1865

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Le Capital - Livre III

Le procès d'ensemble de la production capitaliste

K. Marx

§ 5 : Subdivision du profit en intérêt et profit d'entreprise. Le capital productif d'intérêts.


Chapître XXXIV : Le « currency principle » et la législation bancaire anglaise de 1844

[Dans un écrit antérieur [1] nous avons examiné la théorie de Ricardo sur le rapport entre la valeur de la monnaie et le prix des marchandises ; nous pouvons donc nous borner à en dire ce qui est absolument nécessaire. D'après Ricardo la valeur de la monnaie métallique est déterminée par le temps de travail qui est incorporé en elle, mais pour autant seulement que la quantité de monnaie soit exactement proportionnée à la masse et au prix des marchandises à échanger. Si cette proportion n'est pas observée, si la monnaie est trop abondante, sa valeur diminue et les prix des marchandises augmentent ; si au contraire elle est insuffisante en quantité, sa valeur s'accroît et les prix des marchandises baissent. Dans le premier cas, le pays dans lequel l'or sera en excès exportera son or déprécié et importera des marchandises ; dans le second cas, l'or affluera dans le pays où il est estimé au-dessus de sa valeur normale, pendant que les marchandises dépréciées dans ce pays seront exportées vers d'autres marchés où elles se vendront à leurs prix. Puisque d'après ce raisonnement

« l'or sous forme de monnaie ou sous forme de lingots peut devenir un signe de valeur d'une valeur plus grande ou plus petite que sa valeur intrinsèque, il est évident qu'il doit en être de même de tous les billets de banque convertibles en circulation. Et bien que ceux-ci soient convertibles, bien que leur valeur réelle soit égale à leur valeur nominale, la masse de monnaie, or et billets, en circulation (the aggregate currency consisting of metal and of convertible notes) peut avoir une valeur supérieure ou inférieure à sa valeur suivant qu'en quantité elle s'élève au‑dessus ou se tient au-dessous du niveau déterminé par la valeur des marchandises en circulation et la valeur du métal or... Cette dépréciation, non du papier par rapport à l'or, mais de la masse totale des moyens de circulation, or et papier, d'un pays est l'une des découvertes capitales de Ricardo, dont s'emparèrent Lord Overstone et Cie pour en faire le principe fondamental des lois de 1844 et 1845 de Sir Robert Peel sur la Banque » (op. cit., p. 248).

Il est inutile que nous répétions ici la démonstration que nous avons faite dans le même passage de l'erreur de la théorie de Ricardo ; il est surtout intéressant pour nous de voir comment cette théorie a été accommodée par l'école de théoriciens banquiers qui inspira le Bank Act de Peel :

« Les crises commerciales pendant le XIX° siècle, en particulier les grandes crises de 1825 et de 1836, n'exigeaient pas que la théorie monétaire de Ricardo fût développée, mais bien qu'on en fit un nouvel emploi. On n'étudie plus des phénomènes économiques isolés, comme Hume, la dépréciation des métaux précieux au XVII° et an XVIII° siècle, ou, comme Ricardo, celle du papier-monnaie, au XVIII° et au début du XIX° siècle, mais bien le grand orage qui s'est abattu sur le marché du monde et qui a découvert l'antagonisme de tous les éléments du procès de production bourgeois, et on en cherche l'origine et le remède dans la sphère la plus superficielle et la plus abstraite de ce procès, dans celle de la circulation monétaire. L'hypothèse de théorie pure d'où part l'école des astrologues économiques revient à un dogme : il faut croire que Ricardo a découvert les lois de la circulation purement métallique. Ce qui leur restait à faire, c'était de soumettre la circulation fiduciaire ou celle du papier-monnaie à ces lois.
« Le phénomène le plus universel et le plus sensible des crises commerciales est la chute soudaine et générale des prix des marchandises succédant à une hausse longue et générale de ces mêmes prix. Une chute générale des prix des marchandises peut s'exprimer en une hausse de la valeur relative de l'argent comparé à toutes les autres marchandises, et réciproquement, une hausse générale des prix peut s'interpréter comme baisse de la valeur relative de l'argent. Ces deux expressions traduisent le phénomène sans l'expliquer. Que je pose le problème : expliquer la hausse générale périodique des prix alternant avec la baisse générale de ceux-ci, ou cet autre : expliquer la baisse et la hausse périodiques de la valeur relative de l'argent comparée avec les marchandises, cela revient au même ; une phraséologie différente laisse intact le problème, comme le laisserait sa traduction de l'allemand en anglais. La théorie de l'argent de Ricardo semble peu commune, parce qu'elle donne à une tautologie l'apparence d'un rapport causal.
« D'où vient la baisse périodique générale des prix ? De la hausse périodique de la valeur relative de l'argent. D'où provient, au contraire, la hausse générale périodique des prix ? De la baisse périodique de la valeur relative de l'argent. On pourrait dire aussi exactement que la hausse et la baisse périodiques des prix découlent de leur hausse ou de leur baisse périodique. Le problème est posé dans l'hypothèse que la valeur immanente de l'argent, c'est-à-dire sa valeur déterminée par les coûts de production des métaux précieux, reste invariable. Si cette tautologie est mieux qu'une tautologie, elle repose sur la méconnaissance des notions les plus élémentaires. Si la valeur d'échange de A, mesurée en B, baisse, nous savons que cela peut parvenir aussi bien d'une baisse de la valeur de A que d'une hausse de celle de B, et il en est de même réciproquement quand la valeur de A mesurée en B monte. La transformation de la tautologie en un rapport causal étant accordée, tout le reste suit avec facilité. La hausse des prix des marchandises provient de la baisse de la valeur de l'argent ; mais la baisse de la valeur de l'argent comme nous le savons de Ricardo, provient d'une circulation surabondante, c'est-à-dire du fait que la masse de l'argent en circulation dépasse le niveau déterminé par sa propre valeur immanente et les valeurs immanentes des marchandises. De même et réciproquement, la baisse générale des prix provient de la hausse de la valeur de l'argent au-dessus de sa valeur immanente, à la suite d'une circulation insuffisante. Les prix montent donc et baissent périodiquement parce que périodiquement il y a trop ou trop peu d'argent en circulation. Si l'on prouve maintenant que la hausse des prix correspond à une circulation moindre de l'argent et que leur baisse répond à une augmentation de cette dernière, on peut prétendre cependant qu'à la suite d'une diminution ou d'une augmentation quelconque de la masse des marchandises en circulation, quand même on ne pourrait prouver ces mouvements par la statistique, la quantité de l'argent en circulation augmente ou diminue sinon absolument, du moins relativement. Nous avons vu que, d'après Ricardo, ces oscillations générales des prix doivent se produire dans une circulation purement métallique, mais qu'elles se compensent par leur alternance, puisque, par exemple, une circulation insuffisante amène une baisse des prix des marchandises et l'exportation. de celles-ci, laquelle exportation détermine une importation d'argent et avec elle une hausse ,des prix. Le contraire est vrai dans le cas d'une circulation surabondante ; les marchandises sont alors importées, et l'argent exporté. Bien que ces oscillations générales des prix découlent de la nature de la circulation métallique suivant Ricardo, leur forme violente et aiguë, leur forme de crise appartient aux périodes où le système de crédit est développé. Il est, dès lors, clair comme le jour, que l'émission des banknotes n'est pas réglée exactement par les lois de la circulation métallique. Cette circulation trouve son remède dans l'importation et l'exportation des métaux précieux, qui entrent aussitôt en activité comme monnaie, et font monter les prix des marchandises par leur afflux ou leur reflux. Les banques exercent artificiellement la même action sur les prix des marchandises en imitant les lois de la circulation métallique. Si l'or rentre de l'extérieur, c'est une preuve que la circulation est insuffisante, que la valeur de la monnaie est trop haute et qu'il faut, par suite, jeter dans la, circulation des banknotes proportionnellement à la quantité d'or nouvellement importé Ces banknotes doivent être retirées de la circulation proportionnellement à l'écoulement de l'or hors du pays. En d'autres termes, l’émission de banknotes doit être réglée d'après l'importation et l'exportation de métaux précieux ou d'après le cours du change. L'hypothèse fausse de Ricardo, d'après laquelle l'or n'est que de la monnaie et que, par suite, tout l'or importé augmente la monnaie circulante et fait hausser les. prix, que tout l'or exporté diminue la monnaie et fait tomber les prix, cette hypothèse théorique se change ici en une expérience pratique qui consiste à faire circuler autant de monnaie qu'il y a d'or. Lord Overstone (le banquier Joues Loyd), le colonel Torrens, Norman, Clay, Arbuthnot et un nombre énorme d'autres écrivains connus en Angleterre sous le nom d'école du « currency principle», ne se sont pas contentés de prêcher cette doctrine, mais en ont fait par l'intermédiaire des Bank- Acts de Sir Robert Peel de 1844 et de 1845, la base de la législation des banques en Angleterre et en Écosse. Leur fiasco lamentable, tant théorique que pratique, après des expériences faites sur les échelles nationales les plus grandes, ne peut être exposé que dans la théorie du crédit » (op. cit., p. 264-269).

Thomas Tooke, James Wilson (dans l'Econonomist de 1844-47) et John Fullarton se chargèrent de faire la critique de cette école, bien qu'ils fussent loin, ainsi que nous l'avons montré dans le chapitre XXVIII de ce livre d’avoir une notion exacte de la nature de la monnaie et du rapport qui existe entre la monnaie et le capital. Voici encore quelques faits empruntés aux travaux de la commission nommée cri 1857 par la Chambre des Communes pour étudier les effets du Bank Act de Peel (C. A. 1857) - F.E.]

J.G. Hubbard, ancien Gouverneur de la Banque d'AngIeterre, dépose en ces termes :

« 2100. L'influence de l'exportation de l'or ne se fait nullement sentir sur les prix des marchandises. Elle se répercute au contraire d'une manière très sensible sur la valeur des titres fiduciaires, parce qu'à mesure que le taux de l'intérêt varie, la valeur des marchandises dans lesquelles cet intérêt se trouve incor­poré est nécessairement affecté profondément ».

Il produit deux tableaux se rapportant aux périodes 1834-43 et 1845­-56, qui démontrent que le mouvement des prix de quinze des principaux articles de commerce n'a été nullement influencé par le va-et-vient de l'or, ni par le taux de l'intérêt, mais qu'il y a une corrélation directe entre le mouvement de l'or, « le représentant du capital en quête de placements » et les variations du taux de l'intérêt.

En 1847 des valeurs américaines et russes furent renvoyées en masse en Amé­rique et en Russie et d'autres valeurs continentales aux pays dont nous importions les céréales ».

Les quinze articles aux prix desquels se rapportent les tableaux ci-dessous de Hubbard sont les suivants : le coton, le fil de coton, le tissu de coton, la laine, le drap, le lin, la toile, l'indigo, le fer brut, le fer-blanc, le cuivre, le suif, le sucre, le café et la soie.

I. - 1834-1843.

Date  Trésor métallique de la banque  Taux de l’escompte sur le marché  Nombre d’articles dont les prix étaient
     
En hausse  En baisse  Sans changement
1° mars 1834 9.104.000 £ 2 ¾ %
   
1° mars 1835 6.274.000 £ 3 ¾ %
7 7 1
1° mars 1836 7.918.000 £ 3 ¼ %
11 3 1
1° mars 1837 4.079.000 £ 5 %
5 9 1
1° mars 1838 10.471.000 £ 2 ¾ %
4 11  
1° septembre 1839 2.684.000 £ 6 %
8 5 2
1° juin 1840 4.571.000 £ 4 ¾ %
5 9 1
1° décembre 1840 3.642.000 £ 5 ¾ %
7 6 2
1° décembre 1841 4.873.000 £ 5 %
3 12  
1° décembre 1842 10.603.000 £ 2 ½ %
2 13  
1° juin 1843 11.566.000 £ 2 ¼ %
1 14  

II - 1844-1853.

1° mars 1844 16.162.000 £ 2 ¼ %
     
1° décembre 1845 13.237.000 £ 4 ½ %
11 4  
1° septembre 1846 16.366.000 £ 3 %
7 8  
1° septembre 1847 9.140.000 £ 6 %
6 6 3
1° mars 1850 17.126.000 £ 2 ½ %
5 9 1
1° juin 1851 13.705.000 £ 3 %
2 11 2
1° septembre 1852 21.853.000 £ 1 ¾ %
9 5 1
1° décembre 1853 15.093.000 £ 5 %
14   1

Hubbard fait suivre ce tableau de la remarque suivante :

« Tant pendant la période 1834-43 que pendant celle 1841-53, les variations de l'encaisse métallique de la Banque furent accompagnées d'augmentations ou de diminutions de l'intérêt de l'argent avancé pour les opérations d'escompte ; d'autre part, les variations des prix des marchandises restèrent indépendantes de celles de la circulation, reflétées par les oscillations de l'encaisse métallique de la Banque d'Angleterre » (Bank Acts Report1857, Il p. 290 et 291).

Le prix du marché des marchandises étant déterminé par l'offre et la demande, il est erroné, comme le fait Overstone, d'identifier la demande de capital-argent empruntable (ou plutôt les varlations de l'offre), exprimée par le taux de l'escompte, avec la demande de « capital » effectif. La thèse que les prix des marchandises sont en rapport avec les variations de l'importance de la currency s'abrite alors derrière celle phrase que les oscillations du taux de l'escompte expriment des variations de la demande de capital effectif et non de capital-argent. C'est sous cet aspect que les choses furent présentées devant la Commission tant par Norman que par Overstone qui, ainsi que nous l'avons vu (chapitre XXVI), se retrancha derrière une série de subterfuges jusqu'à ce qu'il fut définitivement acculé. C'est l'ancienne absurdité qui fait hausser ou baisser les prix des marchandises suivant que les variations de la. masse de monnaie métallique font augmenter ou diminuer dans un pays la quantité de moyens de circulation. L'or est-il exporté il faut, d'après cette théorie de la currency, que dans les pays dans lesquels l'or est exporté il y ait hausse des prix des marchandises et par suite hausse des prix des produits qui y sont envoyés par le pays exportateur d'or ; par contre, il faut qu'il y ait baisse dans ce dernier de la valeur des marchandises qui lui sont envoyées par les autres pays. L'effet immédiat des variations de la masse de monnaie métallique, c'est qu'une diminution ou une augmentation de celle-ci augmente ou diminue le taux de l'intérêt. Or, les variations du taux de l'intérêt entrent en ligne de compte pour le calcul des prix de revient et la détermination de l'offre et de la demande, et c'est par cette répercussion seulement que les variations de la masse de monnaie métallique peuvent avoir une influence sur les prix des marchandises.

Dans le même rapport, N. Alexander, chef d'une grande maison d'exportation aux Indes, s'exprime de la manière suivante au sujet des exportations énormes d'argent qui se firent en 1855 vers les Indes et la Chine, en partie à cause de la guerre civile qui en Chine entrava l'importation des tissus anglais, en partie à cause de la maladie des vers à soie, qui frappa sérieusement la sériciculture en France et en Italie :

« 4337. L'argent est-il exporté en Chine ou aux Indes ? - Ils envoient l'argent aux Indes et le consacrent en partie à acheter de l'opium qui est ensuite échangé en Chine contre de la soie. Malgré l'accumulation de l'argent aux Indes, la situation des marchés y est telle que les commerçants réalisent plus de profit en y envoyant de l'argent qu'en y exportant des tissus ou d'autres produits anglais.
 - 4388. La France ne nous envoya-t-elle pas une grande quantité d'argent ? - Oui, une très grande quantité.
- 4344. Au lieu d'importer de la soie de France et d'Italie, nous exportons dans ces pays de grandes quantités de ce produit, que nous achetons au Bengale et en Chine ».

On envoyait donc en Asie de l'argent - la monnaie de cette partie du monde - au lieu de marchandises, non parce que les prix de celles-ci avaient augmenté dans le pays (l'Angleterre) qui les produisait, mais parce que ces prix avaient baissé par suite d'importations exagérées dans les pays où on aurait pu les importer ; on envoyait en Asie de l'argent anglais, de l'argent français et même jusqu'à un certain point de l'or. D'après le currency principle de pareilles importations auraient dû aboutir à une baisse des prix en Angleterre et à une hausse aux Indes et en Chine.

Un autre exemple nous est fourni par la déposition de­vant la Commission des Lords (C. D. 1848-1857) de AI. Wylie, un des principaux commerçants de Liverpool :

« 1994. A la, fin de 1845, aucune entreprise ne rapportait plus de profit que la filature de coton. La provision de ma­tière première était abondante et du bon coton brut à 4 d. la livre permettait de filer du bon mule twist n° 40 de se­conde qualité, revenant toutes dépenses comptées à environ 8 d. au fileur. Ce fil fut vendu en grandes quantités en sep­tembre et octobre 1845 et donna lieu à, des marchés très importants à 10 ½ et 11 ½ d. la livre, et même il arriva que des filateurs firent un profit égal au prix de revient.
1996. L'affaire resta lucrative jusqu'au commencement de 1846.
2000. Le 3 mars 1844 la provision (627.042 balles) de coton était plus du double de celle (301.070 balles) d'aujourd'hui (7 mars 1848) et cependant la livre coûtait 1 ¼ d. (6 ¼ d. au lieu de 5) de plus.
2021, 2023. En octobre 1847, le prix du fil (du bon mule twist n° 40 de seconde qualité) était tombé de 11 ½ -12 d. à 9 ½ d. ; à la fin de décembre, il était descendu à 7 ¾ et du fil fut vendu au prix de revient du coton brut qui avait servi à le filer. »

Cet exemple vient à l'appui de la science intéressée d'Over­stone, qui prétend que l'argent est « cher » lorsque le ca­pital est « rare ». Le 3 mars 1811 l'intérèt en banque était à 3 % ; en octobre et novembre 1847 il s'élevait à 8 et 9 % et le 7 mars 1848 il était descendu à 4 %. Le manque de débouchés et la panique avec la hausse du taux de l'intérêt qu'elle avait entraînée, avaient fait descendre le prix du coton considérablement au-dessous du niveau auquel il aurait dû se maintenir eu égard à l'offre. Il en résulta une diminution notable des importations en 1848 et un recul de la production en Amérique, ce qui entraîna un relèvement des prix en 1849. D'après Overstone les marchandises furent trop chères parce qu'il y avait trop d'argent dans le pays.

« 2002. Si depuis quelque temps la situation de l'industrie du coton est devenue plus mauvaise, il ne faut pas l'attribuer à ce que la provision de coton brut est considérablement réduite ; la matière première existe en quantité suffisante, car le prix en a baissé ».

Overstone confond agréablement le prix, c'est-à-dire la valeur des marchandises, avec la valeur de l'argent, c'est-à-dire le taux de l'intérêt. Mais c'est dans sa réponse à la question 2026 que Wylie nous donne dans son intégralité son appréciation sur le currency principle, que Cardwell et Sir Charles Wood avaient invoqué en mai 1817 « pour justifier la nécessité d'appliquer sans restriction le Bank Act de 1844 » :

« Ce principe me semble devoir aboutir à attribuer à l'argent une valeur artificiellement élevée et où, toutes les marchandises une valeur artificiellement basse et ruineuse ».

Parlant ensuite des conséquences du Bank Act pour les affaires en général :

« Puisque les traites à quatre mois, qui sont les traites tirées ordinairement par les industriels sur les commerçants et les banquiers pour des marchandises destinées aux États-Unis, ne pouvaient plus être escomptées qu'au prix de grands sacrifices, l'exécution des ordres fut notablement entravée jusqu là la lettre du gouvernement du 25 octobre (suspendant le Bank Act), qui rendit de nouveau possible l'escompte des traites à quatre mois ». (2097)

La suspension du Bank Act fut donc aussi le salut pour la province.

« 2102. En octobre dernier (1847) presque tous les négociants américains qui nous achètent des marchandises ont brusquement suspendu leurs ordres dans la mesure du possible, et ceux-ci cessèrent complètement dès que la nouvelle du renchérissement de la monnaie fut connue en Amérique.
2134. Le blé et le sucre formèrent des cas spéciaux. Le marché des céréales fut influencé par les prévisions des récoltes et celui du sucre par l'importance des stocks et des importations.
2163. Une bonne partie de ce que nous avions à payer à l'Amérique fut liquidée par la vente forcée de marchandises consignées et je et crois bien qu'une partie non moins considérable fut annulée par la faillite.
 2196. Si je me souviens bien, on paya à notre Bourse des fonds jusque 70 % d'intérêts, en oc­tobre 1847 ».

[D'une part la crise de 1837, dont les suites se firent si longuement et si péniblement sentir et à laquelle se rattacha une véritable crise en 1842, d'autre part l'aveuglement intéressé des industriels et des commerçants qui s'obstinaient à ne pas voir la surproduction - impossible et absurde d'après l'économie vulgaire - finirent par jeter un tel trouble dans les cerveaux que l'école du emergency principle put se permettre de faire une application nationale de son dogme. Les lois de 1844-45 sur les banques furent votées.

Le Bank Act de 1844 créa à la Banque d'Angleterre un département de l'émission et un département des opérations de banque. Le département de l'émission reçut 14 millions de £ de valeurs constituées pour la plus grande partie par la créance de la Banque sur le gouvernement et il dispose de toute l'encaisse métallique de la Banque, dont le quart seulement peut exister en argent; il peut émettre des billets jusqu'à concurrence de la valeur totale de ces deux garanties. Le département des opérations de banque détient les billets qui ne sont pas en circulation dans le publie, et ces billets augmentés de la petite quantité de monnaie métallique (un million environ) nécessaire pour les opérations quotidiennes constitue sa réserve. Le public peut échanger au département de l'émission de l'or contre des billets et des billets contre de l'or ; il est en rapport avec le département de la banque pour toutes les autres opérations. Les banques provinciales ayant la faculté d'émettre du papier gardent ce privilège, mais leur émission est limitée ; lorsque l'une d'elles cesse d'émettre, la Banque d'Angleterre peut augmenter sa propre émission jusqu'à concurrence des deux tiers de l'émission supprimée. (Grâce à cette clause l'émission de la Banque d'Angleterre, qui était de 14 millions en 1814, s'élevait à 16.450.000 £ en 1892.)

Chaque fois que 5 £ en or sont détachées de l'encaisse métallique de « la Banque, il rentre au département de l'émission un billet de 5 £ qui y est anéanti, et pour chaque pièce de 5 sovereigns venant s'ajouter an trésor, un billet de valeur équivalente est mis en circulation. Ainsi se trouve mis en pratique l'idéal d'Overstone, la circulation de papier rigoureusement conforme aux lois de la circulation métallique, et ainsi aussi les crises allaient être à jamais impossibles d'après les théoriciens du currency principIe.

En réalité, cette subdivision de la Banque en deux départements indépendants enleva à la direction la faculté de mettre en jeu tous ses moyens d'action dans les moments décisifs, si bien qu'il se présenta des cas où le département de la banque fut sur le point de faire faillite pendant que le département de l'émission possédait plusieurs millions en or et quatorze millions de garanties. Des faits de ce genre pouvaient se renouveler d'autant plus facilement qu'au cours de presque chaque crise il y a un moment de forte exportation d'or devant être couverte en grande partie par le trésor métallique de la Banque. Or, pour chaque pièce de 5 £ en or qui sort alors du pays, un billet de 5 £ est retiré de la circulation intérieure, de sorte que l'instrument de circulation diminue en quantité précisément an moment où il devrait être le plus abondant. L'Act de 1844 incite donc le monde du commerce à se faire une réserve de billets de banque dès que la crise éclate et par conséquent à accélérer et aggraver celle-ci. Il se produit alors une extension artificielle de la demande de moyens de paiement au moment même où l'offre en est réduite, ce qui a pour effet de faire monter l'intérêt à un taux extraordinairement élevé : de sorte que les crises, loin d'être atténuées ou écartées, arrivent à un degré d'acuité tel qu'il faut ou bien que tout le monde industriel sombre ou bien-que le Bank Act saute. Deux fois, d'abord le 25 octobre 1817 et ensuite le 12 novembre 1857, on vit la crise atteindre cette gravité ; chaque fois le gouvernement dut intervenir en suspendant l'Act de 1844 et il n'en fallut pas davantage pour couper court à la crise. En 1847, il suffit que l'on eût la certitude que des billets de banque pouvaient être obtenus contre des garanties de premier ordre, pour que 4 à 5 millions de billets retenus à la Banque entrassent immédiatement en circulation; en 1857 on émit, mais pour très peu de temps, environ un million de plus que ne le permettait la limite légale.

Signalons encore que l'on retrouve dans l'Act de 1844 l'empreinte des événements des vingt premières années de ce siècle, pendant lesquelles la Banque supprima les paiements en espèce et assista à la dépréciation de ses billets. La crainte de voir les billets de banque perdre de leur crédit est loin d'être dissipée. Cependant, cette crainte n'a pas de raison d'être : déjà, en 1825, on conjura la crise en mettant en circulation un lot d'anciens billets d'une livre que l'on avait retrouvés par hasard, ce qui démontre qu'à cette époque déjà et dans une période de méfiance générale et surexcitée, le crédit des billets ne fut pas ébranlé. Il doit d'ailleurs en être ainsi, puisque le crédit de la nation tout entière couvre les billets. - F. E.]

Écoutons maintenant quelques témoignages sur les conséquences du Bank Act. J. St. Mill considère qu'il a eu pour effet d'empêcher les excès de la spéculation. Heureusement que l'avis de cet homme sage date du 12 juin 1857 ; quatre mois plus tard la crise éclata. Il félicite littéralement

« les directeurs de banque et les commerçants en général de ce que beaucoup mieux qu'autrefois ils comprennent la nature des crises commerciales et de ce qu'ils se rendent mieux compte du dommage énorme qu'ils se font à eux-mêmes et au public en encourageant les excès de la spéculation. » (B. C. 1857, n° 2031.)

Le sage Mill croit que lorsque des billets d'une £ sont émis

« pour servir d'avances à des fabricants, etc., qui paient des salaires.... ces billets peuvent passer à d'autres qui les dépensent pour acheter des objets de consommation ; dans ce cas ces billets impliquent une demande de marchandises et ils peuvent dans certaines circonstances tendre à provoquer une hausse des prix ».

M. Mill admet-il que les fabricants allouent des salaires plus élevés lorsqu'ils les paient en papier au lieu d'or ? Ou bien croit-il que lorsque l'industriel convertit en or son avance de 100 £ en billets, cette manière de payer les salaires donne lieu à une demande d'ouvriers moindre que lorsqu'il fait usage de banknotes d'une livre ? Et ne sait-il pas que dans certains districts miniers, des salaires ont été payés en billets des banques locales dans des conditions telles que plusieurs ouvriers recevaient pour eux tous un billet de 5 £ ? En est-il résulté une extension de la demande ? Les banquiers remettent-ils plus d'argent aux industriels lorsqu'ils leur font des avances en petits billets au lieu de grands ?

[Cette peur singulière de Mill des billets d'une livre serait inexplicable si tout son ouvrage d'Économie politique ne dégageait un éclectisme ne reculant devant aucune contradiction. D'une part, il se range du côté de Tooke contre Overstone, d'autre part, il croit que c'est la masse de monnaie en circulation qui détermine les prix des marchandises. Il n'est donc nullement convaincu de ce qu'un sovereign vient grossir le trésor de la Banque chaque fois qu'un billet d'une £ est émis, et il craint que cette émission n'ait pour effet d'augmenter et de déprécier la masse de moyens de circulation et de faire hausser les prix des marchandises. Ses hésitations n'ont pas d'autre raison. - F. E.]

Voici comment Tooke s'exprime devant la C. D. 1848/57 sur la subdivision de la Banque et sur la préoccupation exagérée d'assurer le remboursement des billets :

Les oscillations du taux de l'intérêt plus grandes en 1847 qu'en 1837 et 1839 sont dues exclusivement à la subdivision de la Banque en deux départements (3010).
- La sûreté des billets de banque resta entière en 1820, 1837 et 1839 (3015).
 - La demande de monnaie métallique qui se manifesta en 1825 eut uniquement pour but de combler le vide résultant du discrédit frappant les billets d'une £ des banques provinciales ; cette demande se maintint jusqu'au moment où la Banque d'Angleterre émit elle-même des billets d'une livre (3022).
-- En novembre et décembre 1825 il n'y eut pas la moindre demande d'or pour l'exportation (3023).

Quant au crédit dont jouit la Banque dans le pays ou à l'étranger, je pense qu'une suspension du paiement des dividendes et des dépôts aurait des conséquences bien plus graves qu’une suspension de la conversion des billets (3028).

« 3035. N'êtes-vous pas d'avis que tout événenement qui menacerait la convertibilité des billets pendant une crise commerciale pourrait compliquer sérieusement la situation ? - D'aucune façon. »

Pendant l'année 1847 « une extension de l'émission aurait peut-être contribué à reconstituer le trésor métallique de la Banque, comme en 1825 » (3058).

Newmarck déposa comme suit devant la C. B. 1857 :

« 1357. La division de la Banque en deux départements et le partage de sa réserve métallique qui en fut la conséquence eurent Pour première influence nuisible que ses opérations de banque, c'est-à-dire ce qui la met directement en contact avec le commerce du pays, durent être poursuivies avec la moitié seulement de la réserve antérieure. Il en est résulté que la Banque a été obligée de relever le taux de l'escompte chaque fois que sa réserve a été quelque peu atteinte, d'où une série de variations brusques du coût de l'escompte.
1358. Depuis 1844 (jusque juin 1857) ces variations se sont répétées plus de soixante fois alors qu'avant 1844 et pendant une période de même durée elles ont été constatées à peine douze fois ».

Une déposition très intéressante fut également celle que fit devant la Commission des Lords C. D. (1848-1857), M. Palmer, depuis 1811 directeur et pendant quelque temps gouverneur de la Banque d'Angleterre :

« 828. En décembre 1825, il ne restait à la Banque qu'environ 1.100.000 £ en or; elle aurait dû faire inévitablement faillite, si à cette époque l'Act (de 1844) avait été en vigueur. En décembre, elle émit, je crois, 5 ou 6 millions de billets en une semaine et la panique fut considérablement soulagée.
« 825. La première fois (depuis le I° juillet 1825) que la législation actuelle aurait sombré si la Banque s'était avisée de mener à bonne fin toutes les transactions qu'elle avait entreprises, c'aurait été le 28 février 1837 ; la Banque disposait alors de 3.900.000 à 4 millions de £ et elle n'aurait conservé que 650.000 £ de réserve. Une seconde période aurait été celle qui dura du 9 juillet au 5 décembre 1839.
826. A combien s'élevait alors la réserve ? - Le 5 septembre elle consistait en un déficit de 200.000 £ (the reserve was minus allogether 200.000 £) ; elle remonta à 1 million, 1 ½ million le 5 novembre.
830. En 1837, l'Act de 1844 aurait empêché la Banque de venir au secours des affaires américaines.
831. Trois des plus importantes maisons américaines firent faillite... Le crédit avait été coupé à presque toutes les firmes faisant des affaires en Amérique, et si la Banque n'était pas intervenue je ne pense pas que plus d'une ou de deux maisons auraient résisté.
836. La crise de 1837 ne peut pas être comparée à celle de 1847; elle fut pour ainsi dire entièrement circonscrite aux affaires américaines. »

838 (Dans les premiers jours de juin 1837, la direction de la Banque discuta les moyens de faire cesser la crise.)

« Quelques membres défendirent l'opinion... que le vrai remède consistait dans la hausse du taux de l'intérêt, qui devait avoir pour effet de faire diminuer les prix des marchandises ; il fallait rendre l'argent cher et faire baisser les prix des marchandises, ce qui aurait permis d'effectuer les paiements à l'étranger (by which the foreign payment would be accomplished).
906. L’Act de 1844, en limitant artificiellement la puissance de la Banque alors que cette puissance était réglée naturellement par l'encaisse métallique, complique artificiellement les affaires et agit sur les prix des marchandises, difficultés dont on pouvait parfaitement se passer.
 968. L'application de l'Act de 1844 ne permet pas, dans les circonstances ordinaires, de réduire la réserve métallique à moins de 9 ½ millions. Si l'on dépassait cette limite, il en résulterait une action sur les prix et le crédit, qui entrainerait une variation telle des cours étrangers que l'importation d'or et la réserve métallique du département de l'émission augmenteraient.
996. Avec la limitation actuelle la Banque n'a pas la haute main sur la monnaie d'argent ; or, à certains moments, cette monnaie est nécessaire, là où l'on en fait usage pour influencer les cours étrangers.
999. Quel était le but de la prescription qui limite la réserve en monnaie d'argent à 1/5 de l'encaisse métallique ? - Je ne puis répondre à cette question. »

Le but était de rendre l'argent plus cher, ce que fut aussi le but - currency principle à part - de la division de la Banque en deux départements et de l'obligation pour les banques écossaises et irlandaises de couvrir leurs émissions, à partir d'une certaine limite, par une réserve en or; il y eut ainsi une décentralisation du trésor métallique de la nation, qui devint moins capable de corriger les changes défavorables.

Toutes les dispositions de l'Act convergent à élever le taux de l'intérêt : la Banque ne peut émettre pour plus de 14 millions de billets à moins qu'une réserve d'or ne garantisse le surplus ; le département des opérations de banque est exploité comme une banque ordinaire, c'est-à-dire qu'il abaisse le taux de l'intérêt lorsque l'argent est abondant et qu'il l'élève lorsqu'il est Pare; la réserve en monnaie d'argent est limitée, alors que cette réserve est le moyen le plus efficace de rectifier les cours du change avec le continent et l'Asie; les banques écossaises et irlandaises, qui n'ont jamais besoin de monnaie métallique pour l'exportation, sont astreintes à avoir une réserve métallique, sous prétexte d'une éventualité absolument illusoire de conversion de leurs billets. (En 1857, l'Act, de 1844 eut la première fois pour conséquence que les banques écossaises furent assaillies de demandes d'or.) Le Bank Act n'établit aucune distinction entre l'or qui sort des caves de la Banque pour être exporté et celui qui est destiné à la circulation intérieure, bien que les conséquences de ces deux applications soient très différentes ; de là des oscillations violentes affectant continuellement le taux de l'intérêt sur le marché. En ce qui concerne la monnaie d'argent, Palmer dit à deux reprises (992 et 994) que la Banque ne peut en acheter au moyen de billets que lorsque le cours du change est favorable à l'Angleterre, c'est-à-dire lorsque l'argent existe en surabondance ; car :

 « 1003. le seul but pour lequel on puisse constituer une partie notable du trésor métallique en monnaie d'argent est de faciliter les paiements à l'étranger aux époques où le cours du change est défavorable à l'Angleterre. - 1008. L'argent est une marchandise et de plus il est employé comme monnaie dans tout le reste du monde ; il est par conséquent la marchandise la plus convenable pour cet usage (les paiements à l'étranger). Seuls les États-Unis ont exigé exclusivement de l'or, dans ces derniers temps. »

En temps de crise la Banque pouvait, à son avis, s'abstenir d'élever l'intérêt au-dessus de l'ancien taux de 5 %, aussi longtemps que le cours défavorable du change ne drainait pas l'or vers l'étranger, et elle pouvait ainsi, l'Act de 1844 n'étant pas appliqué, escompter sans difficulté tous les effets de premier ordre (first class bills) qui lui seraient présentés (1018-20). Au contraire, au mois d'octobre 1847, l'application de l'Act eut pour conséquence

« que les maisons les plus solvables étaient prêtes à payer à la Banque les taux d'intérêt les plus élevés pour pouvoir continuer leurs paiements. »

Et il est évident que cette hausse de l'intérêt répondait au but de l'Act.

« 1029. Je dois faire une distinction très nette entre l'effet du taux de l'intérêt quand il s'agit de la demande (de métal précieux) pour l'extérieur et l'élévation du taux de l'intérêt ayant pour but de protéger le trésor de la Banque dans une période où le crédit est difficile à l'intérieur du pays.
1023. Avant l'Act de 1844, il n'y avait, lorsque les cours étaient favorables et que l'inquiétude et même la panique régnaient dans le pays, aucune limite à l'émission des billets de banque, qui dans pareille circonstance était le seul moyen d'alléger la crise. »

Voilà comment s'exprime un homme qui a siégé pendant trente-neuf ans à la direction de la Banque d'Angleterre. Écoutons maintenant un banquier, M. Twells, associé depuis 1801 de Spooner, Attwood & Co, le seul de tous les témoins entendus par la C. A. 1857 qui nous fasse entrevoir la situation vraie du pays et ait le pressentiment de l'imminence. d'une crise. M. Twells appartient jusqu'à un certain point à l'école des « little shillingmen » de Birmingham, fondée par ses associés, les frères Attwood (V. Critique de l'Économie politique, p. 94.)

« 4488. D'après vous, quels ont été les effets de l'Act de 1844 ? - Si je devais vous répondre en banquier, je dirais qu'il a eu les effets les plus heureux, car il a permis aux banquiers et aux capitalistes (d'argent) de toute nature de faire ample moisson de bénéfices. Mais il a eu des conséquences désastreuses pour le commerçant honnête et actif, qui ne peut faire des combinaisons prudentes que pour autant que le taux de l'escompte soit stable... L'Act a rendu très lucratives les opérations de prêt d'argent.
4489. Est-il vrai qu'il permet aux banques par actions de Londres de distribuer des dividendes de 20 à 22 % à leurs actionnaires ? - L'une d'elles distribua récemment 18 % et une autre, je crois, 20 %. Elles ont des raisons sérieuses pour défendre chaleureusement la loi.
4490. Les petits commerçants et des négociants respectables ne disposant pas de grands capitaux... souffrent beaucoup des dispositions de l'Act... Le seul moyen que j'ai de m'en rendre compte, c'est le nombre étonnant de leurs acceptations que je vois revenir impayées. Ces acceptations sont toujours de petit import, 20 à 100 £ ; de grandes quantités en sont renvoyées impayées de tous les coins du pays, ce qui est toujours un signe de gène chez... les petits commerçants. »

Le passage suivant de sa déposition est important, parce que mieux qu'aucun autre il y signale la crise à l'état latent. Dans sa réponse à la question 4194, il commence par déclarer qu'en ce moment les affaires ne sont pas lucratives, puis il continue :

 « 4194. Les prix se maintiennent encore dans Mincing Lane, mais on ne parvient à vendre à aucun prix, les prix sont purement nominaux. »
4195. Il raconte qu'un Français avait expédié pour 3.000 £ de marchandises à un courtier de Mincing Lane, qui devait les vendre à un prix déterminé. Le courtier ne parvint pas à réaliser ce prix et le Français ne pouvant pas vendre à meilleur compte, les marchandises restèrent là. Ayant besoin d'argent, le Français tira une traite de 1.000 £ à 3 mois sur le courtier. À l'échéance les marchandises n'étant pas vendues, le courtier dut payer la traite et bien qu'il eût en garantie pour 3.000 £ de marchandises, il ne parvint pas à rentrer dans son avance (les marchandises étant invendables). De là des difficultés.
4496. Le marasme des affaires à l'intérieur du pays pousse nécessairement à une exportation considérable.
4497. D'après vous, la consommation a-t-elle diminué à l'intérieur du pays ? - Considérablement... d'une manière absolument étonnante les petits commerçants le savent le mieux.
4498. Cependant, l'importation est considérable. N'est-ce pas l'indice d'une forte consommation ? - Oui, lorsque l'on parvient à vendre. Mais les magasins regorgent et dans l'exemple que je vous citais tout à l'heure, on a importé pour 3.000 £ de marchandises qui sont restées invendables.
4511. L'argent étant cher, diriez-vous que le capital est à bon compte ? - Oui. »

Notre homme n'est donc nullement de l'avis d'Overstone pour qui l'intérêt élevé et le capital cher sont la même chose.

En ce qui concerne la manière dont on fait actuellement des affaires :

-4516. « D'autres s'engagent sans compter, font en exportation et en importation des affaires gigan­tesques, nullement en rapport avec leur capital. La chance peut leur être favorable et leur permettre de tout payer et de réaliser une grande fortune. C'est en grande partie d'après ce système que les affaires sont faites aujourd'hui. Ces gens perdent sans broncher 20 , 30, 40 % sur une cargaison; la prochaine affaire les dédommagera peut­-être. Mais si la chance leur est infidèle plusieurs fois de suite, ils sont ruinés, et c'est ce que nous avons vu le plus souvent dans ces derniers temps. Des maisons ont fait faillite, sans qu'il restât un shilling à leur actif.
« -4791. L'abaissement du taux de l’intérêt (pendant ces dix dernières années) va en effet à l'encontre des profits des banquiers ; mais à moins de dépouiller avec vous nos registres de comptabilité, je puis difficilement vous dire de combien notre profit est actuellement plus élevé qu'autrefois. Lorsqu'une émission exagérée de banknotes fait baisser le taux de l'intérêt, nos dépôts augmentent ; lorsque l'intérêt est à un taux élevé, nous en retirons un bénéfice direct.
-4794. Lorsque l'argent peut être obtenu à petit intérêt, la demande augmente ; nous faisons de plus grosses affaires en prêts et c'est de cette manière que nous (les banquiers) en profitons. Lorsque le taux de l'intérêt hausse, notre part devient plus grosse qu'elle ne devrait être. »

Nous avons vu comment aux yeux de tous les professionnels le crédit des billets de la Banque d'Angleterre est inébranlable. Cependant le Bank Act immobilise neuf à dix millions en or pour en garantir la convertibilité. La sainteté et la violabilité du trésor sont donc autrement assurées que chez les anciens thésauriseurs.

« Quant à l'utilité qu'eut cet argent (le trésor métallique) à ce moment, on aurait pu tout aussi bien le jeter à la mer ; il était impossible, à moins de violer la loi, d'en appliquer la moindre parcelle. » (2311.W. Brown (Liverpool) devant C. D. 1847/58.)

L'entrepreneur E. Capps, que nous avons déjà cité et à la déposition duquel nous avons emprunté (vol. II, chap. XII) l'exposé du système de construction de maisons dans la Londres moderne, résume comme suit son appréciation sur le Bank Act de 1844 (C. B. 1857) :

« 5508. En général, vous êtes donc d'avis que le système actuel est une institution parfaitement appropriée pour faire passer périodiquement les profits de l'industrie dans les coffres-forts des usuriers ? - Tel est mon avis et je sais que tel a été l’effet dans l'industrie de la construction. »

Ainsi que nous l'avons dit précédement, l'Act de 1845 vint imposer aux banques écossaises un système analogue à celui de la Banque d'Angleterre. Il les obligea d'avoir une réserve en or pour tous les billets dépassant une émission déterminée pour chaque banque. Les quelques témoignages suivants faits devant la C. B. 1857 rendent compte des effets de cette loi :

Kennedy, directeur d'une banque écossaise :

« 3375. Y avait-il en Écosse, avant l'Act de 1845, une circulation d'or quelconque ? - Rien de ce genre.
3376. Depuis lors pareille circulation a-t-elle été introduite ? - Pas le moins du monde; les gens n'aiment pas avoir de l'or (the people distike gold)».
3450. D'après lui, les 900.000 £ d'or que les banques écossaises doivent avoir en caisse depuis 1845 sont nuisibles et « absorbent sans profit une partie du capital de l'Écosse. »

Anderson, directeur de la Union Bank of Scotland :

« 3558 La seule demande importante d'or adressée par les banques écossaises à la Banque d'Angleterre n'eut-elle pas pour point de départ les cours du change étranger ? - Il en est ainsi, et cette demande ne fut pas moindre parce que nous tenons de l'or à Édimbourg.
3590. Tant que l'import du papier que nous avons dans le portefeuille de la Banque d'Angleterre (et des autres banques privées anglaises) reste le même, nous avons le même pouvoir qu'avant de faire sortir de l'or des caves de la Banque d'Angleterre. »

Enfin, un article de l'Economist (Wilson) :

« Les banques écossaises gardent, afin de pouvoir en disposer, des sommes en métal immobilisées chez leurs agents de Londres, et ceux-ci gardent ces sommes à la disposition à la Banque d'Angleterre. Les banques écossaises disposent donc, dans ces limites du trésor métallique de la Banque et ils y ont recours quand des paiements doivent être faits à l'étranger. »

L'Act de 1845 vint déranger ce système :

« Par suite de l'application de l'Act de 1815, une quantité considérable d'or est sortie de la Banque d'Angleterre, pour faire face à une demande qui peut devenir possible en Écosse et qui probablement ne se présentera jamais... Depuis, une somme importante est continuellement immobilisée en Écosse et une autre non moins importante fait continuel­lement la navette entre Londres et l'Écosse. Arrive-t-il un moment où un banquier écossais s'attend à un renforce­ment de la demande de ses billets, aussitôt une caisse d'or part de Londres; l'événement est-il passé, la même caisse reprend le chemin de la capitale, le plus souvent sans qu'elle ait été ouverte. » (Economist, 23 octobre 1847.)

[Et maintenant que dit de tout cela le banquier Samuel Jones Loyd, alias Lord Overstone, le père des Bank Acts ?

En 1848, déjà, il a répété devant la Commission des Lords C. D.

« qu'il ne peut pas être porté remède par une extension de l'émission de banknotes à une crise monétaire ni à une surélévation du taux de l'escompte provoquées par l'insuffisance de capital » (1514),

bien que la simple autorisation donnée par la lettre du 27 octobre 1847 du Gouvernement eût suffi pour enlever à la crise son caractère aigu.

Il persiste à soutenir que le

« taux élevé de l'intérêt et la situation précaire de l'industrie furent les conséquences inévitables de la diminution du capital matériel disponible pour les entreprises industrielles et commerciales » (1604).

Et, cependant, depuis des mois les affaires industrielles allaient mal, parce que les magasins regorgeaient de marchandises invendables, malgré que du capital industriel fût là entièrement ou à moitié inoccupé, à cause de l'impossibilité de vendre les produits.

Enfin, il dit devant la Commission des banques de 1857 :

« Grâce à l'application rigoureuse et prompte des principes de l'Act de 1844, tout s'est passé régulièrement et sans difficulté ; le système monétaire n'a pas été ébranlé, la prospérité du pays est incontestée et la confiance du public dans l'efficacité de l'Act croit de jour en jour. Si la Commission désirait d'autres preuves de la rectitude des principes qui servent de base à cette loi et des effets bienfaisants qu'elle développe, je ne pourrais lui faire que cette réponse vraie et suffisante : Regardez autour de vous, observez la situation des affaires et le contentement du peuple, considérez la richesse et la prospérité de toutes les classes de la société, et décidez si vous devez maintenir une loi qui a de pareilles conséquences. » (C. B. 1857, n° 4189)

La réponse à ce dithyrambe, chanté le 14 juillet par Overstone, ne se fit pas attendre : le 13 novembre suivant parut la lettre du Gouvernement qui suspendit l'application de la loi miraculeuse de 1844, afin de sauver ce qui pouvait encore l'être. - F. E.]


Notes

[1] Karl Marx, Critique de l'Économie politique, traduction française, Paris, 1889, p. 241 et suivantes.


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