1946

Source : Quatrième Internationale, n°30, juin-juillet 1946. Signé E. Germain.

Ernest Mandel

Problèmes de la révolution européenne

Juin-juillet 1946

Avec une conformité remarquable, partout dans le monde les organisations trotskystes, isolées momentanément par suite des événements militaires, ont élaboré une ligne politique commune escomptant une montée révolutionnaire mondiale comme résultat et aboutissement de la seconde guerre mondiale [1]. Elles se sont appuyées pour cela sur une série de déductions partant des lois internes du développement du capitalisme décadent. Ces raisonnements constituaient en même temps les points essentiels du programme et la raison d’être même de la IV° Internationale. Les confronter avec les événements, tels qu'ils se sont déroulés, devient dès lors une tâche capitale pour tout le mouvement.

Pourquoi la guerre devait-elle aboutir à la montée révolutionnaire ?

Le raisonnement que nous avons suivi peut être résumé fondamentalement comme suit : la guerre impérialiste accentue à la longue toutes les contradictions du régime capitaliste. Elle impose aux masses un fardeau de privations toujours plus grand. Elle renouvelle en même temps le potentiel d’énergie révolutionnaire du prolétariat. Enfin, elle aboutit dans une série de pays à des ruptures ou même à l'écroulement de l'appareil étatique qui permet à la classe ouvrière de pousser sa lutte de classe jusqu’au stade le plus élevé, celui de la dualité de pouvoir. Dans les conditions d’une rupture totale de l’équilibre impérialiste, la combinaison de tous ces facteurs rend extrêmement favorable une extension des luttes révolutionnaires sur une échelle continentale ou même mondiale.

Traduit en langage concret, par rapport aux conditions concrètes de l’Europe, cela signifiait : le poids de la guerre deviendra de plus en plus insupportable aux masses du vieux continent. Leur volonté de lutte, arrivée au niveau le plus bas en 1939-40, s'accentuera et se manifestera toujours davantage. Les vieux appareils étatiques des différents pays s'étaient effondrés lamentablement au cours de la conquête allemande. Ce qui en restait était matériellement incapable de contenir la poussée des masses. Entre le prolétariat européen et la montée révolutionnaire se dressait la muraille de fer de l’appareil militaire et policier nazi. L'affaiblissement et l’écroulement de cet appareil détermineraient l'éclatement d’une série de mouvements révolutionnaires insurrectionnels. L'éclatement de la révolution allemande unirait ces mouvements, leur donnerait une ampleur européenne, une coordination générale et permettrait aux organes de double pouvoir qui en naîtraient, de s’affermir suffisamment, pour résister longtemps à la pression de l’impérialisme anglais et américain. Cette période serait à son tour particulièrement favorable à une croissance rapide des sections de la IV° Internationale.

Les événements ont-ils confirmé ces perspectives ?

Un coup d’œil initial sur les évènements qui se sont passés en Europe depuis la fin de 1943 permet déjà de déterminer dans quelle mesure ces perspectives se sont confirmées et dans quelle mesure elles se sont avérées inexactes. Personne ne niera que suite au gaspillage et aux destructions terribles de la guerre, l'économie européenne se soit complètement épuisée. Un an après la fin de de la guerre, la production de l’industrie lourde en Europe n’atteint pas la moitié de la production d’avant-guerre. Personne ne niera pas non plus que les conditions de vie intolérables que la guerre imposait aux masses ont déterminé le renouvellement de leur potentiel d'énergie combattive. Si l'on étudie les courbes des luttes grévistes, on constate dans tous les les pays d'Europe une brusque montée dès 1943 (qui part souvent de zéro, comme dans la plupart des pays qui étaient déjà fascistes en 1939), en comparaison avec l’avant-guerre, pour atteindre en 1945 un niveau dépassant partout, sauf en France, celui de la dernière montée de 1936 [2]. Les multiples actions de masse exécutées en pleine occupation nazie, malgré la présence de l'appareil encore puissant de la Gestapo, actions qui comprennent quatre grèves générales en Grèce et en Italie, deux en Hollande et au Danemark, le mouvement contre la relève en France, la conquête victorieuse de la Yougoslavie par les partisans, la série des grèves générales avec constitution de conseils d’entreprise à Liége en Belgique, constituent un contraste complet avec la passivité générale du prolétariat en 1939-40 et démontrent en même temps qu'il s'agit réellement d’une montée révolutionnaire, et non seulement d’une série de mouvements économiques pareïls à ceux qui, au lendemain de la première guerre mondiale, ébranlèrent les pays vainqueurs. Nous démontrerons plus loin que ces événements ont également abouti dans de nombreux pays à la constitution, fût-ce sous forme embryonnaire, d'organes de dualité de pouvoir.

Dès lors, c’est dans leur manque d’extension, dans leur manque de simultanéité, et dans leur manque de coordination qu'il faut chercher ce qui différencie les actions révolutionnaires des masses des perspectives de la IV° Internationale. Nous avons assisté à une montée révolutionnaire sur échelle européenne mais d’un rythme beaucoup plus lent et beaucoup plus saccadé que nous l'escomptions. Et, avant tout, l'absence de la révolution allemande semble sérieusement mettre en question une de nos prévisions essentielles.

La dualité de pouvoir pendant la première étape de la Révolution.

C'est en Italie que la dualité de pouvoir atteignit sa forme la plus mûre. Déjà de la première phase de la révolution italienne, en juillet 1943, étaient nés des conseils ouvriers, et même un conseil d'ouvriers et de soldats à Milan. Puis se constituèrent les « commissions internes » dans les usines, et d'innombrables « comités de libération nationale » dans les villes et villages de la péninsule. Pendant l'hiver 1944-45, l'armement des partisans italiens commençait à prendre une ampleur de masse. Enfin, fin avril 1945, c'était une véritable insurrection qui aboutit à la reprise de toutes les usines de l'Italie du nord par des comités ouvriers, au contrôle complet de la vie sociale par les partisans, à l'organisation d’une justice révolutionnaire, et à l'exercice de toutes les fonctions politiques par les comités de libération nationale [3]. Le journaliste bourgeois du Times, de Londres, qui comprend mieux le caractère des événements que certains révolutionnaires désabusés, appelait cela « la révolution sociale », dans le n° du 12 juin 1945 de ce journal.

En Tchécoslovaquie, les choses se passèrent pareillement durant la Révolution de mai 1945. Les quatre principaux éléments de double pouvoir y étaient également présents : conseils ouvriers contrôlant les usines; milice ouvrière; comités de libération fonctionnant comme organes politiques souverains, et tribunaux populaires. Un journaliste bourgeois, caractérisant bien nettement la situation, ajoute à ce tableau la remarque pénétrante qu’en fait le « gouvernement central » n’avait aucun pouvoir, et que les ouviiers avaient eux-mêmes exproprié toutes les usines [4].

En France, l'insurrection de Paris aboutissait à un armement assez large des masses, à plusieurs occupations d'usines et à l’établissement de comités dans la plupart d’entre eux. Le même phénomène apparut également dans plusieurs villes méridionales de la France (Lyon, Limoges, Toulouse, Périgueux), avec cela de particulier, qu'à plusieurs endroits, certains éléments parmi ces organes de dualité de pouvoir, même militaires, fonctionnèrent pendant de longs mois.

En Grèce, le mouvement des partisans, dirigé politiquement par l’E.A.M., contrôlait déjà avant la « Libération » de larges parties du territoire. La « dualité de pouvoir » existait ici dans un sens absolument littéral : face au gouvernement « officiel » grec au Caire, à ses formations militaires et aux vestiges de son pouvoir exécutif et judiciaire en Grèce même, fonctionnaient des comités, des milices et des tribunaux populaires, élus par les masses. Pendant la guerre civile ouverte (décembre 1944), cette coexistence fut même supprimée dans beaucoup de quartiers d'Athènes ei d’autres zones contrôlées par l'E.A.M., et tout le pouvoir passait dans certains secteurs (surtout le secteur judiciaire), entre les mains des organismes populaires et élus [5].

En Yougoslavie, le mouvement des partisans prenait au début des caractéristiques similaires au mouvement des partisans grecs, et passa également à l’érection d'organes populaires de pouvoir dans tous les domaines. Plus tard, il fut pourtant complètement canalisé par le P.C. et ses organisations annexes. Les informations nous manquent pour déterminer dans quelle mesure l'initiative spontanée des masses continuait à jouer un rôle depuis lors.

En Pologne, l'approche de l'Armée Rouge déclencha un mouvement révolutionnaire parmi les ouvriers comme parmi les paysans, Les premiers occupèrent les usines, les seconds prirent la terre. Les ouvriers établirent en outre un contrôle complet sur la production [6]. Enfin, en Belgique, la dualité de pouvoir n'existait, à proprement parler, que dans le domaine militaire, où elle aboutit aux événements de novembre 1944 [7]. Mais les comités d'usine à Liège étaient des organes potentiels de pouvoir, au lendemain de la « Libération » , et l'initiative que prirent les masses dans l'arrestation « d'inciviques » (mai-juin 1945) furent également des manifestations de leur intervention autonome dans des domaines qui, dans des conditions « normales » , sont exclusivement réservés à l’initiative et à l’action des organes de l’État bourgeois [8].

S'agissait-il réellement d'une dualité de pouvoir ?

De beaucoup de côtés, on a contesté le caractère prolétarien de la première vague révolutionnaire en Europe. On a contesté surtout que les organes qui en furent l'expression, constituassent de véritables organes de dualité de pouvoir. Aussi bien à l'extrême-droite qu'à l’extrême-gauche de l’Internationale, on a assimilé ces formations politiques nouvelles à des formes nouvelles d’anciens organismes: les organismes de l’État bourgeois ! Certains sont même allés aussi loin que d’assimiler les organisations militaires, nées spontanément de la lutte des masses aux armées impérialistes ! Enfin, ceux pour qui « l’analyse » des événements n'est qu'un prétexte pour flétrir la « main diabolique » de Staline et « l’impérialisme russe » , n’ont vu dans ces manifestations de la lutte révolutionnaire des masses que des machinations des « organisations Quisling au service de l’impérialisme russe, opposées aux organisations Quisling au service de l’impérialisme anglo-saxon » .

Les arguments, tendant à mettre en cause le caractère révolutionnaire et prolétarien des organes de pouvoir nés de la lutte pendant l'occupation hitlérienne, se laissent résumer comme suit:

  1. Les « comités » , sous leurs différentes formes, n'étaient pas élus mais nommés proportionnellement à la force de partis poliliques;

  2. Ces « comités» comportaient maints éléments petit-bourgeois et même des politiciens bourgeois;

  3. Ces « comités » et ces « milices » furent subventionnés par l'impérialisme ou (et) par la bureaucratie soviétique.

Ces trois arguments nous sont familiers. Ils constituent les arguments avancés par les « ultra-gauches » durant la révolution espagnole pour « nier » le caractère de guerre civile des événements et pour y voir seulement une « étape préparatoire à la guerre impérialiste » [9]. Mais ces mêmes arguments se rencontrent également, du moins les deux premiers parmi eux, chez le POUM, dans sa tentative de « polémique » contre les critiques de Trotsky [10]. « Il n'y a aucune différence fondamentale entre le Comité central des milices et la généralité catalane » , disaient les dirigeants du POUM, « puisque le Comité central des milices n’est pas « élu » et contient également des éléments petits-bourgeois » , « La tentative de Trotsky de comparer le rapport entre les Soviets et le Gouvernement provisoire en Russie, pendant la Révolution, aux rapports entre le Comité central des milices et la généralité de Catalogne en 1936, sont l'expression de son obstination à appliquer partout les schémas russes » . En réalité, toutes ces théories, tant des centristes que des sectaires, prouvent que ces messieurs sont foncièrement incapables de reconnaître qu’il pleut, même quand les gouttes leur tombent sur le nez.

Le véritable caractère des organes de pouvoir issus de la première vague révolutionnaire apparaît clairement de leur origine et de leur position vis-à-vis des organes de l’État bourgeois. Tous, ils sont dus à l'initiative autonome des masses ouvrières et petites-bourgeoises, où du moins, de leur avant-garde. À la base, le caractère de spontanéité apparut partout clairement dans l’élection des chefs, aussi bien dans les comités d'usines, que dans les formations militaires de base et dans les « Comités de Libération » dans les villages, les quartiers, etc... Le fait que les organismes directeurs furent souvent désignés, et composés proportionnellement à la force des différents partis politiques, ne fait que refléter le caractère conciliateur de la direction du mouvement : direction stalinienne et réformiste, qui désire limiter, sinon liquider la dualité de pouvoir proprement dite. Cela n’est rien de nouveau. A travers toute l'expérience passée des luttes révolutionnaires, les mêmes tendances ont suivi une même politique et abouti aux mêmes résultats. Qu'on relise le chapitre de l'Histoire de la Révolution russe, de Trotsky, sur le premier Comité exécutif des Soviets à Petrograd, pour y retrouver l'intrusion de nombreux éléments aventuriers et petits-bourgeois, pour y voir que lui non plus, n’a pas été élu proprement dit, par les Soviets de base. Qu'on étudie la composition du premier conseil d'ouvriers et de soldats à Berlin, pour découvrir que de véritables fascistes s'y étaient introduits (par exemple un Colin Ross) [11]. Qu'on étudie le mécanisme connu de la transmission de pouvoir, dans la révolution russe, la révolution allemande, la révolution espagnole, et l’on retrouvera exactement les mêmes formes de réaction dans la première phase de la révolution italienne, grecque et tchécoslovaque. Qu'on rapproche l'idée « profonde » du centriste allemand Hilferding, « d'intégrer les Soviets dans la Constitution de Weimar » à la tactique identique des staliniens en France, Belgique, Italie et Grèce, « d'intégrer les formations de partisans dans l’armée officielle » , et l’on retrouvera la même physionomie politique dans des circonstances foncièrement identiques.

Enfin, le véritable caractère de dualité de pouvoir des organes populaires issus de la première vague révolutionnaire ressort parfaitement de l'attitude de l'impérialisme anglo-américain, de la bureaucratie soviétique et de la bourgeoisie « nationale » envers eux. Dès que la force d'occupation allemande a disparu de la scène, dès que les organes de pouvoir traditionnels bourgeois y sont apparus, s'appuyant lourdement sur l'armée impérialiste anglaise et américaine, la bourgeoisie déclenche une lutte tenace et implacable pour liquider les organes de pouvoir constitués par les masses. S'il s'agissait réellement d'organes « bourgeois concurrents » pourquoi leur « intégration » dans le mécanisme de « l’ordre bourgeois » s’avère-t-il impossible ? Connaît-on d’autres exemples où la rivalité entre différents « clans bourgeois » provoque une guerre civile comme celle de Grèce ? Tout raisonnement niant le caractère de double pouvoir et de là, le caractère socialement révolutionnaire, des événements que nous avons connus en Europe entre juillet 1943 et juillet 1945, aboutit en pratique à l'abandon du critère de classe dans le jugement du processus historique, L’acharnement de la bourgeoisie à combattre et à annihiler les organes de pouvoir, issus de la « Résistance » en utilisant les rapports de force, les méthodes les plus diverses allant d’une reconnaissance provisoire jusqu'à la terreur blanche, ne peut s'expliquer en définitive que par le caractère de classe de ces organes : organes de pouvoir prolétarien, noyaux de Soviets et de milices ouvrières !

Les caractères particuliers de la première vague révolutionnaire.

Pourtant, une comparaison entre les événements de 1943-45, et ceux de 1918-19 nous montre immédiatement des différences importantes entre la première vague révolutionnaire après la première guerre, et la première vague révolutionnaire après la seconde guerre mondiale :

Tout d’abord, en 1917-19, le mouvement révolutionnaire proprement dit se limitait à l’Europe orientale et centrale. En Europe occidentale, on ne connut qu'une acentuation des luttes économiques du prolétariat. Cette fois-ci, le pouvoir bourgeois chancela en Europe tout entière.

En 1917-19 la montée révolutionnaire débuta par les explosions les plus importantes, dans les centres révolutionnaires les plus larges : victoire de la Révolution russe, péripéties successives de la révolution allemande entre 1918 et 1923. Cette fois-ci, la Russie fait complètement défaut comme arène de luttes révolutionnaires, le prolétariat allemand n’a pu jouer qu’un rôle secondaire.

Après la première guerre mondiale, la courbe générale de la lutte révolutionnaire était caractérisée par une brève et brusque montée au début, atteint un point culminant au printemps de 1919, puis décline rapidement et constamment. Ce déclin est interrompu par une nouvelle et très brève montée en 1923.

Cette fois-ci, la courbe générale de la lutte révolutionnaire commence par une montée lente et hésitante, interrompue par de nombreux mouvements de reculs particuliers, mais sa tendance générale reste montante. L'importance de cette constatation est évidente. Alors que le mouvement après la première guerre mondiale ressentit dès le début le poids des défaites initiales, surtout de la défaite allemande, le mouvement présent souffre au contraire par le fait qu'à aucun moment encore, toutes les forces du prolétariat ne se sont jetées dans la bataille. Le caractère des défaites est par conséquent un caractère passager, relatif, ne mettant pas en cause le déroulement ultérieur des événements, et pouvant être neutralisé par le passage de la lutte à un stade supérieur.

Cette différence importante ne provient pas seulement du caractère potentiellement limité de la première vague (absence du prolétariat russe et allemand de la lutte). Il découle également et surtout de tout le passé du mouvement ouvrier. Le prolétariat qui se lançait dans la lutte révolutionnaire, en 1918, était un prolétariat qui n'avait, foncièrement, pas connu de défaites définitives. Momentanément démoralisé par la trahison réformiste de 1914, il avait retrouvé dans l’évolution de la situation objective (affaiblissement de l'appareil étatique bourgeois, aggravation des condilions de vie) les conditions initiales nécessaires pour déclencher des luttes de masses. Il entamait ces luttes avec une conscience socialiste bien définie, et avec un manque d’expérience révolutionnaire complet [12]. Sa lutte prenant en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Bulgarie, en Pologne, en Yougoslavie, dans les pays baltes et en Italie la forme de luttes pour le Socialisme, dans laquelle l'attrait de la révolution russe jouait un rôle proéminant. Les dirigeants réformistes eux-mêmes durent tenir compte de l'enthousiasme socialiste des masses. La « discussion » intérieure dans le mouvement ouvrier, même si elle aboutissait à la terreur anti-communiste ouverte, prenait la forme suivante : « De quelle façon allons-nous construire le socialisme ? Est-il souhaitable de le construire immédiatement ? » Une lecture superficielle des journaux de cette période montre combien cette façon de penser était assimilée par les masses elles-mêmes.

Par contre le manque d'expérience de luttes révolutionnaires déterminait de la part des masses et des dirigeants communistes, qui n'avaient que très incomplètement assimilé les « leçons d'octobre » , un tâtonnement continuel des méthodes d’action. Ce ne fut qu'à de rares moments, et comme l'aboutissement de douloureuses péripéties, que le mouvement des masses put prendre les formes les plus mûres de la dualité de pouvoir [13].

À la fin de la seconde guerre impérialiste, le prolétariat européen avait derrière lui une longue suite de défaites écrasantes. Les jeunes générations n'avaient plus connu une éducation socialiste. Les générations anciennes étaient gangrenées par un scepticisme paralysant quant aux possibilités révolutionnaires. Les organisations de masse, staliniennes et réformistes, que la première vague révolutionnaire porta à leur faîte, firent tout leur possible pour étouffer les vestiges de conscience socialiste, pour éteindre les étincelles de volonté révolutionnaire déterminée. Le mot « socialisme » n'intervint que rarement dans la presse, dans les discussions et même dans les discours. Les masses n'avaient que rarement, et d'une façon tout à fait isolée, conscience du caractère objectivement anti-capitaliste, révolutionnaire, de leur lutte.

Le prolétariat remplit « le vide » par ses propres organes.

Mais si les masses se trouvent à un niveau inférieur de conscience par rapport à 1918, elles ont atteint au contraire un niveau supérieur d'expérience. « Le fil, coupé par la guerre et le fascisme, est repris par les masses là où elles l'avaient laissé tomber » . Les formes les plus mûres de la lutte du passé ne constituent plus l'aboutissement, mais le point de départ des actions de masse dans la période actuelle. Cela s’est montré de la façon la plus évidente en Italie, où la lutte débuta par la constitution de Soviets et de conseils de soldats, et par l'armement, formes qu’elle ne put prendre, ou qu’elle ne prit que sporadiquement, pendant les quatre années de combats révolutionnaires après la première guerre mondiale. Cela s'est montré également par le fait que l’incompréhension profonde envers le problème de l’armement, qui a constitué dans le passé un des freins principaux de la lutte révolutionnaire en Europe occidentale, disparut comme par enchantement sous la pression des conditions objectives.

L'absence du facteur subjectif, la faiblesse extrême du parti révolutionnaire, donnait bien entendu aux dirigeants staliniens et réformistes la possibilité d'approfondir cette contradiction entre l'expérience mûrie des ouvriers et leur conscience défaillante. Opposant les réalisations des masses, qui dépassaient les cadres de la société bourgeoise, aux objectifs « limités » qu’ils avaient, eux, assigné à la lutte (« la libération du territoire » , « la renaissance du pays » , la « démocratisation » du régime) les dirigeants staliniens et réformistes essayèrent de ramener les masses à des formes de luttes plus « convenables » ... ou à les persuader qu’il ne fallait plus lutter du tout !

Cependant, et c’est là le facteur principal, cette influence néfaste de la direction contre-révolutionnaire du prolétariat, ne pouvait jouer à fond, ne pouvait être tellement décisive et générale, que dans la mesure où les événements eux-mêmes l'y aidèrent. Après avoir analysé les formes des luttes de masses, leur origine et leur caractère social, nous voilà retourné à notre point de départ : leur manque d’ampleur et de coordination. C’est précisément ce facteur qui, en définitive, permit à l'ensemble des interventions contre-révolutionnaires (impérialisme anglo-américain, bourgeoisie « nationale » , bureaucratie soviétique, direction « ouvrière » traître), d’atteindre un haut degré d'efficacité. Pour comprendre son action, il nous faut chercher le point de départ des soulèvements de masse.

Ce point de départ est facile à déterminer. Il coïncide en pratique presque partout avec l'intervalle entre le départ (ou l'effondrement) de l'appareil militaire allemand, et l’arrivée, et l'établissement ferme, de l'appareil militaire anglo-américain. Cet intervalle laisse un « vide » dans l'administration « des hommes et des choses » , vide que les masses ont tendance à combler automatiquement par la constitution de leurs propres organes [14]. Le décalage de quelques jours entre l'effondrement allemand en Tchécoslovaquie et Italie, et l'établissement d’un pouvoir bourgeois central, permet la constitution du système de dualité de pouvoirs le plus solide. Un décalage de vingt-quatre heures permit la constitution d’un embryon de dualité de pouvoir à Paris.

Et ce n'est pas par hasard que les organes autonomes des masses se maintinrent le plus longtemps dans les régions françaises que l’armée alliée avait laissées « de côté » durant ses opérations d’août et de septembre 1944 ! Churchill comprit le problème de la même façon quand il déclara :

« J'attirai son attention (celle du Président Roosevelt) sur le fait que, s'il y avait un long intervalle entre le départ des autorités allemandes de la ville (d'Athènes), et le moment où un gouvernement organisé pourrait être établi, il était fort probable que l'E.A.M. et les communistes extrémistes essayeraient de s'emparer de la ville... » [15].

Or, il ne s’agit pas ici d’un caractère accidentel des événements, mais d'une des tendances les plus fondamentales, inhérentes à la société du capitalisme pourrissant. Avec une logique implacable, les conditions objectives poussent le prolétariat, indépendamment de son état de conscience, à essayer toujours de nouveau de s'emparer lui-même de la direction de la société [16]. Toute l'histoire des dernières trente années n’est que la suite de ces tentatives désespérées de la classe ouvrière de se hisser à la hauteur de sa mission historique, désespérées parce que condamnées à l'échec dans l’absence d'une direction révolutionnaire adéquate. Et quoi de plus naturel que cette tendance fondamentale s'exprime tout d'abord dans des conditions particulièrement favorables, celles où un pouvoir bourgeois bien établi fait défaut ?

D'autre part, il était inévitable que ce moment d'intervalle se produisit à des moments différents dans les différents pays. Il était facile à prévoir que, dans l’absence complète d'une direction internationale bien établie du prolétariat, et même dans l'absence de sérieuses directions nationales dans de nombreux pays, les soulèvements auraient un caractère isolé et fractionné, qui faciliterait à son tour les tâches de la contre-révolution sous ses différentes formes. Pour s’élever jusqu’à un niveau général, et jusqu'à l'ampleur européenne, il fallait un élément généralisateur. Nous comprîmes longtemps avant les événements que ce facteur généralisateur ne pouvait être que celui de la révolution allemande [17]. C’est donc l'absence de la révolution allemande qui constitue la cause fondamentale du caractère sporadique de l'apparition de dualité de pouvoir et de son étouffement plus rapide que nous l’avions escompté.

La légende de la passivité complète du prolétariat allemand.

L’absence de la révolution allemande a été l'élément principal qui faisait différer l'évolution de la situation de nos perspectives. Aussi mérite-t-elle d’être soigneusement analysée, à la lumière des faits et non pas des schémas établis d'avance par telle ou telle tendance dans l’Internationale.

Il faut tout d’abord poser le problème sous son angle exact. Il est étonnant, pour ne pas dire plus, que tous ceux qui pris position envers ce problème, sont partis 'd’un point de vue admis d'avance qui ne résiste pas à une confrontation avec les faits : l'opinion que le prolétariat allemand a assisté « passivement » à l’écroulement de l'appareil nazi. Nous disons que cela n'est plus exact. Au point où nous en sommes, il est impossible de faire un bilan définitif des actions partielles du prolétariat, Mais ce que nous savons suffit pour détruire à tout jamais la légende de la « prostration » complète du prolétariat allemand, soi-disant « vidé » , par 10 ans de dictature fasciste, de sa « conscience de classe » . Nous savons que, comme l'expose clairement « The Economist » du 23 mars 1946, dans la zone russe de l'Allemagne comme ailleurs, l’écroulement du nazisme fut suivi par des démonstrations d’un esprit socialement révolutionnaire : les ouvriers occupèrent les usines et réglèrent leurs comptes avec les directeurs nazis ou nazifiés. La même chose arriva dans la Ruhr [18]. Nous savons qu'à l'approche de l'Armée Rouge, les travailleurs agricoles du Mecklembourg saisirent eux-mêmes les terres convoitées depuis tant de siècles [19]. Nous savons qu'au même moment, les ouvriers de la Saxe hissèrent des drapeaux rouges sur leurs usines et élirent de véritables soviets [20]. Nous savons que de véritables guerres civiles locales éclatèrent, un peu partout, entre les SS d’un côté, et le Volkssturm ou la Wehrmacht de l’autre [21]. Nous savons qu'en 1943 déjà, une tentative de soulèvement fut écrasée à Hambourg [22]. Nous savons enfin et surtout qu’au moment où l’appareil nazi s’écroulait, les armées impérialistes et l'Armée de la bureaucratie soviétique établirent un régime policier bien plus stable, et non moins sévère sur tout le territoire du pays. Dans ces conditions, ce serait une véritable honte d'appeler l'attitude courageuse du prolétariat allemand celle d’une « passivité générale » !

Par contre. c’est un fait évident que des actions plus ou moins générales n’eurent pas lieu. Pour expliquer ce fait, nous nous trouvons devant deux catégories d’explications. On peut déduire l’absence de la Révolution allemande de facteurs subjectifs : de l’absence complète d'organisations ouvrières, des suites de douze ans de dictature fasciste, de la « décomposition de la conscience de classe » du prolétariat. On peut, d'autre part, trouver à la base de l'absence de cette révolution essentiellement des facteurs objectifs. Nous allons employer d’abord cette seconde catégorie d'arguments, pour démontrer ensuite que la première s'appuie sur des arguments erronés.

Les causes objectives de l'absence de la révolution allemande.

Les prémices objectives de l'éclatement, à la fin de la guerre impérialiste, d’une montée révolutionnaire, sont multiples : l’accentuation des contradictions sociales (concentration du prolétariat, diminution de sa part dans sa répartition du revenu national, etc.), l’accentuation de la misère et des destructions suite à la guerre proprement dite, la décomposition du « moral » à l’arrière et au front, la décomposition de l’appareil militaire, policier et étatique, etc. Ces prémices ne sont pas données brusquement, mais sont elles-mêmes le produit de tout un processus influencé par une multitude de facteurs. Ainsi, l'interaction de ces facteurs produit un mécontentement de plus en plus grand, décompose de plus en plus le moral, dresse de plus en plus les masses contre la guerre et le régime. Les masses tâtonnent l'adversaire, leur haine s'exprime dans de multiples incidents isolés, elle mesure la force de résistance de l'appareil, passe par une série d’expériences moléculaires à la concentration de toute l’énergie sur le but immédiat : le renversement du régime et la fin de la guerre.

Tous ceux qui ont suivi, mois après mois, l’état d'esprit dans l’armée et le prolétariat allemands, pourront affirmer que ces processus se sont déroulés exactement de la même façon en Allemagne, à partir de la défaite de Stalingrad jusqu’à la révolution italienne et au débarquement allié en Normandie, La pénétration rapide des idées révolutionnaires, la perméabilité croissante des soldats et ouvriers pour ces idées [23], l’apparition d’une presse clandestine ouvrière allemande [24], la multiplication de petits mouvements de protestation et de grève perlée dans les usines, surtout pour des questions de cantine, caractérisent exactement cet état d'esprit, qui correspond grosso modo à celui qui règna en Russie en 1916 et en Italie en 1942.

Pour pouvoir se transformer en un mouvement plus vaste, ces multiples mouvements isolés de mécontentement exigent la présence d'un facteur supplémentaire, l’affaiblissement de l’appareil de répression. Or, cet affaiblissement ne se produit pas au moment où les conditions furent les plus favorables pour un mouvement révolutionnaire général. La grande majorité de l’armée allemande, sur les côtes européennes et à l’intérieur du continent, reste invaincue. Les bombardements commencent à peine à désorganiser la vie administrative. Le parti garde les leviers de commande fermement en main. La Gestapo est à l'apogée de sa puissance, bien que débordée par l'extension de son « travail » .

Or à partir de ce moment, c’est-à-dire du moment où l'état d'esprit des masses était le plus « mûr » pour une action révolutionnaire, moment que nous pouvons placer vers la fin de l’année 1943, le processus se transforme brusquement en son contraire. Tous les facteurs qui jusqu'à ce tournant (Unschlagspunkt) avaient favorisé le processus de maturation des prémices objectives de la révolution, commencent maintenant à produire leur décomposition. Jusqu'à un certain point les bombardements réveillent les masses de leur apathie, les arrachent au cercle borné de leurs préoccupations personnelles, constituent une démonstration vivante du caractère politique que possèdent au fond leurs soucis, et de la nécessité d'y appliquer une solution politique. À partir cependant de ce tournant, les bombardements démoralisent les masses, les arrachent à la vie sociale, les jettent dans la dégradation physique et psychologique la plus basse, les dissolvent dans une multitude hystérique d'êtres isolés, luttant pour la vie tout court, La même chose est vraie pour la tension produite par les événements militaires et les défaites. Créant le mécontentement et la volonté de réaction jusqu'à un certain point, ils produisent l’apathie et la stupéfaction inerte à partir de ce tournant. Nous pourrions répéter l’exposé de tableaux analogues pour les multiples autres facteurs qui, au début, servent d’accélérateurs du mouvement de désintégration de l'Union Sacrée, pour terminer par désintégrer non seulement l’État impérialiste, mais la vie sociale et la cohésion des masses.

Un facteur tout aussi important est constitué en outre par les effets objectifs qu'avait pour l'Allemagne la prolongation de la guerre : destructions massives des centres urbains [25], dispersion de la population laborieuse, mobilisation de la grande majorité du prolétariat dans l'Armée, composition hétérogène de la main-d'œuvre dans les usines (majorité d'étrangers, de prisonniers, de femmes et de petits-bourgeois).

Enfin, à tout cela s'ajoutent les effets désastreux de la propagande impérialiste et stalinienne, qui, sans « cimenter » la population laborieuse autour d'Hitler comme on l'a faussement prétendu, l’a pourtant véritablement placée « entre deux feux » , et ne lui montrait aucune perspective meilleure que celle d’une « Terreur sans fin » .

Résumons : au moment où la plupart des prémices pour l’éclatement d'un mouvement révolutionnaire étaient produits par l'évolution de la guerre, un facteur manquait, le facteur principal : l'affaiblissement de l'appareil de répression. Au moment où cet affaiblissement était devenu un fait, les autres prémices avaient cessé de mûrir, et se trouvaient en pleine décomposition, suite également au développement de la guerre [26].

La concentration en un moment de toutes les prémices objectives pour un mouvement révolutionnaire, ayant atteint un point d’extrême maturité, concentration qui seule est capable de produire des explosions même dans l'absence complète du facteur subjectif, a donc fait défaut pour l'Allemagne [27].

Italie et Allemagne, un parallèle instructif.

Cela signifie-t-il que les conditions subjectives particulières — résultats de douze années de terreur nazie — n'étaient que d'importance secondaire ? Pas du tout. Pour l'éclatement du mouvement révolutionnaire (c’est-à-dire pour la première phase de la révolution), le facteur subjectif n’est pas décisif comme pour la seconde phase : la prise du pouvoir. Mais il peut jouer un rôle énorme, celui d'accélérateur et de généralisateur. Il peut remplacer une série de prémices objectives manquantes, et faire triompher un premier mouvement insurrectionnel même à un moment où toutes les autres prémices ne sont pas présentes [28]. Il est hors de doute que l’existence d’un puissant parti révolutionnaire en Allemagne aurait soudé davantage les ouvriers allemands et étrangers en un bloc, et aurait permis un développement plus rapide et plus large des multiples grèves qui éclatèrent dans presque toutes les grandes entreprises pour des questions de ravitaillement. Plus important encore aurait été l'existence d’une organisation révolutionnaire, même relativement petite, parmi les soldats, organisation qui aurait pu entraîner la masses de la Wehrmacht dans un mouvement insurrectionnel, au moment du coup d’État du 20 juillet [29]. Le facteur subjectif aurait pu donner aux prémices objectives une vitalité nouvelle et aurait rendu possible un mouvement révolutionnaire, même après le tournant décrit plus haut.

Il est par contre tout à fait erroné de déduire l'absence de la Révolution allemande de l'absence de ce facteur subjectif principalement. En effet, le parallèle avec l'Italie montre que même 20 ans de domination fasciste, et une plus grande « disparition » des traditions socialistes » , ensemble avec une absence d'organisations révolutionnaires et même d'organisations illégales anti-fascistes sur échelle nationale, ne réussissent pas à empêcher l'éclatement du mouvement révolutionnaire quand les prémices objectives sont présentes.

Il est vrai qu’il existe entre l’Allemagne et l'Italie une série de différences, non sans importance pour comprendre le déroulement différent des événements. Le régime nazi avait réussi à détruire complètement tout centre oppositionnel, même bourgeois. Le régime fasciste n’avait pas atteint la même efficacité dans la terreur. Le régime nazi contrôlait de près tout l'appareil militaire, policier et administratif de l’État. En Italie par contre, les cadres supérieurs de l’Armée, la noblesse serrée autour de la Maison de Savoie et le haut clergé serré autour du Vatican échappèrent dans une certaine mesure au contrôle fasciste. En Allemagne, l'organisation nazie dépassait de loin, et dans tous les domaines, l'organisation italienne (ravitaillement, éducation, propagande, etc.). Mais toutes ces différences sont des différences quantitatives qui ne changent pas le caractère fondamentalement identique de la situation dans les deux pays : sans posséder leurs organisations propres, les masses ont à faire face au régime de terreur ! Ces différences expliqueraient à la rigueur pourquoi le coup d’État de Badoglio réussit, tandis que celui de Stauffenberg s’effondra. Mais elles n'expliquent d’aucune façon pourquoi les masses italiennes se sont levées des mois avant la chute de Mussolini dans des grèves gigantesques, alors que le mouvement gréviste allemand ne dépassera jamais le stade d'actions isolées et sporadiques [30].

Absence de la révolution allemande suite à la dissolution progressive de ses prémices objectives; caractère saccadé, disparate et primitif des mouvements révolutionnaires dans les autres pays d'Europe; malgré cela, création, dans de nombreux foyers, de noyaux de dualité de pouvoir qui seront pourtant rapidement liquidés, à cause de leur caractère isolé : voilà ce qui caractérise la première étape de la révolution européenne [31].

Notes

[1]

Voir surtout : les thèses de la Conférence européenne de la IV° Internationale de février 1944, « La Révolution européenne et les tâches du parti révolutionnaire » , résolutions du 11° Congrès des trotskystes américains. — Les documents du Congrès de fondation du Parti Communiste Révolutionnaire de Grande-Bretagne. — Les documents de nos camarades hollandais avant qu’ils ne prissent contact avec l’Internationale, etc...

[2]

La montée de cette courbe gréviste est d’ailleurs mondiale, comme l’est la montée révolutionnaire toute entière. Mais nous n’insisterons pas ici sur cet aspect du problème.

[3]

«Economist » : tous les numéros de mai et juin 1945.

[4]

« Les comités qui prirent le contrôle de pratiquement chaque usine durant la Révolution, étaient l’aboutissement de la lutte communiste clandestine. Quand le pays fut libéré,les conseils et comités furent en réalité plus puissants que le gouvernement central qui n'avait pas de force armée à sa disposition et qui rentrait de l'étranger sur les talons des Russes victorieux. Durant des mois, beaucoup du temps du gouvernement fut employé pour amener les comités et conseils dans une relation plus normale (!) avec l'autorité centrale... Les comités d’usine essayèrent, dans une première vague insouciante d’enthousiasme révolutionnaire, de dicter comment les usines devraient être dirigées, et beaucoup sont encore en train d'agir de la sorte, avec les résultats qu’on peut facilement imaginer. Quand M. Lansman, le ministre de l'Industrie, retourna récemment de Moscou, il insista beaucoup sur le fait qu’il avait trouvé en U.R.S.S. le directeur d’usine tout-puissant. » The Economist 9-2-46.

[5]

« Quatrième Internationale » , n° 14-15 : « La Révolution grecque » par Spéro.

[6]

« L'entrée de l'Armée Rouge était suivie par l'établissement quasi-spontané d’une sorte de contrôle ouvrier sur les usines » , The Economist, 12-5-45.

[7]

« Quatrième Internationale » , n° 14-15 : « La crise et l'expérience belges » par F.

[8]

Enfin, dans la zone russe en Allemagne, « les changements quasi-révolutionnaires qui eurent lieu immédiatement après l’effondrement du Troisième Reich, n’ont pas été annihilés... Nominalement, même maintenant, le régime social dans la zone russe n’est pas différent de celui des zones occidentales... (mais) plus important et plus décisif que le problème de la propriété a été celui de l’atmosphère sociale qui prévaut dans l'industrie... A travers la zone russe, les comités d'entreprise (Betriebsraete) jouent un rôle dominant dans l’industrie. Ils ont le dernier mot à dire dans toutes les questions concernant l’embauchage et la dénazification, bien qu’ils n'aient pas le droit d’exiger des augmentations de salaires ou de diriger des grèves... Tout le schéma montre beaucoup de ressemblance avec la « démocratie d'usine » des premières années de la révolution russe, cela n’est peut-être pas tellement au goût des administrateurs eux-mêmes, puisqu’il s’agit précisément du régime qui a été supprimé en Russie. De même l’évangile de l'égalité des salaires et traitements, qui est banni comme hérésie de la Russie gagne des adhérents en Allemagne occupée par les Russes » (nous soulignons). The Economist, 23-3-1946.

[9]

Voir : « Bilan » 1918-1933.199, édité par la « Fraction communiste de gauche » en France, c’est-à-dire par les bordighistes français.

[10]

Voir une série d'articles des dirigeants du POUM dans l'organe théorique de Sneevliet : « De Rode October » , année 1939, n° 5 (mai) : articles de Sneevliet, Juan Calvet et Spectator.

[11]

Voir Richard Müller : « Die deutsche Revolution » 1 (novembre-décembre 1918).

[12]

Le manque d’expérience de la part des dirigeants communistes et des masses en Europe occidentale a lourdement pesé sur le déroulement de la montée révolutionnaire 1928-1923.

[13]

Il faut faire la distinction ici entre des mouvements de masse, spontanés, et des créations artificielles de soviets par les membres et sympathisants des différents partis communistes de l’époque.

[14]

On peut établir un saisissant parallèle avec l'Extrême-Orient. Des organisations autonomes des masses existèrent un peu partout. Elles avaient leur forme la plus mûre, celle de grandes formations armées, de comités et même de « gouvernements provisoires » , aux Philippines et en Corée, les deux pays économiquement les plus avancés et socialement les plus différenciés parmi les pays « libérés » de l’Extrême-Orient. Cependant, suite à l'occupation rapide, totale et sans «intervalle» de la part des armées impérialistes, la montée révolutionnaire y prit exactement le même caractère saccadé, interrompu et sporadique qu’en Europe. Par contre, en Indochine et en Indonésie, pays cependant économiquement arriérés, l’intervalle de plusieurs semaines entre l’effondrement japonais et l’arrivée de sérieux contingents impérialistes y permit le développement d’une situation révolutionnaire extraordinaire.

[15]

Discours de Churchill aux Communes du 8-12.44, cité par Spéro : « La Révolution grecque » dans Quatrième Internationale, n° 14-15.

[16]

L. Trotsky : « L'Espagne, dernier avertissement » .

[17]

Voir Quatrième Internationale, n° 4-5, février-mars 1944, p. 21. « C’est seulement en déclenchant directement ou indirectement la révolution allemande que les explosions révolutionnaires dans les pays occupés peuvent ouvrir (définitivement) la période révolutionnaire en Europe » .

[18]

La même information se retrouve également dans l'extrait suivant de l’Observer du 26-8-45 : « Le chef de la police de la même ville est encore le même capitaine nazi qui organisa le camp de concentration. Le directeur de mine allemand a ses propres soucis. Il parle d’une « révolution » qui éclata ici en avril. Les mineurs se débarrassèrent du personnel de direction et d’administration qui était fortement nazifié. Quand les Américains arrivèrent, ils aidèrent à restaurer l'autorité de la direction » .

[19]

Voir The Militant.

[20]

Déclarations faites par le camarade M., membre de l’organisation belge. Ce camarade faisait lui-même partie d’un des comités d’entreprise créés au moment de l’entrée des troupes russes à Dresde. Ce comité comportait plusieurs communistes de gauche, opposés au stalinisme.

[21]

Voir entre autres des dépêches d'A.P. du 8-3-1944.

[22]

En outre faudrait-il insister sur l’existence d’une presse clandestine ouvrière en Allemagne. Les ultra-gauches français ont attiré l'attention sur existence d’une presse pareille dans leur « bulletin de liaison et d’information » : l’Internationale, n° 2, premier trimestre 1945. Ils citent comme journaux clandestins allemands entre autres : Die Wahrheit (La Vérité), organe du Front populaire de Bade; Arbeiterzeitung (Journal ouvrier) de Stuttgart; Unser Kampf (Notre Combat), organe de combat de la classe ouvrière de la Ruhr; Der Friedensbote (Le Messager de la paix) de Stettin.

[23]

Nos camarades de Arbeiter und Soldat, rapportèrent en 1943, les déclarations de nombreux soldats allemands suite à la lecture de notre presse : « Voilà ce qu’il nous faut. Voilà ce que nous avons cherché depuis longtemps. Si il y a un millier de types comme vous dans l'armée allemande, la guerre est finie » .

[24]

Voir reportage paru dans Stars and Stripes, journal des soldats américains en Europe fin mars et début avril 1945.

[25]

La plupart des villes allemandes ne comptent plus, au moment de la capitulation, que 50%, ou même 30% du nombre de leurs habitants. À Berlin, la population était descendue jusqu'à 1,5 ou 2 millions d'habitants. Francfort ne comptait plus que 250.000 habitants, etc...

[26]

Et bien entendu aussi à l’action consciente de l'impérialisme !

[27]

En juillet 1936 par exemple : aucune organisation n'avait donné le mot d’ordre de constituer des comités en Espagne, ils sont nés tout à fait spontanément.

[28]

En Allemagne par exemple, le mot d'ordre de constituer des conseils d’ouvriers et de soldats avait été lancé six semaines avant la révolution en 1918 par les Spartakistes. Le mouvement plus ou moins clandestin des « hommes de confiance révolutionnaires » (Revolutionaere Obmaenner) dans les usines, organisé par le Parti Socialiste Indépendant, des mois à l’avance, constitua de véritables noyaux de soviets dans toutes les grandes entreprises. C'est ce qui permit de précipiter les événements, alors que les classes dirigeantes s’apprêtèrent encore à une résistance contre l’ennemi de l’intérieur. Voir Ströbel : Die deutsche Révolution; Richard Müller : Die deutsche Revolution.

[29]

Stars and Stripes, avril 1945, raconte qu'à ce moment, les officiers conjurés et les S.S., se combattirent furieusement, pendant quarante-huit heures, les armes à la main. L'intervention d’une organisation de soldats aurait pu déclencher une insurrection dans toute la France, ce qui aurait eu des conséquences incalculables.

[30]

C'est ce fait qui, en dernière analyse permit une répression, beaucoup plus facile et beaucoup plus froide, des mouvements révolutionnaires sporadiques, par l'impérialisme. Alors qu'en Italie, l'impérialisme dut manœuvrer longtemps avant de supprimer les partisans et de diminuer le rôle des comités, en Allemagne « les armées d’occupation à l'Ouest prenaient elles-mêmes soin de rétablir (directement) l’ordre et la loi » (The Economist 23-3-1946).

[31]

Nous pouvons remarquer qu’en général les mouvements révolutionnaires proprement dits étaient prolongés et dépassés en ampleur par des luttes économiques.