1942

Au plus fort de la tourmente, avant d'être déporté à Auschwitz où il mourra, le jeune dirigeant trotskyste Abraham Leon rassemble des notes sur la question juive. Elles lui survivront.


La conception matérialiste de la question juive

Abraham Léon

2

De l'époque de l'antiquité à l'époque carolingienne, la période de prospérité commerciale des juifs


A) Avant la conquête romaine

C'est par la Syrie et la Palestine que s'effectuait, depuis une époque très reculée, l'échange des produits entre les deux plus anciens foyers de culture du monde antique méditerranéen: l'Egypte et l'Assyrie. Le caractère essentiellement commercial des Phéniciens et des Cananéens [1] procède de la situation géographique et historique des pays qu'ils habitaient. Les Phéniciens devinrent le premier grand peuple commerçant de l'Antiquité parce qu'ils s'étaient trouvés placés entre les deux premiers grands centres de la civilisation. Ce sont les marchandises assyriennes et égyptiennes qui constituèrent, au début, l'objet principal du commerce phénicien. Il en fut certainement de même pour les marchands palestiniens [2]. D'après Hérodote, les marchandises assyriennes furent les articles les plus anciens et les plus importants du commerce phénicien. Non moins ancienne était la liaison des Phéniciens avec l'Egypte. Les légendes du Canaan biblique, aussi bien que les mythes phéniciens font état des relations suivies des habitants de ces pays avec l'Egypte, par mer et par terre. Hérodote parle aussi des marchandises égyptiennes, portées en Grèce depuis une période très éloignée, par les Phéniciens [3].

Mais si la situation géographique de la Palestine était aussi favorable que celle de la Phénicie pour le trafic des marchandises entre l'Egypte et l'Assyrie [4], les facilités de navigation dont disposait la Syrie lui faisaient totalement défaut. La Phénicie était abondamment pourvue de tout ce qui était nécessaire pour les voyages en mer; les cèdres et les cyprès du Liban lui fournissaient le bois de construction, le cuivre et le fer se trouvaient aussi en abondance dans les montagnes du Liban et dans les environs. Sur la côte phénicienne, de nombreux ports naturels s'offraient à la navigation [5]. Aussi ne faut-il pas s'étonner que, de bonne heure, des navires phéniciens lourdement chargés de produits égyptiens et assyriens aient commencé à sillonner les routes navigables du monde antique.

« Les relations politiques et mercantiles de la Phénicie avec les grands Etats du Nil et de l'Euphrate, relations établies plus de deux mille ans avant J.-C., permirent l'extension du commerce phénicien aux pays côtiers de l'océan Indien. » [6].

Les Phéniciens rapprochèrent les peuples et les civilisations les plus différents de l'Antiquité [7].

Durant de longs siècles, les Phéniciens conservèrent le monopole du commerce entre les pays relativement développés de l'Orient et les pays incultes de l'Occident. A l'époque de l'hégémonie commerciale des Phéniciens, l'état économique des îles de la Méditerranée occidentale et des pays qui la bordaient était encore très arriéré.

« Ce n'est pas à dire que le négoce ait été inconnu à la société homérique, mais il consistait essentiellement pour les Grecs en importations. Pour payer les matières premières ou précieuses, les objets manufacturés que les navigateurs étrangers venaient leur offrir, les Grecs paraissent surtout avoir donné du bétail. » [8].

Cette situation, très désavantageuse pour les indigènes, ne se maintint pas longtemps. Le commerce phénicien lui-même devint un des principaux stimulants du développement économique de la Grèce. L'essor de la Grèce fut aussi favorisé par la colonisation hellénique qui prit une grande extension entre le IX° et le VII° siècle avant J.-C. Les colons grecs se répandent en tous sens dans la Méditerranée. Les villes grecques se multiplient. Thucydide et Platon expliquent l'émigration grecque par le manque de terres.

Le développement de la colonisation grecque est accompagné d'un essor prodigieux (relativement à l'époque) de l'industrie et du commerce helléniques. Le développement économique de la Grèce aura pour conséquence le déclin commercial de la Phénicie.

« Jadis dans les rades grecques, les Phéniciens débarquaient leurs marchandises qu'ils échangeaient contre les produits indigènes, le plus souvent, semble-t-il, des têtes de bétail. Désormais, les marins grecs [9] vont porter eux-mêmes en Egypte, en Syrie, en Asie Mineure, chez les peuples de l'Europe comme les Etrusques, encore grossiers comme les Scythes, les Gaulois, les Ligures, les Ibères, les objets manufacturés et les oeuvres d'art, tissus, armes, bijoux, vases peints dont la renommée est grande et dont sont friands tous les barbares. » [10].

La période s'étendant entre le VI° et le IV° siècle semble avoir été l'époque de l'apogée économique de la Grèce.

« Ce qui caractérise cette période nouvelle, c'est que les métiers se sont multipliés, organisés, spécialisés, la division du travail a été poussée très loin. » [11].

A l'époque de la guerre du Péloponèse, Hiponicas employait 600 esclaves et Nicias 1.000 dans les mines.

Ce développement économique important de la Grèce, a entraîné la plupart des savants bourgeois à parler d'un « capitalisme grec ». Ils vont jusqu'à comparer l'industrie et le commerce helléniques au vaste mouvement économique de l'époque industrielle.

En réalité, l'agriculture demeure toujours la base économique de la Grèce et de ses colonies.

« La colonie grecque est presque toujours, non pas une colonie marchande, mais une colonie militaire et agricole. » [12].

Ainsi, Strabon raconte au sujet de Cumes, une colonie grecque d'Italie, que c'est seulement trois cents ans après leur établissement que ses habitants se sont aperçus que leur ville se trouvait près de la mer. Le caractère essentiellement agricole de la vie économique du monde hellénique est incontestable. Il ne peut pas être question non plus d'une industrie comparable à l'industrie moderne.

« Les méthodes de production et d'organisation sont restées artisanales. » [13].

Seules, les mines semblent présenter tout au moins quant à la force de travail, un spectacle semblable à celui que nous connaissons actuellement.

Le fait que, malgré leur grande extension, l'industrie et le commerce sont restés principalement aux mains d'étrangers, des métèques, prouve le mieux leur rôle relativement subordonné dans l'économie grecque.

« Dans l'immense trafic dont Athènes est le centre, comme dans son industrie, la part des métèques reste prépondérante. » [14].

A Délos, le grand centre commercial, les. inscriptions montrent que presque tous les commerçants sont étrangers [15].

Le citoyen grec méprise le commerce et l'industrie; il est avant tout propriétaire foncier. Aristote, comme Platon, sont opposés à ce qu'on accepte les marchands dans la cité [16].

Il faut donc se garder d'exagérer l'importance du développement industriel et commercial de la Grèce. En fait, l'expansion grecque fut principalement agricole et militaire. Elle allait cependant de pair avec un développement industriel et commercial très important pour l'époque [17]. Les Grecs ne devinrent jamais un peuple commercial comme les Phéniciens et les Juifs mais, dans les colonies grecques et plus tard dans les royaumes helléniques, on assiste à un essor commercial et industriel très important. Il va sans dire que les Etats grecs tout en n'étant pas réellement mercantiles, favorisaient de toutes leurs forces le commerce et l'industrie, sources financières des plus importantes.

Ce n'est pas seulement au développement économique de la Grèce et de ses colonies qu'il faut attribuer le déclin du commerce phénicien; il y a encore une autre cause importante : c'est l'antagonisme croissant entre la Perse et la Grèce. Parallèlement à l'extension de la civilisation hellénique, on assiste à la marche triomphale des Perses à travers l'Asie. L'Empire perse atteint son apogée au V° siècle. Il s'étend sur une partie de l'Asie et sur l'Egypte.

Le développement parallèle des civilisations grecque et persane dut porter le coup de grâce au commerce phénicien. Le commerce entre l'Asie et l'Europe fut certainement rendu très difficile par le partage du monde méditerranéen entre deux sociétés, également hostiles l'une à l'autre. Les mondes persan et grec se créèrent chacun un trafic commercial propre.

On peut supposer que la Palestine, complètement supplantée auparavant par la Phénicie, recommence à jouer un rôle commercial important avec la décadence phénicienne et le développement du commerce asiatique après la période des conquêtes persanes. La voie de passage entre l'Egypte et la Babylonie retrouve toute sa valeur. Tandis que le commerce phénicien perd de plus en plus de son antique importance au point qu'au temps de Lucien, les salaisons en feront les principaux frais [18], les Juifs jouent dans l'Empire perse un rôle de tout premier plan.

Certains historiens attribuent à l'exil babylonien un rôle important dans la transformation des Juifs en peuple commerçant.

« A Babylone, les Juifs se transformèrent en peuple commerçant, tel que nous le connaissons dans l'histoire économique du monde. Ils ont trouvé chez les Babyloniens, des rapports économiques très évolués. Les textes cunéiformes dernièrement trouvés montrent que les Juifs exilés participaient activement à la vie commerciale. Ils s'occupaient des affaires de crédit, très développées chez les Babyloniens; ils étaient aussi grands commerçants. » [19].

Mais la dispersion juive est certainement antérieure à l'exil babylonien.

« Il y a de sérieuses raisons d'admettre l'existence d'une diaspora préexilique. » [20].

On exagère fort l'ampleur de l'exil juif sous Nabuchodonosor. C'est seulement une partie des classes dirigeantes qui fut frappée par les mesures du roi babylonien. La majorité des Juifs établis en Palestine continuèrent à y demeurer. Si donc, à l'époque persane on trouve les Juifs disséminés dans toutes les parties de cet immense empire, et le livre d'Ether est très éloquent à ce sujet, il serait enfantin de voir dans ce fait la conséquence de l'exil babylonien, exil qui dura en tout 50 ans. Il est aussi puéril de croire que le peuple juif soit retourné en Palestine à l'époque d'Esdras et de Néhémie. Leur oeuvre fut avant tout d'ordre religieux. Il s'agissait de rebâtir le temple et de reconstruire une métropole religieuse pour le judaïsme dispersé.

«La plupart des historiens ont considérablement exagéré le rôle du judaïsme palestinien à l'époque persane. On raisonne comme si, Jérusalem une fois restaurée, toute l'histoire d'Israël s'était concentrée autour de la montagne sainte; comme si tout le peuple était vraiment revenu de l'exil et avait habité sur une terre de quelques centaines de kilomètres entre Tekoa, Mitspa et Jéricho. En réalité, à cette époque, les Juifs de Judée ne représentaient qu'une partie, la plus petite, du judaïsme. Et sans doute n'était-ce pas la plus vivante. » [21].

L'édit de Cyrus s'adresse en ces termes aux Juifs de la Diaspora :

« ... que tous les autres, dans tous les lieux où ils habitent, aident (ceux qui vont en Palestine) en argent, en or, en biens et en troupeaux, outre ce qu'ils offrent volontairement au temple de Dieu qui est à Jérusalem. »

Tous ceux qui étaient dans les environs, dît le livre d'Esdras, mirent aux mains des 42.000 Juifs qui retournaient en Palestine des vases d'argent et d'or, les troupeaux et les meubles. [22].

Il est évident qu'il ne s'agit pas là d'un retour massif des Juifs en Palestine mais surtout de la reconstruction du temple. Les principales colonies de la Diaspora étaient situées, à l'époque perse, en Mésopotamie, en Chaldée et en Egypte, datant du V° siècle avant J.-C., jettent une lumière intéressante sur la situation des colonies juives de la Diaspora à cette époque.

D'après les archives appartenant à une famille juive, il apparaît que les

« Juifs faisaient le commerce, achetaient et vendaient des maisons et des terrains, prêtaient de l'argent, administraient des dépôts et étaient très versés dans les questions du droit. » [23].

Il est très intéressant de constater que même les chansons et les contes sont en araméen, ce qui montre que déjà, au V° siècle avant J.-C., l'hébreu n'était plus une langue usuelle pour les Juifs. L'araméen, c'est la grande langue asiatique de l'époque, la langue commerciale [24]. La religion des Juifs d'Eléphantine n'est pas aussi évoluée que la religion officielle codifiée à l'époque d'Esdras-Nehemie. Dans une supplique au gouverneur perse, ils demandent l'autorisation de rebâtir leur temple. Or précisément, la réforme d'Esdras-Nehemie vise à concentrer tous les Juifs de la Diaspora autour de l'unique temple de Jérusalem. C'est effectivement à Jérusalem qu'afflueront, jusqu'à l'année 70, les dons des Juifs dispersés dans le monde.

C'est cette richesse du temple de Jérusalem qui fut probablement la raison principale de l'entreprise d'Antiochus contre les Juifs.

« Simon lui annonça que le trésor public à Jérusalem était plein de sommes considérables et qu'il y avait des richesses publiques immenses. » [25].

Plus tard, Mithridate confisque sur la petite île de Cos 800 talents destinés au temple de Jérusalem. A l'époque romaine, Cicéron se plaignait dans ses discours, des sommes immenses qui affluaient à Jérusalem.

La période hellénistique constitue l'époque de l'apogée économique de l'Antiquité. Les conquêtes d'Alexandre détruisirent les barrières entre le monde hellénique et l'Asie et l'Egypte. Les villes poussèrent comme des champignons dans toutes les parties de l'Empire hellénique. Les « plus grands fondateurs de villes, non seulement de cette époque, mais même de toute l'Histoire, furent Seleucus Ier et son fils Antiochus Ier » [26]. Les rois de la période hellénistique créent de nouveaux centres urbains destinés à supplanter les anciennes cités persanes et phéniciennes.

« Sur les côtes de Syrie, le port d'Antioche fait oublier les villes antiques de Tyr et de Sidon. » [27].

Ce but fut pleinement atteint.

Tandis que Babylone tomba en décadence, la Séleucie hellénique devint probablement la plus grande ville de cette époque. Elle avait 600.000 habitants, d'après Pline. A côté de Séleucie, Alexandrie et Antioche devinrent les centres du monde hellénistique. Toutes ces villes connurent pendant la période hellénistique une prospérité incontestable.

La situation des Juifs semble s'être encore affermie après les conquêtes d'Alexandre.

« Les Juifs surent se faire reconnaître des privilèges spéciaux aussi bien, comme il semble, par les Séleucides que par les Lagides. A Alexandrie où ils avaient été attirés par Ptolémée Ier et où ils abondaient, ils formaient une communauté à part qui s'administrait elle-même et était soustraite à la juridiction des tribunaux grecs. » [28].
« Les Juifs obtinrent dans la capitale de Syrie, à Antioche, une certaine autonomie et une position privilégiée. De même à Cyrène. » [29].

La situation privilégiée et la position économique spécifique des Juifs sont déjà l'origine de graves conflits avec la population des villes qu'ils habitaient. Des conflits éclataient sans cesse, aussi bien dans les villes palestiniennes qu'à Alexandrie, à Séleucie, à Cyrène et à Chypre [30]. Ces conflits n'avaient rien de commun avec les antagonismes nationaux actuels. Au contraire, les empires hellénistiques connaissent une formidable assimilation des peuples qui les composent. Le nom de Grec est appliqué de moins en moins aux membres d'une nation particulière; on l'attribue maintenant aux parties dominantes et cultivées de la population. Alexandre ordonna à tous, dit un écrivain ancien, de considérer comme leur patrie le monde, comme leurs parents les gens de bien et comme étrangers les méchants.

L'importance croissante du judaïsme dans la vie commerciale du monde hellénistique doit être aussi attribuée au déplacement de l'axe de la vie économique vers l'Orient. La prospérité d'Alexandrie, d'Antioche et de Séleucie offre un contraste frappant avec la pauvreté et la décadence où la Grèce était tombée à la même époque.

Polybe insiste à plusieurs reprises sur la décadence des cités grecques. Au II° siècle, les « visiteurs avaient peine à croire que cette ville où l'eau était rare, les rues mal tracées, les maisons incommodes, était la fameuse Athènes » [31]. Athènes fut éliminée de son rôle comme centre du monde civilisé. Ce qui, avec la décadence économique, contribua à la ruine de la Grèce, ce furent les incessantes luttes de classes [32] qui par suite du mode de production arriéré, ne pouvaient aboutir à aucun résultat important. Le triomphe de la plèbe était éphémère; les partages de richesses ne pouvaient aboutir qu'à de nouvelles inégalités sociales, génératrices de nouveaux conflits sociaux. Ainsi le triomphe de la Grèce, après les conquêtes d'Alexandre, fut illusoire. Le déplacement du centre économique du monde vers l'Orient qui s'en était suivi, amena son rapide déclin [33]. Les classes possédantes et aristocratiques, impuissantes devant les révoltes plébéiennes, durent chercher l'appui de Rome [34], mais Rome ne fit que donner le coup de grâce à la Grèce ainsi qu'à l'hellénisme. Les Romains se jetèrent sur le monde hellénistique comme sur une riche proie qu'ils devaient piller et conquérir.

« Entre 211 et 208, selon les renseignements très incomplets qui nous sont parvenus, cinq vieilles cités de l'Hellade sont mises à sac. » [35].

Corinthe, la riche cité commerciale est détruite. « J'y étais, dit Polbe, j'ai vu des tableaux foulés aux pieds, les soldats s'installant dessus pour jouer aux dés. » Rome a porté également des coups très rudes à l'hellénisme en Asie [36]. Le magnifique édifice hellénistique fut détruit sous les coups conjugués des Romains et des Parthes.

B) L'impérialisme romain et sa décadence

Contrairement à l'impérialisme moderne, essentiellement basé sur le développement des forces productives, l'impérialisme antique est fondé sur le pillage des pays conquis. Il ne s'agit pas, pour les impérialismes antiques, de frayer les voies à leurs produits et à leurs capitaux, ils ne visent qu'à dépouiller les pays conquis.

L'état arriéré de la production dans l'Antiquité ne pouvait assurer le luxe des classes possédantes des pays conquérants que par la ruine plus ou moins rapide des peuples conquis. L'épuisement de ces pays conquis, les difficultés croissantes de nouvelles conquêtes, l'amollissement graduel des conquérants, devaient amener tôt ou tard la décadence des impérialismes antiques.

Rome constitue l'exemple classique de l'impérialisme antique. On a fortement exagéré le développement commercial et industriel de Rome. Son commerce a toujours été passif [37]. Rome ne faisait qu'attirer sur elle l'exportation des provinces sans rien leur rendre en retour [38]. Les classes dirigeantes romaines avaient un mépris profond pour toute espèce de trafic. La loi Claudia interdit aux sénateurs, à leurs fils et à toute l'aristocratie de Rome, de posséder des navires jaugeant plus de 300 amphores, ce qui correspond à moins de 80 hectolitres de graines ou de légumes. Cela signifie leur interdire l'exercice du commerce. César renouvelle cette interdiction. La politique romaine n'a jamais été déterminée par ses prétendus intérêts commerciaux. La meilleure preuve, c'est que Rome, après la défaite d'Annibal, permit encore aux Carthaginois d'interdire l'entrée de leur mer [39].

« En général, il faut dire que les problèmes économiques romains étaient très simples. La conquête graduelle de l'Italie de même que des provinces occupait le surplus du capital et de la population; le besoin de l'industrie et du commerce ne se faisait pas ressentir », dit Tenney Frank [40].

Les commerçants à Rome étaient généralement étrangers et c'est cela d'ailleurs qui explique l'accroissement continu de la colonie juive à Rome depuis l'époque de César. Les négociatores romains n'étaient pas des commerçants mais des usuriers qui pillaient les provinces [41]. Le développement du commerce dans l'Empire romain doit être surtout attribué au besoin de luxe croissant des classes dirigeantes de Rome. Strabon explique de cette façon le développement du grand marché de Délos :

« D'où venait ce développement du commerce ? De ce que les Romains, enrichis par la destruction de Carthage et de Corinthe, s'étaient vus habitués à se servir d'un très grand nombre d'esclaves. » [42].

Il en était de même de l'industrie. L'industrie romaine dépendait surtout des besoins de luxe de l'aristocratie. Tenney Frank, après avoir remarqué que, pendant le IV° siècle avant l'ère chrétienne, nul progrès sensible ne fut fait dans le domaine de l'industrie, ajoute que

« les deux siècles qui suivirent n'apportèrent aucun changement dans la nature de la production industrielle à Rome, que sans doute la quantité des objets fabriqués augmenta en raison de l'accroissement de la cité mais qu'il ne s'ensuivit aucune exportation et que la seule évolution visible fut la substitution du travail servile au travail libre » [43].

Même les auteurs qui considèrent que l'Italie avait été un pays de production à l'époque républicaine, admettent qu'elle cesse de l'être dans la période impériale.

« L'Italie est de moins en moins un pays de production... Plusieurs industries prospères à la fin de la période républicaine sont en décadence.. Ainsi le trafic entre l'Italie et l'Orient ne se faisait plus que dans un seul sens et encore était-il de plus en plus aux mains des Asiatiques, des Alexandrins et des Syriens. » [44].

Ainsi l'Italie ne vivait plus que de l'exploitation des provinces. La petite propriété, base de la force romaine, fut progressivement éliminée par de vastes domaines servant au luxe des aristocrates romains et où prédominait le travail des esclaves [45]. Tout le monde connaît la conclusion de Pline : « Latifundia perdidere Italiant. »

L'esclave devient de plus en plus un objet de luxe au lieu d'être un facteur de production [46]. Horace, dans une de ses satires, disait que dix esclaves au moins étaient indispensables à un homme comme il faut. En fait, des milliers d'esclaves travaillaient dans les vastes latifundia.

« Dans les domaines de Tusculum et de Tibur, sur les rivages de Terracine et de Baia, là où les anciens fermiers latins avaient semé et récolté, on voyait s'élever maintenant dans une splendeur vide, les villas de nobles romains dont quelques-unes couvraient l'espace d'une ville de grandeur moyenne, avec leurs dépendances de jardins, d'aqueducs, de viviers d'eau douce et d'eau salée pour la conservation et la multiplication du poisson de mer et du poisson d'eau douce, des garennes à lièvres, à lapins, à cerfs, à chevreuils, à sangliers et des volières pour les faisans et pour les paons. » [47].

En même temps que le travail libre était éliminé par le travail servile, l'Italie devenait un immense centre de gaspillage des richesses drainées de tout l'Empire.

Des impôts écrasants ruinaient les provinces;

« les coûteux et fréquents armements maritimes et les défenses des côtes pour refréner la piraterie, la tâche de contribuer aux oeuvres d'art, aux combats de bêtes ou à d'autres exigences de luxe absurdes des Romains pour le théâtre et la chasse, étaient presque aussi fréquents qu'oppressifs et incalculables. Une seule circonstance peut montrer à quel point les choses étaient poussées. Pendant les trois années de l'administration de Caïus Verrès, en Sicile, le nombre des fermiers de Leontini était tombé de 84 à 32; à Motya, de 187 à 86; à Herbita, de 252 à 120; à Argyrium, de 250 à 80, en sorte que dans quatre districts les plus fertiles de Sicile, 59 % des propriétaires préféraient laisser leurs champs en friche que de les cultiver sous ce régime. Dans les Etats clients, les formes de la taxation étaient un peu différentes mais le fardeau était encore plus lourd, s'il est possible, depuis qu'aux exactions des Romains s'ajoutaient celles des cours des pays. » [48].

Le capitalisme romain, dans la mesure où le terme capitalisme lui était applicable, était essentiellement spéculatif et n'avait aucun rapport avec le développement des forces productives [49].

Le commerce et la banque de Rome ressemblaient à une entreprise de brigandage organisé.

« Mais ce qui était encore pire s'il est possible, et encore moins sujet au contrôle, c'était le mal causé par les hommes d'affaires d'Italie aux malheureux provinciaux. Les parties les plus productives de la propriété foncière et toutes les affaires commerciales et monétaires étaient concentrées dans leurs mains... L'usure florissait plus que jamais.»

« Toutes les cités, dit un traité publié en 684 (70 av. J.-C.) sont ruinées »; la même vérité est spécialement attestée en ce qui concerne l'Espagne et la Gaule narbonnaise, les provinces qui étaient économiquement parlant dans la même situation. Dans l'Asie Mineure, les villes comme Samos et Halicarnasse étaient presque vides : l'esclavage leur semblait un paradis, comparé avec ce tourment auquel les provinciaux libres succombaient et même les patients asiatiques étaient devenus, suivant les descriptions des hommes d'Etat romains, « fatigués de la vie. » [50].

« Les hommes d'Etat romains convenaient publiquement et franchement que le nom Romain était incroyablement odieux dans toute la Grèce et l'Asie. »

Il est clair que ce système de parasitisme et de brigandage ne pouvait se prolonger indéfiniment. La source des richesses où puisait Rome se tarissait.

Bien avant la chute de Rome, nous assistons à un ralentissement continu du commerce. La base du pillage se rétrécissait au fur et à mesure que Rome vidait les pays conquis de leur substance.

Le fait que la production des céréales, surtout celle du froment diminuait, tandis que la vigne et l'olivier conquéraient de vastes domaines à l'est et à l'ouest, constitue un indice alarmant de cet état de choses. Les produits de luxe éliminent les produits indispensables à la production et à la reproduction de la force de travail.

« L'extension de la culture de la vigne et de l'olivier ne signifiait pas seulement une aggravation des conditions économiques pour l'Italie mais pouvait avoir comme suite la pénurie de froment et la famine dans tout l'Empire. » [51].

C'est en vain que Trajan essaie de parer à ce danger en obligeant les sénateurs à acheter des terres en Italie. Ses successeurs n'auront pas beaucoup plus de succès. Le luxe tue la production.

« Bientôt les édifices superbes ne laisseront plus de terres à la charrue du laboureur », s'écrie Horace.

Au II° siècle, la décadence commerciale est complète. Les rapports avec les pays lointains sont interrompus.

«On n'a pas trouvé de monnaies romaines du II° siècle aux Indes » [52],

ce qui prouve une interruption d'échanges entre Rome et les Indes. La décadence de l'agriculture égyptienne était tellement prononcée au II° siècle qu'il fut nécessaire de renoncer à une partie des livraisons de blé de cette province autrefois si riche. Il fallut remplacer des livraisons égyptiennes par des fournitures de blé de la province d'Afrique (l'Algérie et la Tunisie actuelles) [53].

Commode se vit obligé de mettre sur pied une flotille destinée au transport du blé provenant de la province d'Afrique. Nous avons vu que le commerce dans l'Empire romain était principalement basé sur l'approvisionnement des classes riches de Rome. Est-il étonnant que l'épuisement des provinces ait été suivi par la décadence commerciale ? De plus en plus, les empereurs romains sont obligés de recourir à des réquisitions en nature, qui ne font d'ailleurs qu'aggraver le mal dont souffrent les provinces.

« Les réquisitions se multiplient : le blé, les peaux, le bois et les bêtes domestiques devaient être livrés et le paiement était très irrégulier, quand il était possible de compter là-dessus. » [54].

L'économie purement naturelle, productrice exclusive de valeurs d'usage, se substitue lentement à l'échange de produits.

« Alors que la paix romaine avait naguère pour conséquence l'échange régulier des choses et le nivellement des conditions de vie entre les différentes régions de l'Empire, dans l'anarchie du II° siècle, chaque pays est condamné souvent à vivre sur lui-même, péniblement et pauvrement. » [55].

On a essayé d'expliquer le remplacement graduel de l'esclavage par le colonat soit par le manque d'énergie des propriétaires fonciers, soit par la pénurie d'esclaves causée par la fin des guerres extérieures. C'est probablement la ruine graduelle des colonies, la cessation des arrivages des produits qui en est la raison essentielle. Les grands propriétaires, de plus en plus réduits à vivre des produits de leurs terres, ont intérêt à remplacer le travail d'esclaves, relativement peu productif, par le système du colonat qui ressemblait au système du servage qui s'épanouira au moyen âge.

« Le colon doit à son maître tout ce que le vilain devra à son seigneur. » [56].

De plus en plus s'accroît le pouvoir des propriétaires fonciers qui souvent disposent de formidables étendues de terres. En Egypte, au V° siècle, les paysans leur seront complètement soumis. L'administration étatique passe entièrement en leurs mains [57].

Il est donc certainement inexact de voir dans l'économie naturelle qui s'épanouira à l'époque carolingienne, un résultat de l'effondrement de l'Empire romain et de la destruction de l'unité économique méditerranéenne [58]. Sans doute, les invasions barbares jouèrent un rôle très important dans la décadence du commerce antique, dans l'épanouissement de l'économie féodale. Mais le déclin économique de l'Empire romain a commencé bien avant la chute de Rome et plusieurs siècles avant l'invasion musulmane. Un autre indice très important de l'évolution vers l'économie naturelle est l'altération monétaire commencée déjà sous la domination de Néron [59]. Le cuivre remplace de plus en plus l'or et l'argent. Au II° siècle, il y a pénurie presque complète d'or [60].

Le développement de l'économie naturelle, de l'économie essentiellement productive de valeurs d'usage, est donc loin de constituer un « phénomène anormal » comme le prétend Pirenne. L'Empire romain fut ruiné économiquement avant de l'être politiquement. L'ébranlement politique de l'Empire romain ne fut possible que par son déclin économique. Le chaos politique du III° siècle, comme l'invasion des Barbares, s'expliquent précisément uniquement par le déclin économique de l'Empire romain.

A mesure que les provinces sont ruinées, à mesure que cesse un échange intensif des marchandises, à mesure qu'on assiste à un retour à l'économie naturelle, l'existence même de l'Empire perd tout intérêt pour les classes possédantes. Chaque pays, chaque domaine se replie sur lui-même. L'Empire, avec son immense administration et son armée extrêmement coûteuse, devient un chancre, un organe parasitaire dont le poids insupportable pèse sur toutes les classes. Les impôts dévorent la substance des peuples. Sous Marc Aurèle, lorsque les soldats, après leurs grands succès contre les Marcomans, eurent demandé une augmentation de solde, l'empereur leur fit cette réponse significative :

« Tout ce que vous recevriez au-dessus de votre solde habituelle aurait dû être prélevé sur le sang de vos parents. »

Le Trésor était épuisé. Pour pouvoir entretenir l'appareil administratif et l'armée, il fallait s'attaquer aux fortunes des particuliers. Tandis que les classes inférieures ne cessent de se révolter, les classes possédantes se détournent de l'Empire qui les ruine. Après la ruine économique de l'Empire par l'aristocratie, l'aristocratie est ruinée à son tour par l'Empire.

« Journellement, on pouvait voir des gens qui hier étaient encore parmi les plus riches, devoir prendre le bâton de mendiant », disait Hérodien.

La sauvagerie des soldats croissait continuellement. Ce n'était pas seulement l'avidité qui les poussait à dépouiller les habitants; l'appauvrissement des provinces et le mauvais état des moyens de transport créant des difficultés pour l'approvisionnement des armées, les soldats étaient forcés d'employer la violence pour trouver ce qui était nécessaire à leur subsistance. Caracalla, en octroyant le citoyennat romain à tous les habitants romains, ne vise qu'à augmenter la masse imposable. Ironie de l'Histoire : tout le monde devint romain quand Rome n'était plus rien.

Les exactions de l'administration romaine, les excès de la soldatesque incitaient tous les habitants de l'Empire à vouloir sa destruction.

« Le séjour des soldats avait des conséquences catastrophiques. La population de Syrie lui préférait l'occupation du pays par les Parthes. » [61].
«Le Gouvernement romain devenait tous les jours plus odieux à ses sujets... L'inquisition sévère qui confisquait leurs biens et exposait souvent leurs personnes aux tortures, décida les sujets de Valentinien à préférer la tyrannie moins compliquée des Barbares. Ils rejetaient avec horreur le nom de citoyens romains si respecté, si envié de leurs ancêtres. » [62].

L'écrivain chrétien Salvien disait dans De Gubernatione Dei:

« Une grande partie de la Gaule et de l'Espagne appartient déjà aux Goths et tous les Romains ne souhaitent qu'une chose : ne plus revenir sous la domination de Rome. Je m'étonnerais que tous les pauvres et tous les nécessiteux n'eussent fui chez les Barbares, n'était-ce le fait qu'ils ne peuvent abandonner leurs foyers. Et nous, Romains, nous nous étonnons de ne pas pouvoir vaincre les Goths, alors que nous préférons vivre parmi eux plutôt que chez nous. »

Loin d'être un phénomène « anormal », l'invasion des Barbares était la conséquence normale de la décadence économique et politique de l'Empire. Même sans les invasions, l'Empire se serait probablement disloqué.

« Un des phénomènes les plus importants du développement intérieur de l'Asie Mineure et de la Syrie est le retour progressif au féodalisme... La révolte des Isauriens en Asie Mineure constitue le symptôme de la tendance à la formation d'Etats indépendants. » [63].

De même, la tentative de créer un Empire indépendant gallo-romain, les essais de dissidence prouvent combien peu solide était l'armature de l'Empire. Les Barbares n'ont fait que donner le coup de grâce à l'édifice branlant de l'Etat romain.

La cause essentielle de la décadence de l'Empire romain doit être cherchée dans la contradiction entre le luxe grandissant des classes possédantes, entre l'accroissement incessant de la plus value et l'immobilité du mode de production. Durant toute l'époque romaine, on enregistre très peu de progrès dans le domaine de la production. Les outils du cultivateur ont gardé leur forme primitive.

« Charrue, bêche, houe, pioche, fourche, faux, faucille, serpette, dans les exemplaires qui ont survécu ont passé, immuables, de génération en génération. » [64].

Le luxe croissant de l'aristocratie romaine et les frais de l'administration impériale provenaient de l'exploitation forcenée des provinces, ce qui eut comme conséquence le délabrement économique, la dépopulation, l'épuisement du sol [65]. Contrairement au monde capitaliste qui périra de la pléthore (relative) des moyens de production, le monde romain périt de leur insuffisance.

Les réformes de Dioclétien et de Constantin constituent une tentative d'asseoir l'Empire romain sur la base de l'économie naturelle.

« L'Etat se base maintenant sur la campagne et ses habitants. » [66].

Le paysan fut enchaîné à son lopin de terre. Chaque propriétaire foncier devint responsable de son domaine et du nombre de colons qui y étaient établis; c'est sur cette base que fut établi le nouvel impôt.

« Les réformes de Dioclétien en matière d'impôts et les édits des empereurs qui l'ont suivi firent du colon, un serf enchaîné à ses maîtres et à sa terre. » [67].

Il en fut de même des autres couches de la population - petits propriétaires, artisans, marchands, tous furent enchaînés à leur lieu d'habitation et à leur profession. L'époque de Constantin est l'époque de la domination illimitée des grands propriétaires fonciers, maîtres incontestés de vastes domaines princiers. L'aristocratie abandonne de plus en plus les villes qui tombent en décadence et se réfugie dans les somptueuses villas de campagne où elle vit entourée de ses clients et de ses serfs.

Les réformes de Dioclétien et de Constantin constituent des tentatives d'adapter l'Empire à l'économie naturelle. Mais nous avons vu que sur cette base l'Empire n'avait plus aucune raison d'être. Rien, sauf la tyrannie, ne liait plus ses diverses parties. Aussi, si au point de vue économique et social, Constantin ouvre une nouvelle époque historique symbolisée par l'adoption du christianisme, au point de vue politique, il commence le dernier acte de l'Histoire de l'Empire romain.

C) Judaïsme et christianisme

La situation que les Juifs s'étaient acquise à l'époque hellénistique semble ne pas avoir subi de transformations fondamentales après la conquête romaine. Les privilèges octroyés aux Juifs par les lois hellénistiques furent confirmés par les empereurs romains.

« Les Juifs jouissaient d'une conditions privilégiée dans l'Empire romain. » [68].

Le fait qu'à Alexandrie seule habitaient près d'un million de Juifs suffit pour caractériser leur rôle principalement commercial dans la Dispersion qui comptait trois millions et demi de Juifs plusieurs siècles avant la prise de Jérusalem, alors qu'un million à peine continuaient à demeurer en Palestine.

« Alexandrie, en Egypte, sous les empereurs romains, fut ce que Tyr avait été à l'époque de la splendeur du commerce phénicien... Sous le règne des Ptolémées, il s'était établi un commerce direct entre l'Egypte et l'Inde. De Thèbes, les caravanes se rendaient à Méroë, dans la Haute Nubie, dont les marchés étaient aussi fréquentés par les caravanes de l'intérieur de l'Afrique. Une flotte romaine se rendait à l'embouchure du Nil pour recevoir les objets précieux et les distribuer dans l'Empire. » [69].

Deux quartiers sur cinq, à Alexandrie, étaient habités par les Juifs [70]. Le rôle des Juifs à Alexandrie était tellement important qu'un Juif, Tibérius Julius Alexander, fut nommé gouverneur romain de cette ville.

Au point de vue de la culture, ces Juifs alexandrins étaient complètement assimilés et ne comprenaient plus que le grec. C'est à leur intention que les livres religieux hébraïques durent être traduits dans cette langue. Des communautés semblables à celle d'Alexandrie étaient disséminées dans tous les centres commerciaux de l'Empire. Les Juifs se répandirent en Italie, en Gaule et en Espagne. Jérusalem continuait à être le centre religieux du judaïsme diasporique.

« Les successeurs de David et de Salomon n'avaient guère plus de signification pour les Juifs de cet âge que Jérusalem pour ceux de notre temps. La nation trouvait sans doute, pour son unité religieuse et intellectuelle, un point de ralliement dans le petit royaume des Hasmonéens, mais la nation elle-même consistait non seulement en sujets des Hasmonéens, mais en une foule innombrable de Juifs dispersés dans tout l'Empire et dans l'Empire romain. Dans l'intérieur des cités d'Alexandrie et de Cyrène, les Juifs formaient des communautés administrativement et même localement distinctes, à peu près semblables aux « quartiers des Juifs », mais avec une position plus libre et surveillées par un « maître du peuple » comme juge supérieur et administrateur... Même à cette époque, l'affaire prédominante des Juifs était le commerce. » [71].

Dans les livres sibyllins de l'époque des Macchabéens, il est dit que « toutes les mers sont bondées de Juifs ».

« Ils sont allés dans presque toutes les villes et il serait difficile de trouver un endroit de la terre qui n'ait vu cette tribu ou qui n'ait été dominé par elle », dit Strabon.
« Que la plupart des Juifs, dans l'Antiquité, s'occupaient du commerce, cela est indiscutable pour les économistes. » [72].

Jérusalem était une grande et riche ville de 200.000 habitants. Son importance reposait avant tout sur le temple de Jérusalem. Les habitants de la ville et des environs vivaient avant tout de la masse des pèlerins qui affluaient dans la ville sainte.

« Dieu devint, pour les Juifs de Palestine, un moyen important d'assurer leur subsistance. » [73].

Ce n'étaient pas seulement les prêtres qui vivaient du service de Jéhovah, mais aussi les innombrables épiciers, changeurs de monnaies et artisans. Même les laboureurs et les pêcheurs de Galilée trouvaient certainement à Jérusalem des débouchés pour leurs produits. Il serait faux de croire que la Palestine fut entièrement habitée par les Juifs. Au Nord, il y avait plusieurs villes grecques. « Presque tout le reste de la Judée s'offre à nous fractionné entre des tribus mélangées d'Egyptiens, d'Arabes et de Phéniciens », dit Strabon [74].

Le prosélytisme juif prend des proportions de plus en plus imposantes vers le commencement de l'ère chrétienne.

« Pour beaucoup, il a certainement été tentant de faire partie d'une association commerciale si florissante et si étendue. » [75].

Déjà, en 139 avant J.-C., les Juifs sont bannis de Rome pour y avoir recruté des prosélytes. A Antioche, la plus grande partie de la communauté juive était composée des convertis.

C'est la position économique et sociale des Juifs dans la Diaspora qui, encore avant la chute de Jérusalem, rendit seule possible leur cohésion religieuse et nationale. Mais s'il est évident que la plupart des Juifs jouent un rôle commercial dans l'Empire romain, il ne faut pas penser que tous les Juifs soient des riches commerçants ou entrepreneurs. Au contraire, la majorité des Juifs se compose certainement de petites gens dont une partie tire sa subsistance directement ou indirectement du commerce : colporteurs, débardeurs, petits artisans, etc. C'est cette foule de petites gens qui, la première, est frappée par la décadence de l'Empire romain et souffre le plus des exactions romaines. Concentrée en grandes masses dans les villes, elle est capable de plus de résistance que le peuple des paysans dispersés dans les campagnes. Elle est aussi beaucoup plus consciente de ses intérêts. Aussi, la foule juive des grandes villes constituera-t-elle un foyer continuel de troubles et de soulèvements dirigés à la fois contre Rome et contre les riches.

Il est devenu de tradition de faire du soulèvement juif, en 70, une grande « insurrection nationale ». Cependant, si ce soulèvement était dirigé contre les exactions insupportables des procurateurs romains, il était aussi résolument hostile aux classes riches indigènes. Les aristocrates se déclarèrent tous contre la révolte. Par tous les moyens, le roi Agrippa et les autres membres des classes riches s'efforcèrent d'arrêter l'incendie. Il fallut que les zélotes massacrassent d'abord ces « gens de bien » avant de pouvoir s'attaquer aux Romains. Le roi Agrippa et Bérénice, après l'échec de leurs efforts de « conciliation », se trouvèrent non du côté des insurgés, mais du côté des Romains. Les membres des classes dirigeantes qui, comme Flavius Josèphe, avaient fait mine de vouloir aider les révolutionnaires, s'empressèrent de les trahir honteusement. D'autre part, la révolte en Judée ne fut pas unique en son genre. Plusieurs révoltes éclatèrent dans des villes grecques sous le règne de Vespasien. Une agitation sociale intense était menée par les philosophes cyniques que Vespasien dut chasser des villes. Les Alexandrins aussi montrèrent leurs sentiments hostiles à Vespasien.

« L'exemple de la Bithynie, les désordres à Alexandrie sous Trajan, montrent que la lutte de classes, en Asie Mineure et en Egypte, ne s'est jamais arrêtée. » [76].

Mais l'agitation sociale ne se limite pas aux masses urbaines, les plus touchées cependant par la décadence croissante de la vie économique. Les masses paysannes commencent aussi à se mettre en mouvement. La situation des paysans est déjà très mauvaise au I° et au II° siècle.

« La situation des fermiers s'aggrave de plus en plus en Egypte. Les conditions dans lesquelles vivaient les masses de la population égyptienne sont de beaucoup inférieures à la moyenne normale. L'impôt était écrasant, le mode de perception brutal et onéreux... » [77]

Sous Marc Aurèle, le mécontentement s'étend à toutes les provinces. L'Espagne refuse de fournir des soldats; la Gaule est pleine de déserteurs. Les révoltes se répandent en Espagne, en Gaule, en Afrique. Dans une supplique à l'empereur Commode, les petits fermiers africains disent :

« Nous nous enfuirons dans un lieu où nous pourrons vivre comme des hommes libres. »

Pendant le règne de Septime Sévère, le banditisme prend des proportions inouïes. Des bandes de « Heimatlos » ravagent diverses parties de l'Empire. Dans une supplique dont on a trouvé dernièrement un exemplaire, les petits fermiers de Lydie, en Asie Mineure, s'adressent en ces termes à Septime Sévère :

« Quand les percepteurs d'impôts de l'empereur apparaissent dans les villages, ils n'apportent rien de bon; ils tourmentent les habitants par des réquisitions insupportables et par des amendes... »

D'autres suppliques parlent de la brutalité et de l'arbitraire de ces mêmes employés.

La misère des masses urbaine et rurale offrit un terrain fertile à la propagation du christianisme. Rostovtzeff voit avec raison une liaison entre les révoltes juives et les révoltes populaires en Egypte et en Cyrénaïque sous le règne de Trajan et de Hadrien [78] . C'est dans les couches pauvres des grandes cités de la Diaspora que se répandit le christianisme.

«La première communauté communiste messianique se trouvait à Jérusalem, mais bientôt de telles communautés se fondèrent dans les autres villes habitées par un prolétariat juif. » [79].
« Les plus vieilles stations du commerce phénicien terrestre et maritime furent aussi les sièges les plus anciens du christianisme » [80].

Tout aussi bien que les insurrections juives étaient suivies d'insurrections de couches populaires non juives, la religion communiste juive s'étend rapidement parmi les masses païennes.

La communauté chrétienne primitive n'est pas née sur le terrain du judaïsme orthodoxe; elle était en rapport étroit avec les sectes hérétiques [81]. Elle était sous l'influence d'une secte communiste juive, les Esséniens «qui, dit Philon, n'ont pas de propriétés, pas de maisons, d'esclaves, de terres ou de troupeaux ».

Ils exercent l'agriculture, et le commerce leur est interdit. Le christianisme, à ses débuts, doit être considéré comme une réaction des masses travailleuses du peuple juif contre la domination des riches classes commerciales. Jésus, chassant les marchands du Temple, exprime la haine des masses populaires juives contre leurs oppresseurs, leur hostilité contre le rôle prédominant des riches commerçants. Au début, les chrétiens ne forment que de petites communautés sans grande importance. Mais c'est au II° siècle, époque de la grande misère dans l'Empire romain, qu'ils parviennent à devenir un parti extrêmement puissant.

« Au III° siècle, l'Eglise se renforça d'une façon extraordinaire. » [82].
« Au III° siècle, les témoignages du christianisme se multiplient à Alexandrie. » [83].

Le caractère populaire, antiploutocratique du christianisme primitif est indiscutable.

« Heureux les pauvres, car le royaume de Dieu vous appartient. Heureux vous qui avez faim, car vous serez rassasiés... »
« Mais malheur à vous, les riches. Malheur à ceux qui sont rassasiés, car vous aurez faim »,

dit l'Evangile de saint Luc. L'Epître de saint Jacques est aussi affirmative :

« Et maintenant, riches, pleurez, poussez des hurlements à cause des misères qui vous attendent. Vos richesses sont tombées en pourriture et vos vêtements ont été mangés par les vers. Votre or et votre argent se sont mouillés et leur rouille rendra témoignage contre vous et dévorera vos chairs comme un feu... Voilà que le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs et dont vous les avez frustrés, élève la voix et sa clameur a pénétré jusqu'au Seigneur Sabaoth. » (V, 1-4).

Mais avec le développement rapide du christianisme, ses dirigeants essaient d'émousser son tranchant antiploutocratique. L'Evangile de saint Matthieu montre le changement intervenu. Il y est dit :

« Heureux les pauvres d'esprit, car le royaume du Ciel vous appartient. Heureux ceux qui ont soif de justice, ils seront rassasiés. »

Les pauvres sont devenus des pauvres d'esprit; le royaume de Dieu n'est plus que le royaume du ciel; les affamés n'ont plus que soif de justice. La religion révolutionnaire des masses populaires se change en religion consolatrice de ces mêmes masses. Kautsky compare ce phénomène au révisionnisme social-démocrate. Il serait plus juste de comparer cette évolution au phénomène fasciste que nous connaissons actuellement. Le fascisme, aussi, essaie de se servir du « socialisme » pour raffermir le règne du capital financier. Il n'hésite pas devant les falsifications les plus éhontées pour tromper les masses, pour représenter le règne des magnats de l'industrie lourde comme le « règne du travail ».

Cependant, la « Révolution fasciste » a aussi un certain contenu économique et social. Elle clôt définitivement l'époque libérale et inaugure l'époque de la domination complète du capital des monopoles, antinomie du capitalisme de la libre concurrence. De même, il est insuffisant de dire que le christianisme est devenu un instrument de duperie des classes pauvres. Il devint l'idéologie de la classe des propriétaires fonciers qui s'est emparée d'un pouvoir absolu sous Constantin. Son triomphe coïncide avec le triomphe complet de l'économie naturelle. En même temps que le christianisme, l'économie féodale se répand dans toute l'Europe.

Il est certainement faux de rendre le christianisme responsable de la chute de l'Empire. Mais il a fourni l'armature idéologique aux classes qui se sont élevées sur ses ruines.

« Le clergé de l'Orient et de l'Occident condamna même le plus léger prêt à intérêt. » [84].

Il prenait ainsi en mains les intérêts de la nouvelle classe possédante dont toutes les richesses provenaient uniquement de la terre. La raison essentielle de la faillite du christianisme « prolétarien » et du triomphe du christianisme « fasciste » doit être recherchée dans l'état arriéré du mode de production de cette époque. Les conditions économiques n'étaient pas encore mûres pour le triomphe du communisme. Les luttes de classe du II° et du III° siècle n'aboutirent à aucun résultat pour les masses populaires [85].

Cela ne signifie pas que les classes pauvres aient accepté le triomphe du catholicisme sans résistance. L'abondance des hérésies constitue la meilleure preuve du contraire. Si l'Eglise officielle persécutait avec une telle fureur ces hérésies, c'est qu'elles représentaient, tout au moins en partie, les intérêts des classes pauvres. Un auteur du IV° siècle écrit de Constantinople :

« Cette ville, dit-il, est pleine d'esclaves et de gens de métier qui sont tous de profonds théologiens et qui prêchent dans les boutiques et dans les rues. Priez un homme de vous changer une pièce d'argent, il vous apprendra en quoi le Fils diffère du Père. Demandez à un autre le prix d'un pain, il vous répondra que le Fils est inférieur au Père. Informez-vous si le bain est prêt, on vous dira que le Fils a été créé de rien. »

Comme nous l'avons vu, le christianisme fut d'abord l'idéologie des masses juives pauvres. Les premières églises se forment autour des synagogues. Les judéo-chiétiens avaient leur évangile propre qu'on nommait l'Evangile selon les Hébreux. Mais probablement assez rapidement, les judéo-chrétiens se fondirent dans la grande communauté chrétienne. Ils s'assimilèrent dans la grande masse des convertis.

Depuis le II° siècle, époque de la grande extension du christianisme, on n'entend plus parler de la communauté juive d'Alexandrie. Il est probable que la plupart des Juifs alexandrins sont entrés dans le giron de l'Eglise [86]. L'Eglise alexandrine acquit pendant un certain temps l'hégémonie au sein de la religion nouvelle. Au concile de Nicée, c'est elle qui donne le ton aux autres communautés chrétiennes.

Mais si les couches paysannes du judaïsme embrassèrent avec ardeur l'enseignement de Jésus, il n'en fut pas de même de ses classes dominantes et commerçantes. Au contraire, elles persécutèrent avec ardeur la religion communiste primitive. Plus tard, quand le christianisme fut devenu la religion des grands propriétaires, quand ses tendances antiploutocratiques du début se furent limitées seulement au commerce et à l'usure, il est évident qu'alors aussi l'opposition des classes juives aisées ne perdit rien de son acuité. Au contraire, le judaïsme acquit de plus en plus conscience de son rôle propre. Malgré la décadence de l'Empire, le rôle du commerce fut loin d'être fini. Les classes dominantes ont toujours besoin des produits de luxe de l'Orient. Si les Juifs jouaient déjà un rôle important dans le commerce aux époques antérieures, ils deviennent de plus en plus les seuls intermédiaires entre l'Orient et l'Occident. Juif devient de plus en plus synonyme de marchand.

Le triomphe de l'économie naturelle et du christianisme permit donc d'achever le procès de sélection qui transforme les Juifs en classe commerçante. Vers la fin de l'Empire romain, il existe encore, certes, des groupes de Juifs dont l'occupation principale est l'agriculture ou l'élevage : en Arabie, en Babylonie, en Afrique du Nord. Les Juifs sont loin d'avoir disparu de Palestine. Contrairement à l'opinion des historiens et des idéologues idéalistes, les Juifs palestiniens n'ont pas été dispersés aux quatre coins de l'Univers par les Romains. Nous avons vu que la Diaspora avait eu d'autres causes. En 484, les empereurs eurent beaucoup de difficulté à réprimer une violente révolte des paysans samaritains. Au début du VII° siècle, les Juifs se jettent sur Tyr et massacrent sa population [87]. En 614, les bataillons juifs de Tibériade, de Nazareth et de la Galilée, aidèrent le roi perse à conquérir Jérusalem et y exterminèrent une multitude d'habitants. Encore au temps de l'invasion musulmane, les Juifs constituaient, d'après Caro, le fond de la population palestinienne [88]. La conquête musulmane produira ici des effets semblables à ceux qu'elle a eus dans tous les pays conquis.

La population, subjuguée, s'assimile progressivement aux conquérants. Tout comme l'Egypte perdit complètement son caractère propre sous la domination mahométane, la Palestine fut dépouillée définitivement de son caractère juif. Encore aujourd'hui, certains rites des paysans arabes de Palestine rappellent leur origine juive. Dans d'autres pays aussi, les groupes d'agriculteurs ou de pasteurs juifs sont soumis à une forte poussée assimilatrice et succombent tôt ou tard; et c'est là le phénomène essentiel de plus en plus perceptible par l'évolution historique. Seules, les communautés juives à caractère nettement commercial, nombreuses en Italie, en Gaule, en Germanie, etc. s'avèrent capables de résister à toutes les tentatives d'assimilation. Que reste-t-il des tribus juives pastorales d'Arabie, des agriculteurs juifs d'Afrique du Nord ? Rien, sauf des légendes. Au contraire, les colonies commerciales juives de la Gaule, de l'Espagne et de la Germanie, ne font que se développer et s'épanouir.

On ne peut donc dire que si les Juifs se sont conservés, ce n'est pas malgré, mais précisément à cause de leur dispersion. S'il n'y avait pas eu de Diaspora avant la chute de Jérusalem, si les Juifs étaient demeurés en Palestine, il n'y a aucune raison de croire que leur sort eût été différent de celui de toutes les nations antiques. Les Juifs, comme les Romains, les Grecs, les Egyptiens, se seraient mêlés aux nations conquérantes, auraient adopté leur religion et leurs moeurs. Si même les habitants actuels de la Palestine eussent continué à porter le nom de Juifs, ils eussent eu autant de commun avec les anciens Hébreux, que les habitants d'Egypte, de Syrie et de Grèce avec leurs ancêtres de l'Antiquité. Tous les peuples de l'Empire romain furent entraînés dans sa débâcle. Seuls, les Juifs se sont conservés parce qu'ils continuèrent à porter dans le monde barbare, qui a succédé à Rome, les vestiges du développement commercial qui avait caractérisé le monde antique. Après que le monde méditerranéen se fut disloqué, ils continuèrent à relier entre elles ses parties éparses.

 

D) Les Juifs après la chute de l'Empire romain

C'est donc bien la transformation de la nation juive en classe qui est à l'origine de la « conservation du judaïsme ». A l'époque de la ruine de l'Empire romain, leur rôle commercial ne cesse de prendre de l'importance.

« Si les Juifs avaient déjà participé avant la chute de l'Empire romain au commerce mondial, ils atteignirent une prospérité plus grande encore après sa fin. » [89].

Il est probable que les marchands, syriens, dont on parle à la même époque, étaient aussi juifs. Cette confusion était fréquente dans l'Antiquité. Ovide parle, par exemple, du

« jour peu propre aux affaires, où revient, chaque semaine, la fête célébrée par les Syriens de Palestine » [90].

Au IV° siècle, les Juifs appartenaient aux couches aisées et riches de la population... Chrysostome dit des Juifs qu'ils possèdent de grandes sommes d'argent et que les Patriarches rassemblent des trésors immenses. Il parle des richesses des Juifs comme d'un fait que les contemporains connaissent bien [91].

Pour de longs siècles, les Juifs seront les uniques intermédiaires commerciaux entre l'Orient et l'Occident. Le centre de la vie juive s'établit de plus en plus en Espagne et en France. Le maître de poste arabe, Ibn Khordâdhbeh (IX° siècle), parle dans son livre des routes des Juifs radamites qui, dit-il,

« parlent le persan, le romain, l'arabe, les langues franque, espagnole et slave. Ils voyagent d'Occident en Orient et d'Orient en Occident, tantôt par terre et tantôt par mer. Ils apportent de l'Occident des eunuques, des femmes esclaves, des garçons, de la soie, des pelleteries et des épées. Ils s'embarquent dans le pays des Francs, sur la mer Occidentale et se dirigent vers Faramâ (Peluse)... Ils se rendent dans le Sind, l'Inde et la Chine. A leur retour, ils se chargent de musc, d'aloès, de camphre, de cannelle et d'autres produits des contrées orientales. Quelques-uns font voile vers Constantinople, afin d'y vendre leurs marchandises; d'autres se rendent dans le pays des Francs ».

C'est sûrement à leurs importations que se rapportent les vers de Théodulphe relatifs à la richesse de l'Orient. L'Espagne est encore mentionnée dans le texte d'une formule de Louis le Pieux à propos du Juif Abraham de Saragosse... Les Juifs sont donc les pourvoyeurs d'épices et d'étoffes précieuses. Mais on voit par les textes d'Agobard qu'ils vendent aussi du vin. Ils s'occupent, au bord du Danube, du commerce du sel. Au X° siècle, des Juifs possèdent des salines près de Nuremberg. Ils font aussi le commerce d'armes. En outre, ils exploitent les trésors des églises. Mais leur grande spécialité c'est le commerce d'esclaves. Quelques-uns se vendent dans le pays mais la majorité est exportée en Espagne. « Juif » et « marchand » deviennent des termes synonymes [92].

Ainsi, il est dit dans un édit du roi Louis :

« Des marchands, C'est-à-dire des Juifs et d'autres marchands, d'où qu'ils viennent, de ce pays ou d'autres pays, doivent payer une taxe juste soit pour des esclaves soit pour d'autres marchandises, de même qu'il en était d'usage sous d'autres rois. » [93].

Il est indubitable qu'à l'époque carolingienne, les Juifs étaient les principaux intermédiaires entre l'Orient et l'Occident. Leur position déjà prédominante dans le commerce à l'époque du déclin de l'Empire romain, les a bien préparés à ce rôle. On les traitait alors à l'égal des citoyens romains. Le poète Rutilius se plaignait que la nation vaincue opprimait les vainqueurs [94].

Au milieu du IV° siècle, des commerçants juifs s'étaient fixés à Tongres et à Tournai. Les évêques entretenaient les meilleures relations avec eux et encourageaient fortement leur commerce. Sidoine Apollinaire priait l'évêque de Tournai (en 470) de les accueillir favorablement, étant donné que « ces gens faisaient habituellement de belles affaires » [95].

Au VI° siècle, Grégoire de Tours parle des colonies de Juifs à Clermont-Ferrand et à Orléans. Lyon possédait également à cette époque, une nombreuse population de commerçants juifs [96]. L'archevêque de Lyon Agobard, dans sa lettre de Insolentia Judoeorum, se plaint que les Juifs vendent des esclaves chrétiens en Espagne. Le moine Aronius, au VIII° siècle, mentionne un Juif habitant le pays des Francs, qui rapportait des choses précieuses de Palestine [97].

Il est donc évident qu'en France, dans les premiers siècles du Moyen Age, les Juifs sont essentiellement commerçants [98]. En Flandre, où les Juifs habitaient depuis les invasions des Normands et jusqu'à la première croisade, le commerce se trouvait entre leurs mains [99]. Vers la fin du IX° siècle, il y avait à Huy une grande communauté juive. Les Juifs y occupaient une position importante et faisaient un commerce florissant... En 1040, à Liège, ils tenaient le commerce entre leurs mains [100]. En Espagne,

« tout le commerce extérieur était exploité par eux. Ce commerce s'étendait sur toutes les denrées du pays : vins, huiles, minéraux. Les étoffes et les épices leur arrivaient du Levant. Il en était de même dans les Gaules » [101].

Les Juifs de Pologne et de Petite Russie, se rendaient également en Europe occidentale pour y vendre des esclaves, des fourrures et du sel et pour y acheter toutes sortes d'étoffes. On lit dans une source hébraïque du XII° siècle que les Juifs achetaient sur les marchés rhénans, de grandes quantités d'étoffes de Flandre, pour les échanger en Russie contre des fourrures. Le commerce juif entre Mayence et Kiev, « la place du commerce la plus importante de la plaine du Sud » [102], était très intense [103] .

Il y avait certainement une importante colonie commerciale de Juifs à cette époque à Kiev, puisqu'on lit dans une chronique de 1113 que

« pour décider Monomaque à venir le plus tôt à Kiev, les habitants de cette ville lui firent savoir que la population s'apprête à piller les Boïars et les Juifs » [104].

Le voyageur arabe Ibrahim Al-Tartoushi témoigna également de l'ampleur du commerce juif entre l'Europe et l'Orient. Il écrit en 973, visitant Mayence :

« Il est merveilleux que sur un point aussi éloigné de l'Occident, on trouve de telles quantités d'épices provenant de l'Orient le plus éloigné. »

Dans l'histoire mise sous le nom du juif Ben Gourion, dans l'oeuvre du géographe arabo-persan Qazwini et la relation de voyage du juif espagnol Ibrahim ibn Iakov, du X° siècle, on mentionne le prix du blé à Cracovie et à Prague, et des mines de sel appartenant aux Juifs [105]. D'après Gumplowicz, les Juifs étaient les seuls intermédiaires entre les bords de la Baltique et l'Asie. Un vieux document caractérise ainsi les Khazars, peuplade mongole de la mer Caspienne, convertie au judaïsme:

« Ils n'ont pas d'esclaves de la terre parce qu'ils achètent tout au moyen de l'argent.» [106].

Itil, la capitale des Khazars, était un grand centre commercial d'où partait le trafic des marchandises aboutissant à Mayence.

Le converti Herman raconte, dans un écrit autobiographique, que lorsqu'il était encore juif, à l'âge de 20 ans (à peu près en 1127), il voyageait régulièrement de Cologne à Mayence pour s'occuper des affaires commerciales, car « tous les Juifs s'occupent du commerce » (siquidem omnes judaei negotiationi inserviunt).

Les paroles du Rabbin Eliezer ben Natan sont aussi caractéristiques pour l'époque :

« Le commerce, mais c'est là notre moyen de subsistance principal. » [107].

Les Juifs constituent

« la seule classe dont la subsistance est due au négoce. Ils sont en même temps, par le contact qu'ils conservent les uns avec les autres, le seul lien qui subsiste entre l'Orient et l'Occident ». [108].

La situation des Juifs dans la première moitié du Moyen Age est donc extrêmement favorable. Les Juifs sont considérés comme faisant partie des classes supérieures de la société et leur situation juridique ne s'éloigne pas sensiblement de celle de la noblesse. Sous Charles le Chauve, l'édit de Pîtres (864) punit la vente de l'or ou de l'argent impurs par le fouet, lorsqu'il s'agit de serfs ou de corvéables, et d'une amende d'argent quand il s'agit de Juifs ou d'hommes libres [109].

« Les Juifs remplissaient alors un rôle qui répondait à une urgente nécessité économique, que personne d'autre ne pouvait satisfaire : la profession commerciale » [110].

Les historiens bourgeois ne voient généralement pas de grande différence entre le commerce et l'usure antiques ou moyenâgeux et le capitalisme à notre époque. Cependant, il y a entre le commerce médiéval et l'usure qui lui est liée, au moins autant de distance qu'entre le grand propriétaire capitaliste travaillant pour le marché et le seigneur féodal; entre le prolétaire moderne et le serf ou l'esclave. Le mode de production dominant, à l'époque de la prospérité commerciale des Juifs, était féodal. On produisait essentiellement des valeurs d'usage et non pas des valeurs d'échange. Chaque domaine se suffisait à soi-même. Seuls, certains produits de luxe : épices, étoffes précieuses, etc., étaient l'objet d'un échange. Les seigneurs cédaient une partie des produits bruts de leurs terres contre ces marchandises rares venant de l'Orient.

La société féodale, basée sur la production des valeurs d'usage et le « capitalisme » dans sa forme primitive commerciale et usuraire, ne s'excluent pas mais se complètent.

« Le développement autonome et prédominant du capital comme capital commercial correspond à un système de production dans lequel le capital ne joue aucun rôle, et à ce point de vue on peut dire qu'il est en raison inverse du développement économique de la société... Aussi longtemps que le capital commercial assure l'échange des produits de communautés peu développées, il réalise non seulement en apparence, mais presque toujours en réalité, des profits exagérés et entachés de fraude. Il ne se borne pas à exploiter la différence entre les coûts de production des divers pays, en quoi il pousse à l'égalisation des valeurs des marchandises, mais il s'approprie la plus grande partie de la plus-value. Il y parvient en servant d'intermédiaire entre les communautés qui produisent avant tout des valeurs d'usage et pour qui la vente de ces produits à leur valeur est d'une importance secondaire, ou en traitant avec des maîtres d'esclaves, des seigneurs féodaux, des gouvernements despotiques, qui représentent la richesse jouisseuse... » [111].

Tandis que le capital commercial ou bancaire moderne n'est, économiquement parlant, qu'un appendice du capital industriel et ne fait que s'approprier une partie de la plus-value créée dans le procès de la production capitaliste, le capital commercial et usuraire réalise ses bénéfices en exploitant la différence entre les coûts de production des divers pays, en s'appropriant une partie de la plus-value extorquée à leurs serfs par les seigneurs féodaux.

« C'est toujours la même marchandise en quoi l'argent se convertit dans la première phase et qui dans la seconde phase se convertit en plus d'argent. » [112].

Le marchand juif n'investit pas de l'argent dans la production comme le fera, quelques siècles plus tard, le marchand des grandes villes médiévales. Il n'achète pas des matières premières, il ne finance pas les artisans drapiers. Son capital commercial n'est que l'intermédiaire entre des productions qu'il ne domine pas et dont il ne crée pas les conditions [113].

Au commerce se lie intimement le prêt à intérêt, l'usure. Si la richesse accumulée dans les mains de la classe féodale implique le luxe et le commerce qui sert à le procurer, le luxe à son tour, devient le signe distinctif de la richesse. Au début, le surproduit accumulé permet au seigneur l'acquisition des épices, des tissus orientaux, des soieries; plus tard, tous ces produits deviennent les attributs de la classe dominante. L'habit commence à faire le moine. Et lorsque les revenus ordinaires ne permettent pas de mener le train de vie qui devient habituel à la classe des propriétaires, il faut emprunter. Un deuxième personnage s'ajoute au marchand : l'usurier. Généralement, à cette époque le second personnage ne fait qu'un avec le premier. Seul le marchand dispose des écus nécessaires au riche dissipateur noble. Mais ce n'est pas seulement le seigneur qui a recours à l'usurier. Quand le roi a besoin de réunir une armée immédiatement et que le produit normal des impôts ne suffit pas, il est obligé de s'adresser à l'homme aux écus. Lorsque le paysan, par suite d'une mauvaise récolte, d'une épidémie ou du poids exorbitant des taxes, des impôts et des servitudes, ne peut plus s'acquitter de ses charges; quand il a mangé ses semences, quand il ne peut plus renouveler les instruments de travail usés, il doit emprunter ce qui lui est nécessaire chez l'usurier.

Le trésor de l'usurier est donc indispensable à une société à base d'économie naturelle; il constitue la réserve où puise la société lorsque diverses circonstances accidentelles interviennent.

« Le capital productif d'intérêts, le capital usuraire, si nous lui appliquons le nom qui correspond à sa forme primitive, appartient, avec son frère, le capital commercial, aux formes antédiluviennes du capital, aux formes antérieures de loin à la production capitaliste et qui se retrouvent dans les organisations les plus différentes de la société. » [114].
« Que les Juifs allemands prêtaient sur gages déjà avant la première croisade, cela est indiscutable. Quand en 1107, l'évêque Herman de Prague mit en gage chez les Juifs de Ratisbonne des magnifiques draperies d'église pour la somme de 500 marks d'argent, il est difficile de croire que ce fut là la première opération de crédit de ce genre. Du reste, un document hébraïque témoigne que le prêt sur gage était habituel aux Juifs allemands de ce temps. Mais à cette époque, le crédit ne constituait pas encore une profession indépendante, il était étroitement lié au commerce. » [115].

Souvent les rois et les grands seigneurs engageaient chez les Juifs les produits des impôts et des taxes. Et c'est ainsi que nous voyons apparaître des Juifs dans le rôle de fermiers d'impôts, de percepteurs de taxes [116]. Les ministres des Finances des rois du haut Moyen Age, étaient souvent juifs. En Espagne, jusqu'à la fin du XIV° siècle, les grands banquiers juifs étaient en même temps les fermiers d'impôts. En Pologne, les

« rois confiaient aux Juifs les fonctions importantes de l'administration financière de leurs domaines... Sous Casimir le Grand et Ladislas Jagellon, on n'affermait pas seulement aux Juifs les impôts publics, mais aussi des sources de revenus aussi importants que la monnaie et les salines royales. Ainsi par exemple, on sait que le « Rothschild » de Cracovie, Levko, le banquier de trois rois polonais, a affermé, dans la deuxième moitié du XIV° siècle, les fameuses salines de Wieliczka et de Bochia, et qu'il administrait aussi l'hôtel des monnaies de Cracovie » [117].

Aussi longtemps que dominait l'économie naturelle, les Juifs lui étaient indispensables. C'est son déclin qui donnera le signal des persécutions contre les Juifs et compromettra pour longtemps leur situation.


Notes

[1] C'est probablement la prospérité commerciale de la Palestine qui la fit apparaître aux yeux des Israélites comme le pays « de miel et de lait ». Il est probable que l'invasion israélite a porté un coup grave au commerce palestinien. Mais avec le temps, les Israélites ont repris à leur compte les relations profitables avec les pays du Nil et de l'Euphrate.

[2] C'est donc, dès le début, une situation géographique et historique spécifique qui détermina le caractère commercial des Phéniciens et des Juifs. Il est évident que seuls la proximité des centres de civilisation pourvus d'une industrie relativement importante et le voisinage de pays produisant déjà en partie pour l'échange pouvaient permettre le développement des peuples spécifiquement commerçants comme les Phéniciens et les Juifs. C'est à côté des premiers grands centres de la civilisation que se développèrent les premiers grands peuples commerçants.

[3] E. C. Movers, Die Phönizier, Bonn, 1841-1856, p. 17.

[4] « Déjà avant l'arrivée des Israélites au Canaan, le commerce s'y trouvait à un haut degré de développement. Dans les lettres datant du XV° siècle avant J.-C., on parle de caravanes traversant Tell-el-Amarna. D F. Bühl, Die sozialen Verhältnisse der Israeliten, Berlin, 1899, p. 76.

[5] Movers, op. cit., p. 19.

[6] Movers, op. cit., p. 18.

[7] Movers: « Par leur infatigable ardeur commerciale et leur indestructible esprit d'entreprise, les Phéniciens s'étaient acquis le nom d'un peuple commercial auquel n'avait pu se comparer aucun peuple antique. C'est plus tard seulement, au Moyen Age, que ce nom, avec toutes les mauvaises notions qui s'y attachaient, passa à leurs voisins et héritiers commerciaux, les Juifs de la Diaspora. » op. cit., p. 26.

[8] J. Toutain, L'Economie antique, Paris, 1927, pp. 24-25.

[9] Ces « marins grecs » semblent avoir été surtout des métèques, des étrangers établis en Grèce. Le rôle commercial des Phéniciens avait été lié au développement des civilisations égyptienne et assyrienne; l'essor de la civilisation hellénique eut pour résultat la prospérité commerciale des métèques.

[10] Toutain, op. cit., p. 40.

[11] Toutain, op. cit., p. 68.

[12] J. Hasebroek, Staat und Handel im alten Griechenland, Tübingen, 1928, p. 112.

[13] Hasebroek, op. cit., p. 78. La production des valeurs d'usage demeure le fondement de l'économie. Tout ce qu'on peut admettre, c'est que la production pour l'échange, a pris en Grèce le maximum d'extension rendue possible par le mode de production antique.

[14] Pierre Roussel, La Grèce et l'Orient, Paris, 1928 (coll. Halphen et Sagnac, II), p. 301. Voir aussi M. Clerc, Les Métèques athéniens, Paris, 1893, p. 396: « Le commerce maritime était, en effet, en grande partie entre les mains des métèques. »; et H. Francotte, L'industrie dans la Grèce ancienne, Bruxelles, 1900, I, p. 192: « Le commerce maritime à Athènes paraît surtout dans les mains des étrangers. ».

[15] « On ne peut pas plus parler de la commercialisation du monde que de son industrialisation. Le caractère agraire de l'économie est prédominant même au IV° siècle... » Hasebroek, op. cit., p. 101.

[16] « On ne peut pas plus parler de la commercialisation du monde que de son industrialisation. Le caractère agraire de l'économie est prédominant même au IV° siècle... » Hasebroek, op. cit., p. 101.

[17] « Tout rapprochement entre les ports de la Grèce antique et les places modernes de Gênes et de Marseille, ne peut que provoquer le scepticisme ou le sourire. Cependant le spectacle donné par cet échange, ces transports, ces allées et venues de marchandises, était alors nouveau en Méditerranée, il différait profondément par son intensité et par sa nature, de celui qu'avait offert le commerce phénicien, simple colportage maritime, plutôt qu'un véritable négoce. » Toutain, op. cit., p. 84.

[18] C. Autran, Phéniciens, Paris, 1920, p. 51.

[19] L. Brentano, Das Wirtschaftsleben des antiken Welt, Jena, 1929, p. 79.

[20] A. Causse, Les Dispersés d'Israël, Paris, 1929, p. 7.

[21] A. Causse, Les Dispersés d'Israël, p. 54.

[22] Esdras, I, 6.

[23] Jüdisches Lexikon, Berlin, 1927, ss., art. « Elephantine ».

[24] A. Causse, Les Dispersés d'Israël, p. 79.

[25] Second livre des Macchabées, III, 6.

[26] Eduard Meyer, Blüte und Niedergang des Hellenismus in Asien, Berlin, 1925, p. 20.

[27] Pierre Roussel, La Grèce et l'Orient, p. 486.

[28] Roussel, op. cit., p. 480.

[29] L. Brentano, Das Wirtschaftsleben des antiken Welt, p. 78.

[30] Ed. Meyer, op. cit., p. 84.

[31] André Pigamol, La Conquête romaine, 4° éd., Paris, 1944 (Coll. Halphen et Sagnac, III), p. 207.

[32] Ces luttes de classes sont strictement limitées à la population libre des cités grecques. « Une égalité plus ou moins grande dans la possession des biens paraissait nécessaire au maintien de cette démocratie politique. C'est là l'origine des guerres sanglantes entre les riches et les pauvres, où finit par aboutir la démagogie hellénique. Mais jamais les esclaves, les serfs, les métèques, ne prennent part à ces revendications... » Claudio Jannet, Les Grandes Epoques de l'Histoire économique jusqu'à la fin du XVI° siècle, Paris-Lyon, s.d., p. 8.

[33] « Avec l'hellénisme, le centre économique du monde se déplaçait vers l'Orient. » K. J. Beloch, Geschichte Griechenlands (Hellas und Rom), p. 232.

[34] Voir Fustel de Coulanges, La Cité antique, Paris, 1863.

[35] Maurice Holleaux, Rome, La Grèce et les monarchies héllénistiques, au III° siècle av. J.-C., Paris, 1921, p. 231.

[36] André Pigamol, op. cit., p. 232.

[37] H. Cunow, Allgemeine Wirtschaftsgeschichte, Berlin, 1926-1929, II, p. 61.

[38] Henri Pirenne, Histoire de l'Europe, Bruxelles, 1936, p. 14.
« Les produits affluaient vers le centre sans qu'il y eut un courant compensateur en retour » G. Legaret, Histoire du développement du Commerce, Paris, 1927, p. 13.

[39] Tenney Frank, An Economic History of Rome to the End of the Republic, Baltimore, 1920, p. 108.

[40] Idem, p. 118.

[41] Idem, p. 261.

[42] Strabon, Géographie, XIV, 5.

[43] Tenney Frank, ibid., pp. 102 s., cité par Toutain, op. cit., p. 300. Toutain ne partage pas cette opinion.

[44] Jean Hatzfeld, Les trafiquants italiens dans l'Orient hellénique, Paris, 1919, pp. 190, 191.

[45] « A l'époque des Auguste, la disparition des paysans était l'objet de préoccupations journalières des cercles, dirigeants. » Rostovtzeff, Gesellschaft und Wirtschaft im Römischen Kaiserreich, Leipzig, 1931, t. I, p. 56.

[46] K. Kautsky, De Oorsprong van het Christendom, p. 359.

[47] Th. Mommsen, Histoire romaine, tome VII, p. 233.

[48] Idem., p. 264.

[49] G. Salvioli, Le capitalisme dans le monde antique, trad. fr., Paris, 1906.

[50] Th. Mommsen, Histoire romaine, tome VII, p. 267.

[51] M. Rostovtzeff, op. cit., I, p. 165.

[52] Idem, II, p. 180.

[53] Wilhelm Schubart, Aegypten von Alexander dem Grossen bis auf Mohammed, Berlin, 1922, p. 167.

[54] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 135.

[55] E. Albertini, L'Empire romain, (Coll. Halphen et Sagnac, IV), 3° éd., Paris, 1939, p. 306.

[56] E. Lavisse et A. Rambaud, Histoire générale du IV° siècle à nos jours, I, Paris, 1894, p. 16.

[57] W. Schubart, Aegypten von Alexander dem Grossen bis auf Mohammed, p. 29. Très significative est aussi la disparition graduelle de la classe des Chevaliers, la classe des « Capitalistes » romains.

[58] « L'organisation domaniale, telle qu'elle apparaît à partir du IX° siècle, est donc le résultat des circonstances extérieures; on n'y remarque rien d'une transformation organique. Cela revient à dire qu'elle est un phénomène anormal. » « L'Empire français va jeter les bases de l'Europe du Moyen Age. Mais la mission qu'il a remplie a eu pour condition essentielle le renversement de l'ordre traditionnel du monde; rien ne l'y aurait appelé si l'évolution historique n'avait été détournée de son cours et pour ainsi dire désaxée par l'invasion musulmane. Sans l'Islam, l'Empire franc n'aurait sans doute jamais existé et Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable. » (H. Pirenne, Les Villes du Moyen Age, Bruxelles, 1927.) Pour Pirenne, l'économie féodale résulte donc de la destruction de l'unité méditerranéenne provoquée principalement par l'invasion musulmane.

[59] M. Rostovtzeff, op. cit., I, 125.

[60] Salvioli, Le capitalisme dans le monde antique.

[61] E. Gibbon, Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, trad. fr., Paris, 1835-1836, t. I, p. 840.

[62] Gibbon, Décadence et chute de l'Empire romain, p. 840.

[63] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 141.

[64] Toutain, op. cit., p. 363.

[65] Certains auteurs voient dans la dépopulation et l'épuisement du sol les causes essentielles de la décadence de l'Empire.

[66] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 213.

[67] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 232.

[68] Jacques Zeiller, L'Empire romain et l'Eglise, Paris, 1928 (coll. Histoire du monde, V, 2), p. 28.

[69] G.-B. Depping, Histoire du commerce entre l'Europe et le Levant, Paris, 1826.

[70] W. Schubart, op. cit., p. 23.

[71] Th Mommsen, Histoire romaine, tome VII, p. 274.

[72] W. Roscher, Die Juden im Mittelalter, p. 328.

[73] K. Kautsky, De oorsprong van het Christendom, p. 223.

[74] Strabon, Géographie, XVI, 2, 34.

[75] K. Kautsky, op. cit., p. 220.

[76] M. Rostovtzeff, op. cit., I, p. 99. Ailleurs: « En Mésopotamie, en Palestine, en Egypte et dans la Cyrénaïque, les révoltes juives sanglantes et dangereuses éclatèrent après la mort de Trajan. La Cyrénaïque en fut fortement ravagée. » Rostovtzeff, II, p. 76.

[77] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 64.

[78] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 65.

[79] K. Kautsky, op. cit., p. 330.

[80] Movers, Die Phönizier, p. 1.

[81] Hölscher, Urgemeinde und Spätjudentum (Avhandlinger utgitt av Det Norske Videnskaps Akademie i Oslo, Hist.-filos. klasse, 1928, n° 4), p. 26.

[82] M. Rostovtzeff, op. cit., II, p. 223.

[83] W. Schubart, op. cit., p. 97.

[84] Gibbon, op. cit., tome II, pp. 196-7.

[85] Elles furent la manifestation de la décadence de l'économie romaine. Mais les classes inférieures n'étaient pas en mesure de se hisser au pouvoir. Une nouvelle classe possédante se servit de leur idéologie pour s'imposer. Un changement était nécessaire; il se fit à son profit exclusif. Il en est de même, mutatis mutandis, pour la « Révolution fasciste ».

[86] W. Schubart, op. cit., p. 46.

[87] Samuel Krauss, Sudien zur byzantinischen-jüdischen Geschichte, Vienne, 1914.

[88] G. Caro, Sozial- und Wirtschaftsgeschichte der Juden im Mittelalter und der Neuzeit, 1908-1920.

[89] L. Brentano, Eine Geschichte der wirtschaftlichen Entwicklung Englands, Jena, 1927-1929, p. 361.

[90] Si même ces Syriens ne sont pas juifs, c'est un fait qu'on n'en parle plus à l'époque carolingienne. Il est possible qu'ils se soient fondus dans les communautés commerciales juives, à moins qu'ils n'aient disparu complètement pour d'autres causes. A l'époque carolingienne, « Juif » est parfaitement synonyme de «marchand».

[91] Rabbin Dr. L. Lucas, Zur Geschichte der Juden in vierten Jahrhundert, Berlin, 1910.
«A Antioche, saint Jean Chrysostome montre les Juifs occupant les premières positions commerciales de la cité, faisant suspendre toutes les affaires quand ils célèbrent leurs fêtes. » C. Jannet, Les Grandes Epoques de l'Histoire économique, p. 137.

[92] Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, 2° éd., p. 237.

[93] Dr. Julius Brutkus, Der Handel der westeuropäischen Juden mit dem mittelalterlichen Kiew (en yiddish), dans Schriften für Wirschaft und Statistik, 1928.

[94] De reditu suo, I, 398; cf. G. B. Depping, Les Juifs dans le Moyen Age, Paris, 1834, p. 18.

[95] S. Ullman, Histoire des Juifs en Belgique jusqu'au XVIII° siècle, Anvers, s.d., pp. 9-10.

[96] H. Pirenne, Les villes au Moyen Age, p. 313.

[97] I. Schipper, Anfänge des Kapitalismus bei den abenländischen Juden im früheren Mittelalter,1907.

[98] H. Sée, Esquisse d'une histoire économique et sociale de la France, Paris, 1929, p. 91.

[99] Verhoeven, Algemeene Inleiding tot de Belgische Historie, cité par Ullmann, op. cit.,p. 8.

[100] Ullmann, op. cit., pp. 12-14.

[101] Bédarride, Les Juifs en France, en Italie, en Espagne, p. 53.

[102] H. Pirenne, op. cit..

[103] Dr. Julius Brutzkus, op. cit..

[104] Idem.

[105] Schipper, Anfänge des Kapitalismus bei den abendländischen Juden.

[106] Dr. Julius Brutzkus, Di Geshikhte fun di Bergyiden oyf kavkaz (Histoire des Juifs montagnards au Caucase), en yiddish, dans Historishe Shriften fun Yivo (Yivo Studies in History), t. 2, Wilno, 1937, pp. 26-42, résumé anglais, pp. VI-VII.

[107] I. Schipper, Yidishe Geschikhte (Wirtschaftsgeshikhte), Varsovie, 1930 (en yiddish), tome II, p. 45.

[108] Henri Pirenne, Mahomet et Charlemagne, p. 153.

[109] Les Juifs sont même mieux protégés que les nobles par le privilège accordé à ceux de Spire par Henri IV (1090). Le chroniqueur polonais du XII° siècle, Vincenti Kadlubek, nous apprend que la même peine, la « septuaginta », qui était fixée pour lèse-majesté ou pour le blasphème, était appliquée aux assassins des Juifs. En 966, l'évêque de Vérone se plaignait que lors de batailles entre clercs et Juifs, les premiers étaient punis d'une amende triple à celle que devaient payer les Juifs.

[110] W. Roscher, Die Juden im Mittelalter, p. 324.

[111] Karl Marx, Das Kapital, III, Bd., Berlin, 1953, pp. 359, 362-3; cf. la trad. française, livre III, t. 1, Paris, Ed. sociales, 1957, pp. 336-339.

[112] Karl Marx, Le Capital, livre III.

[113] Karl Marx, op. cit., livre III, p. 362 (éd. allemande, Berlin, 1953); t. 1, p. 338 (trad. française, Paris, 1957).

[114] Karl Marx, Le Capital, livre III (Das Kapital, III, Berlin, 1953, p. 641; trad. franç., livre III, t. 2, Paris Ed. sociales, 1959, p. 253).

[115] Caro, op. cit., p. 197.

[116] « Les banquiers se chargeaient aussi d'opérer la recette des grandes propriétés seigneuriales. Ils faisaient en quelque sorte fonction de régisseurs et d'intendants. »
G. Davenel, Histoire économique de la Propriété, etc., Paris, 1886-1920, tome I, p. 109.

[117] I. Schipper, Yidishe Geschikhte, tome IV, p. 224.


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