1908

Traduit de l'allemand par Gérard Billy, 2015, d'après la réédition en fac-similé publiée par ELV-Verlag en 2013

Karl Kautsky

Karl Kautsky

Les origines du christianisme

IIème partie. La société romaine à l'époque impériale.
3. Climat intellectuel et moral de la Rome impériale

f. Religiosité

1908

Les échanges mondiaux et le nivellement politique ont été de puissants facteurs poussant à un état d'esprit international, pourtant, cela n'aurait pas pris de telles dimensions sans la dissolution de tous les liens qui maintenaient la cohérence des anciennes cités tout en les tenant à distance les unes des autres. Les organisations qui dans l'antiquité avaient régi toute la vie des individus, qui lui avaient donné une consistance et un sens, perdirent à l'époque impériale toute importance et toute vigueur : aussi bien celles fondées sur les liens du sang, comme la communauté gentilice, mais aussi la famille, que celles fondées sur le partage de l'espace, et reposant sur une présence commune sur le même territoire, comme la communauté rurale xvi et la commune. Nous avons vu que c'était la raison pour laquelle les gens, privés de repères, étaient en quête de modèles et de guides, et même de sauveurs. Mais ce fut aussi une incitation à tenter de créer de nouvelles organisations sociales répondant mieux aux nouveaux besoins que les anciennes qui, de façon croissante, n'étaient plus qu'un poids gênant.

Dès la fin de la République, il y eut une forte tendance à créer des clubs et des associations, essentiellement à finalité politique, mais aussi, parmi elles, des sociétés de secours. Les Césars prononcèrent leur dissolution. Le despotisme ne craint rien tant que les organisations sociales. Sa puissance est à son comble quand le pouvoir d’État est l'unique organisation présente dans la société et que ne lui font face que des individus dispersés.

Suétone rapporte que déjà César « interdit toutes les associations, à l'exception de celles qui étaient héritées de la plus haute antiquité » (César, chap. 42). A propos d'Auguste, il dit :

« De nombreux partis (plurimae factiones) s'organisaient sous un nouveau nom pour commettre toutes sortes d'infamies … Il interdit les associations, à l'exception des plus anciennes déjà reconnues par la loi. » 43

Mommsen trouve ces dispositions tout à fait dignes d'éloges. Évidemment, car César, cet aventurier et comploteur retors et sans scrupules, est pour lui un « authentique homme d’État », qui « ne servait pas le peuple pour en recevoir un salaire, ni même pour obtenir son affection», mais « pour assurer la prospérité des temps à venir et avant tout pour avoir le droit de sauver et rajeunir sa nation. » 44 Pour comprendre cette façon de voir César, il faut se rappeler que l’ouvrage de Mommsen a été rédigé dans les années qui ont suivi les journées de juin (la première édition est parue en 1854), quand Napoléon III était encensé même par de nombreux libéraux, particulièrement allemands, comme étant le sauveur de la société, et que Napoléon avait mis le césarisme à la mode.

Après la disparition de toute activité politique et des associations politiques, la tendance à l'organisation se tourna vers des objectifs plus inoffensifs. On vit pousser comme des champignons, principalement des associations de métiers et des caisses de secours pour les cas de maladie, de décès, de pauvreté, ainsi que des groupes de pompiers volontaires, mais aussi de simples clubs de réunions conviviales, des amicales de repas pris en commun, des sociétés littéraires etc.. Mais le césarisme était si soupçonneux qu'il ne tolérait pas non plus les organisations de ce type, qui pouvaient – sait-on jamais - servir de couverture à des projets plus dangereux.

Dans la correspondance entre Pline et Trajan, nous sont restées des lettres dans lesquelles Pline parle d'un incendie qui ravagea Nicomédie et recommande d'autoriser la mise sur pied d'un corps de pompiers volontaires (collegium fabrorum) n'excédant pas 150 hommes ; ils seraient, dit-il, faciles à surveiller. Mais Trajan trouva que c'était encore trop dangereux et refusa de donner l'autorisation. 45

Des lettres ultérieures (117 et 118) nous apprennent que même des rassemblements à l'occasion de mariages ou autres fêtes données par des riches, et où de l'argent était distribué, paraissaient à Pline et Trajan dangereux pour la sécurité de l’État.

Et pourtant nos historiens ne tarissent pas d'éloges sur Trajan, l'un des meilleurs empereurs.

Le désir de se réunir ne pouvait dans ces conditions se satisfaire que dans des sociétés secrètes. Mais si elles étaient découvertes, les participants risquaient la mort. Il va de soi que de simples distractions ou même la recherche d'avantages purement individuels, ne visant qu'une amélioration de la situation personnelle, ne pouvaient motiver personne à mettre sa vie en péril. Ne pouvaient exister que des associations qui se donnent un but dépassant le bénéfice personnel, un but toujours présent même si l'individu disparaissait. Mais de telles associations ne pouvaient gagner en vigueur que si le but poursuivi correspondait à un intérêt et à un besoin puissants, ressentis de toutes parts dans la société, un intérêt de classe ou un intérêt général, un intérêt profondément partagé par de grandes masses et qui pouvait pousser les plus énergiques et les plus dévoués à mettre leur vie en jeu pour y satisfaire. En d'autres termes : seules les organisations qui se donnaient un vaste objectif social, un idéal élevé, pouvaient prendre solidement pied à l'époque impériale. Ce n'était pas la recherche d'avantages pratiques, de défense d'intérêts passagers, qui pouvaient alors donner de l'énergie vitale à une organisation, mais seulement l'élan le plus révolutionnaire ou le plus idéaliste.

Cet idéalisme n'a rien à voir avec l'idéalisme philosophique. On peut aussi, en suivant la route de la philosophie matérialiste, se donner de vastes objectifs dans la société, mieux, seule la méthode matérialiste, en partant de l'expérience, en explorant l'intrication des causes nécessaires de nos expériences, peut amener à se donner dans la vie sociale des objectifs d'envergure libres de toute illusion. Mais à l'époque impériale, rien de tout cela n'était possible, les conditions n'étaient pas réunies. Ce n'était qu'en s'adonnant à un mysticisme moralisateur que l'individu, alors, pouvait se dépasser lui-même, se donner des buts allant au-delà du bien-être personnel et momentané, autrement dit, en pratiquant le mode de pensée connu comme la pensée religieuse. Les seules associations à s'établir solidement à l'époque impériale ont été les associations religieuses, mais on se tromperait si la forme religieuse, le mysticisme moralisateur, nous aveuglait sur le contenu social qui était inhérent à toutes ces associations et leur donnait leur force : l'aspiration à sortir d'un état de choses déplorable, à arriver à des formes supérieures de société, à mettre en œuvre un soutien mutuel et la plus étroite coopération entre des individus sans repères et isolés, mais qui, dans les liens créés pour une noble cause, puisaient un nouveau courage et de nouvelles joies.

Mais avec ces associations religieuses, la société était traversée par une nouvelle ligne de fracture, précisément au moment où, dans les pays méditerranéens, l'idée de nationalité s'élargissait pour faire éclore celle d'humanité. Les associations purement économiques qui voulaient seulement aider l'individu sur un point ou un autre, ne le détachaient pas de la société telle qu'elle existait et ne donnaient pas un nouveau contenu à sa vie. C'était très différent avec les associations religieuses qui, sous une enveloppe religieuse, aspiraient à réaliser un vaste idéal social. Cet idéal était en totale contradiction avec la société existante, pas seulement sur un point, mais en tout et pour tout. Les partisans de cet idéal parlaient la même langue que leur entourage, mais n'étaient pas compris ; et à chaque pas, les deux mondes, l'ancien et le nouveau, tout en habitant dans le même pays, se faisaient face dans une confrontation hostile. Une nouvelle opposition séparait les hommes les uns des autres. A l'époque où précisément les Gaulois et les Syriens, les Romains et les Égyptiens, les Espagnols et les Grecs commençaient à se défaire de leurs particularismes nationaux, surgit la grande opposition entre les croyants et les non-croyants, les saints et les pécheurs, les chrétiens et les païens, qui allait bientôt creuser un fossé abyssal coupant le monde en deux.

Et avec la vivacité de cet antagonisme, avec l'énergie investie dans la bataille, s'accrurent l'intolérance et le fanatisme qui accompagnent inévitablement toute lutte et, comme elle, constituent un élément nécessaire du progrès et de l'évolution quand ils animent et fortifient les facteurs progressistes. Précisons que par intolérance, nous n'entendons pas une violence interdisant de propager une opinion qui dérange, mais l'opposition énergique et la critique des autres manières de voir comme la défense sans concession de son propre point de vue. En ce sens, seules, la lâcheté et l'indolence sont tolérantes quand l'enjeu représente des intérêts supérieurs et universels.

Certes, ces intérêts se modifient constamment. Ce qui, hier, était une question de vie ou de mort, peut fort bien être aujourd'hui sans importance et ne pas mériter qu'on se batte pour elle. L'engagement fanatique sur ce point, hier encore une nécessité, peut fort bien devenir aujourd'hui une source de gaspillage d'énergie et donc être hautement dommageable.

C'est ainsi que l'intolérance et le fanatisme religieux de bon nombre des sectes chrétiennes en plein essor constituèrent un des ressorts de l'évolution de la société aussi longtemps que les grandes finalités sociales ne furent accessibles aux masses que revêtues d'habits religieux, donc de l'époque de l'empire jusqu'à celle de la réforme protestante. Ces propriétés sont devenues réactionnaires et ne sont plus qu'un frein au progrès depuis que la pensée religieuse a été dépassée par les méthodes de recherche modernes, si bien qu'elle n'est plus que le fait de classes, de couches et de régions attardées et ne peut plus d'aucune manière servir à habiller des objectifs visant un progrès de la société.

L'intolérance religieuse était une grande nouveauté dans la pensée de la société antique. Elle était intolérante sous le rapport des nations, n'avait aucune considération pour les étrangers et les ennemis, qu'elle réduisait en esclavage ou tuait même quand ils n'étaient pas combattants, mais il ne lui serait pas venu à l'esprit de déclasser qui que ce soit à seule raison de sa religion. Certains cas pouvant être interprétés comme des cas de persécution religieuse, comme par exemple le procès de Socrate, peuvent être ramenés à des accusations de nature politique, et non religieuse.

L'intolérance religieuse apparut seulement avec la nouvelle mentalité surgie à l'époque impériale, une intolérance partagée par les deux camps, les chrétiens comme les païens, chez ceux-ci cependant, non pas vis-à-vis de toute religion étrangère, mais vis-à-vis de celle-ci précisément, qui, sous des dehors religieux, propageait un nouvel idéal social en opposition totale avec l'ordre des choses existant.

Sinon, les païens restèrent fidèles à la tolérance religieuse qui avait toujours été la leur, mieux, les échanges internationaux de cette époque amenèrent une extension internationale des cultes. Les marchands étrangers et autres voyageurs apportaient leurs dieux partout où ils allaient. Et le prestige des dieux étrangers dépassait celui des dieux du pays. Ceux-ci n'avaient été d'aucun secours, ils paraissaient être devenus totalement impuissants. La désespérance que faisait naître la décadence générale faisait aussi douter des anciens dieux, ce qui amenait bien des esprits plus hardis et plus autonomes que d'autres à l'athéisme et au scepticisme, au doute appliqué à toute espèce de divinité comme à toute espèce de philosophie. Les caractères plus timorés, plus faibles, étaient, nous l'avons vu, poussés à chercher un nouveau sauveur qui leur redonne confiance et espoir. Un certain nombre crut les trouver auprès des Césars, qu'ils élevèrent au rang de dieux. D'autres pensaient plus assuré de se tourner vers des dieux qui existaient de toute antiquité mais n'avaient pas encore étaient essayés dans le pays. C'est ainsi que des cultes arrivés de l'étranger devinrent à la mode.

Dans cette concurrence internationale entre les dieux, l'orient remporta la victoire sur l'occident, en partie parce que les religions orientales étaient moins naïves, avaient plus de la profondeur philosophique propre aux grandes villes, pour des raisons que nous examinerons plus tard, mais aussi en partie parce que l'orient l'emportait industriellement sur l'occident.

Le vieux monde civilisé de l'orient était industriellement bien supérieur à l'occident quand il fut conquis et pillé, d'abord par les Macédoniens, puis par les Romains. On serait tenté d'imaginer que le nouvel équilibre international aurait dû entraîner un relèvement de l'occident au niveau industriel de l'orient. Mais c'est le contraire qui se produisit. Nous avons vu qu'à partir d'un certain moment commence un déclin général du monde antique, conséquence en partie de la prédominance du travail forcé sur le travail libre, en partie du pillage des provinces par Rome et le capital usuraire. Mais ce déclin est plus rapide à l'ouest qu'à l'est, si bien que la supériorité culturelle de ce dernier, loin de diminuer, augmente du deuxième siècle de notre ère jusqu'aux environs de l'an mil. La pauvreté, la barbarie et le dépeuplement progressent plus vite à l'occident qu'à l'orient.

L'origine de ce phénomène est à rechercher essentiellement dans la supériorité industrielle de l'orient et dans la constante augmentation de l'exploitation des classes travailleuses dans tout l'empire. Les excédents que celles-ci produisaient quittaient pour leur majeure partie les provinces pour affluer à Rome, le centre de tous les grands exploiteurs. Mais dans la mesure où les excédents qui y étaient accumulés prenaient forme monétaire, la part du lion repartait vers l'orient. Car lui seul produisait toutes les marchandises de luxe que réclamaient les grands exploiteurs. Il livrait les esclaves de luxe, mais aussi des produits industriels comme le verre et la pourpre en Phénicie, le lin et les tissages en Égypte, les lainages et la maroquinerie de qualité en Asie mineure, les tapis en Babylonie. Et l'infertilité croissante de l'Italie faisait de l’Égypte le grenier à céréales de Rome, car grâce aux inondations qui recouvraient tous les ans le sol d'une boue fertile, l'agriculture de la vallée du Nil était inépuisable.

Sans doute une grande partie de ce que livrait l'orient lui était-elle ravie de force par les impôts et les taux usuraires, mais en dépit de cela, il restait un solde important qu'il fallait payer avec les bénéfices tirés de l'exploitation de l'occident, qui de ce fait s'appauvrissait.

Et les échanges avec l'orient s'étendaient au-delà des frontières de l'empire. Alexandrie s'enrichissait non seulement de la vente de produits de l'industrie égyptienne, mais aussi en jouant les intermédiaires commerciaux avec l'Arabie et avec l'Inde, cependant que de Sinope, sur la Mer Noire, était ouverte une route commerciale vers la Chine. Pline estime dans son « Histoire Naturelle » qu'environ cent millions de sesterces (plus de 20 millions de marks) quittaient tous les ans l'empire seulement pour les soieries chinoises, les bijoux indiens et les épices arabes. Sans contrepartie significative sous forme de marchandises, mais aussi sans aucune obligation des pays étrangers à payer un tribut ou des intérêts. La somme devait être entièrement payée en métaux précieux.

Avec les marchandises orientales arrivaient en occident aussi les marchands orientaux, et avec eux, les cultes orientaux. Ceux-ci répondaient d'autant mieux aux besoins de l'occident que l'orient avait auparavant déjà connu, bien que moins désespérée, une situation sociale analogue à celle qui régnait maintenant dans l'ensemble de l'empire. L'idée d'être sauvé par une divinité dont on gagnait la bienveillance en renonçant aux plaisirs d’ici-bas, était partagée par la plupart des cultes qui se propageaient désormais dans l'empire, en particulier pas le culte égyptien d'Isis et le culte perse de Mithra.

« Isis surtout, dont le culte avait envahi Rome depuis Sylla et bénéficiait des faveurs impériales depuis Vespasien, se répandit jusqu'aux confins de l'occident, et avait progressivement, d'abord comme divinité du salut, incluant le sens plus étroit de guérison, acquis une immense importance, une importance universelle... Son culte était riche en processions somptueuses, il regorgeait de mortifications, actions expiatoires et obligations sévères, et surtout, les mystères y abondaient. C'est précisément l'attente religieuse, l'espoir du rachat, le désir pressant de vigoureuses pénitences, ainsi que l'aspiration à gagner une bienheureuse immortalité par l'abandon de soi-même à une divinité, qui ouvrait à ces cultes si étrangers à la tradition les portes de l'univers des dieux gréco-romains. Par lui-même, celui-ci ne connaissait pratiquement pas ces cérémonies mystérieuses, cette extase exaltée, la magie, la désertion de soi et l'abandon total à la divinité, le renoncement et la pénitence comme conditions préalables à toute purification et toute consécration. Plus puissant encore était, répandu avant tout par les armées, le culte secret de Mithra, lié lui aussi à la promesse de la délivrance et de l'immortalité. C'est sous Tibère qu'il est apparu pour la première fois. » 46

Des théories indiennes s'introduisirent également dans l'empire romain. C'est ainsi que par exemple Apollonios de Tyane, que nous avons déjà rencontré, fit tout exprès le voyage de l'Inde pour y étudier les doctrines philosophiques et religieuses de ce pays. Plotin aussi alla en Perse pour s'y frotter à la sagesse perse et indienne.

Toutes ces théories et tous ces cultes ne pouvaient pas ne pas laisser de traces chez les chrétiens recherchant de toute leur ardeur délivrance et élévation, ils ont puissamment influé sur la formation du culte et du récit chrétiens.

« Eusèbe de Césarée, Père de l’Église, n'avait que mépris pour le culte égyptien qu'il traitait de « sagesse de coccinelle » ; et pourtant le mythe de la Vierge Marie n'est que la reprise de mythes familiers aux rives du Nil.

« Osiris était représenté sur terre par le taureau Apis. A l'image d'Osiris conçu par sa seule mère sans le concours d'aucun dieu, il fallait que son représentant sur terre soit né d'une génisse sans le concours d'aucun taureau. Hérodote nous raconte que la mère d'Apis fut fécondée par un rayon de soleil, d'après Plutarque, ç'aurait été un rayon de lune.

« Comme Apis, Jésus n'avait pas de père, il avait été engendré par un rayon de lumière céleste. Apis était un taureau, mais il représentait un dieu ; Jésus était un dieu représenté par un agneau. Or Osiris était souvent représenté avec une tête de bélier. » 47

Effectivement, un railleur, sans doute du troisième siècle, alors que le christianisme était déjà très fort, émit l'opinion qu'il n'y avait pas grande différence entre les chrétiens et les les païens : « Celui qui, en Égypte, adore Sarapis, est aussi chrétien, et ceux qui se donnent le titre d'évêques chrétiens, adorent également Sarapis ; tout grand-rabbin chez les Juifs, tout Samaritain, tout homme d'église chrétien est en même temps magicien, prophète, guérisseur (aliptes). Même quand le patriarche vient en Égypte, les uns exigent qu'il prie Sarapis, les autres qu'il prie Jésus. » 48

L'histoire de la naissance du Christ, telle qu'elle est relatée dans l'évangile de Luc, comporte de son côté des traits bouddhiques.

Pfleiderer montre comment ce récit a beau être a-historique, il n'a pas été inventé de toutes pièces par le rédacteur de l'évangile, mais bien plutôt emprunté à des légendes « qui lui étaient parvenues d'une manière ou d'une autre », et qui étaient peut-être d'antiques légendes communes aux peuples du Proche-Orient. « Nous trouvons en effet les mêmes légendes, présentant une similitude frappante, dans l'histoire de l'enfance du rédempteur indien Gautama Buddha (qui a vécu au cinquième siècle avant J.C. - K.). Lui aussi a été miraculeusement enfanté par la reine vierge Maya dans le corps immaculé de laquelle pénétra l'esprit céleste et lumineux de Buddha. A sa naissance aussi, apparaissent des esprits célestes qui entonnent ses louanges : « Un héros prodigieux, incomparable, est né. Rédempteur du monde, plein de pitié, tu répands aujourd'hui ta bienveillance sur l'ensemble de l'univers. Fais venir sur tous les êtres de la création la joie et la satisfaction, pour qu'ils deviennent sereins, maîtres d'eux-mêmes et heureux. » Lui aussi est amené par sa mère au temple pour y accomplir les usages prescrits par la loi, et c'est là que le trouve Ashita, le vieil ermite, qu'un pressentiment a fait descendre de l'Himalaya ; et il prédit que cet enfant deviendrait bouddha, le sauveur de tous les maux, le guide menant à la joie, à la lumière et à l'immortalité … Et pour terminer, le récit récapitulatif racontant comment l'enfant royal grandit quotidiennement en perfection spirituelle, en beauté et en vigueur physique – exactement comme dans Luc 2, 40 à propos de l'enfant Jésus. » 49

« On rapporte aussi des preuves de sagesse précoce chez l'enfant Gautama, entre autres récits, le fait qu'à l'occasion d'une fête, les siens l'aient perdu de vue et que son père l'ait retrouvé, au terme d'une recherche tenace, plongé dans une pieuse méditation au milieu d'hommes vénérables, ce sur quoi il aurait exhorté son père tout étonné à s'appliquer à des objets plus élevés. » 50

Pfleiderer montre dans le même ouvrage encore d'autres éléments empruntés par le christianisme à d'autres cultes , par exemple au culte de Mithra. Nous avons déjà repris ses indications sur la Cène qui « faisait partie des sacrements de Mithra » (p. 130). La doctrine de la résurrection contient sans doute aussi des éléments païens.

« Peut-être peut-on voir là l'influence exercée par l'imagerie populaire représentant un dieu qui meurt puis revient à la vie, telle qu'elle était alors répandue, sous différents noms et avec différents rites, mais similaires pour l'essentiel, dans les cultes proche-orientaux d'Adonis, d'Attis, d'Osiris. Dans la capitale syrienne d'Antioche, où Saint-Paul exerça assez longtemps, la fête principale était la fête d'Adonis au printemps ; dans un premier temps, on célébrait, au milieu des lamentations frénétiques des femmes, la mort d'Adonis (« du Seigneur ») et les obsèques de sa dépouille mortelle représentée par une image. Le lendemain, (pour Osiris, c'était le troisième jour, pour Attis, le quatrième jour après la mort), on annonçait que le dieu était en vie, et on le faisait s'élever (on projetait son image) dans les airs, etc. » 51

Mais à juste titre, Pfleiderer fait remarquer que le christianisme ne s'est pas contenté d'intégrer ces éléments païens, mais les a adaptés à sa propre vision globale du monde. Le christianisme, en effet, ne pouvait pas assimiler tels quels les dieux venus d'ailleurs, son monothéisme suffisait à l'en empêcher.

 

Notes de K. Kautsky

43 Octavianus Augustus, chap. 32

44 Histoire romaine, III, 476

45 Pline, Lettres, X, 42 et 43

46 Hertzberg, Histoire de l'empire romain, p. 451

47 Lafargue, Le mythe de l'immaculée conception, Neue Zeit, XI, I, 849

48 Cité par Mommsen, Histoire romaine, V, 585

49 Christianisme primitif I, 412

50 Pfleiderer, La naissance du christianisme, 198, 199

51 op. cit. p.147

Note du traducteur

xvi Markgenossenschaft

Archives K. Kautsky Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin