1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Activités d'organisation (1843-1847)

Lettre du Comité de correspondance communiste de Bruxelles à G. A. Köttgen


À G. A. Köttgen pour transmettre en communication [1].

Nous nous empressons de répondre à la demande que vous nous avez adressée il y a quelques jours :  Nous partageons entièrement votre opinion, à savoir que les communistes allemands doivent sortir de l'isolement et la dispersion dans lesquels ils se trouvaient jusqu'ici et nouer des relations régulières et suivies entre eux, de même que le besoin de sociétés de lecture et de discussion se fait vivement sentir. En effet, les communistes doivent d'abord se rendre clairement compte de leurs positions propres, ce qui ne peut être obtenu sans des rencontres régulières en vue de discuter des problèmes communistes. [2] Cela étant, nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité de préparer des ouvrages et brochures bon marché et compréhensibles de contenu communiste.

Vous reconnaissez la nécessité de continuer à verser régulièrement de petites sommes d'argent. Cependant, nous devons, pour notre part, rejeter votre proposition selon laquelle ces cotisations devraient servir à soutenir ceux qui écrivent et à leur procurer une vie à l'abri du besoin. Nous estimons que ces contributions ne doivent être utilisées que pour couvrir les frais d'impression de tracts et de brochures communistes à bon marché ainsi que les frais occasionnés par la correspondance parmi laquelle aussi celle qui est envoyée à l'étranger. Il sera nécessaire de fixer un minimum des cotisations mensuelles, afin qu'à tout moment on puisse déterminer d'un coup d'œil et avec certitude ce que l'on peut utiliser pour les besoins collectifs. En outre, il importe que vous nous communiquiez les noms des membres de votre association communiste — étant donné qu'il faut savoir à quelle sorte de gens nous avons affaire, comme vous le savez pour ce qui nous concerne. Enfin, nous attendons que vous nous indiquiez le montant de vos contributions mensuelles en vue de couvrir les besoins collectifs, étant donné qu'il faut entreprendre le plus tôt possible l'impression de quelques brochures populaires. Vous comprendrez sans peine que ces brochures ne peuvent être publiées en Allemagne : il n'y a pas lieu de vous en faire la démonstration.

Vraiment, vous nourrissez de grandes illusions sur le Parlement fédéral, le roi de Prusse [3], les instances de district, etc. Un manifeste ne pourrait avoir d'effet que s'il existait déjà en Allemagne un parti communiste fort et organisé, or il n'en est rien. Une pétition n'a de sens que si elle se présente aussi comme menace, derrière laquelle se tient une masse compacte et organisée. Tout ce que vous puissiez faire — au cas où les conditions de votre district s'y prêteraient—, ce serait de mettre en œuvre une pétition pourvue de signatures imposantes et nombreuses d'ouvriers.

Nous ne pensons pas que ce soit le moment de tenir un congrès communiste. Ce n'est que lorsque des associations communistes se seront étendues à toute l'Allemagne, et qu'elles auront mis en œuvre des moyens pour leur action, que des délégués des différentes associations pourront se réunir en un congrès avec des perspectives de succès. Ce ne sera donc pas possible avant l'année prochaine.

Jusque-là, le seul moyen d'action commune sera l'échange de vues et la clarification au moyen d'une correspondance régulière.

D'ici, nous échangeons déjà de temps en temps une correspondance avec les communistes anglais et français ainsi qu'avec les communistes allemands de l'étranger. À chaque fois que nous recevrons des comptes rendus sur le mouvement communiste en Angleterre et en France, et en général que nous apprendrons quelque chose, nous vous le communiquerons.

Nous vous prions de nous indiquer une adresse sûre (et ne plus mentionner en toutes lettres au verso, le nom de G. A. Köttgen, par exemple, de sorte que l'on découvre immédiatement l'expéditeur aussi bien que le destinataire).

Vous nous écrirez à l'adresse tout à fait sûre que voici :
M. Philippe Gigot, 8, rue de Bodenbroek, Bruxelles.

K. MARX, F. ENGELS, P. GIGOT, F. WOLFF.

P.-S. Weerth, actuellement à Amiens, vous salue.

Si vous mettiez à exécution votre projet de pétition, cela ne vous conduirait à rien d'autre qu'à proclamer ouvertement la faiblesse du parti communiste et à communiquer au gouvernement les noms de ceux qu'il doit surveiller de près. Si vous ne pouvez établir de pétition ouvrière comportant au moins cinq cents signatures, agissez donc plutôt comme les bourgeois de Trèves lorsqu'ils réclament l'institution d'un impôt progressif sur les revenus : si les bourgeois du lieu ne s'y associent pas, eh bien, rejoignez-les pour l'heure dans les manifestations publiques ; agissez de manière jésuitique ; laissez choir la traditionnelle honnêteté allemande, la fidélité sentimentale et la quiétude tranquille, en signant et en activant les pétitions bourgeoises pour la liberté de la presse, la Constitution, etc. Si tout cela passe dans les faits, c'est l'aube d'une ère nouvelle pour la propagande communiste. Les moyens d'action seront multipliés pour nous, et l'antagonisme entre bourgeoisie et prolétariat sera tranché. Dans un parti, il faut appuyer tout ce qui aide à faire avancer le mouvement, et sur ce point il ne faut pas faire preuve de fastidieux scrupules moraux.

Au reste, vous devriez élire un comité permanent pour la correspondance qui se réunit à terme fixe pour élaborer et discuter les lettres à nous envoyer. Autrement, l'affaire se fera de manière désordonnée. Choisissez celui que vous considérez comme le plus capable pour préparer les lettres. Les considérations et égards personnels doivent être écartés, car c'est ce qui gâche tout. Communiquez- nous bien sûr les noms des membres du comité. Salut.


Notes

[1] Marx-Engels, Bruxelles, 15 juin 1846. D'autres lettres du Comité de correspondance communiste de Bruxelles sont traduites en français dans Marx-Engels, Correspondance, t. I, novembre 1835 - décembre 1848, Éd. sociales, p. 402-406, 407-415, 431-437. On trouvera en outre, dans le même ouvrage, des lettres de Marx-Engels à ce sujet, par exemple celle du 23 octobre 1846, ainsi que les lettres adressées à des camarades allemands ou à des socialistes français, ou anglais, voire à des groupes socialistes ou démocratiques, tels que l'association de Vevey.

[2] On ne saurait exagérer l'importance des réunions et la présence physique des camarades, même lorsqu'il existe des difficultés de langue.

[3] Le roi de Prusse, qui avait tout intérêt à faire la vie dure à la bourgeoisie naissante, se montrait favorable aux revendications des ouvriers. Marx avait dévoilé le sens de ces manœuvres et en avait indiqué toutes les limites dans ses « Notes critiques » à l'article de Ruge Le Roi de Prusse et la Réforme sociale (Vorwärts, 7-8-1844 ; trad. fr. : Écrits militaires, p. 156-176).


Archives Lenine Archives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin