1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXXIII : L’instrument de circulation et le crédit

 « Le grand régulateur de la, vitesse de la circulation est le crédit. C'est ce qui explique comment une sérieuse dépression du marché financier coïncide généralement avec une circulation bien remplie » (The Currency Question Reviewed, p. 65).

En effet, tous les systèmes qui ont pour but d'épargner l'instrument de circulation sont basés sur le crédit.

Supposons que A paie aujourd'hui une traite à B au moyen d'un billet de 500 £. Le même jour, B dépose l'argent chez son banquier, qui, quelques instants après, s'en sert pour escompter une traite à C. Celui-ci dépose les 500 £ dans une banque, qui les remet comme avance à un billbroker et ainsi de suite. La vitesse avec laquelle le billet de 500 £ circulera, c'est-à-dire servira à acheter et à payer, dépendra de la rapidité avec laquelle il fonctionnera alternativement comme dépôt et Comme avance. Cette simple économie du moyen de circulation se réalise avec le plus de perfection dans le clearing house, où l'échange des traites se pratique sur la plus grande échelle et où le rôle de l'argent se trouve le plus réduit, parce qu'il a pour unique fonction de liquider des différences. Mais les traites qu'on échange dans le clearing house ont pour base le crédit que les industriels et les commerçants se font entre eux; lorsque le crédit diminue, les traites, surtout celles à longue échéance, deviennent moins nombreuses, et aussitôt un ralentissement se manifeste dans le système des compensations. Abstraction faite de la technique plus ou moins perfectionnée de la concentration des paiements, l'élimination de l'argent des transactions et par suite une économie d'instruments de circulation, économie qui repose exclusivement sur la fonction de l'argent comme moyen de paiement et par conséquent sur le crédit, peut être faite de deux manières ou bien des créances réciproques, représentées par des traites ou des chèques, sont compensées chez un même banquier, qui ne fait que reporter les créances du compte de l'un à celui de l'autre; ou bien les différents banquiers font les compensations entre eux [1].

C'est ainsi que la concentration de 8 à 10 millions de traites dans le portefeuille d'un billbroker, comme la maison Overend, Gurney & Co, fut le moyen principal de donner plus d'extension. à la compensation locale. Un pareil système a évidemment pour effet de réduire la quantité d'argent nécessaire pour solder les comptes et d'accroître l'activité du moyen de circulation. D'autre part, la rapidité de la circulation de l'argent dépend entièrement du courant des ventes et des achats et de l'enchaînement des paiements en espèces. Or, le crédit facilite et accélère la circulation. En effet, une même pièce de monnaie, qui peut, par exemple, assurer tout au plus cinq circulations, perd nécessairement beaucoup de temps en route, si, le crédit n'intervenant pas, elle ne petit passer d'une main à une autre qu'à la condition que le transfert soit nécessité chaque fois par une vente-achat ; si émise, par exemple par A, elle ne peut passer à B, C, D, E et F que pour autant que A achète à B, B à C, C à D, D à E et E à F. Il n'en est pas de même si B dépose chez son banquier l'argent qu'il reçoit en paiement de A; si le banquier emploie cet argent pour escompter une traite à C et si (A s'en sert pour faire un achat à D; si D, à son tour, le dépose chez soit banquier, et si celui-ci le prête à E, qui le remet à F pour solder un achat. Dans ce cas, quatre opérations de crédit (deux opérations de dépôt et deux opérations d'escompte) interviennent pour accélérer la circulation de l'argent.

Nous avons vu que le même billet de banque petit constituer des dépôts chez différents banquiers. Il peut aussi être utilisé à faire différents dépôts chez un même banquier ; il suffit pour cela que le banquier qui a reçu un dépôt de A, l'emploie pour escompter une traite à B, que B se serve de l'argent pour payer C et que C vienne mettre le billet en dépôt chez le banquier de A.

En étudiant (Liv. I, chap. III, 2) la circulation simple de l'argent, nous avons démontré que la vitesse de la circulation et l'économie des paiements étant données, la masse de l'argent effectivement en circulation est déterminée par les prix des marchandises et le nombre des transactions. Cette loi est vraie pour la circulation des billets.

Le tableau suivant donne, année par année, l'import annuel moyen exprimé en milliers de £, des billets de la Banque d'Angleterre, de 5 et 10 £, de 20 à 100 £ et de 200 à 1.000 £, qui ont été en circulation dans le public de 1844 à 1857 :

Années Billets de 5-10 £ Billets de 20 à 100 £ Billets de 200 à 1000 £ Total £
  Import % Import % Import %  
1844 9 263 45,7 5 735 28,3 5 253 26,0 20 241
1845 9 698 46,9 6 082 29,3 4 942 23,8 20 772
1846 9 918 48,9 5 778 28,5 4 590 22,6 20 286
1847 9 591 50,1 5 498 28 4066 28,2 19 155
1848 8 691 47,2 5 046 28 4 307 23,8 18 085
1849 9 732 48,3 5 234 28,5 4 646 24,3 18 403
1850 9 164 47,2 5 587 28,8 4 646 24 19 398
1851 9 362 48,1 5 554 28,5 4 557 23,4 19 473
1852 9 839 45 6 161 28,2 5 856 26,8 21 856
1853 10 699 47,3 6 393 28,2 5 541 24,5 22 653
1854 10 565 51,0 5 910 28,5 4 234 20,5 20 709
1855 10 628 53,6 5 706 28,9 3 459 17,5 19 793
1856 10 680 54,4 5 645 28,7 3 323 16,9 19 648
1857 10 659 54,7 5 367 28,6 3 241 16,7 19 467

(C. B. 1858, p. I, II). Ce tableau montre que l'import total des billets de banque en circulation a diminué d'une manière absolue de 1844 à 1857, bien que les transactions, ainsi que l'établissent les chiffres des importations et des exportations, aient plus que doublé. La circulation des billets de 5 et 10 £ a été en augmentant - elle était de 9.263 000 £ en 1844 et s'élevait à 10.659.000 £ en 1857 - et cette augmentation s'est faite en même temps que celle, beaucoup plus considérable, de l'or en circulation. Par contre, il y a diminution pour les billets de 200 à 1.000 £, dont la circulation totale était de 5.865.000 en 1852 et était tombée à 3.241.000 £ en 1857. Voici l'explication de ces faits. « Le 8 juin 1854, les banques privées de Londres admirent les banques par actions au clearinq house et bientôt après le clearing fut définitivement installé à la Banque d'Angleterre. Le solde des comptes fut alors établi régulièrement par des transcriptions dans des registres que les différentes banques tiennent à la Banque d'Angleterre. Il en est résulté que les billets de banque d'import élevé dont les banques se servaient précédemment pour régler leurs comptes, sont devenus inutiles » (C. B. 1858, p. V).

Pour se rendre compte de la manière dont l'intervention de l'argent a été réduite dans le commerce de gros, il suffit de revoir le tableau que nous avons reproduit dans notre premier volume (chap. III, note 1, p. 58) et qui fut fourni au Committee on the Bank Acts par la grande maison Morrison Dillon et Co de Londres, qui approvisionne de marchandises de toute nature les détaillants de Londres.

D’après la déposition de M. W. Newmarch devant le C. B. 1857 (n° 1741) d'autres circonstances intervinrent pour déterminer une économie de l'instrument de circulation : la réduction du port des lettres à un penny, les chemins de fer, les télégraphes, en un mot le perfectionnement des moyens de circulation, ce qui permit à l'Angleterre de faire cinq à six fois plus de transactions avec la même circulation de billets. Mais, d'après W. Newmarch, ce résultat fut dù avant tout à, l'élimination des billets de plus de 10 £, explication qui lui parait d'autant plus naturelle qu'en Écosse et en Irlande, où il circule des billets de 1 £, la circulation des billets a augmenté d'environ 31 % (1747). La circulation de billets, y compris ceux de 1 £, s'élève en tout à 30 millions de £ dans le Royaume-Uni (17.19), tandis que la circulation d'or est de 70 millions de £ (1750). En Écosse, la circulation de billets était de 3. 120.000 £ en 1834, de 3.020.000 en 1844 et de 4.050.000 en 1854 (1752).

De tous ces faits, il résulte qu'il n'est pas au pouvoir des banques d'émission d'augmenter la circulation de billets tant que ceux-ci peuvent être échangés contre de l'argent. [Dans toute cette étude, il n'est pas question de billets non convertibles; ceux-ci ne peuvent servir d'une manière générale d'instrument de circulation que là où ils reposent en fait sur le crédit de l'État, comme c'est le cas actuellement en Russie. Les lois développées dans le premier volume (chap. III, 2, c) leur sont alors applicables. - F. E.]

La masse de billets en circulation est en rapport avec les besoins des échanges; tout billet inutile reflue à celui qui l'a émis. Comme les billets de la Banque d'Angleterre circulent comme moyens de paiement légaux dans tout le Royaume-Uni, nous pouvons faire abstraction de la circulation locale des billets des banques provinciales.

M. Neave, Gouverneur de la Banque d'Angleterre, dépose comme suit devant le C. B. 1858 :

« n° 947. (Question) Vous dites que quelques mesures que vous preniez, le montant des billets circulant dans le public reste le même, 20 millions de £ environ ? - En temps ordinaire, les besoins du public semblent en exiger environ 20 millions. A certains moments, qui reviennent périodiquement dans l’année, la masse augmente de 1 à 1 œ million. Le public, quand il lui en faut davantage, peut s'en procurer à la Banque, ainsi que je l'ai dit. - 948. Vous disiez que pendant la panique le public ne vous a pas permis de diminuer votre circulation de billets; voulez-vous en donner les raisons ? - Lorsque la panique sévit, le public a, d'après moi, le plein droit de se procurer des billets, et naturellement aussi longtemps qu'il y a obligation pour la Banque, le public peut, en vertu de cette obligation, lui réclamer des billets. - 949. Il semble donc qu'en temps ordinaire il faille 20 millions de billets de la Banque d'Angleterre ? - Oui, 20 millions dans les mains du public, bien que ce soit tantôt 18 œ, tantôt 19, tantôt 20, etc.; nous pouvons dire une moyenne de 19 à 20 millions. »

Déposition de Thomas Tooke devant la Commission des Lords sur la Commercial Distress (C. D. 1848/57/5~) n° 3094 :

« La Banque n'a pas le pouvoir d'augmenter à volonté le montant des billets circulant dans le public. Tout ce qu'elle peut, c'est diminuer ce montant, mais par une opération très violente. »

Après avoir démontré au long et au large qu'il est impossible aux banques provinciales de maintenir en circulation plus de billets que le public n'en veut, J. C. Wright, banquier depuis trente ans à Nottingham, dit en ce qui concerne les billets de la Banque d'Angleterre (C. D. 1848/57) n° 2844 :

« Je ne sache pas qu'il y ait des limites à l'émission de billets par la Banque d'Angleterre, mais tout billet superflu pour la circulation devient un dépôt ou prend une autre forme. »

Il en est de même en Écosse, où il n'y a pour ainsi dire que du papier en circulation, parce qu'on y dispose, comme en Irlande, de billets d'une livre et que « the scotch hate gold ». M. Kennedy, directeur d'une banque écossaise, déclare que les banques ne peuvent pas diminuer leur circulation de billets et il est d'avis

« qu'aussi longtemps que les transactions intérieures réclament de l'or ou des billets, les banquiers doivent en fournir autant que les affaires en exigent, soit à la demande de leurs déposants, soit autrement... Les banques écossaises peuvent restreindre leurs opérations, mais elle ne peuvent contrôler d'aucune manière leur émission de billets » (Ibid. n° 3446-48).

De même, M. Anderson, directeur de la Union Bank of Scotland (ibid. n° 3578) :

« Le système de l'échange réciproque des billets (entre les banques d'Écosse) empêche-t-il qu'une banque donnée puisse forcer son émission ? - Oui; mais nous avons un moyen plus efficace que l'échange des billets » (qui en réalité n'a rien à voir dans l'affaire. puisqu'il a pour seul but d'assurer la circulation dans toute l'Écosse des billets de chaque banque) « et ce moyen consiste dans la pratique qui est admise d'une manière générale en Écosse, d'avoir un compte à la banque. Quiconque a un peu d'argent a un compte chez un banquier; il verse journellement l'argent dont il n'a pas immédiatement emploi, de sorte qu'à la fin de chaque journée d'affaires tout l'argent, sauf ce que chacun garde en poche, est rentré dans les banques. »

Et il en est de même en Irlande d'après les dépositions de M. Mac Donnell, Gouverneur de la Banque d'Irlande et de M. Murray, directeur de la Provincial Bank of Ireland.

Si la circulation de billets est indépendante de la volonté de la Banque d'Angleterre, elle ne l'est pas moins du trésor métallique qui est déposé dans ses caves pour garantir la conversion de l'émission.

« Le 18 septembre 1846, la circulation de billets de la Banque d'Angleterre était de 20.900.000 £ et l'encaisse métallique de 16.273.000 £; le 5 avril 1847, la circulation était de 20.815.000 £ et l'encaisse de 10.246.000 £. L'exportation de 5 millions de £ de métal précieux ne réduisit donc nullement la circulation » (J. G. Kinnear, The Crisis and the Currency, Londres, 1847, p. 5).

Il va de soi qu’il n'en a été ainsi que grâce à la situation admise en Angleterre et qu'il n'en pourra être de même que dans les pays où ces faits ne seront pas en opposition avec la loi fixant le rapport entre la circulation et l'encaisse métallique.

Ce sont donc exclusivement les besoins des affaires qui influent sur la quantité de monnaie - or et billets - qui doit être en circulation. A ce point de vue il convient de tenir compte des variations qui se présentent périodiquement au cours de chaque année, quelle que soit l'allure générale des affaires, et qui font que depuis vingt ans « la circulation est intense pendant un mois donné, faible pendant un autre et moyenne pendant un troisième » (Newmarch, C. B. 1857, n° 1650). C'est ainsi que chaque année, au mois d'aoùt, quelques millions, généralement en or, sortent de la Banque d'Angleterre pour être versés dans la circulation intérieure et payer les dépenses de la récolte; comme ils doivent être affectés en grande partie à des paiements de salaires, la Banque ne peut guère les avancer en billets. Cet argent rentre à la Banque à la fin de l'année. En Écosse, où le sovereign est remplacé par le billet d'une livre, on voit régulièrement en mai et en novembre la circulation de billets augmenter de 3 à 4 millions; quinze jours après les billets commencent déjà à refluer aux banques, pour y être rentrés en totalité au bout d'un mois (Anderson, l. c. n° 3595-3600).

La circulation de billets de la Banque d'Angleterre est également influencée tous les trois mois par le paiement des « dividendes », c'est-à-dire les intérêts de la dette publique ; des billets sont alors retirés de la circulation, puis jetés à nouveau dans le publie; ils ne tardent pas à refluer à la Banque. Weguelin (C. B. 1857 n° 38) évalue à 2 œ millions la variation qui affecte dans ces circonstances la circulation de billets ; mais M. Chapman de la maison Overend Gurney and Co l'évalue à une somme beaucoup plus élevée.

« Lorsque vous retirez de la circulation 6 à 7 millions pour payer les dividendes, if faut que quelqu'un soit là qui dans l'entretemps avance cette somme » (C. B. 1857. n° 5196).

Bien plus importantes et plus profondes sont les variations de la masse des moyens de circulation qui accompagnent les péripéties du cycle industriel. Écoutons à ce sujet le révérend quaker Samuel Gurney, associé de la firme Overend Gurney and Co (C. D. 1848-57, n° 2645) :

« A la fin d'octodre 1847, il y avait pour 20.800.000 £ de billets en circulation. Il était alors très difficile d'obtenir des billets sur le marché financier, ce qui provenait de ce que l'on craignait en général de ne pas pouvoir s'en procurer par suite de la restriction apportée au Bank Act de 1844. Actuellement (mars 1848) le montant des billets répandus dans le publie est de ... 1.770.000 £, mais comme rien ne menace le commerce, cette circulation est plus que suffisante. Il n'y a pas, à Londres, un banquier qui n'ait plus de billets que ce qui lui est nécessaire. - 2650. Le montant des billets ... abstraction faite de ceux que la Banque d'Angleterre garde en portefeuille, est un index insuffisant de l'activité de la circulation, si l'on ne tient pas compte en même temps de la situation du commerce et du crédit. - 2651. Nous avons l'impression que le montant des billets actuellement en circulation est trop élevé, parce qu'il y a en ce moment une sérieuse stagnation des affaires. Si les prix étaient élevés et les affaires prospères, une circulation de 17.700.000 £ nous semblerait insuffisante. »

[Aussi longtemps que la situation est telle que l'argent avancé rentre régulièrement et que le crédit n'est pas ébranlé, l'expansion et la contraction de la circulation suivent simplement les besoins des industriels et des commerçants. La circulation des billets de la Banque d'Angleterre donne alors assez exactement la mesure de ces variations, étant donné que l'or n'entre guère en ligne de compte pour le commerce de gros et que sa circulation, abstraction faite des oscillations saisonnières, reste constante pendant une période assez longue. Pendant le calme qui suit une crise, la circulation est faible ; elle devient plus forte à mesure que les affaires reprennent et elle atteint son maximum dans la période de tension et de spéculation à l'excès. Bientôt la crise éclate et du jour au lendemain les billets disparaissent du marché, et avec eux les escompteurs de traites, les prêteurs sur valeurs et les acheteurs de marchandises. On fait alors appel à la Banque d'Angleterre, dont les forces ne tardent pas à être épuisées et qui, à cause du Bank Act de 1841, se voit obligée de restreindre sa circulation de billets précisément au moment où, tout le monde en demande, où ceux qui ont des marchandises ne parviennent pas à les vendre et sont prêts à tous les sacrifices pour obtenir des billets pour les paiements qu'ils ont à faire.

« Pendant la panique, dit le banquier Wright (C. B. n° 2930) le pays a besoin d'une circulation double de celle des temps normaux, parce que les instruments de circulation sont retenus par les banquiers et d'autres. »

Lorsque la crise éclate, la demande porte exclusivement sur les moyens de paiement. Mais comme l'un dépend de l'autre et que personne ne sait si celui qui lui doit paiera le jour de l'échéance, il y a une véritable course au clocher pour s'emparer des moyens de paiement, c'est-à-dire des billets de banque se trouvant sur le marché. Chacun prend tout ce qu'il peut prendre et ainsi les billets disparaissent au moment où on en a le plus grand besoin. Samuel Guerney estime (C. D. 1848/57, n° 1116) qu'au moment de la panique d'octobre 1847, on mit ainsi sous clef 4 à 5 millions de 2 de billets de banque. - F. E.]

Dans cette question il est très intéressant d'écouter M. Chapman, l'un des associés de Guerney, parlant devant le C. B. de 1857. Je reproduis sa déposition en entier bien qu'il s'y trouve certains points dont je ne m'occuperai que plus tard.

« 4963. Je n'hésite pas à déclarer qu'à mon avis il est regrettable que le marché financier se trouve sous la coupe d'un capitaliste quelconque (comme il y en a à Londres), ayant le pouvoir de provoquer une pénurie énorme d'argent et la dépression, lorsque la circulation est déjà très réduite... Et cependant cela est possible … il y a plus d'un capitaliste à même de retirer de la circulation pour un à deux millions de billets quand il s'agit d'un but qu'il veut atteindre. »
4995. Un grand spéculateur peut vendre un ou deux millions de consolidés et retirer ainsi l'argent du marché. Le fait s'est présenté il n'y a pas longtemps ;
« il en est résulté une dépression extrêmement violente. »
4967. Il est vrai que les billets sont alors improductifs.
« Mais peu importe, puisqu'il s'agit d'atteindre un grand but, qui consiste à déprécier les fonds et à provoquer une dépression monétaire, et il a tout le pouvoir pour le faire. »

Un exemple : un jour la demande d'argent était considérable à la bourse des fonds, sans que personne en connùt la cause. Quelqu'un demanda à Chapman de lui prêter 50.000 £ à 7 %, ce que celui-ci s'empressa de faire, son taux étant beaucoup moins élevé. Un instant après, son emprunteur revint et emprunta encore 50.000 £, cette fois à 7 œ %, puis 100.000 £ à 8 % et voulut encore en avoir à 8 œ %. Mais Chapman fut pris de peur et refusa. Plus tard on apprit qu'une somme considérable d'argent avait été brusquement retirée du marché.

« J'ai quand même, dit Chapman, prêté un belle somme à 8 %. Je n'ai pas osé aller plus loin; je ne savais ce qui pouvait advenir. »

Bien qu'il y ait pour ainsi dire continuellement de 19 à 20 millions de billets dans les mains du public, la proportion entre le montant qui circule effectivement et celui qui séjourne comme réserve dans les banques est loin de rester la même; elle varie constamment et d'une manière considérable. Lorsque la réserve est importante et par conséquent la circulation effective faible, on dit en se plaçant au point de vue du marché financier, que la circulation est abondante (the circulation is full, money is plentiful); lorsqu'au contraire la réserve est petite et la circulation considérable, le marché financier dit que la circulation est Pare (the circulation is low, money is scarce), c'est-à-dire que la partie qui constitue le capital inoccupé et empruntable est sans importance.

Si l'on fait abstraction de l'influence des phases du cycle industriel, on voit qu'une expansion ou une contraction de la circulation - les besoins du public restant les mêmes - ne peut résulter que de ruses techniques, par exemple l'échéance de la dette publique ou le paiement des impôts. Aux époques où les impôts sont perçus, les billets et l'or affluent en quantité extraordinaire à la Banque d'Angleterre, ce qui donne lieu à une contraction factice de la circulation ; l'inverse se produit lorsque se fait le paiement des intérêts de la dette publique. Dans le premier cas des demandes d'emprunt sont adressées à la Banque; dans le second, le taux de l'intérêt baisse dans les banques privées, dont la réserve grossit momentanément. Ces faits n'ont rien à voir avec la masse absolue des instruments de circulation ; ils intéressent uniquement les banques au point de vue de leurs opérations de prêt et des profits qu'elles en retirent. Ils donnent lieu à un déplacement temporaire des instruments de circulation, que la Banque d'Angleterre neutralise en faisant des avances a courte échéance et à faible intérêt quelque temps avant l'échéance trimestrielle des impôts et des coupons d'intérêt. Le superflu de billets qu'elle met ainsi en circulation remplit d'abord les vides occasionnés par le paiement des impôts, et lorsque se fait le remboursement de ces avances, les billets rentrant à la banque neutralisent l'autre superflu de circulation auquel a donné lieu le paiement trimestriel des coupons.

Il en est tout autrement des circulations « abondantes » et « rares », qui impliquent la variation continuelle de la répartition d'une même masse d'instruments de circulation entre la circulation active et les dépôts (instruments d'emprunt).

Lorsque l'afflux d'une quantité déterminée d'or a pour effet de faire sortir des billets du portefeuille de la Banque d'Angleterre, ces billets sont utilisés à l'escompte en dehors de la Banque, mais ils ne tardent pas à revenir à, celle-ci lorsqu'on lui fait le remboursement de ses avances. Ici encore la masse absolue des billets en circulation n'est que momentanément augmentée.

Lorsque par suite d'une expansion des affaires (ce qui peut se produire même quand les prix sont relativement bas) la circulation est abondante, le taux de l'intérêt peut être relativement élevé à cause de la demande de capital empruntable, provoquée par la hausse des profits et l'extension des entreprises. Au contraire, lorsque la contraction des affaires a pour conséquence de rendre la circulation rare, le taux de l'intérêt peut être bas, même avec des prix élevés. (Voir Hubbard.)

La quantité absolue de la circulation n'influe sur le taux de l'intérêt que dans les périodes de dépression. Dans ces moments la demande de circulation abondante se ramène à une demande de moyens de thésaurisation déterminée par la suppression du crédit, ainsi que cela se produisit en 1847 où la suspension du Bank Act ne détermina pas une expansion de la circulation, mais eut pour effet de faire apparaître au jour et de jeter dans la circulation les billets mis sous clef par les thésauriseurs. Il se peut aussi que le renforcement de la demande de moyens de circulation ait pour cause des événements comme ceux de 1857, où la circulation augmenta effectivement pendant quelque temps après la suspension du Bank Act.

A part des circonstances de ce genre, la masse absolue de la circulation n'a aucune influence sur le taux de l'intérêt, d'abord parce que l'économie et la vitesse de la circulation étant supposées constantes, elle est déterminée par les prix des marchandises, la masse des transactions (deux facteurs dont l'un paralyse l'action de l'autre) et la situation du crédit; ensuite parce qu'il n'y a pas un rapport nécessaire entre l'intérêt et les prix des marchandises.

Pendant le Bank Restriction Act (1797-1820) la circulation fut surabondante et l'intérêt se maintint à un taux beaucoup plus élevé que lorsque les paiements recommencèrent à se faire en espèces ; il baissa dès que l'émission de billets fut réduite et que les cours du change haussèrent. En 1822, 1823, 1832, la circulation fut généralement rare et le taux de l'intérêt également bas. En 1824, 1825, 1836, la circulation fut abondante et le taux de l'intérêt relativement élevé. Pendant l'été de 1830 la circulation fut abondante et le taux de l'intérêt bas. Les découvertes des mines d'or augmentèrent la circulation monétaire dans toute l'Europe et le taux de l'intérêt monta. Ces faits montrent que le taux de l'intérêt ne dépend pas de la masse de monnaie en circulation.

C'est dans le procès de reproduction que se marque le mieux la différence qui existe entre une émission d'instruments de circulation et un prêt de capital. Dans la troisième partie de notre deuxième volume nous avons vu comment se fait l'échange des différents éléments de la production. Le capital variable, par exemple, se compose matériellement des subsistances des ouvriers, une partie de ce qu'ils produisent. Ce capital, qui est remis aux ouvriers par fractions et en argent, doit être avancé par le capitaliste et il dépend de l'organisation du crédit que la même somme d'argent puisse ou ne puisse pas servir chaque semaine au paiement des salaires. Il en est de même de l'échange des divers éléments du capital social, par exemple, de l'échange des objets de consommation contre les moyens de production de ces objets. L'argent qui doit les faire circuler doit être avancé, ainsi que nous l'avons vu, par l'une des deux parties ou les deux parties qui interviennent dans l'échange. Cet argent reste dans la circulation, mais retourne, lorsque les transactions sont complètes, à celui qui l'a avancé, étant donné que ce dernier en a fait l'avance en dehors du capital industriel qu'il exploite effectivement (Voir vol. II, chap. XX). Lorsque le crédit est développé, l'argent se concentre dans les banques et ce sont elles qui l'avancent, du moins nominalement ; cette opération est une avance pour la circulation et non une avance de capital.

Chapman :

« 5062. Il se présente des moments où le montant des billets répandus dans le public est très élevé et où il n'y a pas moyen d'en avoir ».

Il y a aussi de l'argent en temps de panique; mais chacun se garde d'en faire du capital empruntable ; chacun le tient pour ses paiements.

« 5099. Les banques des districts agricoles envoient-elles à vous ou à d'autres maisons de Londres les excédents dont elles ne peuvent tirer parti ? - Oui.
- 5100. D'un autre côté, les districts industriels du Lancashire et du Yorkshire escomptent-ils leurs traites chez vous ? - Oui.
- 5101. De sorte que l'argent en excès dans une partie du pays sert aux besoins d'une autre ? - Absolument ».

D'après Chapman l'habitude des banques de convertir pour peu de temps leur superflu de capital en consolidés et en bons du trésor a disparu en grande partie dans ces derniers temps, depuis que s'est introduit le système des prêts at call (des prêts à rembourser au premier appel, du jour au lendemain). Lui-même considère que l'achat de ces valeurs est peu profitable et il préfère convertir son argent disponible en bonnes traites, dont les échéances se suivent de jour en jour, de sorte qu'il sait sur combien d'argent liquide il peut compter journellement (5001-5005).

Même le développement des exportations a plus ou moins pour conséquence, surtout dans les pays qui vendent à crédit, de faire peser sur le marché financier des engagements de plus en plus importants, dont l'action se fait surtout sentir dans les périodes de crise. Lorsque les exportations prennent de l'extension, des produits anglais sont expédiés en consignation contre des traites à longue échéance tirées par les fabricants sur les exportateurs., (5126).

« 5127. N'intervient-il pas souvent une convention aux termes de laquelle ces traites peuvent être renouvelées de temps en temps ? - (Chapman) C'est là un fait qu'on nous cache. Nous n'admettrions pas de traites de ce genre .... Cela doit certainement se présenter, mais je ne puis rien vous dire à cet égard ».

(Le naïf Chapman !)

« 5123. Lorsque les exportations prennent un grand développement, lorsqu'elles augmentent de 20 millions de £ comme dans ces dernières années, n'en résulte-t-il pas nécessairement une grande demande de capital pour l'escompte des traites qui représentent les produits exportés ? - Indubitablement. - 5130. Comme il est de règle que l'Angleterre fasse crédit à l'étranger pour tout ce qu'elle exporte, cette situation ne donne-t-elle pas lieu, pendant tout le temps qu'elle dure, à une absorption de capital supplémentaire ? - S'il est vrai que l'Angleterre fait crédit pour des sommes énormes, il est vrai aussi qu’elle achète ses matières premières à crédit. On tire sur nous d'Amérique à 60 jours et des autres pays à 90 jours, Quand nous exportons en Allemagne, nous vendons à deux ou trois mois de crédit ».

Wilson demande alors à Chapman (5131) si au moment où l'on embarque ces matières premières et ces produits coloniaux destinés à l’Angleterre, on ne met pas déjà en circulation les traites et si même celles-ci n'arrivent pas en même temps que les connaissements. Chapman répond qu'il ne s'entend guère en affaires « commerciales » et que l'on fera bien de s'adresser à des professionnels. - Dans les exportations vers l'Amérique, dit Chapman, « les marchandises sont symbolisées en transit », ce qui vent dire que l'exportateur anglais tire à quatre mois sur une des grandes banques américaines de Londres, laquelle est couverte par l'Amérique.

« 5136. - N'est-il pas de règle que les affaires avec les pays éloignés soient faites par le commerçant, qui attend pour rentrer dans ses fonds que les marchandises soient vendues ? - Il se peut qu'il y ait des négociants, disposant d'une grande fortune privée, qui soient en état de faire de pareilles avances de capital, sans exiger une avance sur les marchandises. Généralement les avances sur ces marchandises sont faites sous forme d'acceptations signées de firmes bien connues.
 - 5137. Ces maisons sont établies.... à Londres, Liverpool et ailleurs.
- 5138. Que le fabricant fasse lui-même l'avance on que celle-ci soit faite par un coinmerçant de Londres ou de Liverpool, le résultat n'est-il pas le même ? Dans un cas comme dans l'autre, ne s'agit-il pas d'une avance faite en Angleterre ? - Absolument. L'avance est rarement faite par le fabricant. »

(En 1847, c'était le contraire dans presque tous les cas.)

« Un négociant en produits fabriqués, de Manchester par exemple, achète des marchandises et les embarque par l'intermédiaire d'une maison respectable de Londres. Dès que celle-ci s'est assurée que le chargement est en règle, elle autorise le négociant de Manchester à tirer sur elle à six mois pour ces marchandises partant pour les Indes, la Chine ou tout autre pays éloigné. Alors intervient le banquier qui escompte la traite et qui en payant le montant de celle-ci au négociant de Manchester, le met en état de payer les marchandises qu'il a exportées. - 5139. Le banquier a donc dù avancer l'argent qu'il a donné au négociant de Manchester ? - Le banquier a la traite ; le banquier a acheté la traite. C'est à des opérations de ce genre, entr'autres en faisant l'escompte d'effets de commerce, qu'il emploie son capital ».

[Donc Chapman considère également l'escompte d'une traite, non comme une avance d'argent, mais comme l'achat d'une marchandise. -F. E.]

« 5140. Mais cela représente cependant une partie des engagements du marché financier de Londres ? - Indubitablement ; c'est là le rôle essentiel du marché financier et de la Banque d'Angleterre. Cette dernière est aussi désireuse que nous de se procurer de ces traites, qu'elle sait être un bon placement pour son argent. - 5141. La demande sur le marché financier augmente-elle à mesure que les affaires d'exportation gagnent en importance ? - Nous (les Chapman) participons en général au développement de la prospérité du pays. - 5142. Par conséquent l'extension soudaine des différents champs de placement des capitaux a comme conséquence naturelle la hausse du taux de l'intérêt Sans aucun doute ».

5143. Chapman « ne comprend pas tout à fait pourquoi nos grandes exportations ont nécessité tant d'or ».

5144. (Question de Wilson.)

« N'arrive-t-il pas que sur nos exportations nous fassions plus de crédit que nous en obtenons sur nos importations ? - Personnellement j'en doute : Lorsque quelqu'un reçoit une acceptation contre des marchandises de Manchester expédiées aux Indes, cette acceptation est au moins à dix mois. Ce qui est certain c'est que nous avons dù payer les colons importés d’Amérique quelque temps avant que l'Inde nous eùt payés ; mais il est très difficile d'analyser l'influence de cet état de choses. - 5145. Pour que nous ayons, comme l'année dernière, une augmentation de 20 millions de £ à l'exportation de nos produits manufacturiers, ne faut-il pas, pour produire ces marchandises, que nous ayons eu précédemment une augmentation considérable de notre importation de matières premières ? (Ainsi s'explique que surexportation et surimportation sont identiques, de même que surproduction et commerce à l'excès). - Incontestablement; nous devons avoir eu une balance très défavorable à solder. Pendant un certain temps la balance nous aura été défavorable, puis à la longue le cours avec l'Amérique nous sera devenu favorable. Depuis longtemps nous recevons d'Amérique d'énormes quantités de métal précieux ».

5148. Wilson demande à l’archi-usurier Chapman s'il ne considère pas que les hauts intérêts qu'il prélève sont un indice de grande prospérité et de grands profits. La naïveté de cette question étonne visiblement Chapman, qui naturellement répond affirmativement, mais ne peut cependant s'empêcher de faire la restriction suivante :

« Ceux qui ont contracté des engagements doivent évidemment s'acquitter, qu'il y ait pour eux profit ou non ; mais s'il (le taux élevé de l'intérêt) se maintient, c*est un signe de prospérité ».

L'un et l'autre perdent de vue que l'intérêt à un taux élevé peut aussi indiquer tel fut le cas en 1857 - que les affaires ont été rendues incertaines par les chevaliers du crédit qui, eux, ne sont guère embarrassés de payer des intérêts considérables puisqu'ils les prennent dans les poches des autres et qu'ils vivent en escomptant des profits à venir. Il est vrai qu'il peut en résulter une situation très profitable pour les fabricants. Mais le système des avances a pour conséquence de rendre très aléatoires les rentrées d'argent, ce qui résulte clairement de ce qui va suivre et ce qui justifie les agissements de la Banque d'Angleterre, qui escompte à un taux plus bas que les autres lorsque l'intérêt est à un taux élevé.

« 5156. Je suis autorisé à dire, répond Chapman, qu'en ce moment nos affaires d'escompte atteignent leur maximum, bien que l'intérêt se maintienne depuis si longtemps à un taux élevé ».

(Chapman faisait cette réponse le 21 juillet 1857, deux mois avant le krach).

« 5157. En 1852 (lorsque le taux de l'intérêt était bas) nous escomptions beaucoup moins ».

Ce qui s'explique, puisque les affaires étaient alors beaucoup plus saines.

« 5159. S'il y avait surabondance d'argent sur le marché... et si l'escompte en banque était bas, nous aurions moins de traites... En 1852 nous étions dans une phase toute différente; nos exportations et nos importations d'alors ne sont pas à comparer à celles d'aujourd'hui. - 5161. Bien que le taux de l'escompte soit élevé, l'importance de nos escomptes est égale à celle de 1854 » (où l'intérêt fut de 5 à 5 œ %).

Il est amusant de noter dans la déposition de Chapman la naïveté avec laquelle les gens de son espèce considèrent que l'argent du public est leur propriété et comment ils se figurent qu'ils ont le droit de compter à chaque instant sur la convertibilité des traites qu'il ont escomptées. Il est du devoir de la législature de rendre convertibles en toute circonstance les billets escomptés par les grandes maisons et de prendre des mesures pour que la Banque d'Angleterre ne refuse jamais de réescompter les traites qui lui sont présentées par les billbrokers. (N'oublions pas qu'en 1857 trois de ces billbrokers firent faillite, laissant un passif de huit millions environ couvert par un actif dérisoire.)

« 5177 Entendez-vous dire que d'après vous ces acceptations (des acceptations de Baring ou de Lloyd) devraient être admises obligatoirement à l'escompte de même qu'il y a actuellement obligation pour la Banque d'Angleterre, par exemple, de donner de l'or en échange des billets qu'on lui présente ? - Je suis d'avis qu'il serait très regrettable qu'elles fussent refusées à l'escompte et que ce serait en arriver où une situation extraordinaire que de mettre quelqu’un dans la nécessité de suspendre ses paiements parce qu'il ne pourrait pas escompter des acceptations de Smith, Payne & Co ou de Jones, Loyd & Co.
- 5178. MM. Baring, par le fait qu'ils acceptent une traite, ne contractent-ils pas l'engagement de payer une somme déterminée à l'échéance ? - Certainement ; mais en contractant pareil engagement MM. Baring, pas plus qu'aucun commerçant s'engageant de la même manière, ne pensent même en rêve à devoir s'acquitter en sovereigns; ils comptent bien payer au clearing house.
- 5180. Vous considérez donc qu'on devrait combiner un mécanisme qui donnerait au publie le droit de recevoir l'argent de ses traites avant l'échéance, quelqu'un ayant l'obligation de les lui escompter ? - Non ; il n'en serait pas ainsi, pour ceux qui acceptent des traites. Cependant si d'après vous nous ne devions pas avoir la possibilité d'obtenir l'escompte des traites commerciales, tout serait à refaire.
– 5182. Vous admettez donc qu'une traite commerciale devrait être convertible en argent absolument comme un billet de la Banque d'Angleterre ? - Oui, dans certaines circonstances.
 - 5184. Vous considérez donc que la circulation (la currency) devrait être organisée de telle sorte qu'un effet de commerce d'une solidité incontestable devrait être convertible en tout temps en argent comme un billet de banque ? - Je suis de cet avis.
 - 5185. Cependant vous n'allez pas jusqu'à dire que la Banque d'Angleterre ou tout autre établissement serait tenue par la loi à en faire l'escompte ? - En tout cas je vais jusqu'à dire que si nous faisions une loi pour régler la currency, nous devrions y introduire des dispositions qui empêcheraient que des traites du pays ne fussent inconvertibles alors qu'aucun doute ne plane sur leur sincérité et leur solidité ». - C'est donc la convertibilité des effets de commerce faisant pendant à la convertibilité des billets de banque. »
« 5189. Ceux qui dans le pays font le commerce d'argent ne représentent en fait que le public » - comme le dira plus tard M. Chapman appelé à déposer devant la Cour d'assises dans l'affaire Davison (voir les Great City Frauds).
« 5196 Aux échéances trimestrielles (l’État paie alors les coupons de la Dette).... nous devons absolument avoir recours à la Banque d'Angleterre. Lorsque vous retirez de la circulation 6 à 7 millions sous forme de contributions dues à l'État, il faut, en attendant qu'ils soient rendus à la circulation, que quelqu'un soit là pour les mettre à notre disposition ».

(Il s'agit ici d'un mouvement de monnaie et non d'un mouvement de capital ou de capital empruntable.)

« 5169. Tous ceux qui connaissent le monde des affaires savent que lorsque la situation est telle que les bons du Trésor sont invendables, que les obligations de la Compagnie des Indes orientales sont inconvertibles en argent et que les meilleures traites ne trouvent pas à s'escompter, une grande inquiétude doit s'emparer de ceux - c'est le cas de tous les banquiers - que leur profession met dans la nécessité de faire immédiatement et sur simple réquisition des paiements en monnaie du pays. Tous s'empressent alors de doubler leurs réserves et vous voyez immédiatement ce qui doit se passer lorsque chaque banquier de province - il y en a environ cinq cents - donne ordre à son correspondant de Londres de lui envoyer 5000 £ en billets de banque. Même en ne prenant comme moyenne que cette somme absurdement petite, nous trouvons que 2 œ millions de livres seront enlevés à la circulation. Comment fera-t-on pour les remplacer ? »

D'autre part les capitalistes privés, etc., qui ont de l'argent à leur disposition, ne veulent s'en dessaisir à aucun prix ; car ils disent d'après Chapman :

« 5194. Nous préférons ne pas toucher d'intérêts que d'être exposés à être sans argent quand nous en aurons besoin. »
« 5173. Notre situation est la suivante : Nous sommes engagés pour 300 millions de £ dont on peut exiger le paiement en monnaie du pays à un moment donné et nous ne disposons que de 23 millions ou de tout autre somme. N'est-ce pas là une situation qui à chaque instant peut nous jeter dans des convulsions ? »

C'est ce qui explique comment en temps de crise la question de crédit devient brusquement une question de monnaie. Cependant si on fait abstraction de la panique qui s'empare du pays lorsque la crise sévit, il ne peut être question que de la quantité de monnaie ayant cours dans le monde entier, c'est-à-dire de la monnaie métallique. Or c'est précisément celle-là dont Chapman ne s'occupe pas, car il parle de 23 millions de billes de banque.

« 5218 (Encore Chapman). La cause première du trouble du marché financier (avril et octobre 1817) fut incontestablement la masse d'argent qui fut indispensable pour régler le cours du change, étant donnée l'importance extraordinaire des importations pendant l'année. »

En effet, à cette époque, la réserve de monnaie mondiale était réduite à son minimum et elle devait servir en outre à garantir la convertibilité des billets de banque. La monnaie métallique répondait alors à deux fonctions bien distinctes, basées sur sa nature même : elle servait de monnaie mondiale et elle servait de garantie à la monnaie de crédit.

Si, en 1847, le Bank Act de 1841 n'avait pas été suspendu, « les clearing houses n'auraient pas pu fonctionner » (5221).

Chapman avait cependant le pressentiment que la crise était imminente :

« 5236. Le marché financier présente des situations (et nous sommes bien près d'une situation pareille) où il est difficile de se procurer de l'argent et où l'on doit avoir recours à la Banque. »
« 5239. En ce qui concerne les sommes qui nous furent remises par la Banque les vendredi, samedi et lundi, 19, 20 et 22 octobre 1847, nous eussions été très heureux si le mercredi suivant on nous avait restitué nos traites ; en effet, l'argent rentra à flot dans nos caisses dès que la panique fut passée. »

(Le Bank Act fut suspendu le 23 octobre et il n'en fallut pas plus pour conjurer immédiatement la crise.)

D'après Chapman (5271) les traites en circulation simultanément sur Londres, non compris les traites locales sur des villes de province, représentent 100 à 120 millions de £.

« 5287. Alors qu'en octobre 1857, l'import des billets en circulation dans le public était de 21.155.000 £, il y avait une difficulté extraordinaire à se procurer de l'argent ; bien que le public en eùt une telle quantité dans les mains, nous ne parvenions pas à en obtenir de lui. »

(Il en était ainsi en grande partie à cause de l'inquiétude qu'avait provoquée la situation, pendant un certain temps difficile, de la Eastern Bank ).

5290-92. Dès que la panique cesse, « les banquiers qui tirent leur profit de l'intérêt, recommencent à faire produire leur argent. »

5302. Chapman explique que si l'inquiétude s'empare des esprits dès que la réserve de la Banque diminue, ce n'est pas parce qu'on a des appréhensions au sujet des dépôts, mais parce tous ceux qui se trouvent dans le cas de devoir payer des sommes importantes d'un instant à l'autre savent très bien que c'est la Banque qui est leur dernière ressource lorsque le marché financier est déprimé. Or, « la Banque n'est pas heureuse, au contraire, de nous recevoir, lorsque sa réserve est réduite ».

Il est intéressant d'observer comment cette réduction de la réserve se réalise. Les banquiers ne gardent, en partie chez eux, en partie à la Banque d'Angleterre, que le minimum d'argent qu'exigent leurs affaires courantes et les billbrokers détiennent sans réserve « l'argent de banque disponible dans le pays ». Pour faire face aux créances résultant des dépôts dans les banques, il ne reste donc que la réserve de la Banque d'Angleterre, qui comprend les réserves que les banquiers ont déposées chez elle, ses public deposits, etc., soit une somme qu'elle ramène au plus petit minimum possible, deux millions par exemple. En dehors de ces deux millions de papier, tout cet état major de financiers ne dispose en temps de crise (et alors cette réserve va encore en diminuant, parce que les billets qu'on vient échanger contre de la monnaie métallique doivent être annulés) d'aucune autre réserve que du trésor métallique. Aussi la crise s'accentue à mesure que le drainage de l'or se poursuit.

« 5306. S'il n'y avait plus d'argent pour solder les différences au clearing house, il ne nous resterait qu'une chose à faire : convenir de nous faire nos paiements en traites de premier ordre, des traites sur le Trésor, sur Smith, sur Payne & Co, etc.
 - 5307. Par conséquent, si le gouvernement ne mettait pas à votre disposition les moyens de circulation nécessaires, vous vous en procureriez vous-mêmes ? - Que pouvons-nous faire ? Le public arrive et nous retire des mains les moyens de circulation ; ceux-ci n'existent pas.
- 5308. Vous feriez donc simplement à Londres ce que l'on fait quotidiennement à Manchester ? Oui. »

Interrogé par Cayley (le Birmingham-man de l'Ecole d'Attwood) sur la manière dont Overstone conçoit le capital, Chapman répond très bien comme suit :

« 5315. Il a été dit devant la Commission que lorsque sévit une crise comme celle de 1857, ce n'est pas de la monnaie qui est demandée, mais du capital. Qu'en pensez-vous ? - Je ne vous comprends pas. Qu'entendez-vous dire ?
- 5316. Si vous entendez par là (par capital commercial), si vous appelez capital la quantité d'argent lui appartenant qu'un homme a engagée dans son entreprise, cette quantité ne représente qu'une très petite partie de l'argent que le publie lui fournit pour ses affaires par l'intermédiaire du crédit »,

(lequel se transmet par l'intermédiaire de Chapman).

« 5339. Est-ce à un manque de richesse qu'il faut attribuer l'arrêt de nos paiements au comptant ? - Aucunement... Il n'y a pas de manque de richesse, mais nous nous mouvons dans un système extrêmement artificiel ; lorsque nous sommes menacés d'une demande excessive de moyens de circulation, il peut surgir des circonstances qui nous rendent incapables de satisfaire à cette demande. Devrions-nous, pour faire face à celle-ci, paralyser toute la partie commerciale de l'industrie du pays ? Devrions-nous enlever les moyens de travailler à ceux qui désirent le faire ? - 5338. Si un jour nous avions à choisir entre maintenir les paiements au comptant ou maintenir l'industrie nationale, je sais bien quelle décision j'aurais à prendre ».

En ce qui concerne l'accaparement des billets de banque « dans le but d'accentuer la crise et d'en tirer parti », je sais, dit-il, qu'il peut être réalisé très facilement ; il suffit que trois grandes banques s'en chargent.

« 5383. Au courant, comme vous l'êtes, des grandes affaires qui se traitent dans la capitale, n'est-il pas à votre connaissance que certains capitalistes profitent de ces crises pour retirer d'énormes profits de la ruine de ceux qui en sont les victimes ? - Il n'y a pas de doute à cela. »

Et nous pouvons en croire M. Chapman, bien qu'il ait fini par se casser commercialement le cou en essayant « de réaliser d'énormes profits par la raine des victimes ». Alors que son associé M. Gurney prétend que tout changement dans les affaires profite à celui qui sait quelle décision prendre, lui, M. Chapman, dit :

« Ceux qui sont d'un côté des affaires ne savent rien de ce qui se passe de l'autre ; le fabricant, par exemple, qui exporte ses produits sur le continent ou qui importe des matières premières, ne connait rien des opérations de celui qui fait le commerce de lingots »

(5046). Et c'est ainsi qu'un beau jour Gurney et Chapman eux-mêmes ne surent « quelle décision prendre » et firent une banqueroute sensationnelle.

Nous avons vu précédemment qu'une émission de billets ne constitue pas toujours une avance de capital. La déposition suivante de Tooke faite en 1848 devant la Commission des Lords sur le C. D. démontre qu'une avance de capital, même lorsqu'elle résulte d'une nouvelle émission de billets par une banque, ne se traduit pas immédiatement par un accroissement de la masse de billets en circulation :

« 3099. Croyez-vous qu'il serait possible à la Banque d'Angleterre de donner beaucoup plus d'importance à ses prêts sans qu'elle dùt recourir à une extension de son émission de billets ? - Quantité de faits démontrent qu'il peut en être ainsi. Un des exemples les plus concluants est celui de 1835, lorsque la Banque se servit des dépôts des Indes occidentales et de l'emprunt à la Compagnie des Indes orientales pour donner plus d'importance à ses avances au public; on vit en même temps diminuer légèrement le montant des billets en circulation dans le public.... A peu près le même fait se constate en 1816, lorsque furent effectués à la Banque les versements des dépôts des chemins de fer; les titres fiduciaires, à l'escompte et en dépôt, montèrent à environ 30 millions, sans qu'on en ressentit guère l'influence sur la masse de billets en circulation dans le public. »

Mais à côté des billets de banque le grand commerce dispose d'un second instrument de circulation, autrement important pour lui : les traites. M. Chapman nous a montré combien il importe à la marche régulière des affaires que les bons effets de commerce soient acceptés en paiement partout et dans toutes les circonstances : comme le dit le rabbin dans le poème célèbre de Heine, « si le Tausves Jontof ne fait plus foi, qu'est-ce qui fera foi encore ! » Comment ces deux instruments de circulation se comportent-ils l'un par rapport à l'autre ?

Gilbart dit :

« La réduction de la circulation de billets augmente régulièrement la circulation d'effets. Ceux-ci sont de deux espèces : les effets des commerçants et les effets des banquiers. Lorsque l'argent se fait rare, les prêteurs d'argent disent : « Tirez sur nous et nous accepterons », et lorsqu'un banquier de province escompte une traite à un client, il lui remet en paiement, non des espèces, mais une traite qu'il tire à 21 jours sur son agent de Londres. Des traites de ce genre servent d'instruments de circulation. » (G. W. Gilbart, An Inquiry into the Causes of the Pressure. etc., p. 31.)

Le même fait est constaté dans des termes un peu différents par Newmarch, C. B. 1857, n° 1426 :

« Il n'y a aucune connexion entre les oscillations de la circulation d'effets et celles de la circulation de billets de banque... Le seul résultat quelque peu régulier.... c'est que dès que la moindre dépression affecte le marché financier, ce qui est indiqué par une hausse du taux de l'escompte, la circulation d'effets gagne en importance, et inversement. »

Les traites tirées dans des circonstances pareilles ne sont cependant pas les traites à courts jours tirées sur les banques, dont parle Gilbart. Au contraire, ce sont en grande partie des traites qui ne correspondent à aucune transaction ou qui répondent à des affaires conclues uniquement pour permettre de lancer des traites, opérations dont nous avons cité suffisamment d'exemples. Comparant la solidité de ces traites à celle des billets de banque, l'Economist (Wilson) dit ce qui suit : Les billets de banque étant payables à vue, leur circulation ne peut pas dépasser la limite de ce qui est nécessaire; ceux qui sont émis en excès reviennent à la banque et y sont échangés contre de l'argent. Il n'en est pas de même des traites à deux mois sur l'émission desquelles aucun contrôle n'est possible jusqu'au moment de l'échéance, et qui alors sont fréquemment remplacées par d'autres. Nous ne comprenons pas qu'une nation puisse considérer comme sùre la circulation de traites payables à terme et élever des difficultés contre la circulation de monnaie de papier, payable à vue » (Economist, 1817, p. 1572).

La circulation des traites est donc déterminée comme la circulation des billets de banque par les besoins des transactions ; pendant la période de 1850 à 1860, il circula en temps normal dans le Royaume-Uni 39 millions de billets de banque et 300 millions de traites, dont 100 a 120 millions tirées sur la place de Londres. L'importance de la circulation de traites n'a aucune influence sur celle de la circulation de billets et elle est influencée par cette dernière uniquement aux époques où J'argent se fait rare et où les traites augmentent en quantité, mais non en qualité. Dans les moments de crise elle devient nulle ; les promesses de paiement sont alors sans utilité, tout le monde n'acceptant de traiter qu'au comptant ; seul le billet de banque reste en circulation, du moins jusqu'à présent en Angleterre, parce que la nation avec toute sa richesse couvre la Banque d'Angleterre.

Nous avons vu que même M. Chapman, qui était cependant en 1857 un des magnats de la finance, se plaint amèrement qu'il y a sur la place de Londres plus d'un grand capitaliste assez puissant pour jeter, à un moment donné, le trouble dans le marché financier et en profiter pour exploiter de la manière la plus ignoble ceux qui font en petit le commerce d'argent. Il y a donc plus d'un requin en état d'aggraver considérablement une crise, en vendant pour un à deux millions de consolidés afin de retirer de la circulation une somme équivalente de billets de banque et de capital empruntable disponible. Il suffit que trois grandes banques s’entendent pour qu'une manœuvre de ce genre transforme une crise en une panique.

A Londres, l'établissement le plus considérable est naturellement la Banque d'Angleterre; mais elle est jusqu'à un certain point une institution de l’État et par suite dans l'impossibilité de faire sentir sa puissance avec autant de brutalité -, ce qui ne l'empêche pas, surtout depuis le Bank Act de 1844, de réaliser de beaux bénéfices.

La Banque d'Angleterre a un capital de 14.553.000 £; elle dispose en outre d'environ 3 millions de £ de « solde », c'est-à-dire de profits mis à la réserve ainsi que du produit des impôts que le gouvernement lui remet en dépôt jusqu'à ce qu'il en ait besoin. Si l'on ajoute à ces sommes le montant des dépôts (qui en temps ordinaire s'élève à 30 millions de £) et l'émission non couverte, on trouve que l'évaluation de Newmarch est passablement modérée lorsqu'il dit (C. B. 1857, n° 1889) :

« J'ai la conviction qu'on peut estimer à 120 millions de £ environ le total des fonds engagés sur le marché financier de Londres, et la Banque d'Angleterre dispose d'une partie importante, environ 15 à 20 % de cette somme. »

Chaque fois que la Banque émet des billets non couverts par son trésor métallique, elle crée des signes de valeur, qui non seulement servent comme moyens de circulation, mais constituent pour elle un capital supplémentaire - fictif il est vrai - qui lui rapporte un bénéfice additionnel. - C. B. 18-57. Wilson demande à Newmarch :

« 1563. Les billets en circulation, c'est-à-dire l'import moyen des billets répandus dans le publie, ne représente-il pas un supplément au capital effectif de la banque qui les a émis ? - Certainement.
 - 1564. Tout profit réalisé par une banque sur sa circulation est donc un bénéfice provenant de son crédit et non du capital lui appartenant ? - Absolument. »

Il en est de même naturellement des billets émis par les banques privées. Dans ses réponses n° 1866-1868 Newmarch considère que les deux tiers de ces billets - l'autre tiers doit être couvert par une encaisse métallique - correspondent à la « création d'autant de capital », puisqu'ils permettent de faire l'économie d'une quantité équivalente de monnaie métallique. Donc, si les profits d'un banquier ne sont pas plus élevés que ceux de tout autre capitaliste, il n'est pas moins vrai qu'il les réalise sur l'économie de monnaie d'or et d'argent que fait le pays. Il va de soi que cette transformation d'une économie nationale en bénéfice privé D'est nullement faite Pour choquer les économistes bourgeois; le profit en général n'est-il pas l'appropriation du travail de la nation ? Pourrait-on citer un exemple plus grotesque que celui de la Banque d'Angleterre, dont les billets ne jouissent de crédit que grâce à l'État, se faisant payer pendant la période 1797-1817, sous forme d'intérêts pour des sommes avancées au Trésor, le pouvoir que lui accorde l'État de transformer ses billets de papier en argent afin d'avancer ce dernier à la caisse publique ?

Les banques ont d'autres moyens encore de créer du capital. D'après Newmarch les banques provinciales ont l'habitude d'envoyer leurs fonds disponibles (en billets de la Banque d'Angleterre) à des billbrokers de Londres, qui leur remettent en échange des traites escomptées. Elles passent ensuite ces traites à leurs clients, étant donné qu'elles ont pour règle de ne pas remettre en circulation les effets qu'elles reçoivent de ces derniers, afin de ne pas divulguer dans la ville et dans ses environs les opérations d.- ceux avec qui elles font des affaires. Quant aux clients, ils utilisent les traites venues de Londres, soit aux paiements qu'ils ont à faire dans la capitale (à moins qu'ils ne préfèrent demander à la Banque un billet de la banque même sur Londres), soit à leurs paiements en province, des traites endossées par leurs banquiers leur assurant le crédit local. L'utilisation de ces traites a Pris une telle importance que dans le Lancashire, par exemple, elles ont expulsé de la circulation non seulement tous les billets des banques locales, mais une bonne partie des billets de la Banque d'Angleterre (ibidem, 1568-74).

Nous venons donc de voir que les banques se procurent du crédit et du capital .

  1. en émettant des billets de banque;
  2. en créant des traites à 21 jours sur Londres, qui leur sont payées en espèces le jour où elles les mettent en circulation ;
  3. en payant en traites escomptées, qui circulent sans difficulté, parce qu'elles sont endossées par les banques.

La puissance de la Banque d'Angleterre s'affirme par ce fait que c'est elle qui règle le taux de l'intérêt sur le marché. Cependant les affaires ayant leur allure normale, il peut arriver que, désirant protéger son encaisse métallique, elle ne puisse pas élever le taux de l'escompte [2], parce que la demande de moyens de paiement est satisfaite par les banques privées, les banques par actions et les billbrokers, dont la puissance capitaliste a pris une importance notable dans ces trente dernières années; il faut alors qu'elle ait recours a d'autres moyens. Mais dans les moments critiques la déposition du banquier Glyn (de Glyn, Mills, Currie & Co) devant la C. D. 1848/57 est toujours vraie :

« 1709. Lorsque le pays est éprouvé par une grande crise, c'est la Banque d'Angleterre qui règle le taux de l'intérêt.
- 1710. Lorsque sévit une crise extraordinaire.... qui réduit dans une proportion importante l'escompte chez les banquiers et les billbrokers, ceux-ci se tournent du coté de la Banque d'Angleterre, qui dispose alors du pouvoir de fixer le taux de l'intérêt sur le marché. »

Ce qui n'empêche qu'étant une institution publique sous la protection et avec toutes sortes de privilèges de l’État, elle n'ose pas tirer parti sans merci de sa puissance, comme les établissements privés osent se le permettre. Aussi, Hubbard a-t-il pu dire devant la Commission des banques. C. B. 1857 :

« 2841 (Question) -. N'est-il pas vrai que l'on est servi au prix le plus bas par la Banque d'Angleterre lorsque le taux de l'escompte atteint son maximum et par les billbrokers lorsque le taux est à son minimum ? - (Hubbard). Il en est toujours ainsi, car la Banque d'Angleterre n'abaisse jamais le taux autant que ses concurrents et lorsqu'ils poussent le taux à son minimum, elle ne les suit jamais jusqu'à cette limite. »

Cependant le monde des affaires est sérieusement impressionné lorsqu'en temps de crise la Banque serre la vis, comme on dit dans le langage vulgaire, et qu'elle hausse l'intérêt alors qu'il se trouve déjà au-dessus de son taux moyen.

« Dès que la Banque d'Angleterre serre la vis, tous les achats en vue de l'exportation cessent les exportateurs attendent jusqu'à ce que la dépression ait ramené les prix au point le plus bas, et alors seulement ils se mettent à acheter. Mais lorsque ce niveau est atteint, les cours sont de nouveau réglés, l'exportation de l'or ayant pris fin avant. Des achats en vue de l'exportation peuvent faire rentrer dans le pays une partie de l'or qui a été exporté, mais ils se font trop tard pour éviter le drainage du métal précieux. » G. W. Gilbart, An Inquiry into the Causes of the Pressure on the Money Market, London, 1810, p. .37.)
« Un autre effet de l'action du cours du change sur l'instrument de circulation, c'est qu'en temps de crise il pousse à la hausse du taux de l'intérêt. » (op. cit., p. 40.)
« Les frais du rétablissement du cours du change retombent sur l'industrie productive du pays, tandis que la Banque d'Angleterre en profite, étant donné qu'elle peut continuer ses opérations avec une quantité moindre de métal précieux. »

Mais, dit notre ami Samuel Guerney,

« les grandes. oscillations du taux de l'intérêt profitent aux banquiers et à ceux qui font le commerce d'argent - toutes les oscillations des affaires étant avantageuses pour ceux qui savent en tirer parti. »

Et bien que les Guerneys s'emparent de la crème des bénéfices que rapporte l'exploitation du marasme des affaires et que la Banque d'Angleterre n'ose pas se permettre pareille liberté, il reste cependant à cette dernière de beaux profits, sans compter ce qui tombe pour ainsi dire spontanément dans les poches de ses directeurs, que leur position exceptionnelle met parfaitement au courant de l'allure générale des affaires. D'après les dépositions devant le Lords Commîttee de 1817, les bénéfices de la Banque d'Angleterre furent les suivants pendant la période (1797-1817) de la suspension du paiement des billets en espèces :

Bonuses and inereased dividends   7.411.136
New stock divided among proprietors   7.276.500
Increased value of capital   14.553.000
Soit en tout   29.280.636

en 19 ans, sur un capital de 11.642.100 £ (D. Hardcastle, Bank and Bankers, 2° édit., Londres 1843, p. 120). Si nous évaluons sur les mêmes bases le total des bénéfices de la Banque d'Irlande, qui suspendit également les paiements en espèces en 1797, nous arrivons au résultat suivant :

Dividends as by returns due 1821   4.736.085
Declared bonus   1.225.000
Increased assets   1.214.800
Increased value of capital   4.185.000
en tout   11.360.885

sur un capital de 3 millions de £ (ibid., p. 163.)

Que l'on parle encore de centralisation ! Le système du crédit, qui a son centre dans les banques dites nationales et dans les grands établissements de prêts et d'usure qui gravitent autour d'elles, est une vaste centralisation. Il crée une classe de parasites, qui sans rien connaître de la production et sans y prendre aucune part, dispose d'une puissance fabuleuse, qui lui permet non seulement de décimer périodiquement les capitalistes industriels, mais de s'immiscer de la manière la plus dangereuse dans la production elle-même. Les acts de 1844 et de 1845 témoignent de l'extension de la puissance de ces bandits et de celle des financiers et des agioteurs qui vivent autour d'eux. Cependant s'il se trouvait quelqu'un qui pùt croire que ces honnêtes voleurs exploitent la production nationale et internationale dans un autre but que l'intérêt des producteurs et des exploités, il suffira de lui citer le passage suivant sur la valeur morale des banquiers :

« Les établissements de banque sont des institutions morales et religieuses. Que de fois la crainte d'être vu et désapprouvé par son banquier a éloigné le jeune commerçant de la société d'amis tapageurs et débauchés, et quel n'est pas son souci de jouir de son estime et de passer à ses yeux pour un homme respectable ! Une marque de mécontentement de sa part a plus d'influence sur lui que les exhortations de ses amis. Comme il tremble lorsqu'il croit s'être rendu coupable d'une irrégularité ou d'une parole injuste qui pourrait avoir pour conséquence de limiter ou de réduire son crédit à la banque ! Il attache plus d'importance aux conseils du banquier qu'à ceux du prêtre. » (G. M. Bell, directeur d'une banque écossaise, The Philosophy of Joint Stock Banking, London 1840, pp. 46, 47.)

Notes

[1] Durée moyenne de la circulation d'un billet de banque.

 

5 £

10 £

20 à 100 £

200 à 500 £

1000 £

Années

Jours

1798

 ?

236

209

31

22

1818

148

137

121

18

13

1846

79

71

34

12

8

1856

70

58

27

9

7

(Statistique du caissier de la B. d'A., 51. Marshall, dans le Report on Bank Acts, 1857, II, Appendix, p. 301-302).

[2] Le 17 janvier 1894, à l'assemblée générale des actionnaires de la Union Bank of London, le président, M. Ritchie, signalait qu'en 1893 la Banque d'Angleterre avait élevé le taux de l'escompte de 2 1/2 % qu'il était en juillet à 3 et 4 % en aoùt et ensuite à 5 %, la première hausse n'ayant pas empêché que 4 1/2 millions de £ d'or ne sortissent en quatre semaines de la caisse de la Banque. Peu après l'or reflua, si bien que le taux de l'escompte put être abaissé à 4 % en septembre et à 3 % en octobre. Mais ces taux ne devinrent pas ceux du marché. « Lorsque le taux de la Banque fut à 5 %, le taux du marché resta à 3 1/2 % et le taux de l'argent à 2 1/2 %; lorsque le taux de la Banque fut abaissé à 4 %, le taux de l'escompte resta à 2 3/8 %, et celui de l’argent à 1 3/4 %; enfin, lorsque le taux de la Banque fut à 3 %, le taux de l'escompte se maintint à 1 1/2 %, et l'intérêt à un taux un peu moindre. » (Daily News, 18 janvier 1894.) - F. E.


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