1978

"Le titre du livre synthétise ma position : à la place de la démocratie socialiste et de la dictature du prolétariat du SU, je suis revenu aux sources, ai tenté de faire revivre la vieille formule marxiste, tant de fois reprise par Trotsky, de dictature révolutionnaire. Dit d'une autre manière, une dictature pour développer la révolution, et non pour produire de la "démocratie socialiste" immédiatement."


Nahuel Moreno

La dictature révolutionnaire du prolétariat


IX. Construction socialiste dans un seul pays ou
révolution socialiste internationale ?


3. Mais les choses se passèrent différemment.

Malgré sa signification grandiose pour l'humanité, la Révolution d'octobre ne signifia pas la victoire de la révolution socialiste européenne internationale, comme l'avaient prévu les marxistes. La Russie prolétarienne resta isolée et la révolution socialiste triompha ensuite, après la deuxième guerre mondiale, dans les pays arriérés. C'est pourquoi, comme le dit Trotsky vingt ans après Octobre, "... l'Union Soviétique ne s'accorde pas aux normes d'un état ouvrier telles qu'elles étaient exposées dans notre Programme [...] Notre programme comptait sur un développement progressif de l'état ouvrier, et. donc son dépérissement graduel. Mais l'histoire [...] n'agit pas toujours "en accord avec un programme "..." (Trotsky, 1937) [5]. Et "la période qui paraissait à Lénine et à ses compagnons d'armes devoir être une courte "trêve" est devenue toute une époque de l'histoire" (Trotsky, 1936) [6].

Ainsi, au lieu d'une fédération d'états ouvriers hautement industrialisés et ayant vaincu l'impérialisme, nous nous trouvons en présence d'états ouvriers isolés qui doivent affronter un ennemi bien plus puissant que le capitalisme national, l'impérialisme.

En conséquence, il se trouve que ces pays sont supérieurs au capitalisme quant aux rapports de propriété et de production (la bourgeoisie expropriée), mais très inférieurs a l'impérialisme quant au développement des forces productives. Cette contradiction aiguë, cette combinaison inattendue pour les marxistes, a des conséquences bien plus graves que le seul fait de conserver "les traces ou marques provenant de son origine" (capitaliste).

Ce retard dans le développement des forces productives, combiné avec le maintien des frontières nationales, eut pour conséquence que la dictature du prolétariat dut se consolider et employer des institutions et un personnel bourgeois pour se défendre de l'impérialisme et de ses agents nationaux. Au lieu de "commencer à dépérir pratiquement dès sa naissance", elle dut employer tous les moyens pour se consolider.

C'est ainsi que toutes les dictatures prolétariennes existantes compriment aujourd'hui dans le cadre de leurs frontières des armées, des polices et des bureaucraties étatiques qui rappellent celles des pires régimes capitalistes.

Le fait que la bureaucratie et l'aristocratie ouvrières accaparent le gouvernement a amené la dégénérescence de ce processus, sa transformation en un régime totalitaire, de consolidation et de domination de la bureaucratie d'oppression de la base ouvrière et paysanne, au lieu de la consolidation de l'état à travers la mobilisation et l'organisation révolutionnaires des travailleurs. Mais en même temps, le fait que tous ces pays connaissent le même phénomène d'un "état capitaliste sans capitalisme", doit nous faire penser qu'il y a de profondes raisons objectives qui font que la consolidation de la dictature est une nécessité dans tous les états ouvriers isolés. La réalisation de cette nécessité cependant se fait de deux manières opposées, antagoniques : l'une, bureaucratique, et l'autre, révolutionnaire. La première renforce toujours davantage le gendarme et les secteurs privilégiés de la classe ouvrière ; la deuxième, la mobilisation des secteurs les plus exploités et concentrés du prolétariat. Cette seconde voie est celle du développement de la révolution mondiale, de l'affrontement afin de triompher définitivement de l'impérialisme. Au contraire, la première favorise l'isolement de l'état ouvrier dans le cadre de ses frontières nationales, et impose la coexistence avec l'impérialisme.


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