1870-71

Marx et Engels face au premier gouvernement ouvrier de l'histoire...


La Commune de 1871

K. Marx - F. Engels

Le drame


Réponse de la commune

Marx

La formation de la Commune et le Comité Central
Première ébauche de la Guerre Civile en France. 1871

Après Sedan, la Commune fut proclamée à Lyon, puis à Marseille, Toulouse, etc. Gambetta fit de son mieux pour l'écraser.  [1]

À Paris, les différentes actions de début octobre visaient à instaurer la Commune en tant que mesure de défense contre l'invasion étrangère, concrétisant véritablement l'insurrection du 4 septembre. Si l'action du 31 octobre n'aboutit pas à l'instauration de la Commune, c'est que Blanqui, Flourens et les autres chefs du mouvement firent confiance aux gens de parole (Fr) qui avaient donné leur parole d'honneur (Fr) de démissionner et de céder la place à une Commune librement élue par tous les arrondissements de Paris. Elle échoua parce que ses chefs sauvèrent la vie de gens qui ne cherchaient qu'à tuer leurs sauveurs. Ils laissèrent Trochu et Ferry s'échapper, mais ceux-ci les assaillirent avec les Bretons de Trochu. Il importe de rappeler que, le 31 octobre, le « gouvernement de la Défense », nommé par lui-même, n'existait que parce qu'on voulait bien le supporter. Encore n'avait-il pas décidé d'entreprendre la farce du plébiscite.  [2]

Dans ces conditions, rien n'était plus facile que de donner une image fausse de la nature du mouvement, de le dénoncer comme une conspiration nouée avec les Prussiens, d'utiliser la démission du seul de ces hommes [Rochefort] qui ne voulût point manquer à sa parole, afin de renforcer les Bretons de Trochu (qui furent pour le gouvernement de la Défense ce que les spadassins corses avaient été pour L. Bonaparte), en nommant Clément Thomas commandant en chef de la Garde nationale. Rien n'était plus facile à ces fauteurs de panique éprouvés que de solliciter les lâches frayeurs qu'éprouvaient les classes moyennes à l'égard des bataillons ouvriers qui venaient de prendre l'initiative, que de semer la suspicion et la dissension au sein même des bataillons ouvriers en en appelant au patriotisme, afin de préparer les conditions d'une de ces journées de réaction aveugle et d'équivoques fatales, grâce auxquelles les usurpateurs ont toujours su se maintenir au pouvoir. Tout comme ils s'étaient glissés furtivement à ce pouvoir, ils étaient maintenant en mesure de lui donner une justification fallacieuse grâce à un plébiscite de pur style bonapartiste dans un climat de terreur réactionnaire.

Si la Commune avait remporté la victoire au début de novembre 1870 à Paris (à un moment où elle était déjà instaurée dans les grandes villes du pays), elle aurait sûrement trouvé un écho et se serait étendue à toute la France. Non seulement elle aurait arraché la défense des mains des traîtres et lui aurait insufflé l'enthousiasme, comme le démontre l'héroïque guerre que Paris mène actuellement, mais encore elle aurait changé complètement la nature de la guerre.

Elle serait devenue la guerre de la France républicaine, hissant l'étendard de la révolution sociale du XIXe siècle contre la Prusse, porte-drapeau de la conquête et de la contre-révolution. Au lieu d'envoyer le vieil intrigant usé (Jules Favre) mendigoter dans toutes les cours d'Europe, on aurait électrisé la masse des producteurs de l'Ancien et du Nouveau-Monde. En escamotant la Commune le 31 octobre, les Jules Favre et Cie ont assuré la capitulation de la France devant la Prusse et suscité l'actuelle guerre civile.

Mais la preuve est faite: la Révolution du 4 septembre n'a pas simplement rétabli la République, du fait que la place de l'usurpateur était devenue vacante à la suite de la capitulation de Sedan, ni conquis cette République sur l'envahisseur étranger grâce à la résistance prolongée de Paris qui luttait pourtant sous la direction de ses ennemis, cette révolution s'est frayé un chemin jusqu'au cœur des classes ouvrières. La République avait cessé d'être un nom pour une cause du passé: elle était grosse d'un monde nouveau. Sa tendance véritable fut masquée aux yeux du monde par les supercheries, les mensonges et les platitudes d'une bande d'avocats intrigants et de phraseurs impénitents, mais elle ne cessait de reparaître à la surface au cours des actions spasmodiques de la classe ouvrière de Paris et du Midi de la France, dont le mot d'ordre fut toujours le même: la Commune !  [3]

La Commune, forme positive de la révolution contre l'Empire et les conditions de son existence, fut d'abord instaurée dans les villes du Midi de la France et fut sans cesse proclamée au cours des actions spasmodiques durant le siège de Paris. Mais, elle fut tenue en échec et brisée par les agissements du gouvernement de la Défense et par les Bretons de Trochu, le héros du «plan de capitulation ». Elle finit par triompher le 26 mars, mais elle n'est pas née brusquement ce jour-là. C'était l'invariable but des révolutions ouvrières.

La capitulation de Paris, la conspiration ouverte à Bordeaux contre la République, le coup d'État déclenché par l'attaque nocturne sur Montmartre ont rallié autour d'elle tous les Parisiens ouverts à la vie: les hommes de la Défense n'étaient plus en mesure de la réduire à des tentatives isolées des éléments révolutionnaires les plus conscients de la classe ouvrière de Paris.

Le gouvernement de la Défense n'avait été toléré que comme un pis-aller (Fr), né de la première surprise, une sorte de nécessité de la guerre. La vraie réponse du peuple de Paris au Second Empire, règne du mensonge, ce fut la Commune.

Aussi le soulèvement de tout le Paris ouvert à la vie - à l'exclusion des piliers du bonapartisme et de son opposition officielle, des grands capitalistes, des boursicoteurs, des escrocs, des oisifs, des traditionnels parasites de l'État - contre le gouvernement de la Défense ne date-t-il pas du 18 mars, bien qu'il ait remporté ce jour-là sa première victoire sur la conjuration. Il date du, 31 janvier, du jour même de la capitulation.

La Garde nationale - c'est-à-dire tous les Parisiens armés - s'est organisée et a vraiment gouverné Paris à partir de ce jour-là, indépendamment du gouvernement usurpateur des capitulards (Fr), mis en place par la grâce de Bismarck.  [4]. Elle a refusé de livrer ses armes et son artillerie, qui lui appartenaient et qui lui avaient été laissées à la capitulation, parce qu'elles étaient sa propriété. Ce n'est pas la magnanimité de Jules Favre qui a sauvé ces armes des mains de Bismarck; c'est la promptitude des combattants parisiens à les arracher à Jules Favre et Bismarck.  [5] ...

Extraits des protocoles des réunions du Conseil Général

Engels
Exposé sur la révolution du 18 mars 1871 à la réunion du 21 mars 1871

Le citoyen Engels décrit la situation à Paris. Il dit que les lettres reçues de Paris cette semaine et déjà citées par Serraillier, ont expliqué ce qui était incompréhensible auparavant. Il semblait qu'un certain nombre d'hommes s'étaient soudainement emparés de plusieurs canons et les avaient gardés. Toute la presse et les correspondants ont écrit qu'il eut fallu leur demander des comptes, mais que le gouvernement français était demeuré dans l'expectative. Notre Comité parisien nous a informé que les Gardes nationaux avaient payé pour fabriquer ces canons et tenaient à les conserver. Ils ont compris que sous l'Assemblée nationale qui venait d'être élue,  [6] la République n'était pas du tout garantie. Lorsque les Prussiens pénétrèrent dans Paris, ces canons avaient été transportés hors de leur portée, dans un autre faubourg de la ville. Par la suite, le gouvernement réclama les canons et tenta de les enlever à la Garde nationale. Aurelle de Paladine aurait été nommé commandant en chef de la Garde nationale et préfet de police  *. Sous Napoléon III, il avait été colonel de gendarmerie et un défenseur des curés. Sur l'ordre de l'évêque d'Orléans - Dupanloup -, il aurait fait pénitence à l'église pendant 5 heures, tandis que son armée se faisait battre dans un engagement avec les Allemands. Cette nomination ne laisse subsister aucun doute sur les intentions du gouvernement.

Dès lors, la Garde nationale organisa la résistance. Sur 260 bataillons, 215 - des soldats aux officiers - ont constitué un Comité Central. Chaque compagnie a choisi un délégué, les délégués ont formé des sous-comités d'arrondissement ou de quartier, qui ont ensuite élu le Comité Central.

Sur les vingt arrondissements, cinq seulement n'ont pas élu de délégués. Lorsque l'Assemblée nationale se transporta à Versailles, le gouvernement tenta de nettoyer Paris des révolutionnaires et de leur enlever les canons. Les troupes qui venaient d'arriver à Paris, furent placées sous le commandement de Vinoy, sous les ordres duquel les soldats, lors du coup d'État de 1851, tirèrent sur la foule des boulevards. Aux toutes premières heures de la journée, ces troupes enregistrèrent quelques succès, mais lorsque la Garde nationale s'aperçut du tour que prenait l'affaire, elle se mit en devoir de reconquérir les canons, et les soldats se mirent à fraterniser avec le peuple. À présent, la ville se trouve aux mains du peuple; les troupes qui ne sont pas passées du côté du peuple se sont repliées sur Versailles, et l'Assemblée nationale ne sait plus ce qu'il faut entreprendre.

Aucun des hommes du Comité Central n'est célèbre; il n'y a pas parmi eux de Félix Pyat et individus de son espèce; mais ces hommes sont bien connus de la classe ouvrière. Quatre membres de l'Internationale font partie du Comité.

Le lendemain, ce fut l'élection de la Commune.  [7]. Le Comité Central proclama qu'il respecterait la liberté de presse, mais ne tolérerait pas la presse pourrie des bonapartistes. La résolution la plus importante qu'il adopta, déclarait que les préliminaires de paix seraient respectés. Les Prussiens sont toujours encore à proximité immédiate et les chances d'un succès seraient plus grandes, si l'on pouvait réussir à les tenir à l'écart de la lutte.

Engels
Exposé sur la Commune de Paris, à la réunion du 11 avril 1871

Le citoyen Engels dit qu'il a encore un autre fait à mentionner. Récemment, la presse était pleine des miracles que l'Association aurait accompli, mais le dernier miracle dont relate un journal parisien est que Marx aurait été le secrétaire privé de Bismarck en 1857.

Engels dit, en outre, qu'on ne peut admettre d'assister au déroulement des événements de Paris sans en dire quelque chose. Tant que le Comité Central de la Garde nationale a dominé la situation, les choses se sont bien passées; mais après les élections,  [8] il y eut plus de bavardages que d'actions. Il eût fallu foncer sur Versailles, lorsque celle-ci était faible. Or cette occasion a été manquée, et il semble maintenant que les Versaillais prennent le dessus et repoussent les Parisiens. Le peuple ne tolérerait pas longtemps qu'on le conduise à la défaite. Les Parisiens semblent avoir perdu du terrain, leurs munitions ont été utilisées sans grande efficacité et leur approvisionnement en vivres décline. Tant que Paris a eu un accès vers l'extérieur, on ne pouvait pas obtenir sa reddition en l'affamant. Favre aurait rejeté l'offre d'un soutien prussien.  [9] En juin 1848, la lutte a été terminée en quatre jours, mais les ouvriers ne disposaient pas alors de canons. Aujourd'hui, les choses ne peuvent aller aussi vite. Louis-Napoléon a fait construire de larges avenues pour pouvoir tirer sur les ouvriers à coups de canon. Or, aujourd'hui, ce plan tourne à l'avantage des ouvriers qui peuvent balayer à coups de canon leurs adversaires dans ces avenues. Les ouvriers - 200 000 hommes - sont bien mieux organisés que lors de tous les soulèvements précédents. Cependant, la situation est difficile, et les chances moins bonnes qu'il y a 15 jours.

Marx
Exposé sur la Commune de Paris à la réunion du 25 avril 1871

Marx... ou journaux.  [10] On a trouvé une solution pour l'avenir, étant donné qu'un homme d'affaires qui circule entre Londres et Paris, se charge aussi d'établir la liaison entre la Commune et nous.

Serraillier et Dupont se sont portés candidats pour les sièges vacants du XVIIe arrondissement.  [11] Serraillier nous a informés que Dupont serait certainement élu, mais il n'a plus écrit depuis les élections. Peut-être a-t-il envoyé sa lettre à Manchester. On s'aperçoit qu'il y a plus de lettres expédiées que de lettres arrivées à bon port.

Félix Pyat et Vésinier ont calomnié Serraillier et Dupont, à Paris; mais ils se sont récusés, lorsque Serraillier les a menacés de les poursuivre en justice. Il est tout à fait urgent d'écrire immédiatement à Paris pour révéler les raisons secrètes qui ont poussé Pyat à calomnier Serraillier et Dupont. (Le citoyen Mottershead propose que le citoyen Marx soit chargé de rédiger cette lettre.)  [12].

Lafargue a posté les lettres à l'extérieur des lignes de défense parisiennes, leur réexpédition par chemin de fer explique leur retard; les lettres ont été ouvertes aussi bien par les autorités françaises que prussiennes. La plupart des nouvelles qu'elles contenaient avaient vieilli; mais les journaux n'ont pas mentionné certains faits. Les lettres disaient que la province était aussi peu au courant de ce qui se passe à Paris qu'au temps du siège. Dès lors que les combats s'arrêtent, Paris est aussi calme qu'auparavant.

Une grande partie de la classe moyenne a rallié la Garde nationale de Belleville. Les gros capitalistes se sont enfuis, mais les petits commerçants et artisans se sont joints aux ouvriers. L'enthousiasme du peuple et des gardes nationaux est indescriptible, et les Versaillais sont insensés de s'imaginer qu'ils peuvent envahir Paris. Les Parisiens ne croient pas à un soulèvement dans les provinces et savent que l'ennemi concentre des forces supérieures contre la capitale, mais ils ne les redoutent pas. Ils sont néanmoins préoccupés par une éventuelle intervention prussienne et par la pénurie de vivres. Les décrets sur les loyers et les dettes sont vraiment des mesures magistrales, sans elles les trois quarts des petits commerçants et artisans eussent fait faillite.  [13]. L'assassinat de Duval et de Flourens ont suscité un désir de vengeance. La famille de Flourens et la Commune ont chargé des fonctionnaires judiciaires de rechercher quelles ont été les causes de sa mort, mais sans résultat. Flourens aurait été tué dans sa propre maison.

On a obtenu quelques informations sur la manière dont on fabrique les dépêches. Lorsque Brutto contrôla les comptes du gouvernement de la Défense nationale, il découvrit qu'on avait dépensé de l'argent pour réaliser une guillotine plus perfectionnée et transportable. Cette guillotine aurait été retrouvée par la Commune et brûlée. La société du gaz se serait endettée pour plus d'un million de francs auprès de l'administration municipale, mais n'aurait pris aucune disposition pour la rembourser. Ce n'est que lorsqu'on confisqua ses biens qu'une traite de cette somme fut adressée à la Banque de France. Toutes les dépêches et nouvelles de correspondants ne donnent qu'une version tronquée de ces faits. Ce qui tracasse le plus tous ces gens, c'est que la Commune administre à si peu de frais. Ses employés du plus haut poste ne reçoivent que 6 000 francs par an, les autres le salaire d'un ouvrier.

L'Adresse [sur la Guerre Civile] serait prête pour la prochaine réunion.

Engels
Exposé sur la Commune de Paris, à la réunion du 9 mai 1871

Le citoyen Engels dit alors que l'Adresse n'est pas encore terminée. Le citoyen Marx a été très souffrant, et l'élaboration de l'Adresse a encore aggravé son état. Toutefois, elle serait achevée samedi, et le Comité permanent pourrait passer chez Marx dans l'après-midi à n'importe quelle heure après 17 heures. Un émissaire de la Commune serait passé à Londres et aurait apporté de bonnes nouvelles. Des mesures sévères viennent d'être prises pour empêcher quiconque d'entrer en ville sans laissez-passer. On s'est aperçu que des espions versaillais se promenaient librement à Paris. L'attaque principale a été repoussée. L'armée de Versailles a tenté de percer les lignes de défense des gardes nationaux et le système des fortifications; mais désormais elle ne peut plus attaquer qu'à un seul point, et précisément là où elle a déjà subi un échec. La défense se renforce. La Commune a perdu un peu de terrain. Clamart a été reconquis. Même si l'armée versaillaise réussissait à s'emparer des remparts, elle se heurterait ensuite aux barricades. Il n'y a jamais eu encore de combat comme celui qui se prépare maintenant: pour la première fois, des barricades seront défendues au moyen de canons, de fusils militaires et de troupes régulières organisées. Les armées en présence sont pratiquement de force égale à présent. Versailles ne peut pas se procurer des troupes en province; une partie de ses propres forces a dû y être détachée pour maintenir l'ordre dans plusieurs villes. Thiers ne peut même pas tolérer que les conseillers municipaux se réunissent pour discuter de questions politiques à Bordeaux. Pour les en empêcher, il est obligé d'appliquer la loi napoléonienne.  [14]

Marx à Leo Frankel

Londres, vers le 26 avril 1871

Cher citoyen,

Le Conseil général m'a chargé, en son nom, de démentir avec la dernière énergie les basses calomnies répandues sur Serraillier par le citoyen F. Pyat. L'infamie de cet homme s'alimente à une seule source : sa haine contre l'Internationale. Grâce à la prétendue Section française de Londres que le Conseil général a exclue et dans laquelle s'étaient faufilés des mouchards, d'anciens gardes impériaux et autres chenapans, Pyat tenta de se faire passer aux yeux du monde comme le chef secret de notre Association, alors qu'il n'en faisait même pas partie. Son but était de nous rendre responsables de ses manifestations grotesques à Londres et de ses indiscrétions compromettantes à Paris, ce pour quoi le citoyen Tridon lui a donné la réponse qu'il méritait, lors de son séjour à Bruxelles.  [15] Le Conseil général s'est donc vu contraint de désavouer publiquement ce vulgaire intrigant. D'où sa colère contre Dupont et Serraillier. Lorsque dans la prétendue Section française Serraillier menaça les misérables comparses de Pyat de les citer devant un tribunal anglais, pour juger des calomnies que Pyat répète maintenant à Paris, ils furent désavoués par la Section française et flétris comme calomniateurs. Comme la vie politique de Serraillier n'offre pas la moindre prise à la calomnie, on s'est tourné vers sa vie privée. Si Pyat avait une vie privée aussi propre que celle de Serraillier, il n'aurait pas eu à essuyer quelques affronts sanglants à Londres.

Le Conseil général publiera ces jours-ci une Adresse sur la Commune. Il en a remis jusqu'ici la publication, car il attendait jour après jour des informations précises de la Section parisienne. En vain ! Pas un mot ! Le Conseil ne pouvait hésiter plus longtemps, étant donné que les ouvriers attendaient avec une impatience croissante les explications de notre part.

Cependant, nous n'avons pas perdu notre temps. Grâce aux correspondances des différents secrétaires aux Sections du continent et des États-Unis, les ouvriers ont obtenu partout l'explication du véritable caractère de cette sublime révolution de Paris.

J'ai reçu la lettre des mains du citoyen.  * Il était au courant de l'envoi que vous savez pour moi. On a eu tort à Paris, lorsqu'on n'a pas expédié les papiers susceptibles de faciliter les opérations. Vous devez maintenant avoir des titres à 3 %, en cote libre, négociables au cours du jour. Le citoyen vous fournira toutes les autres explications utiles. On peut lui confier les valeurs: elles sont en parfaite sécurité dans ses mains.

Marx à Leo Frakel et Louis-Eugène Varlin

(Brouillon)

Londres, le 13 mai 1871

Chers citoyens Frankel et Varlin,

J'ai eu des entrevues avec le porteur.

Ne serait-il pas utile de mettre en lieu sûr les papiers compromettants pour les canailles de Versailles ? Une telle précaution ne peut jamais être nuisible.

On m'a écrit de Bordeaux que quatre Internationaux ont été élus aux dernières élections municipales. Les provinces commencent à fermenter. Malheureusement leur action est localisée et « pacifique ».

J'ai écrit plusieurs centaines de lettres pour exposer et défendre votre cause à tous les coins du monde où nous avons des branches  [16]. La classe ouvrière était du reste pour la Commune dès son origine.

Même les journaux bourgeois de l'Angleterre sont revenus de leur première réaction de férocité. Je réussis à y glisser de temps en temps des paragraphes favorables.

La Commune me semble perdre trop de temps à des bagatelles et à des querelles personnelles. On voit qu'il y a d'autres influences que celles des ouvriers. Tout cela ne serait rien, si vous disposiez de temps pour rattraper le temps perdu.  [17].

Il est absolument nécessaire de faire vite pour tout ce que vous voudriez faire en dehors de Paris, en Angleterre ou ailleurs. Les Prussiens ne livreront pas les forts aux Versaillais, mais après la conclusion définitive de la paix (le 10 mai  [18] ), ils permettront au gouvernement de cerner Paris avec ses gendarmes. Étant donné que Thiers et Cie avaient, comme vous le savez, stipulé un grand pot-de-vin  [19] dans leur traité conclu par Pouyer-Quertier, ils refusèrent d'accepter l'aide des banquiers allemands offerte par Bismarck. Dans ce cas, ils auraient perdu le pot-de-vin. La condition préalable de la réalisation de leur traité étant la conquête de Paris, ils ont prié Bismarck d'ajourner le paiement du premier terme jusqu'à l'occupation de Paris. Bismarck a accepté cette condition. La Prusse, ayant elle-même un besoin très pressant de cet argent, donnera donc toutes les facilités possibles aux Versaillais pour accélérer l'occupation de Paris. Ainsi, prenez garde !

Engels

Résolution du Conseil général sur l'exclusion de Tolain

The Eastern Post, 29 avril 1871

Attendu que le Conseil général a été prié de confirmer la décision du Conseil fédéral des sections parisiennes qui a exclu le citoyen Tolain de l'Association parce qu'ayant été élu pour représenter la classe ouvrière à l'Assemblée nationale, il y a trahi sa cause de la manière la plus lâche;

Attendu que la place de tout membre français de l'Association internationale des travailleurs est indubitablement au côté de la Commune de Paris, et non dans l'Assemblée usurpatrice et contre-révolutionnaire de Versailles,  [20] le Conseil général confirme la décision du Conseil fédéral de Paris et déclare que le citoyen Tolain est chassé de l'A.I.T.

Le Conseil général n'a pu régler cette affaire plus tôt, parce que la version authentique de la décision ci-dessous mentionnée du Conseil fédéral de Paris ne lui est parvenue que le 25 avril.

Marx à Kugelmann

Londres, le 12 avril 1871

Cher Kugelmann,

Tes conseils médicaux ont eu pour effet que je suis allé consulter le Dr Maddison et que je suis maintenant la cure qu'il m'a prescrite. Il déclare toutefois que mes poumons sont en parfait état et que la toux est d'origine bronchitique, etc. Sa médication agira aussi sur le foie.

Nous avons reçu hier la nouvelle peu rassurante que Lafargue - sans Laura - était en ce moment à Paris.

Si tu relis le dernier chapitre de mon 18-Brumaire, tu verras que j'y prévois que le prochain assaut révolutionnaire en France devra s'attacher non plus à faire passer la machine bureaucratico-militaire en d'autres mains, comme ce fut le cas jusqu'ici, mais à la détruire, et que c'est là la condition préalable de toute révolution véritablement populaire sur le continent. C'est aussi ce qu'ont tenté nos héroïques camarades de Paris. De quelle souplesse, de quelle initiative historique, de quelles capacités de sacrifice ont fait preuve ces Parisiens ! Après six mois de famine et de destructions dues à la trahison intérieure plus encore qu'à l'ennemi extérieur, ils se soulèvent, sous le règne de la baïonnette prussienne, comme s'il n'y avait jamais eu de guerre entre la France et l'Allemagne, comme si l'ennemi n'était pas toujours aux portes de Paris ! L'histoire n'a pas connu à ce jour d'exemple aussi grand !

S'ils succombent, la faute en sera uniquement à leur « magnanimité». Il eût fallu marcher aussitôt sur Versailles, après que Vinoy d'abord, les éléments réactionnaires de la Garde nationale parisienne ensuite, eurent eux-mêmes laissé le champ libre. On laissa passer le moment propice par scrupule de conscience: on ne voulait pas déclencher la guerre civile, comme si le méchant avorton de Thiers ne l'avait pas déjà déclenchée lorsqu'il tenta de désarmer Paris ! Deuxième faute: le Comité Central abandonna trop tôt le pouvoir en cédant la place à la Commune.  [21]. Encore par un excessif scrupule d' « honneur » !

Quoi qu'il en soit, même si elle est en train de succomber devant les loups, les porcs et les chiens de la vieille société, l'actuelle insurrection de Paris est le plus glorieux exploit de notre Parti depuis l'insurrection parisienne de juin 1848. Que l'on compare ceux qui, à Paris, sont montés à l'assaut du ciel avec ceux qui sont les esclaves du céleste Saint-Empire romain de la Germanie prussienne, avec ses mascarades posthumes et ses relents de caserne et d'église, de féodalité et surtout de philistinisme.

K. M.

Marx à Kugelmann

Londres, le 17 avril 1871

Cher Kugelmann,

Ta lettre est bien arrivée. En ce moment j'ai du travail par-dessus la tête. Aussi quelques mots seulement. Je ne peux absolument pas comprendre que tu compares les manifestations petites-bourgeoises à la 13 juin 1849, etc. avec l'actuelle lutte à Paris.  [22]

Il serait évidemment fort commode de faire l'histoire du monde, si l'on n'engageait le combat qu'avec des chances infailliblement favorables. Au demeurant elle serait de nature très mystique, si les « hasard » n'y jouaient aucun rôle. Ces hasards eux-mêmes font naturellement partie du cours général de l'évolution et se trouvent compensés par d'autres hasards. Or, l'accélération ou le ralentissement de l'évolution sont très dépendants de tels « hasards », parmi lesquels figure aussi le « hasard » du caractère des gens qui se trouvent d'abord à la tête du mouvement.

Pour cette fois, il ne faut pas rechercher le plus décisif des « hasards » défavorables dans les conditions générales de la société française, mais dans la présence des Prussiens en France et dans le fait qu'ils encerclaient étroitement Paris. Les Parisiens le savaient fort bien, mais c'est aussi ce que savaient les canailles bourgeoises de Versailles. C'est exactement pour cela qu'elles placèrent les Parisiens devant l'alternative ou de relever le défi, ou de succomber sans lutter. Dans le dernier cas, la démoralisation de la classe ouvrière eût été un malheur infiniment plus grand que la liquidation d'un nombre quelconque de « chefs ».  [23]

Grâce à la lutte des Parisiens, la bataille de la classe ouvrière contre la classe et l'État capitalistes est entrée dans une phase nouvelle. Quelle qu'en soit l'issue, c'est la conquête d'un nouveau point de départ d'une importance historique universelle.

Addio.

K. M.

Marx à Wilhelm Liebknecht

Londres, le 6 avril 1871

Cher Liebknecht,

Le Conseil général a accueilli avec joie la nouvelle de ta libération, ainsi que de celle de Bebel et des Brunswickois.

Il semble que les Parisiens aient le dessous. C'est de leur faute, mais une faute qui provient en fait de leur trop grande honnêteté. Le Comité Central et plus tard la Commune laissèrent le temps au méchant avorton Thiers de concentrer les forces ennemies: 1º parce qu'ils avaient la folle volonté de ne pas déclencher la guerre civile, comme si Thiers ne l'avait pas déjà engagée en essayant par la force de désarmer Paris, comme si l'Assemblée nationale, convoquée seulement pour décider de la guerre ou de la paix avec la Prusse, n'avait pas aussitôt déclaré la guerre à la République ? 2º parce qu'ils ne voulaient pas laisser planer sur eux le doute d'avoir usurpé le pouvoir, ils perdirent un temps précieux du fait de l'élection de la Commune, dont l'organisation etc. coûta beaucoup de temps, alors qu'il eût fallu foncer directement sur Versailles après la défaite des réactionnaires à Paris.  [24]

Ne crois pas un seul mot de tout ce que tu peux apprendre par les journaux sur les événements qui se sont déroulés à Paris. Tout n'est que mensonge et tromperie. Jamais la presse bourgeoise n'a aussi brillamment fait étalage de sa bassesse.

Il est tout à fait symptomatique que l'Empereur unique de l'Allemagne, l'Empire unitaire et le Parlement de l'unité ne semblent même pas exister à Berlin aux yeux du monde extérieur: le moindre coup de vent à Paris suscite plus d'intérêt.

Vous devriez suivre avec attention les événements dans les Principautés danubiennes. Si la révolution est momentanément écrasée en France, le mouvement ne peut être bloqué cependant que pour très peu de temps, et une nouvelle période de guerre s'ouvrira pour l'Europe à partir de l'Est: la Roumanie en fournira le premier prétexte à l'orthodoxe tsar. Donc attention de ce côté-là !...  [25]

K. M.

Marx à Edward Spencer Beesly

1, Maitland Park Road, N.W., 12 juin 1871

Cher Monsieur,

Lafargue, sa famille et mes filles sont dans les Pyrénées près de la frontière espagnole, mais du côté français.  [26] Étant né à Cuba, Lafargue a pu se procurer un passeport espagnol. Mais, j'aimerais qu'il s'établisse définitivement du côté espagnol, du fait qu'il a joué à Bordeaux un rôle de premier plan.

J'estime beaucoup vos articles du Bee-Hive.  [27] Mais vous me permettrez de vous faire remarquer qu'en étant homme de parti j'ai une position tout à fait hostile à l'égard du comtisme, et en tant qu'homme de science j'en ai une très mince opinion. Cependant, je vous considère comme le seul comtiste, aussi bien en Angleterre qu'en France, qui ne traite pas les crises et tournants historiques en sectaire, mais en historien au sens le meilleur du terme. En conséquence, je déplore presque de trouver votre nom dans ce journal. Le Bee-Hive se fait passer pour un journal ouvrier, mais c'est en réalité l'organe de renégats, vendu à Samuel Morley et Cie. Lors de la récente guerre franco-prussienne, le Conseil général de l'Internationale a été obligé de rompre toute relation avec cette feuille et de déclarer publiquement que c'est un organe pseudo-ouvrier. Les grandes feuilles londoniennes se refusèrent toutefois à publier cette déclaration, à l'exception de l'Eastern Post, journal local de Londres. Dans ces conditions, votre collaboration au Bee-Hive n'est pas une contribution à notre bonne cause.

Une de mes amies part dans trois ou quatre jours pour Paris. Je lui confierai trois passeports en règle pour certains membres de la Commune qui doivent se cacher à Paris. Si vous, ou l'un de vos amis, avez des commissions à y faire, écrivez-moi, je vous prie.

On m'envoie régulièrement de Paris les absurdités que la petite presse publie chaque jour sur mes écrits et mes relations avec la Commune. Tout cela m'amuse. En outre cela démontre que la police versaillaise éprouve un besoin impérieux de se procurer des documents véritables. Un marchand allemand qui voyage toute l'année pour affaires entre Paris et Londres, a assuré la liaison entre la Commune et moi. Tout était réglé oralement, sauf pour deux affaires.

Par cet intermédiaire, j'ai envoyé premièrement aux membres de la Commune une lettre de réponse à la question qu'ils me posaient sur la possibilité de négocier certaines valeurs à la bourse de Londres.

Deuxièmement, le 11 mai, dix jours avant la catastrophe, j'ai envoyé par le même canal tous les détails de l'accord secret entre Bismarck et Favre à Francfort.  [28]

L'information m'avait été transmise par un collaborateur direct de Bismarck  [29] qui appartint jadis à une société secrète (1848-1852), que je dirigeais. Cet homme sait que je détiens encore tous les rapports qu'il m'a expédiés d'Allemagne sur la situation de ce pays, en sorte qu'il dépend de ma discrétion. D'où ses efforts pour me prouver encore ses bonnes intentions. C'est celui-là même qui, comme vous le savez, m'a fait prévenir que Bismarck était décidé à me faire arrêter, si j'avais été rendre visite cette année au Dr Kugelmann à Hanovre.

Quant à la Commune, que n'a-t-elle écouté mes avertissements ! J'ai conseillé à ses membres de fortifier le côté nord des hauteurs de Montmartre, (le côté prussien), alors qu'il en était encore temps. Je leur ai dit à l'avance qu'ils risquaient autrement d'être pris dans une souricière. En outre, je les ai mis en garde contre Pyat, Grousset et Vésinier. Enfin, je leur ai demandé d'envoyer aussitôt à Londres les papiers compromettants pour les membres de la Défense nationale pour pouvoir grâce à ce moyen tenir quelque peu en échec la férocité des ennemis de la Commune. Bref, tout cela eût pu faire échouer en partie le plan des Versaillais.

Si les Versaillais avaient trouvé ces documents, ils n'auraient pas publié de faux.

L'Adresse de l'Internationale ne paraîtra pas avant mercredi. Je vous ferai parvenir aussitôt un exemplaire. Un texte couvrant 4 à 5 feuilles d'imprimerie a été publié sur 2 feuilles. D'où d'innombrables corrections, révisions et coquilles. Tout cela a causé du retard.

Votre fidèle,

Karl Marx

Marx

Mr. Washburne, l'ambassadeur américain à Paris

Au Comité central new-yorkais de la Section de l'Association Internationale des Travailleurs aux États-Unis

Londres, juillet 1871

Citoyens,

Le Conseil général de l'Association estime devoir vous éclairer sur l'attitude prise par l'ambassadeur américain, Mr. Washburne, au cours de la guerre civile en France.  [30]

1

Un premier témoignage émane de Mr Robert Reid, un Écossais qui a vécu dix-sept ans à Paris et qui fut le correspondant du Daily Telegraph de Londres et du Herald de New York durant la guerre civile. Notons, en passant, que le Daily Telegraph poussa la connivence avec le gouvernement versaillais au point de falsifier les brèves dépêches télégraphiques que lui transmettait Mr Reid.

Étant de retour en Angleterre, Mr Reid est disposé à témoigner sous serment.

« Le fracas du tocsin d'alarme, mêlé aux grondements du canon, se poursuivit toute la nuit. Impossible de dormir. Mais où sont donc - me disais-je - les représentants d'Europe et d'Amérique ? Est-il possible qu'ils ne fassent pas le moindre geste de conciliation, alors que le sang des innocents coule à flots ? Ne pouvant supporter plus longtemps cette idée et sachant que Mr Washburne était en ville, je décidai d'aller lui rendre visite. C'était, je pense, le 17 avril; quoi qu'il en soit, la date exacte peut être établie par ma lettre à lord Lyons, auquel j'écrivis le même jour. En passant sur les Champs-Élysées pour aller trouver Mr Washburne, je croisai de nombreuses ambulances transportant des blessés et des morts. Des bombes éclataient tout autour de l'Arc de Triomphe, et toujours plus d'innocentes personnes venaient s'ajouter à la longue liste des victimes de M. Thiers.

À mon arrivée au 95 rue de Chaillot, je m'adressai au portier de l'ambassade qui m'envoya au second étage. L'étage de l'appartement que vous habitez à Paris est une indication presque infaillible de votre fortune et de votre rang, une sorte de baromètre social. Tout de suite au premier étage, nous trouvons un marquis, au fond du cinquième un modeste artisan. Les étages qui les séparent symbolisent l'abîme social qui existe entre eux. En montant les escaliers, je ne vis pas de laquais ventrus, en culottes rouges et bas de soie, et je me dis: « Eh bien ! les Américains placent leur argent mieux que nous, qui le gaspillons. »

Dans le bureau du secrétaire, je m'informai de Mr Washburne: « Désirez-vous le voir personnellement ? » - « Certainement ! » On m'annonça, et je lui fus présenté. Il était vautré nonchalamment dans son fauteuil et lisait le journal. je m'attendais à ce qu'il se lève, mais il resta assis, en continuant à lire son journal: un acte d'une telle grossièreté choque dans un pays où tout le monde est si poli.

Je dis à Mr Washburne que nous trahirions la cause de l'humanité, si nous ne faisions pas tout ce qui est en notre pouvoir pour aboutir à une conciliation. Que nous réussissions ou non, il était de notre devoir d'essayer, et le moment semblait des plus favorables, puisque les Prussiens étaient pressés d'arriver à une conclusion définitive avec Versailles. L'influence concurrente de l'Amérique et de l'Angleterre eussent pu faire pencher la balance en faveur de la paix.

Mr. Washburne répondit: « Les Parisiens sont des rebelles. Ils doivent déposer les armes ! » Je lui fis observer que la Garde nationale était en droit de les garder, mais que ce n'était pas là la question. En effet, lorsque l'humanité est foulée aux pieds, le monde civilisé a le droit d'intervenir, et je vous prie de coopérer avec lord Lyons dans ce but. - Mr Washburne: « Ces Versaillais ne voudront rien entendre. » - « Si vous refusez, vous en porterez la responsabilité morale. » - Mr. Washburne: « Je ne pense pas. Je ne puis rien dans cette affaire. Voyez plutôt Mr Lyons. »

Ainsi prit fin notre entrevue. Je quittai Mr Washburne profondément déçu. J'étais tombé sur un personnage grossier et arrogant, n'ayant rien de cette fraternité que l'on s'attend à trouver chez un représentant d'une République démocratique. J'ai eu l'honneur de rencontrer deux fois lord Cowley, alors qu'il représentait l'Angleterre en France. Sa courtoisie et sa simplicité forment un contraste frappant avec la froideur, la prétention et les airs pseudo-aristocratiques qu'affiche l'ambassadeur américain.

Je m'efforçai maintenant de convaincre lord Lyons qu'il était de l'intérêt de l'humanité que l'Angleterre tentât un effort sérieux pour obtenir une réconciliation, car j'étais convaincu que le gouvernement anglais ne pouvait assister sans broncher aux atrocités et aux massacres de Clamart et de Moulin-Saquet, sans parler des scènes d'horreur de Neuilly, si elle ne voulait pas encourir la malédiction de tout ami de l'humanité. Lord Lyons me fit savoir oralement par son secrétaire, Mr Edouard Malet, qu'il avait transmis ma lettre au gouvernement et qu'il était disposé à en faire autant pour tout ce que j'aurais à y ajouter. Un instant, les conditions furent extrêmement favorables à la conciliation et, si notre gouvernement avait jeté tout son poids dans la balance, il eût épargné au monde le bain de sang de Paris. En tout cas, ce ne fut pas par la faute de lord Lyons que le gouvernement anglais manqua à ses devoirs.

Mais, revenons à Mr Washburne. Dans l'après-midi du mercredi 24 mai, comme je passais sur le boulevard des Capucines, quelqu'un m'appela par mon nom et, en me retournant, je vis Mr Hossart, au côté de Mr Washburne dans une calèche, entouré d'un grand nombre d'Américains. Après les politesses d'usage, j'entrai en conversation avec le Dr Hossart.

La conversation roula aussitôt sur les scènes d'horreur qui se déroulaient non loin de là, et chacun dit son mot. Mr Washburne, se tournant vers moi, dit d'un ton profondément pénétré: « Tous ceux qui appartiennent à la Commune et tous ceux qui sympathisent avec elle seront fusillés. » Hélas ! Je ne savais que trop bien qu'on tuait jeunes ou vieux pour le seul crime de sympathiser avec la Commune; mais je n'imaginais pas de l'entendre dire semi-officiellement par Mr Washburne. Au moment où il prononçait cette phrase sanguinaire, il était encore temps pour lui de sauver l'archevêque.  [31]

2

« Le 24 mai, le secrétaire de Mr Washburne alla proposer à la Commune qui siégeait à la mairie du XIe arrondissement, un compromis préparé par les Prussiens en vue d'un règlement entre Versailles et Fédérés. Les conditions en étaient les suivantes: suspension des hostilités; réélection de la Commune d'une part, et de l'Assemblée nationale de l'autre; les troupes versaillaises quittent Paris et s'installent dans les forts; la défense continue d'être assurée par la Garde nationale; personne ne pourra être poursuivi parce qu'il a servi ou sert dans l'armée fédérale.

Lors d'une séance extraordinaire, la Commune accepta ces propositions, sous réserve que la France aurait deux mois pour se préparer aux élections générales de l'Assemblée constituante.

Une seconde entrevue eut lieu avec le secrétaire de l'ambassade américaine. Le 25 mai, dans sa séance du matin, la Commune décida d'envoyer cinq plénipotentiaires - parmi lesquels Vermorel, Delescluze et Arnold - à Vincennes, où devait se trouver un représentant de la Prusse, selon les indications du secrétaire de Mr Washburne. Mais la délégation fut repoussée par les Gardes nationaux à la porte de Vincennes. Lors d'une dernière entrevue avec le même secrétaire américain, celui-ci transmit un sauf-conduit au citoyen Arnold pour se rendre le 26 mai à Saint-Denis, où il ne fut pas reçu par les Prussiens.

Cette médiation américaine eut pour résultat de faire croire à un armistice et à une position de neutralité de la Prusse à l'égard des belligérants: au moment le plus critique, elle servit à paralyser la défense durant deux jours. Malgré les mesures prises pour garder secrètes les négociations, elles vinrent à la connaissance des Gardes nationaux qui, se fiant à la neutralité de la Prusse, se rendirent dans les lignes prussiennes pour se constituer prisonniers. On sait comment leur confiance fut trompée par les Prussiens, qui les reçurent à coups de fusil et livrèrent les survivants au gouvernement de Versailles.

Tout au long de la guerre civile, par le truchement de son secrétaire, Mr Washburne ne cessa d'assurer la Commune de ses plus vives sympathies, que seule sa position diplomatique empêchait de manifester publiquement, tandis qu'il prétendait réprouver fermement le gouvernement de Versailles. »

Ce second témoignage provient d'un membre de la Commune de Paris, qui est prêt - comme Mr Reid - à confirmer ses assertions par serment.

Pour juger vraiment de l'attitude de Mr Washburne, il faut lire le témoignage de Mr Robert Reid et celui du membre de la Commune comme un tout unique, deux faces d'une seule et même affaire.

Tandis que Mr Washburne déclarait à Mr Reid que les communards étaient des «rebelles » qui méritaient leur châtiment, il assurait la Commune qu'il sympathisait avec sa cause et prétendait mépriser le gouvernement de Versailles. Le même 24 mai, il informait Mr Reid que, non seulement les Communards, mais tous ceux qui sympathisaient avec eux méritaient purement et simplement la mort, tandis qu'il chargeait son secrétaire de persuader la Commune que non seulement ses membres, mais encore tous les soldats de l'armée fédérée auraient la vie sauve.

Nous vous prions, chers citoyens, de soumettre ces faits à la classe ouvrière des États-Unis afin qu'elle décide si Mr Washburne mérite de représenter la République américaine.

le 11 juillet 1871.

Le Conseil général de l'Association internationale des travailleurs (suivent les signatures)

Extraits des protocoles des réunions du Conseil Général

Marx
Exposé sur la Commune de Paris, le 23 mai 1871

Le citoyen Marx déclare qu'il est malade et n'est donc pas en mesure de terminer l'Adresse promise, mais il espère qu'elle sera prête mardi prochain. En ce qui concerne les combats de Paris, il craint que la fin ne soit proche; mais si la Commune est battue, le combat est simplement différé. Les principes de la Commune sont éternels et ne peuvent pas être détruits: ils resurgiront toujours de nouveau jusqu'à ce que la classe ouvrière soit émancipée.

La Commune de Paris a été écrasée avec l'aide des Prussiens, qui ont assumé le rôle de gendarmes de Thiers. Bismarck, Thiers et Favre ont conspiré pour liquider la Commune. À Francfort, Bismarck a reconnu que Thiers et Favre lui ont demandé d'intervenir. Le résultat démontre qu'il est disposé à faire tout ce qui est en son pouvoir pour les aider -, sans risquer la vie de soldats allemands, non parce qu'il ménage les vies humaines lorsque s'ouvre à lui la perspective d'un butin, mais parce qu'il veut humilier encore davantage les Français qui se battent entre eux pour pouvoir leur extorquer encore plus de choses. Bismarck a autorisé Thiers à utiliser plus de soldats que n'en prévoyait la convention; en revanche, il n'a permis qu'un approvisionnement limité de Paris en vivres.

Tout cela n'est que la répétition de pratiques anciennes. Les classes supérieures se sont toujours mises d'accord, lorsqu'il s'agissait de mater la classe travailleuse. Au XIe siècle, lors d'une guerre entre les chevaliers français et normands, les paysans se soulevèrent et organisèrent une insurrection. Aussitôt les chevaliers oublièrent leurs différends et s'allièrent pour écraser le mouvement paysan. Pour montrer comment les Prussiens firent office de policiers, il suffit de rappeler que, dans la ville de Rouen qu'ils occupent, ils firent arrêter 500 hommes sous prétexte qu'ils appartiennent à l'Internationale. On redoute l'Internationale. Tout récemment, le comte de Jaubert - momie desséchée, ministre en 1834, bien connu pour avoir prôné des mesures dirigées contre la presse - a déclaré dans un discours à l'Assemblée nationale française, qu'une fois l'ordre de nouveau rétabli, il serait du devoir du gouvernement d'enquêter sur l'activité de l'Internationale et de la liquider.


Notes

[1] À la nouvelle de la catastrophe de Sedan et de la révolution du 4 septembre consacrant l'effondrement du Second Empire, il y eut de grandes manifestations d'ouvriers révolutionnaires dans de nombreuses villes françaises. Des organes du pouvoir - communes - furent créés à Lyon, Marseille et Toulouse. Le gouvernement de la Défense nationale ne put tolérer cet État rival et entreprit de le réprimer par tous les moyens. Dans les provinces, les Communes instaurèrent, malgré leur brève existence, une série de mesures révolutionnaires importantes: remplacement de l'appareil administratif et policier, libération des prisonniers politiques, introduction de l'instruction laïque, forte imposition des grandes fortunes, restitution des objets - au-dessous d'une certaine valeur - mis en gage aux monts-de-piété.

[2] Le 3 novembre, le gouvernement de la Défense nationale, fortement ébranlé par les actions révolutionnaires du 31 octobre, organisa en toute hâte, dans Paris assiégé, au milieu d'un climat de peur et de contrainte et sous l'action d'une intense propagande démagogique, un véritable plébiscite sur la question de savoir si la population acceptait, « oui ou non », de maintenir les pouvoirs du gouvernement.

[3] La Ligue du Midi fédéra les mouvements des départements du Sud-Est, qui s'efforcèrent d'épurer le personnel bonapartiste, de lutter contre l'envahisseur et d'instaurer la République sociale. Elle subsista du 18 septembre à novembre 1870.

[4] C'est ce que dit Engels dès le 7 septembre 1870 dans sa lettre à Marx; « les Prussiens ont fait cadeau à la France d'une république, mais laquelle ! » Cf. l'article de Lénine sur la difficile question de la dualité du pouvoir, in V. Lénine, la Commune de Paris, p. 22-26, article écrit entre la révolution de Février et d'Octobre 1917, soit à un moment où se réalisait la prévision de Marx selon laquelle la Commune et ses problèmes resurgiront sans cesse de nouveau jusqu'à ce que ses principes se réalisent.

[5] Engels décrit cet épisode dans le Rôle de la violence dans l'histoire... -, in Écrits militaires, pp. 573-574.

[6] Engels fait allusion aux élections du 8 février qui aboutirent à l'Assemblée nationale réactionnaire, réunie pour la première fois le 12 février 1871 à Bordeaux.

* À la réunion suivante du Conseil général du 28 mars 1871, Engels déclara que dans le compte rendu de son exposé du 21 mars, il s'était glissé une erreur: il avait confondu les généraux Aurelle de Paladine et Valentin. En fait, c'est ce dernier qui a été nommé préfet de police.

[7] Dans sa première ébauche de l'Adresse sur la guerre civile, Marx écrit à ce propos: « Sur la base existante de son organisation militaire, Paris édifia une fédération politique, selon un plan très simple. Elle consistait en une association de toute la Garde nationale, unie en toutes ses parties par les délégués de chaque compagnie, désignant à leur tour les délégués de bataillons, qui, à leur tour, désignaient des délégués généraux, les généraux de légion - chacun d'eux devant représenter un arrondissement et coopérer avec les délégués des 19 autres arrondissements. Ces 20 délégués, élus à la majorité par les bataillons de la Garde nationale, composaient le Comité central, qui, le 18 mars, prit l'initiative de la plus grande révolution de notre siècle... » (cf. Éd. Soc., p. 209).
La forme prise dès le début par la Commune confirme ainsi les idées de Marx et d'Engels sur la dictature du prolétariat, dont l'État est une superstructure de force, violence concentrée de la classe au pouvoir: « La révolution tout court - c'est-à-dire le renversement du pouvoir existant et la désagrégation des anciens rapports sociaux - est un acte politique. Le socialisme ne peut se réaliser sans cette révolution. Il lui faut cet acte politique dans la mesure où il a besoin de détruire et de dissoudre. Mais le socialisme repousse l'enveloppe politique là où commence son activité organisatrice, là où il poursuit son but à lui, là où il est lui-même. » (Marx, le 10 août 1844, in Écrits militaires, p. 175-176). La Commune représentant tout cela, n'est donc plus un État au sens propre, cf. Engels à Bebel, 16-18 mars 1875.

[8] Il s'agit des élections à la Commune du 26 mars, qu'il faut distinguer de l'élection des délégués du Comité central de la Garde nationale. Marx critiqua l'organisation des élections du 26 mars qui fit perdre du temps aux Communards, affaiblit leur capacité de décision, mieux représentée par le Comité Central, et enfin installa au pouvoir des éléments encore moins énergiques et homogènes.

[9] Allusion à un discours de Favre devant l'Assemblée nationale, le 10 avril 1871. Il s'y efforça de disculper le gouvernement de Versailles accusé d'avoir conclu pratiquement une alliance avec les Prussiens. Il affirma, mensongèrement, que le gouvernement avait repoussé une offre d'aide de Bismarck.

[10] Le début de cet exposé de Marx n'a pu être retrouvé dans le cahier contenant les comptes rendus de séance du Conseil général, la page en ayant été arrachée. Comme le Conseil publiait les débats les plus importants dans Eastern Post quand il en avait l'occasion, nous avons - à l'instar de Marx-Engels, Werke, vol. 17 - utilisé le texte de Eastern Post pour compléter celui des comptes rendus de séance, rédigés plus sommairement.

[11] Serraillier fut élu le 16 avril 1871 à la Commune, lors d'élections complémentaires dans le 2e arrondissement. Eugène Dupont, membre du Conseil général, présenta sa candidature, mais elle ne put devenir effective, car, étant en Angleterre, il ne put atteindre Paris. Pyat calomnia Serraillier, membre du Conseil général de l'Internationale et homme de confiance de Marx, qui, après son élection, fut nommé à la Commission du travail, de l'industrie et du commerce. Les intrigues de Pyat avaient un sens nettement politique: ruiner l'influence du Conseil général de l'Internationale au sein de la Commune. Frankel, ministre du Travail de la Commune et correspondant de Marx, s'attacha à réfuter les calomnies de Pyat.

[12] Marx rédigea cette lettre le 26 avril, afin de fournir à Frankel des éléments pour répondre à Pyat.

[13] Le lecteur trouvera le détail des mesures prises par la Commune dans l'ouvrage des Éditions Sociales consacré à la Guerre Civile en France. Marx y note en particulier comment les mesures économiques, prises en faveur de la petite-bourgeoisie, réussirent à la détourner de sa traditionnelle alliance avec la bourgeoisie.

[14] Il s'agit, sans doute, de la loi municipale de 1831, qui limita de manière draconienne les droits des communes, ainsi que de la loi de 1855 qui interdit aux conseils municipaux d'établir des contacts entre eux.

[15] Edme-Marie-Gustave Tridon, ami et conseiller de Blanqui, publia dans la Cigale une lettre, intitulée la Commune révolutionnaire de Paris, où il attaquait Félix Pyat, à un moment où en France la Commune était en butte à une critique et une opposition de plus en plus violentes. Cette lettre répondait à un appel lancé par Pyat lors d'une réunion, tenue à Cleveland Hall le 29 juin 1868, pour commémorer l'insurrection ouvrière de juin 1848 de Paris. Pyat se fit le porte-parole d'une prétendue commune révolutionnaire, société parisienne et proposa une résolution déclarant qu'il était du devoir le plus sacré des Français d'assassiner Napoléon III. Tridon répondit simplement que cet appel était le produit de l'imagination de Pyat, qui était loin des rives de la Seine.
Dans le même numéro, la Cigale publia la résolution du Conseil général, rédigée par Marx, contre les agissements de Félix Pyat.

* Il s'agit probablement de N. Eilau, homme d'affaires, qui servit d'intermédiaire à Marx et ses correspondants de la Commune.

[16] Cette lettre ainsi que la précédente donne une idée de la correspondance de Marx avec des amis politiques, liés à la Commune. La plupart de ces lettres n'ont pu être retrouvées. Marx y aborde des questions très importantes, d'ordre financier en vue d'assurer des moyens matériels à la Commune, d'ordre militaire en vue de sa défense, et d'ordre politique pour la mettre en garde contre des ennemis avoués ou camouflés, et pour lui conseiller telle ou telle mesure sociale.
La plupart des lettres « écrites aux quatre coins du monde » pour exposer et défendre la cause de la Commune n'ont pas été retrouvées.

[17] Leo Frankel, ministre du travail de la Commune, écrivit à Marx, fin avril 1871: « Je souhaiterais vivement que vous m'aidiez de quelque façon que ce soit, de vos conseils, car je suis actuellement pour ainsi dire seul, et notamment seul responsable pour les réformes que je veux introduire et que j'introduirai dans le domaine du travail. Faites tout votre possible pour expliquer à tous les peuples, à tous les ouvriers, et notamment aux Allemands, que la Commune de Paris n'a rien de commun avec les communes petites-bourgeoises d'antan. C'est, d'ailleurs, ce qui ressort déjà des quelques lignes de votre dernière lettre. Avec cela, vous rendrez en tout cas un grand service à notre cause. »
Lénine, lui-même, poursuivit la polémique sur ce point contre Bernstein et accusa Plékhanov et Kautsky de se taire sur ce point. En effet, Bernstein prétendait que la Commune de Paris était une sorte de fédération de municipalités, l'État s'éteignant au fur et à mesure de l'accroissement du pouvoir de celles-ci. Et Lénine de s'indigner: Voilà qui est tout simplement monstrueux: confondre les vues de Marx sur la destruction du pouvoir d'État parasite avec le fédéralisme de Proudhon », et Lénine de citer les passages de l'Adresse de Marx sur l'organisation et la centralisation de la nation, cf. l'État et la Révolution,in Oeuvres choisies, op. cit., tome II, pp. 376-377.

[18] Le traité du 10 mai aggrava les conditions de paix: augmentation des indemnités de guerre à payer par la France, prolongation de l'occupation du territoire français. En fait, c'était le prix pour le soutien fourni par Bismarck au gouvernement de Versailles pour écraser la Commune.

[19] Selon des informations de presse, Thiers et d'autres membres du gouvernement auraient prévu de déduire une « provision » de plus de 300 millions de francs sur l'emprunt national. Thiers reconnut plus tard que les milieux financiers avec lesquels il avait négocié cet emprunt, avaient posé comme condition la liquidation la plus rapide possible de la révolution. De fait, le décret sur l'emprunt fut ratifié le 20 juin, après la défaite de la Commune.

[20] Le 17 avril, le Times fit allusion à la résolution du Conseil fédéral de Paris. Tolain avait refusé de quitter l'Assemblée de Versailles, comme l'exigeait la Commune. La trahison de Tolain marqua le glissement de la droite proudhonienne vers la contre-révolution.

[21] Il s'agit des élections à la Commune du 26 mars, qu'il faut distinguer de l'élection des délégués du Comité central de la Garde nationale. Marx critiqua l'organisation des élections du 26 mars qui fit perdre du temps aux Communards, affaiblit leur capacité de décision, mieux représentée par le Comité Central, et enfin installa au pouvoir des éléments encore moins énergiques et homogènes.

[22] Le 13 juin 1849, la Montagne petite-bourgeoise organisa une manifestation pacifique à Paris pour protester contre l'envoi de troupes françaises à Rome: l'article IV de la Constitution française n'interdisait-il pas d'envoyer des soldats français lutter contre la liberté d'autres peuples ? L'échec de cette manifestation, dispersée par la troupe, rendit évident la banqueroute de la démocratie petite-bourgeoise.

[23] Dans sa lettre du 15 avril 1871 à Marx, Kugelmann affirmait: « La défaite privera de nouveau les ouvriers pour longtemps de ses chefs, ce qui est un malheur qu'il ne faut pas sous-estimer. Il me semble que, pour l'instant, le prolétariat a plus besoin de s'éduquer que de lutter les armes à la main. Attribuer l'échec à tel ou tel fait du hasard, n'est-ce pas tomber dans l'erreur reprochée avec tant de vigueur aux petits-bourgeois dans les premières pages du Dix-huit Brumaire ? »

[24] Des monarchistes tentèrent, le 22 mars 1871, un putsch contre-révolutionnaire à Paris, lors d'une manifestation « pacifique », sous la direction de Henri de Pène, du baron de Heeckeren, etc. Les conjurés ouvrirent le feu sur la Garde nationale, place Vendôme; ils furent mis en fuite, mais ne subirent ni pertes ni dommages.

[25] Si Marx déconseille aux ouvriers français de prendre l'initiative d'une révolution sociale, ce n'est pas qu'il était pacifiste, ni qu'il pensait ajourner la révolution sine die. Comme le montrent le passage de la lettre à Liebknecht, p. 131 et la note nº 39, Marx s'attendait à de graves conflits entre les grandes puissances (notamment entre l'Allemagne, désormais pratiquement unifiée, et la Russie, avec l'enjeu polonais, conflit qui eût mis à l'ordre du jour la question nationale dans l'Est et le Sud-Est européen et eût affaibli la position des classes dominantes en général. La Commune, provoquée par Thiers et Bismarck, a scellé pour un temps l'alliance de l'Europe officielle et retardé le conflit, qui éclata cependant dans les Balkans en 1876, avec le soulèvement de Bosnie et de Herzégovine et se prolongea par la Guerre russo-turque de 1877-1878, cf. Écrits militaires, p. 605-611 et la note nº 229, p. 658.

[26] Marx (dans une lettre adressée à Charles Dana du journal américain Sun) et Jenny Marx (dans un article à l'hebdomadaire Woodhull 6 Clafflin's Weekly) racontent l'arrestation des filles de Marx, Jenny et Eléanore à Luchon par la police française et leur expulsion de France. Paul Lafargue fut arrêté en Espagne le 11 août 1871, à la demande de Thiers, puis relâché peu de temps après.

[27] Marx fait allusion aux articles de Beesly sur la Commune de Paris, des 25 mars, 1er, 15 et 22 avril, 20 et 27 mai et 3 et 10 juin 1871. Marx porta des commentaires en marge de certains de ces articles.

[28] Lors de la signature du traité de paix à Francfort le 10 mai 1871, Bismarck et Jules Favre conclurent un accord secret prévoyant une collaboration franco-prussienne contre la Commune. Les négociations avaient commencé dès le 6 mai. L'accord établissait que les troupes de Versailles seraient autorisées à traverser les lignes allemandes en vue « de rétablir l'ordre à Paris », à restreindre l'approvisionnement de Paris en vivres et à imposer, par le truchement du commandement allemand, à la Commune le désarmement des fortifications qu'elle tenait autour de Paris.

[29] Il s'agit de Johannes Miquel, ancien membre de la Ligue des communistes.

[30] À son retour de Paris, le journaliste Reid prit contact avec Marx et le Conseil général pour exprimer son indignation sur certaines attitudes prises contre la Commune. Le Comité central new-yorkais fit publier l'Adresse contre Washburne dans le journal Sun, très lu dans les couches populaires de New York. Sorge, ami de Marx, y fit précéder l'Adresse d'une note où il expliquait la véritable nature de la Commune et mettait les ouvriers américains en garde contre les mensonges publiés par la presse bourgeoise des États-Unis sur la Commune.
Le gouvernement Thiers prit des mesures pour empêcher la publication de l'Adresse contre Washburne dans la presse française.

[31] Washburne avait, en fait, refusé d'intervenir auprès du gouvernement Thiers pour lui soumettre la proposition de la Commune, à savoir échanger le seul Blanqui contre l'archevêque Darboy et d'autres personnes prises en otage après que des Communards aient été fusillés. Après l'exécution de l'archevêque, Washburne utilisa hypocritement, dans ses articles et ses conférences, cette mesure prise par la Commune pour répondre au terrorisme des Versaillais, afin de salir les Communards. Marx traite de la question des otages dans son Adresse sur la Guerre civile en France, cf. p. 61 (Éd. Soc.).


Archives Internet des marxistes Archives Marx/Engels
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin