1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Questions d'organisation

Luttes de tendances et dissolution de l'Internationale


Dernière période de la I° Internationale

Ceux qui ont fait sécession de l'Internationale en Angleterre   Mottershead, Roach, Alonzo, Jung, Eccarius et Cie   viennent de renouveler avec leur soi-disant congrès de la fédération anglaise la farce du conseil fédéral universel de Londres (de l'époque de Pyat qui voulait créer à coups de trompette une contre-Internationale) [1]. Ces messieurs ne représentaient qu'eux-mêmes. Deux d'entre eux, Jung et Paepe, avaient déjà été révoqués par leurs sections de Middlesbrough et Nottingham, et ne représentaient donc plus qui que ce soit. Le total des simulacres de sections des quatre coins du pays que ces gens ont pu mettre debout ne compte certainement pas cinquante unités. Sans la petite note qu'Eccarius a, comme valet aux gages du Times, faufilée en contrebande dans ce journal, le congrès serait complètement passé inaperçu; il pourra cependant être exploité par les autres sécessionnistes du continent.

Le discours de Jung au congrès dépasse tout en sottise et en infamie. C'est un tissu de vieux ragots fait de mensonges, de déformations et d'absurdités. Ce vaniteux semble souffrir d'un ramollissement du cerveau.

Mais il ne saurait en être autrement, et il faut s'y faire : le mouvement met les individus hors de service, et dès qu'ils sentent qu'ils sont en dehors, ils tombent dans les bassesses en cherchant à se persuader que c'est la faute de Pierre ou de Paul s'ils sont devenus des gredins [2].

À mon avis, le Conseil général de New York a commis une grande erreur en suspendant la fédération du Jura [3]. Ces gens se sont déjà RETIRÉS de l'Internationale, lorsqu'ils ont déclaré qu'ils considéraient son congrès et ses statuts comme inexistants, lorsqu'ils ont formé un centre de conjuration pour créer une contre-Internationale. À la suite de leur congrès de Saint-Imier, n'y a-t-il pas eu de semblables congrès à Cordoue, à Bruxelles, à Londres, et finalement les alliancistes d'Italie ne vont-ils pas aussi tenir le leur ?

Tout individu et tout groupe a le droit de quitter l'Internationale, et dès que cela se produit, le Conseil général n'a simplement qu'à constater officiellement ce retrait, et non pas à suspendre. La suspension n'est prévue que dans la mesure où les groupes (sections ou fédérations) contestent les pouvoirs du Conseil général, voire violent tel ou tel point des statuts ou article des règlements. En revanche, il n'y a aucun article dans les statuts qui prévoie le cas des groupes qui remettent en question l'ensemble de l'organisation, et ce pour la simple raison qu'il s'entend de soi, d'après les statuts, que de tels groupes cessent d'appartenir à l'Internationale.

Cela n'est en aucune façon une question de forme.

Les sécessionnistes ont pris à leurs divers congrès la résolution de convoquer un congrès sécessionniste général pour constituer leur nouvelle organisation indépendante de l'Internationale. Ce congrès aurait lieu au printemps ou en été [4].

Cependant, ces messieurs veulent se garder une porte ouverte en cas d'échec de leur congrès. C'est ce qui ressort d'une circulaire fleuve des alliancistes espagnols. Si leur congrès se révèle un four, ils se réservent d'aller à notre prochain congrès de Genève, intention que l'allianciste italien Gambuzzi a déjà été assez naïf de me communiquer lors de son passage à Londres.

Si donc le Conseil général de New York ne modifie pas sa façon de procéder, quel sera le résultat ?

Après le Jura, il suspendra les fédérations sécessionnistes d'Espagne, d'Italie, de Belgique et d'Angleterre. Résultat : toute la racaille resurgira à Genève et y paralysera tout travail sérieux, comme elle l'a déjà fait à La Haye, et compromettra de nouveau le congrès général au profit de la bourgeoisie.

Le grand résultat du Congrès de La Haye a été de pousser les éléments corrompus à s'exclure eux-mêmes, c'est-à-dire à se retirer. Le procédé du Conseil général menace d'annuler ce résultat.

En opposition ouverte à l'Internationale, ces gens ne nuisent pas : ils sont même utiles [5]. Cependant, comme éléments hostiles dans son sein, ils ruinent le mouvement dans tous les pays où ils ont pris pied.

Vous pouvez à peine vous imaginer à New York la besogne que ces gens et leurs émissaires nous font en Europe.

Pour fortifier l'Internationale dans les pays où le gros de la lutte est mené, il faut avant tout une action énergique du Conseil général.

À présent que l'erreur est faite pour le Jura, le mieux serait peut-être pour le moment d'ignorer complètement les autres (sauf si nos propres fédérations demandaient, par exemple, le contraire) et d'attendre le congrès général des sécessionnistes pour déclarer que tous ceux qui y ont participé ont quitté l'Internationale, s'en sont exclus eux-mêmes et doivent dorénavant être considérés comme des associations qui lui sont étrangères, voire hostiles [6].

Très naïvement, Eccarius a demandé au congrès borgne de Londres qu'il faudrait faire de la politique avec les bourgeois. Son âme a depuis longtemps soif de se vendre.


Notes

[1] Cf. Marx à Friedrich Bolte, 12 février 1873.
Ce texte montre la décomposition de l'Internationale qui ne date pas du Congrès de La Haye, mais   comme Marx-Engels le répéteront à plusieurs reprises   de la défaite physique de la Commune. L'acte de dissolution de l'Internationale ne sera donc pas une mesure délibérée. Ce qui importe bien plutôt que l'analyse de décisions formelles, c'est la politique choisie par Marx pour organiser la retraite et sauver d'abord les principes et l'honneur de l'Internationale, afin de resurgir avec l’acquis historique lorsque les conditions matérielles redeviendront favorables.

[2] Ce serait sans doute forcer la pensée de Marx que de conclure qu'en dehors du parti tout individu devient impuissant et est condamné à faire et dire des bêtises. Le parti n'est pas une chose en soi, ni une garantie révolutionnaire absolue. L’expérience historique a, hélas, trop souvent montré qu'il était capable de dégénérer lui aussi.
Le stalinisme a une conception hégélienne, absolue, avec son monolithisme du parti. Cette idée du parti qui a toujours raison lui a permis d'entraîner avec lui la masse des militants dans tous ses tournants et reniements.
Il est curieux, au reste, de constater que la conception monolithique du parti permet aujourd'hui aux soi-disant communistes français d'envisager de partager le pouvoir avec un soi-disant parti ouvrier socialiste, car cela implique qu'il puisse y avoir plusieurs partis de la classe ouvrière, ce qui est une absurdité aux yeux du marxisme, puisque le parti constitue le prolétariat en classe, parti et classe n'étant pas au pluriel.

[3] Le Conseil général de New York avait pris la résolution, le 5 janvier 1873, de suspendre la fédération jurassienne jusqu'au prochain congrès général de l'Internationale.

[4] À l'initiative de la fédération jurassienne, les anarchistes et réformistes qui avaient rejeté les résolutions de La Haye réunirent un congrès à Genève du 1er au 6 septembre 1873. Le Conseil général de New York lui appliquera à l’avance le conseil de Marx, en déclarant dans sa résolution du 30 mai 1873 qu'ils « se sont placés eux-mêmes en dehors de l'Association internationale des travailleurs et ont cessé d'en être membres ».

[5] La juste et ferme politique du prolétariat contribue ainsi à clarifier le jeu des forces politiques, non seulement au sein du prolétariat, mais encore de la société entière. Elle prépare ainsi un alignement net et clair des forces sociales pour l'heure décisive de l'affrontement, seuls les éléments modérés et hybrides tirant leur force de la confusion et des manœuvres obscures.
En 1885 encore, Engels défendra cette conception dans sa lutte contre les éléments petits-bourgeois qui s'étaient infiltrés dans le parti social-démocrate allemand : « Dès que nous aurons les coudées franches [après l'abrogation de la loi contre les socialistes], il y aura sans doute la scission, et c'est alors qu'elle sera utile. Dans un pays comme l'Allemagne où la petite bourgeoisie a plus qu'un droit historique de subsister, la création d'une fraction socialiste petite-bourgeoise est inévitable. Elle est même utile sitôt qu'elle s'est constituée indépendamment du parti prolétarien. » (Engels à Sorge, 3 juin 1885.)

[6] La coupure qui s'est finalement opérée lors de la dissolution de la I° Internationale se retrouvera lors de la reconstitution de la IIe Internationale, avec les marxistes, d'une part, les anarchistes et les possibilistes, d'autre part. En défendant donc une politique de clarté et de délimitation vis-à-vis des anarchistes et des réformistes dès les batailles au sein de la I° Internationale, Marx-Engels ont tendu un fil par-delà la période contre-révolutionnaire entre les deux Internationales, en sauvant non seulement le patrimoine théorique du socialisme moderne, mais en fournissant un diagnostic rigoureux sur la gangrène opportuniste qui ronge le mouvement ouvrier tout autant que la société moderne tout entière. Le diagnostic de la maladie est donné en même temps que ses remèdes, permettant au véritable et seul mouvement de classe d'éviter les formes insidieuses qui, à leur début, peuvent paraître bénignes.


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