1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


IV. Qui prend le pouvoir et pourquoi faire ?


5. Un modèle néo-réformiste.

S'il y a précisément quelque chose qui caractérise le réformisme, c'est que son modèle de l'étape de transition est identique à celui des révolutions bourgeoises. Les réformistes croient que la classe ouvrière avancera vers la prise du pouvoir de la même manière que la bourgeoisie, comme aboutissement de son pouvoir économique progressivement accru.

De là la manie réformiste pour les coopératives, les entreprises étatiques dans le cadre du régime capitaliste, les syndicats abondant en privilèges économiques, l'Université et l'éducation ouvrières, qui permettrait au prolétariat cette progression sans soubresauts vers la prise du pouvoir. C'est "l'objectivisme pseudo-marxiste qui présuppose une préparation purement objective et automatique de la révolution, qui est laissée pour un avenir indéterminé. Cet automatisme nous est étranger." (Trotsky, 1922) [16].

Le camarade Mandel, avec son intelligence et son talent coutumiers, a construit pour justifier et rendre cohérente la résolution du SU un modèle semblable au modèle réformiste, bien que beaucoup plus sophistiqué. Comme un bon joueur d'échecs, il a bougé ses pièces pour attaquer le marxisme-révolutionnaire, édifiant une structure cohérente et pleine de subtilités stratégiques. La manie du camarade Mandel pour les longues, très longues périodes de dualité de pouvoir, pour la mise en oeuvre constante du contrôle sur la production et pour une longue lutte qui impose parmi les travailleurs la légitimité de la démocratie ouvrière - en opposition à la légitimité de la démocratie bourgeoise -, est un modèle évolutif et réformiste appliqué à cette époque, quand un quart de l'humanité vit sous des dictatures prolétariennes et des révolutions ouvrières triomphantes. Ce coup effectué au nom (il ne manquait plus que çà !) de la révolution ouvrière et de la dictature du prolétariat, est ingénieux : il faut donner du temps au prolétariat dans son ensemble pour qu'uni, dans ses organisations soviétiques et avec le contrôle ouvrier, il parvienne à être plus fort que la bourgeoisie et ainsi, sans fissures, convaincu et avec l'activité enthousiaste de tous les travailleurs, il prenne le pouvoir avec ses organisations, avec le suffrage universel, et avec des soviets larges sans contradictions ni luttes intenses, avec le soutien de tous les partis ouvriers et de presque tous les partis du pays. Grâce au contrôle ouvrier, le prolétariat, tout le prolétariat, avant la prise du pouvoir, sera bien plus fort économiquement que la bourgeoisie et saura diriger la production bien mieux qu'elle. Grâce au triomphe de la légitimité de la démocratie ouvrière sur la démocratie bourgeoise, il n'y aura pas des secteurs du peuple influencés par les capitalistes, puisque toute la classe ouvrière, ou sa très grande majorité, sera contre les organes bourgeois et pour les soviets populaires. Ceci permettra de gouverner avec le suffrage universel dont le camarade Mandel est un "partisan intransigeant, avant, pendant et après la prise du pouvoir par les travailleurs" comme il l'a dit à El País, dans des déclarations déjà citées. Et il faut prendre le temps permettant aux organes du pouvoir ouvrier, les soviets, de démontrer à tous les travailleurs - et pas seulement aux ouvriers  -, qu'ils sont la forme la plus démocratique de gouvernement.

Cela marcherait très bien pour Mandel s'il s'agissait effectivement d'une partie d'échecs ; mais ce qui va se passer, c'est que le méchant du film va arriver (la contre-révolution), et envoyer l'échiquier en l'air. La lutte de classes et la contre-révolution ne laisseront jamais le temps, de même qu'elles ne l'ont jamais laissé aux réformistes, pour que les travailleurs et toute la classe ouvrière se convainquent de la légitimité de leur pouvoir démocratique, pour qu'ils parviennent à être dominants dans l'économie et à incorporer sans fissures l'ensemble du peuple aux organes de pouvoir ouvrier. Avant de parvenir à cet éden, la minorité contre-révolutionnaire de ce pays se lancera dans une lutte à mort contre la minorité révolutionnaire, lutte qui déterminera qui parviendra à neutraliser et à gagner la majorité de la population au moyen de la force. Et ce n'est que si cette minorité révolutionnaire, s'appuyant ou ayant neutralisé la majorité des travailleurs, parvient à vaincre physiquement la contre-révolution, qu'il pourra y avoir révolution ouvrière et pouvoir des travailleurs. Ne participent du schéma du camarade Mandel ni les Pinochet, Franco, Mussolini, ni les trahisons de Staline, Ebert, Allende.


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