1910

Suite à la révolution de 1905, en plein reflux, la social-démocratie russe se réunifie pour un temps.
Mais Lénine comprend vite qu'il a hérité "d'un bébé couvert d'abcès" et mène l'offensive...


Notes d'un publiciste

V. I. Lénine

II. La « crise d’unification » à l’intérieur de notre parti

Certains lecteurs, en voyant ce titre, auront peut-être quelque peine à en croire leurs yeux. « Il ne manquait plus que cela ! Tout ce que notre parti a connu comme crise ne suffit pas, sans doute : en voilà encore une nouvelle, une crise d’unification ? »

Cette expression de consonnance si bizarre, je l’ai empruntée à Liebknecht. Celui-ci l’a employée, en 1875, dans une lettre (en date du 21 avril) à Engels – à propos de l’unification des lassaliens et des eisenachiens. A l’époque Marx et Engels supposaient qu’il ne pouvait rien résulter de bon de cette initiative [6]. Liebknecht dissipait leurs craintes et les assurait que le parti social-démocrate allemand, qui avait réussi à surmonter bien des épreuves, viendrait également à bout de cette « crise d’unification ». (cf. Gustav Mayer, « Johann Baptist Von Schweitzer und die Sozialdemokratie », Iéna, 1909, S. 424).

Il ne fait pas le moindre doute que notre parti, le P.O.S.D.R., arrivera à surmonter, lui aussi, sa crise d'unification. Quant à la réalité de cette crise, elle est évidente pour quiconque est au courant des décisions prises par la séance plénière du Comité central et des événements qui ont suivi ce plénum [7]. A en juger d'après les résolutions, il semblerait que l'unification soit totale et parfaitement achevée. A en juger d'après la situation en ce début de mai 1910, d'après la lutte décisive de l'Organe central [8] contre le Goloss Sotsial-Démokrata [9] publié par les liquidateurs, d'après la polémique qui a éclaté entre Plékhanov et autres mencheviks pro-parti et les partisans du Goloss, d'après les attaques ultra-injurieuses du groupe « Vpériod » contre l'Organe central (cf. la feuille que le groupe vient de faire paraître : « Aux camarades bolcheviks »), - à en juger d'après tout cela, l'observateur étranger pourrait aisément croire que toute unification quelle qu'elle soit, n'est que mirage.

Les adversaires directs du parti jubilent. Les gens du groupe « Vpériod », couverture et soutien de l'otzovisme, se répandent en torrents d'imprécations. Plus furieuses encore sont les invectives des chefs des liquidateurs - Axelrod, Martynov, Martov, Potressov et autres -, dans le « Complément indispensable aux Cahiers de Plékhanov [10] ». Quant aux « conciliateurs », ils lèvent les bras au ciel, se lamentent et expriment leur impuissance (cf. la résolution adoptée le 17 avril 1910 par le « Club social-démocrate pro-parti de Vienne », dont le point de vue est celui de Trotsky).

Mais la question essentielle et fondamentale des causes qui font que l'unification du parti se passe de cette manière et non d'une autre, qui font que l'unité (apparemment) totale observée au plénum ait cédé la place à une désunion (apparemment) totale; mais la question de savoir dans quel sens doit s'orienter ultérieurement le développement du parti, en vertu du « rapport des forces » à l'intérieur et à l'extérieur de ce dernier, - toutes ces questions fondamentales sont laissées sans réponse aussi bien par les liquidateurs (du Goloss) que par les otzovistes du groupe « Vpériod » et les conciliateurs (Trotsky et « les Viennois »).

Injures et mots creux ne font pas une réponse.


Notes

[6] Cf. Lettre de Engels à A. Bebel, 18-28/03/1875 et celle de Marx à W. Bracke, 05/05/1875.

[7] Il s’agit du plénum du Comité Central du P.O.S.D.R. tenu du 15 janvier au 5 février 1910 à Paris. Cette réunion avait abouti à la réunification provisoire du Parti. Les bolchéviques restaient néanmoins organisés en fraction.

[8] L’Organe central du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie, le Social-Démocrate. Il parût de février 1908 à janvier 1917. Les menchéviques Martov et Dan participeront à sa rédaction jusqu’en 1911.

[9] Goloss Sotsial-Demokrata (La voix du Social-Démocrate) : organe menchévik publiè hors de Russie de février 1908 et décembre 1911. Prit la défense de la fraction « liquidatrice », ce qui amena G. Plekhanov à quitter sa rédaction.

[10] Ce document, rédigé par les menchéviks liquidateurs et publié en avril 1910, était centrée contre Plékhanov, qui avait rompu avec eux.


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