti la Gaule, la France d'aujourd'hui, à plier à sa domination aussi l'Allemagne, dont la population pleine de vitalité fournissait de si merveilleux esclaves.

Cette voracité, cette pulsion permanente qui poussait à agrandir les territoires à exploiter, fait, c'est vrai, beaucoup ressembler la grande entreprise antique et la grande entreprise moderne, mais la manière dont la première utilisait les surplus que lui livraient les cohortes toujours plus nombreuses d'esclaves était très différente. Le capitaliste moderne est obligé, nous l'avons vu, d'accumuler la majeure partie de son profit pour améliorer et agrandir son entreprise, faute de quoi il est dépassé et battu par la concurrence. L'esclavagiste de l'Antiquité ne connaissait pas cette contrainte. La base technique de sa production n'était pas supérieure, mais bien plutôt inférieure à celle du petit paysan qu'il évinçait. Elle n'était pas prise dans un bouleversement et une expansion permanente, elle restait toujours la même. Tous les excédents qui restaient après avoir payé les frais, remplacé l'outillage perdu ou usé, le bétail et les esclaves, l'esclavagiste pouvait les consommer pour ses propres plaisirs, même si son caractère ne faisait pas de lui un dilapidateur.

On pouvait certes investir dans le commerce et l'usure ou dans l'acquisition de nouveaux domaines, et ainsi augmenter encore ses revenus, mais ceux-ci non plus ne pouvaient être en fin de compte utilisés que pour se procurer des plaisirs. Il aurait été absurde d'accumuler du capital pour produire de nouveaux moyens de production au-delà d'une certaine quantité, car ils n'auraient pas trouvé d'utilisation.

Plus les petits paysans étaient chassés par les latifundia, plus s'accumulaient les biens fonciers et les esclaves concentrés en une seule main, plus augmentaient les surplus, les richesses, qui étaient à la disposition de quelques particuliers et dont ceux-ci ne savaient que faire sinon les dépenser en plaisirs. Si l'accumulation de capital caractérise le capitaliste moderne, le trait distinctif du Romain de la haute société à l'époque impériale, l'époque où naquit le christianisme, était la soif de jouissances. Les capitalistes modernes ont entassé des capitaux en comparaison desquels les richesses des Romains les plus cossus de l'Antiquité apparaissent bien dérisoires. C'est Narcisse, l'affranchi de Néron, qui a la réputation d'avoir été le Crésus de cette époque, avec une fortune de presque 90 millions de marks. Qu'est-ce que cela en regard des 4000 millions qui sont attribués à un Rockefeller ? Mais la gabegie à laquelle se livrent les milliardaires américains, toute extravagante qu'elle soit, ne soutient pas la comparaison avec celle de leurs prédécesseurs, qui se faisaient servir dans leurs banquets des langues de rossignols et faisaient fondre des pierres précieuses dans du vinaigre.

Avec le luxe, augmentait aussi le nombre des esclaves domestiques dont on avait besoin pour son service personnel, et cela d'autant plus que le prix des esclaves baissait. Dans une de ses satires, Horace estime que le minimum dont avait besoin un individu vivant dans des conditions à peu près correctes, était dix esclaves. Dans une maison de la haute société, leur nombre pouvait aller chercher dans les milliers. Si on envoyait les barbares dans les mines et les plantations, on plaçait ceux qui avaient une meilleure éducation, principalement les Grecs, dans la « famille à la ville », autrement dit, dans la maison de ville. Il y avait non seulement des esclaves cuisiniers, secrétaires, musiciens, pédagogues, comédiens, mais aussi des esclaves médecins et philosophes. A la différence de ceux qui servaient à gagner de l'argent, ceux-ci n'avaient pour la plupart qu'une charge de travail réduite. La majeure partie d'entre eux étaient d'aussi grands fainéants que leurs maîtres. Mais il y avait deux facteurs qui auparavant valaient à l'esclave domestique d'être en règle générale bien traités et qui maintenant disparaissaient : son prix élevé, qui faisait qu'on le ménageait, et la camaraderie qui le liait au maître avec lequel il travaillait. Maintenant, vu la richesse du maître et le peu de valeur de l'esclave, il n'y avait plus lieu de s'imposer de retenue vis-à-vis d'eux. La grande masse des esclaves domestiques n'avaient plus aucune relation personnelle avec le maître, et celui-ci ne les connaissait guère. Et quand maître et serviteur venaient à se rapprocher personnellement, ce n'était pas au travail, qui engendre le respect mutuel, mais dans les orgies et les débauches auxquelles menaient l'oisiveté et le sentiment de ne pas avoir de limites et qui n'éveillaient chez l'un comme chez l'autre que mépris réciproque. Oisifs, souvent dorlotés, les esclaves de la maison étaient pourtant livrés sans défense à chaque mouvement d'humeur, à chaque accès de colère, qui, pour eux, pouvait rapidement prendre des dimensions dangereuses. On connaît le crime perpétré par Bedius Pollio, dont un esclave avait brisé un vase de cristal, en punition de quoi il ordonna de le jeter en pâture aux murènes, pour régaler les poissons carnassiers qu'il élevait avec amour dans un étang.

Avec ces esclaves domestiques, augmentait fortement dans la société le nombre des éléments improductifs, dont la multitude était en même temps gonflée par la croissance du lumpenprolétariat des grandes villes que venait grossir la majorité des paysans chassés de leurs terres. Et pendant ce temps, le travail des esclaves étant substitué au travail libre dans de nombreuses activités productives, la productivité du travail diminuait.

Mais plus une maison comptait de monde, plus il devenait facile de faire fabriquer à son usage par ses propres travailleurs les produits que la petite famille avait été obligée d'acheter, vêtements comme ustensiles ménagers. Cela amenait une nouvelle extension de la production pour la consommation familiale. Pourtant, il ne faut pas confondre cette forme tardive d'économie familiale chez les riches avec l'économie élémentaire des origines, qui découlait de l'absence totale de production marchande, et où on subvenait soi-même aux besoins les plus vitaux, et n'achetait que les outils et les articles de luxe. La forme seconde de la production interne pour la consommation familiale que nous rencontrons dans les familles riches à la fin de la République et sous l'empire, reposait précisément sur la production marchande, la production pour le marché dans les mines et les latifundia ; elle-même servait principalement à la production de luxe.

L'extension de ce type de production à usage interne portait tort à l'artisanat libre, déjà fortement mis en difficulté par les industries fonctionnant avec des esclaves dans les villes comme dans les latifundia. En proportion, il ne pouvait que s'affaiblir, autrement dit, le nombre des travailleurs libres rapporté à celui des esclaves ne pouvait que reculer significativement aussi dans l'artisanat. En chiffres absolus, cependant, des branches pouvaient voir augmenter le nombre des travailleurs libres, l'augmentation des dépenses somptuaires provoquant une demande croissante dans les domaines de l'art, de l'art appliqué, mais aussi du pur apparat, comme les onguents et les pommades.

Si le critère sur lequel on apprécie la prospérité d'une société est l'ampleur des gaspillages, si donc on se place du point de vue borné des Césars et des grands propriétaires fonciers romains ainsi que de leur escorte de courtisans, artistes et littérateurs, certes, on trouvera brillante la situation sociale sous le règne d'Auguste. D'immenses richesses affluaient à Rome, dans le seul but d'alimenter les plaisirs ; des ribauds jouisseurs passaient en titubant d'une fête à l'autre, distribuant à-tout-va de pleines poignées de leur superflu qu'il leur était totalement impossible de consommer à eux seuls. De nombreux artistes et intellectuels étaient couverts de moyens matériels par les mécénats, de gigantesques bâtiments surgissaient, dont les dimensions colossales et l'harmonie artistique suscitent encore aujourd'hui l'étonnement, le monde entier paraissait secréter de la richesse par tous ses pores – et pourtant, cette société était déjà alors vouée à la mort.

 

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