1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Introduction par R. Dangeville

Partis formels et parti historique


L'ordre chronologique que nous suivons dans la présentation des textes de Marx-Engels sur le parti et sur leur activité organisationnelle met en évidence un rapport manifeste entre le développement général de la production et de la société capitalistes et un renforcement ininterrompu des partis du prolétariat, soit un autre aspect du lien entre économie et politique.

Il saute aux yeux que les premières organisations ouvrières des années 1840 partaient d'un niveau infiniment bas de maturation des forces productives, autrement dit de conditions matérielles défavorables de la lutte frontale de classe, et se trouvaient fort éloignées de l'objectif ou niveau historique de la société communiste  [1]. Le fil qui reliait le but aux tâches immédiates, forcément déterminées au départ par les conditions et le rapport donné des forces, était donc — si l'on peut dire — très long. Il laissait entre l'action immédiate, pratique, et le but ou programme communiste une marge importante pour une « tactique souple », comme Lénine dut l'utiliser, par exemple, en Russie où se posait encore — comme en Allemagne à l'époque du Manifeste — le problème de la révolution double : révolution bourgeoise en février 1917, puis, en alliance avec la paysannerie pauvre (non salariée), renversement de ce pouvoir en octobre avec l'instauration de la dictature démocratique de la paysannerie et du prolétariat, enfin passage ultérieur à la pure dictature du prolétariat au cours d'une phase plus ou moins longue ou à la suite du triomphe du prolétariat des pays développés. Si l'on considère les conditions matérielles, les programmes et les statuts des partis successifs que Marx appelait formels par rapport au parti historique (qui revendique les pleins principes du communisme tant pour sa propre organisation que pour son action), on est amené à la conclusion qu'au fur et à mesure de la maturation des forces productives — à l'échelle générale de la société et à l'échelle particulière de chaque pays — les programmes immédiats tendent à rejoindre le plein programme communiste  [2].

Tout au long de leur vie, Marx-Engels se sont attachés à ramener la courbe brisée de l'évolution des partis formels, surgis spontanément, à la courbe harmonieuse et continue du parti historique, en élevant chaque fois les revendications immédiates en direction du but et des principes communistes. En ce sens, ils incarnent au plus haut point l'activité de parti.

Une autre conclusion qui s'impose, c'est qu'une fois atteint un certain niveau d'organisation, de principe et d'action, même après une défaite et une chute apparente très profonde et très longue, la reprise du mouvement ouvrier s'effectue, dès le départ, au niveau maximal atteint au palier précédent. Il s'ensuit que les efforts des révolutionnaires, même s'ils sont mis en échec, ne sont pas vains et perdus. Mieux : l'action de la petite minorité de militants expérimentés et profondément attachés aux principes qui pousse le mouvement à son paroxysme se révèle comme un véritable facteur de progression du mouvement général. En conséquence, à chaque période historique successive, la formation du prolétariat en classe, donc en parti, part d'un niveau plus élevé, donc de conditions plus radicales. Lénine l'a bien compris.

Voyons les grandes lignes de l'évolution des organisations et des programmes depuis la formation du parti chartiste  [3] (dont Engels fut membre) dans les années 1840 en Angleterre en tant qu'expression du prolétariat industriel et agricole moderne du pays capitaliste le plus avancé.

Par rapport au chartisme, la Ligue des communistes apparaît quelque peu en retrait, étant composée en majeure partie de travailleurs non encore prolétarisés et salariés (artisans allemands disséminés dans les divers États allemands, la Suisse, la Belgique, l'Angleterre, la France), de sorte que son idéologie était largement imprégnée d'utopisme communiste, surtout à ses débuts : le progrès cependant — et il se trouve que les éléments les plus avancés et les plus radicaux du chartisme y poussaient aussi, — ce fut son internationalisme. La Ligue des communistes se caractérisait, en outre, par une vigoureuse tendance à la théorisation — et ce sera l'apport le plus notable du mouvement ouvrier allemand, représenté éminemment par Marx-Engels  [4]. La conjonction de ces deux éléments devait développer des capacités d'organisation inconnues jusque-là dans l'histoire du mouvement ouvrier : la tendance à créer, bien avant la crise révolutionnaire, une forme d'organisation, si possible internationale, ayant un caractère stable, militant, et fondée sur des principes théoriques.

C'est au contact du mouvement ouvrier français, dont les capacités politiques sont exceptionnelles de par les luttes de classe et les conditions de développement de toute la société française, que les communistes allemands, grâce à leurs capacités pratiques de théorisation, parvinrent à des résultats organisationnels à l'échelle internationale. À la veille de la révolution de 1848, ils réussirent, en liaison avec la fraction la plus radicale du chartisme anglais, à constituer un premier comité international, embryon de la future Première Internationale.

Cependant, en 1848, le faible développement général des forces productives et la survivance, en Europe centrale et méridionale, des puissances féodales dans l'appareil politique des États faisaient que l'instauration de rapports capitalistes représentait encore largement, surtout sur le continent européen, la condition préalable non seulement du communisme, mais même de la formation de prolétaires : le mouvement était donc encore démocratique, étant donné que les tâches bourgeoises à réaliser étaient encore progressives et pouvaient donc être atteintes, soit en luttant aux côtés de la bourgeoisie révolutionnaire, soit en se substituant à elle, contre les survivances féodales  [5]. Bref, les tâches immédiates que dut nécessairement s'assigner le prolétariat au cours de la révolution de 1848 pouvaient résulter de la révolution bourgeoise elle-même dans tous les pays du continent (en dehors de la France), autrement dit, pouvaient être réalisées avec l'aide d'une fraction de la bourgeoisie. La révolution ouvrière de juin 1848 à Paris n'eut-elle pas elle-même, au dire de Marx, pour effet le plus direct — malgré sa défaite — de lancer le reste de l'Europe à l'assaut du féodalisme ? En outre, la guerre contre la puissance féodale russe eût pu assurer la victoire de la démocratie. Cette guerre, étant souhaitée par Marx-Engels, eût fait progresser la révolution, coupé la retraite à la bourgeoisie, et anéanti d'un seul coup le féodalisme déjà à demi vaincu  [6].

Après l'échec apparent sur tous les fronts de la révolution de 1848 et la dissolution complète des organisations ouvrières aussi bien en Angleterre que sur le continent, laPremière Internationale proclama que, dans tous les pays avancés, la classe ouvrière, pour réaliser son émancipation, ne pourra plus faire un bout de chemin en compagnie de la bourgeoisie radicale : la Nouvelle Gazette rhénane de Marx, organe de la démocratie, est remplacée par la première tentative d'organisation indépendante des travailleurs au sein d'une Internationale  [7]. Certes, la I° Internationale ne fit qu'ébaucher les premières organisations de classe du prolétariat, mais elle représente néanmoins la naissance du parti politique de tout le prolétariat européen et nord-américain, sa constitution internationale en classe. Le philanthropisme anglais d'Owen et les associations de secours mutuel devinrent des sociétés de résistance contre le capital, et en se fondant avec la politique, l'agitation économique et les grèves prirent un caractère social et révolutionnaire.

Engels explique lui-même quels furent et les résultats de la I° Internationale et les moyens utilisés pour les obtenir : « La vieille Internationale est complètement morte. Et c'est une bonne chose… En 1864, la conscience théorique du mouvement était encore très confuse dans les masses d'Europe, c'est-à-dire dans la réalité : le communisme allemand n'existait pas encore sous la forme d'un parti ouvrier, le proudhonisme était encore trop faible pour enfourcher ses dadas, les dernières élucubrations de Bakounine n'avaient pas encore germé dans son esprit, même les chefs des syndicats anglais croyaient pouvoir entrer dans le mouvement sur la base du programme formulé par les considérants des statuts de l'Internationale  [8]. »

« Lorsque Marx fonda l'Internationale, il rédigea les statuts généraux de manière que tous les socialistes de la classe ouvrière de cette époque pussent y participer : proudhoniens, Pierre-Lerouxistes et même la partie la plus avancée des syndicats anglais. Ce n'est que grâce à cette large base que l'internationale est devenue ce qu'elle fut : le moyen de dissoudre et d'absorber progressivement ces petites sectes, à l'exception des anarchistes, dont la soudaine apparition dans les différents pays n'a été que la réaction violente de la bourgeoisie contre la Commune  [9] »

La Commune — première dictature du prolétariat à se maintenir trois mois — fut le plus grand succès de l'Internationale, sa fille, « bien que l'Internationale n'ait pas remué le doigt pour la déclencher, mais dont l'Internationale fut à juste titre rendue responsable » (ibid.).

Et Engels de prévoir la caractéristique première de la future II° Internationale : « Pour susciter une nouvelle Internationale du type de l'ancienne — une alliance de toutes les organisations prolétariennes de tous les pays —, il faudrait un écrasement général du mouvement ouvrier tel que nous l'avons connu de 1849 à 1864. Pour cela, le monde prolétarien est devenu trop vaste et trop profond. Je crois que la prochaine Internationale sera directement communiste et arborera franchement nos principes, lorsque les écrits de Marx auront produit leur effet durant quelques années. » (Ibid.)

Dans le passage suivant, Marx montre que le parti historique ne peut être détruit, mieux encore il resurgit toujours plus puissant : « Après la chute de la Commune de Paris, il était naturel que toute organisation de la classe ouvrière en France fût momentanément brisée ; mais aujourd'hui [1878] elle commence de nouveau à se développer. D'autre part, à l'heure actuelle, les Slaves, notamment en Pologne, Bohême et Russie, malgré tous les obstacles politiques et sociaux, commencent à participer au mouvement international, et ce avec une ampleur que les plus optimistes d'entre nous ne prévoyaient pas en 1872. Ainsi, au lieu d'être morte, l'Internationale n'a quitté sa première période d'incubation que pour entrer dans une phase supérieure de développement, dans laquelle ses tendances originelles sont déjà en partie réalisées. Dans le cours de ce développement croissant, elle aura à subir encore bien des métamorphoses, avant qu'elle puisse écrire le dernier chapitre de son histoire  [10]. »

La théorie marxiste s'était confirmée dans l'évolution sociale, économique et politique de toute la société européenne et s'était imposée à l'action militante de tous les prolétaires révolutionnaires : constitution du prolétariat en classe, donc en parti ; assaut prolétarien contre le pouvoir bourgeois, et instauration d'un État prolétarien nouveau avec l'érection du prolétariat français en classe dominante, à la grande terreur de toutes les classes dominantes du monde. En conséquence, la II° Internationale ne pouvait se créer, à la fin de la seconde grande vague contre-révolutionnaire, que sur les principes du socialisme scientifique de Marx-Engels, du prolétariat moderne.

La II° Internationale semble, à première vue, faire un pas en arrière par rapport à la Ie qui, elle, formait une seule et même organisation internationaliste et regroupait sous une même direction parti politique et syndicat (cette unité était due à la faiblesse numérique des effectifs, dont la dispersion exigeait une liaison directe avec le centre). La II° Internationale s'attachera à fonder, dans tous les pays quelque peu développés, des partis politiques socialistes et des syndicats ouvriers de masse. Ses défaillances, à la suite d'une très longue période pacifique (toute la violence concentrée du capitalisme s'exerçant sur les colonies), se manifesteront exactement au niveau de cette tâche et aboutiront au réformisme et au révisionnisme des principes. Au lieu de renforcer au fur et à mesure de sa progression la liaison et l'intégration internationales, les organisations prendront un caractère de plus en plus particulier, local, national, contingent ; au lieu de resserrer de plus en plus étroitement les organisations économiques et politiques, la coupure se fera entre activité politique (trop exclusivement parlementaire et orientée vers les réformes pacifiques et les compromis) et activités syndicales (trop cantonnées aux revendications immédiates, économiques).

La II° Internationale eut pour première tâche de regrouper les forces prolétariennes en organisations massives de classe, en luttant pour l'amélioration des conditions d'existence des travailleurs et pour leur participation de classe aux luttes politiques. Elle a péri pour avoir trahi ses principes à l'heure décisive du heurt violent, la guerre impérialiste de 1914 constituant elle-même un démenti flagrant à ses illusions sur la possibilité d'améliorer progressivement les conditions de vie des masses et de conquérir pacifiquement le socialisme par une éducation socialiste préalable de la classe ouvrière. L'histoire sanctionna définitivement de chimérique la théorie d'un passage sans douleur au socialisme.

La III° Internationale devra d'abord restaurer les principes qui désormais, amplement confirmés par l'histoire, ne peuvent que vaincre dans la réalité ou être bafoués, et sont, à l'évidence, le patrimoine commun du prolétariat révolutionnaire du monde entier  [11]. En théorie, les problèmes d'organisation ont définitivement trouvé leur solution, et il ne reste plus rien à inventer dans ce domaine.

La tâche à laquelle devra s'attacher essentiellement l'Internationale communiste sera celle-là même sur laquelle la II° avait chuté : appliquer, par l'action, dans la pratique, les principes en accomplissant la révolution dans le monde entier. Les bolcheviks arrachèrent une première victoire du prolétariat en Russie, mais une tactique trop souple dans les pays développés de l'Ouest en ce qui concerne l'application des principes hautement et correctement proclamés au nom du prolétariat mondial  [12]suscita une résurgence des particularités d'action, de recrutement, de directives et, avec l'échec de la révolution internationale dans les pays développés, la doctrine nationaliste de la possibilité de construire le socialisme dans un seul pays, puis pays par pays, avec des moyens particuliers et contingents, retombant au niveau de la dégénérescence de la II° Internationale, ce qui montre l'ampleur du recul actuel. Zinoviev tenta vainement, en 1926, de remonter le courant en proposant la formation d'un seul parti mondial, aboutissement normal de l'Internationale de Lénine  [13], mais mesure purement formelle d'organisation, face à la puissance physique de l'État russe stalinien et des forces matérielles contre-révolutionnaires engendrées jusque dans le parti par la dégénérescence.

Notre tâche n'est pas ici de déterminer à l'avance les caractéristiques nécessaires du parti communiste mondial qui resurgira avec la reprise du mouvement ouvrier révolutionnaire. Ce qu'on peut lui prédire, c'est une soudure totale entre mouvement économique et politique, organisation et internationalisme, principe et tactique, centralisation et antidémocratisme, communisme et impersonnalisme, toutes choses que Marx-Engels revendiquaient au plus haut point pour le parti historique qu'ils représentaient et défendaient. Sans ces conditions, n'importe quel parti formel d'aujourd'hui éclate à la pression des terribles réalités d'aujourd'hui et d'un adversaire de plus en plus expérimenté et totalitaire  [14].

La théorie de Marx sur la constitution du prolétariat en classe, donc en parti, énoncée dans le Manifeste, pouvait paraître irréelle, voire chimérique, en 1848, étant donné le faible niveau de maturité général. En fait, au fur et à mesure des années, elle n'a fait que se charger de réalité, gagner en densité, en profondeur et en extension, en même temps que les conditions de sa formation exigeaient plus de décision, de conscience, de radicalisme et de sens pratique, et constituaient un danger plus grand pour l'ordre établi du capital. Tant que cette première phase du développement du prolétariat en classe ne sera pas surmontée par le passage à la phase supérieure, son exigence ne fera qu'apparaître avec plus de force et plus d'actualité brûlante. Aux yeux du marxiste révolutionnaire, toute l'histoire politique du siècle tourne autour des efforts multiformes et répétés d'un prolétariat plus ou moins conscient de s'ériger en classe et de tentatives désespérées de la bourgeoisie pour contrecarrer ces efforts. En effet, celle-ci s'est rendu compte qu'elle « est incapable de dominer, politiquement et socialement, la nation sans l'appui de la classe ouvrière  [15] », sans ces millions de complicités, objectives et sournoises, dans le « peuple » et parmi les salariés, ainsi que dans les partis ouvriers traîtres, qui doivent d'abord être dénoncés et ébranlés, car c'est après seulement qu'il devient possible d'attaquer efficacement le système capitaliste. C'est dire jusqu'à quel point le prolétariat, malgré sa passivité actuelle, domine la scène sociale de toute sa hauteur.

La constitution du prolétariat en classe, donc en parti, obéit au déterminisme historique le plus strict et n'est nullement un acte de volonté délibéré d'individus ou de groupes qui se fixent pour but de donner à la classe et à la révolution un instrument efficace de lutte, en rassemblant des militants ou des groupes autour d'une plate-forme de compromis. La formation du parti correspond à des tâches tout à fait précises qu'il ne s'agit ni d'inventer ni de créer, mais de sanctionner et de favoriser par une méthode cohérente et systématique. Bref, il faut s'y soumettre, en s'insérant, à partir des conditions données, dans le processus historique déjà amplement engagé par une praxis séculaire, en réalisant cette soudure grandiose qui assure la continuité de vie et d'action de ce corps social gigantesque qu'est le prolétariat d'hier, d'aujourd'hui et de demain.


Notes

[1] On ne peut dire pour autant qu'elles ne pouvaient être véritablement communistes, puisqu'elles orientaient tous leurs efforts vers le but du communisme. Ce but est — rétrospectivement — d'autant plus éloigné d'elles que le prolétariat a été lourdement défait à plusieurs reprises. Cependant, les occasions — certes plus fugaces — alors de se lancer à l'assaut du pouvoir bourgeois n'ont pas manqué, ni donc la perspective de l'instauration du mode de production socialiste. Si le prolétariat avait triomphé, le déterminisme du développement économique étant, la phase de transition au communisme eût été beaucoup plus longue qu'elle ne le serait de nos jours où les forces productives du capitalisme sont pleinement développées (mais là encore la violence révolutionnaire et les mesures despotiques proposées par le Manifeste eussent pu l'abréger quelque peu).

[2] Nous ne ferons qu'évoquer ici, avec les textes mêmes de Marx-Engels, les premiers « partis communistes d'action », surgis spontanément du heurt des classes au cours de la révolution bourgeoise et disparus avec le triomphe de celle-ci sur le féodalisme : « La première manifestation d'un parti communiste réellement agissant se produit au cours de la révolution bourgeoise, au moment où la monarchie constitutionnelle est détruite [il est alors un facteur d'impulsion de la révolution bourgeoise, timorée par nature], » (Marx, « La Critique moralisante et la morale critisante », in Marx-Engels, Écrits militaires, p. 73.) Et Engels de préciser : « À chaque grand mouvement bourgeois surgissent aussi des mouvements de la classe qui est la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne. Ainsi, au temps de la Réforme et de la Guerre des paysans, la tendance de Thomas Münzer ; dans la grande révolution anglaise, les nivelers ; dans la révolution française, Babeuf. À ces leviers de boucliers révolutionnaires d'une classe encore embryonnaire correspondaient des manifestations théoriques : au XVI° et au XVII° siècles, c'étaient encore des descriptions utopiques d'une société idéale, au XVIII° siècle, des théories déjà franchement communistes. » (Socialisme utopique et socialisme scientifique. Éd. sociales, 1959, p. 43.)

[3] Marx a tracé la théorie du parti chartiste dans Misère de la philosophie au chapitre qui conclut sa polémique contre Proudhon : « Les Grèves et les coalitions » (Syndicats).

[4] Ce panorama du mouvement ouvrier international forme en quelque sorte une synthèse, pour la période donnée, de l’activité de parti de Marx-Engels, en même temps qu'il fournit un schéma indiquant la progression nécessaire des tâches successives, toujours plus radicales et franchement communistes, du mouvement ouvrier.

[5] « Le mouvement démocratique tend, en dernier ressort, dans tous les pays civilisés à la domination politique du prolétariat. Il présuppose donc qu'il existe déjà un prolétariat, une bourgeoisie au pouvoir, une industrie qui a engendré le prolétariat et a porté la bourgeoisie au pouvoir. » (Engels, Deutsche Brüsseler Zeitung, 14-11-1847.)
Engels n'abandonne pas la lutte parce que le déterminisme économique et social exige que la bourgeoisie règne avant le prolétariat : « Continuez donc de combattre vaillamment, gracieux messieurs du capital ! Pour le court moment actuel, nous avons encore besoin de vous ; il nous faut même, ici et là, votre domination. Vous devez balayer hors de notre voie les formes patriarcales (précapitalistes) ; vous devez centraliser ; vous devez transformer les classes plus ou moins possédantes en authentiques prolétaires en recrues pour nous ; vous devez, avec vos fabriques et votre réseau marchand, nous fournir la base et les moyens matériels nécessaires à l'émancipation du prolétariat. Comme rémunération, vous devez régner une brève période. Vous devez dicter vos lois ; vous pouvez donc parader dans la majesté que vous avez conquise, vous pouvez banqueter dans la salle royale et flirter avec la belle fille du roi, mais ne l'oubliez pas : le bourreau se tient déjà devant la porte. » (« Les Mouvements de 1847 », Deutsche Brüsseler Zeitung 23-1-1848.)

[6] Cf. Marx-Engels, La Russie, 10/18, 1973, p. 10.

[7] Pour cela, il fallait naturellement, d'une part, que la production capitaliste ait déjà créé une masse suffisante de prolétaires pour représenter une force autonome face à la bourgeoisie et, d'autre part, que la théorie soit passée dans les mœurs du prolétariat. Dans une lettre à Marx du 11 février 1870, Engels constatait : « La provision de cerveaux, dont le prolétariat a bénéficié avant 1848 par l'apport d'autres classes, semble depuis totalement tarie, et cela dans tous les pays. Il semble que les ouvriers doivent désormais eux-mêmes prendre en main leurs affaires. »

[8] Cf. Engels à Sorge, 12 septembre 1874.

[9] Cf. Engels à Florence Kelley-Wischnewetzky, 27 janvier 1887.

[10] Marx, À propos de l’histoire de l'Association internationale des travailleurs écrite par M. Howell. 1878.

[11] Cf. l'exposé de la commission exécutive de la fraction de gauche du Parti communiste italien du 23 août 1933 dans Bilan, bulletin théorique mensuel de la fraction de gauche du P. C. I., n° l : « Vers l'Internationale deux et trois quarts ? », p. 12-31.

[12] Si la gauche communiste italienne, fondatrice au Parti communiste italien à Livourne, dont nous nous réclamons, a — par exemple — tardé à quitter la III° Internationale dont elle dénonçait pourtant avec vigueur la dégénérescence et l'opportunisme croissants, c'est parce que, d'une part, les erreurs et les déformations de la direction russe n'étaient pas de l'ordre des principes, du but, voire des intentions, mais portaient sur les moyens de les réaliser, la tactique à employer (il fallut donc attendre que Moscou en vint à renier les principes fondamentaux par ses actes ou ses propres paroles) ; et parce que, d'autre part, les conditions n'étaient pas remplies pour créer une nouvelle organisation internationale de lutte pratique, étant donné que le cycle de la contre-révolution était loin d'être achevé, par exemple, au moment où Trotsky décida la fondation d'une IV° Internationale.
La gauche italienne a adopté sur ce point la position que Marx et Engels ont eu lorsqu'ils attendirent le plus longtemps possible que les conditions objectives pour créer la II° Internationale fussent mûres. Toute l’expérience du mouvement ouvrier confirme cette position. Sans cette expérience, rien ne serait jamais acquis, à chaque fois tout serait à recommencer à zéro, et les générations ouvrières d'hier n'auraient rien de commun avec celles d'aujourd'hui ou de demain. Bref, il n'y aurait pas de mouvement ouvrier unitaire. C'est pour toutes ces raisons que nous considérons qu'il n'existe pas de léninisme (Lénine ayant, sur le plan théorique, restauré le marxisme et défendu celui-ci contre tout révisionnisme ou apport théorique nouveau) ou de trotskisme (même si Trotsky a été un éminent chef de la révolution russe et un fervent défenseur de la révolution internationale, face à la troisième vague opportuniste).

[13] Cette perspective était celle-là même de Lénine écrivant : « Ce travail a été l'une des pages les plus importantes de l'activité du parti communiste de Russie, cellule du parti communiste mondial. » (Œuvres complètes, t. XXIX, p. 159.)

[14] Cf. « Sur le parti communiste — Thèses, discours et résolutions de la gauche communiste d'Italie », l° partie (1917- 1925). Fil du temps, n° 8, octobre 1971, p. 6-23.

[15] Engels, « Angleterre 1845 et 1885 », Die Neue Zeit, juin 1885.


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