1921

Source : numéro 30 du Bulletin communiste (deuxième année), 30 juin 1921. L'article y est précédé de l'introduction suivante : « Nous publions ci-dessous des extraits d'une importante étude de Karl Radek sur la Situation Internationale et le 3e Congrès de l'Internationale Communiste. Cette étude est parue dans Moscou, organe officiel du Congrès. »


La situation internationale

Karl Radek


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La lutte contre les Centristes

Les neuf mois qui se sont écoulés depuis le deuxième congrès de l'Internationale Communiste ont été consacrés à la lutte contre les éléments centristes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Internationale. Les 21 conditions que l'Internationale Communiste avait élevées à la manière d'une barrière entra elle et les éléments opportunistes ont à la perfection joué leur rôle de frontières entre les communistes et les opportunistes déclarés. Les Hilferding, les Crispien, comme aussi les Longuet, qui étaient prêts à s'affilier à l'Internationale Communiste pourvu que cette affiliation n'entraînât pas pour eux l'obligation d'une politique révolutionnaire, pourvu que la possibilité leur fût réservée de continuer sous le drapeau du communisme leur politique d'hésitations entre révolution et contre-révolution, tous ces messieurs comprirent que ce jeu leur était devenu impossible et que s'ils entraient dans les rangs de l'Internationale Communiste, ils seraient, de par les 21 conditions, obligés de mener une politique révolutionnaire. Plus étroitement liés à la bourgeoisie qu'aux militants révolutionnaires, ils allèrent à une rupture avec ceux-ci et prirent ouvertement parti pour la contre-révolution.

Après le rôle que ces éléments jouèrent dès cet Instant, après l'appui fourni à la contre-révolution pendant les journées de mars par les Indépendants, après que les Indépendants allemands et les longuettistes se furent prononcés en faveur de la contre-révolution de Cronstadt, — aucun malentendu n'est plus possible à leur sujet au sein du prolétariat révolutionnaire. Toutes leurs « reconnaissances » de la dictature du prolétariat et du système des soviets se sont révélées comme des duperies effrontées. Se plaçant sur le terrain de l'Internationale Jaune d'Amsterdam, ils cherchèrent, d'accord avec les réformistes, à protéger celte dernière citadelle de la bourgeoisie que sont les syndicats réformistes contre les ouvriers révolutionnaires. En face de la grande crise mondiale qui trouve son expression dans la dévastation du monde par les luttes intestines qui se déroulent entre différents groupements capitalistes, ils se placent sur le terrain de la bourgeoisie libérale et cherchent, avec les derniers mohicans du cobdenisme, à trouver un pont qui leur permette de se rapprocher de la bourgeoisie. Ce n'est pas la révolution mondiale qu'ils recherchent : c'est au contraire une conciliation avec la bourgeoisie, c'est-à-dire la seule condition qui puisse permettre à la contre-révolution de vaincre, qui fait l'objet de leurs soucis. L'Internationale 2 ½ qu'ils ont édifiée, mélange insipide et débile de « si et de mais », montre qu'elle est la forme où se moule leur Confédération Internationale. « L'Internationale est une question de patience », déclarait l'un des chefs de cette compagnie internationale de pénitents. Oui, c'est bien vrai. L'Internationale 2 ½ est une question de patience : tant qu'il y aura encore dans le prolétariat des éléments assez patients pour supporter sans rien dire le joug du capitalisme, cette Internationale qui embrasse dans ses rangs dupeurs et dupés pourra exister. Mais chaque pas en avant fait par le prolétariat sera pour cette Internationale un pas de plus vers l'abîme.

Mais en dehors de cette différenciation d'avec les opportunistes, l'Internationale Communiste avait encore à combattre le manque de foi en la révolution, l'esprit d'incertitude, l'esprit de fléchissement devant le combat ; cette lutte n'était pas près d'être terminée. A la tête des masses révolutionnaires qui s'étaient jointes au cours des deux dernières années à l'Internationale Communiste, se trouvaient dans plus d'un pays des camarades qui personnellement étaient sûrs d'être d'excellents révolutionnaires et qui semblaient l'être en effet tant que le communisme restait une affaire de propagande et d'agitation et non pas d'action révolutionnaire directe : quand ce changement survint, ils se muèrent en opportunistes. Là où la situation s'exacerbait à tel point que les partis communistes se trouvèrent en présence de la nécessité d'une lutte en armes contre le gouvernement bourgeois, là où les partis, accrus considérablement, ne pouvaient plus se contenter de marcher au trot languissant de la propagande, là où ils furent contraints de prendre l'initiative en main pour commencer le combat, là on vit tout à coup les yeux des pseudo-révolutionnaires, jusqu'alors inconscients de leur opportunisme, s'ouvrir, et leur opportunisme se faire jour ouvertement. En Italie le groupe de Serrati se révèle opportuniste et, comme il n'a pas envie d'affronter le combat avec la réaction qui s'enhardit, il n'est naturellement pas porté à chasser du parti les réformistes, ces proxénètes de la bourgeoisie, ni à donner un coup de gouvernail énergique vers la gauche pour diriger le navire du Parti dans le sillage de la lutte révolutionnaire. A Livourne, Serrati se sépara de 60 000 communistes pour n'avoir pas à se séparer de 14 000 opportunistes.

Le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste déclare clair et net aux Serratistes : il n'y a pas de place dans les rangs de l'Internationale pour ceux qui ne veulent pas se séparer des réformistes. Il préfère se séparer pour un temps des ouvriers révolutionnaires dont la conscience n'est pas au niveau de leur connaissance du communisme. Car il sait pertinemment que ces mêmes ouvriers reviendront d'autant plus aisément au camp du communisme que l'Internationale Communiste condamnera plus impitoyablement le jeu centriste qui se cache sous le masque du communisme et que le Parti Communiste Italien montrera clairement aux masses par l'exemple de sa propre politique révolutionnaire la différence qui existe entre le communisme véritable et le communisme dont se camoufle la politique centriste.

La crise italienne et la décision avec laquelle le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste a montré qu'il n'entendait pas jouer avec les principes communistes effarouchent les esprits opportunistes qui subsistent dans les comités directeurs des autres partis communistes. Ils se sentent de la sympathie pour la politique de Serrati et ils ont peur que, comme en Italie, l'Internationale Communiste ne veuille introduire dans les autres pays une politique révolutionnaire. Même dans les partis où la scission avec les centristes a déjà été consommée et où par conséquent les exclusions ne paraissent plus s'imposer, même là les opportunistes se sentent menacés. Car ils comprennent très bien qu'il ne s'agit plus de l'exclusion des opportunistes déclarés, mais qu'il s'agit d'une action et d'une agitation véritablement révolutionnaires à laquelle il faut que les partis communistes se résolvent. Dans le Parti Communiste Allemand se groupent autour de Paul Levi un certain nombre de parlementaires indépendants de gauche et de leaders syndicalistes, formant une opposition contre le Comité Exécutif de l'Internationale Communiste, sur le terrain de la question italienne. Ce groupe entame la lutte avec pour mot d'ordre ceci : « l'Internationale Communiste s'est engagée dans la voie de la formation de sectes et non de partis de masses ; car elle ne s'occupe pas d'une « éducation » patiente des masses et refuse de reconnaître les Serrati et Turati, que les masses, elles, manquant d' « éducation », reconnaissent pour chefs ; comment ne craint-elle pas de perdre ainsi l'appui des masses ? » Peu de semaines après, ce même groupe, se trouvant en face d'un mouvement prolétarien de masses révolutionnaires au moment des journées de mars, devient à son tour une secte qui s'efforce de saboter la vivifiante action des masses, clamant à cor et à cri qu'il ne s'agit là que d'une « aventure ». Le porte-drapeau de ce groupe, Levi, commet une véritable trahison, il passe à l'ennemi, il dénonce à la police ebertiste les membres de l'Exécutif et l'Executif lui-même, comme les fomentateurs et les excitateurs étrangers du mouvement. Et bien que le parti se fût prononcé à l'unanimité contre ces renégats et, les prenant au collet, les ait jetés à la porte de son organisation, un groupe opportuniste formé par les chefs du parti se solidarise avec les traîtres. Il perd tout contact avec les masses et montre de cette façon, mieux que par toute démonstration théorique, que ces « défenseurs des masses » à l'intérieur du mouvement communiste ne sont que des charlatans. Ce groupe opportuniste se déclare l'avant-garde d'un parti des masses. Mais comme entre les scheidemanniens et les crispienistes il n'y a pas de place en Allemagne pour un parti opportuniste ayant pour chef Levi et s'appuyant sur les masses, ce groupe en sera réduit au rôle d'une petite secte opportuniste. Le Parti Communiste Unifié d'Allemagne a écrasé la rébellion de cette poignée de leaders opportunistes et ceux-ci arrivent maintenant devant l'alternative soit de se soumettre sans conditions à la volonté du Parti, soit de quitter le Parti.

En Tchéco-Slovaquie s'est produite une rénovation de la conscience des masses ouvrières encline jusqu'ici au nationalisme ; la majorité des ouvriers social-démocrates s'est ralliée au communisme. Une partie des chefs de ces militants de la gauche, avec, à leur tête, l'ancien chef des social-démocrates opportunistes, Šmeral, tachèrent de s'opposer autant que possible à ce développement. Ce qui leur plaisait le plus dans le communisme, c'était apparemment la lenteur de sa progression. Le développement rapide du mouvement révolutionnaire, que nous autres communistes nous prenions pour point de départ d'une politique nette et précise, les Šmeral et consorts en tiraient une politique hésitante, une politique qui revient à un arrêt complet du mouvement ouvrier. Quand nous leur disions qu'il ne faut pas quitter les rangs du parti social-démocrate tchèque tant que le concours des larges masses des ouvriers social-démocrates ne leur serait pas assuré, ils détournaient autant qu'il leur était possible la majorité des militants social-démocrates qui s'étaient séparés de la social-démocratie de la création d'un Parti Communiste. Comme nous leur avions dit de ne pas se précipiter dans l'action avant d'être sûrs de leurs forces, ils laissèrent sans direction la grève révolutionnaire d'un million de travailleurs qui avait surgi spontanément en décembre 1920 ; ils firent plus — ils la désorganisèrent. Et lorsque, malgré les grands sacrifices que cette grève avait exigés d'eux, leur communisme non seulement ne fut pas ébranlé, mais encore reçut une impulsion nouvelle, les étranges leaders communistes qu'ils ont là trouvèrent que le moment n'était pas encore venu pour former un parti centralisé communiste avec un programme net bien déterminé La bourgeoisie tchéco-slovaque vit de l'exploitation non seulement des ouvriers tchèques mais aussi des ouvriers hongrois, slovaques et allemands. Néanmoins les Šmeral s'opposent à la fusion des prolétaires de toutes les nationalités représentées dans l'Etat tchéco-sloyaque, craignant d'exciter le nationalisme bourgeois par un internationalisme prolétarien nettement exprimé. L'Internationale Communiste souhaitera avec joie la bienvenue aux 400 000 ouvriers tchéco-slovaques qui viennent de se joindre à elle. Mais elle leur dira tout net que l'affiliation à l'Internationale Communiste ne peut pas aller de pair avec la patiente conservation dans les rangs du Parti des Šmeral et consorts.

Les Serrati, Levi, Šmeral, déclarent que l'Internationale Communiste a modifié sa tactique. L'internationale Communiste leur répond : « Du gleichst dem Geist, den du begreifst, nicht mir ! » (tu es l'égal de l'Esprit que tu peux concevoir, mais non de moi !). L'Internationale Communiste est à présent, comme auparavant pour la formation de partis appuyés sur les masses, autour de son drapeau. Elle ne se bornera pas à la propagande des idées communistes mais prendra une part active au combat des masses, même si ces masses ne sont pas encore tout à fait conscientes et leur combat pas tout à fait décisif. Son devoir est de combattre les imprécisions et non de les laisser se répandre, de vaincre les indécisions et non de les ériger en principe. L'Internationale Communiste mettra comme par le passé les petits groupes de communistes en garde contre des combats intempestifs dans lesquels ils risquent de trouver leur perte. Mais elle dira à tous les partis prolétariens de quelque importance ; ton devoir est de marcher a ta tête des masses révolutionnaires. Ton devoir est de mener en avant les masses prolétariennes, en leur montrant l'exemple par l'action et de poursuivre une lutte à mort contre ceux qui sous le drapeau du communisme défendent une politique de stagnation et d'inertie. Un parti qui suivra cette voie saura seul grouper autour de lui les masses révolutionnaires. Car ces masses se servent des décisions du 2e Congrès de l'Internationale Communiste comme d'une fanfare guerrière, comme d'un plan de campagne, et non pas comme d'un appoint de connaissances en vue d'une politique de tergiversation et d'hésitation. Ils se sont séparés d'avec les centristes car ils sont opposés à une politique d'inaction et d'atermoiements ; s'ils l'ont fait, ce n'est pas pour poursuivre cette même politique sous un nouvel étendard. Les militants communistes sentent bien que la situation mondiale exige de nous une activité intense et ils comprennent qu'il nous est impossible d'intensifier notre action sans déblayer préalablement le chemin de tous les obstacles qui l'encombrent et particulièrement au plus encombrant d'entre eux qui est l'opportunisme, quel que soit déguisement dont il puisse s'affubler.

Traitement de la maladie infantile du gauchisme

Quelque temps avant le dernier Congrès de l'Internationale Communiste, le camarade A. Pannekoek avait publié une brochure sur la tactique de l'Internationale Communiste ; il y développait, comme pendant à ma brochure sur la révolution mondiale, la tactique de ce qu'il appelait le « Communisme de gauche ». Simultanément parut la brochure de Lénine sur la maladie infantile du communisme ; dans cette brochure étaient exposés les principes essentiels de la tactique de l'Exécutif de l'Internationale Communiste opposée à la tactique des « gauches ». A cette brochure répondit à son tour le camarade Gorter, par une « lettre ouverte à Lénine ».

Qu'avaient donc à dire les adeptes du communisme de gauche à l'Internationale ? Quelle tactique proposaient-ils ? La tactique qu'ils proposaient contrastait manifestement avec la position occupée par le Parti même dont les deux camarades hollandais paraissaient vouloir être les théoriciens : c'est-à-dire par le Parti Communiste Ouvrier d'Allemagne. Ce Parti était entré en lutte contre la majorité des spartakistes en leur déclarant que le triomphe de la révolution était possible en Allemagne dès l'automne 1919 et que n'étaient les spartakistes qui l'arrêtaient et lui faisaient obstacle par leur politique opportuniste. C'est autour de cette conception que les communistes allemands de gauche se groupèrent au printemps 1920 lorsqu'ils formèrent un Parti autonome. Quant à Pannekoek et à Gorter, ils étaient d'avis que la révolution mondiale est un processus progressif, ce qui témoigne d'une conception qui était considérée du point de vue de la gauche comme un indice d'opportunisme.

Mais quelle est la tactique qu'ils proposent d'appliquer à cette longue période progressive de la révolution mondiale ? Ils déclarent que la cause principale de la lenteur du processus révolutionnaire, c'est que les conditions matérielles se développent plus rapidement que les conditions morales. La décomposition du capitalisme fait des progrès plus rapides que l'expansion de l'idéologie communiste parmi la classe ouvrière. Quelle recette offrent-ils pour l'accélération du développement de la combativité prolétarienne ? Quelle tactique préconisent-ils ?

Celle de la propagande pure et simple. Les communistes propagent la bonne doctrine. Ils foncent tête baissée à l'encontre de tous les courants du mouvement ouvrier, non seulement en les critiquant et en luttant contre eux, mais aussi en combattant l'emploi du parlementarisme et l'action du Parti dans les organisations syndicales des masses ; et de cette façon ils tracent une ligne de démarcation très tranchée entre eux et le mouvement ouvrier. En face du parlementarisme corrupteur, ils dressent la propagande pour les soviets ouvriers : en face des syndicats de traîtres, des conseils de production révolutionnaires : en face des Partis social-démocrates et centristes, des petits groupes communistes ayant un but d'une cohésion étroite. Dans les luttes de la classe ouvrière, qui ne se développent que très lentement, les communistes doivent défendre leur point de vue sans se soucier de savoir si les masses sont oui ou non en mesure de l'apprécier à sa juste valeur au degré de développement où elles en sont. Les masses se rendront compte plus tard que les prophètes du communisme avaient raison et ce n'est qu'après coup qu'elles viendront à eux, et leur diront : maintenant nous voyons bien que c'est vous qui méritez le pompon, nous en sommes tellement sûrs que nous voilà devenus des communistes pur sang et nous n'avons plus qu'un désir, c'est de faire la révolution. Et le jour ainsi venu, Anton Pannekoek avait sans doute l'intention de descendre de son observatoire astronomique de Hollande, et Gorter celle de remettre dans l'armoire les classiques grecs et de se mêler à la foule populaire. Non pas, que Dieu l'en garde, pour lui montrer la voie à suivre ! Le prolétariat devenu pleinement conscient saurait bien se diriger tout seul, et le Parti Communiste Ouvrier n'est pas un parti dans le sens ordinaire de ce terme, mais dans un sens des plus extraordinaires.

Et le Parti Communiste Ouvrier montra qu'en effet il était un parti bien extraordinaire ; il compléta son « école hollandaise » de communisme par une étude approfondie de la culture intellectuelle allemande. Il réussit à l'absurde la théorie propagandiste des astronomes et poètes hollandais en rejetant de son programme toute revendication partielle. Ou bien il se trouve que les revendications peuvent être réalisées sur le terrain ou capitalisme, et alors le Parti Communiste Ouvrier est trop révolutionnaire, voyez-vous, pour se soucier d'une telle vétille, d'autant plus qu'elle pourrait bercer les ouvriers d'illusions réformistes. Ou bien les revendications ne peuvent pas être réalisées sur le terrain du capitalisme. Alors il faut le déclarer ouvertement et exciter les prolétaires à combattre pour la dictature.

Ainsi appliqués, les principes de l'école hollandaise auraient abouti à une solution absurde. Mais les syndicats ouvriers formés par le K. A. P. D. se sont naturellement fort peu souciés de la bonne doctrine et des prophètes de ce dernier. Ils ont combattu cour des revendications très réalisables. Ils ont fait des démonstrations pour les faire triompher, mais toutefois, après les avoir avancées, ils se sont bien gardés, afin sans doute d'éviter aux ouvriers la nécessité d'un combat, d'attirer leur attention sur le fait que ces revendications pourraient ne pas être réalisées.

Ce n'est d'ailleurs pas le seul fait qui démontre la démence de la tactique hollandaise. Non seulement les organisations formées pour la réalisation de cette tactique furent obligées de l'abandonner, mais il se trouva de plus que ces organisations se moulèrent dans des formes tout à fait inattendues pour ceux qui les avaient conçues. Ces conseils de production et ces unions ouvrières, organisations restreintes, mais « pur sang », ne devaient pas se borner à servir de serres chaudes pour la « pure doctrine », ils devaient en même temps être des centres d'action. Eh bien, ils ont eu plus d'une seule fois l'occasion de démontrer leur combativité Et cependant ils n'ont pas une seule fois jusqu'ici assumé la direction d'un mouvement tant soit peu important. Mais ce n'est pas là encore péché mortel. Au fond, la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Ces organisations, faibles quant au nombre, ne pouvaient pas assumer la direction d'une action importante.

Ce qui est beaucoup plus regrettable, c'est que durant les grandes actions entreprises par les larges masses ouvrières, elles ne se sont montrées en aucune façon prêtes à affronter le premier choc de l'ennemi. Il suffit de rappeler ici leur rôle pendant les journées de mars. Vraiment elles s'y sont montrées plus extraordinaires qu'il n'est permis au commun des mortels. Dans certains endroits elles ont fait preuve de courage, dans d'autres elles ont nettement fléchi. En tout cas, rien ne laissait prévoir dans leur conduite qu'elles étaient des vaisseaux de la grâce de Dieu. Et il y avait de bonnes raisons pour cela. L'esprit ne se délivre de son enveloppe charnelle que dans l'observatoire de l'astronome et dans le « poêle » des philosophes. C'est que là il n'a pas à songer à son bien-être matériel et il n'a pas besoin d'escompter le plus ou moins de difficultés qu'il y a à satisfaire des exigences de messire Gaster. Mais si par contre les adeptes du pur communiste hollandais se trouvent acculés à des conditions matérielles un tant soit peu embarrassantes, si, par exemple, ils risquent d'être mis à la porte de leur entreprise, ils manifestent tout à coup une extrême prudence et c'est alors qu'ils s'isolent en un petit groupe afin de ne pas rester sur le pavé.

Mais c'est un trait caractéristique du prophète que lorsque la terre pécheresse ne se développe pas selon sa volonté, il ne se demande pas si ce qu'il exige du monde est vraiment réalisable, il couvre sa tête de cendres, il menace le monde de destruction et exige de lui des prodiges encore moins réalisables. C'est à peu près ce qu'a fait le K. A. P. D., et aussi ses théoriciens hollandais, dans le courant de l'année passée. Gorter qui après que le K. A. P. D. eût été accueilli dans les rang de l'Internationale Communiste comme parti sympathisant, avait cru de son devoir d'exprimer sa sympathie à l'Internationale Communiste en déclarant que la tactique adoptée par son deuxième Congrès était une tactique abâtardissante, n'en délivra pas moins, dans une brochure anonyme, à l'Exécutif de l'Internationale Communiste un certificat d'imbécillité dans une seconde « lettre ouverte » à Lénine (Lénine ne peut malheureusement pas empêcher que de semblables fusées d'esprit lui soient consacrées), il constate que la tactique de l'Exécutif a abouti à une faillite complète et que tous les partis affiliés à la Troisième sont livrés à l'opportunisme.

Il n'est pas étonnant que le monde ayant subi dans le cerveau de Gorter et consorts une transformation aussi étrange, ces médicastres pensent pouvoir offrir au vieux monde harassé le secours de leurs médecines. Et, ce ne sont pas tes remèdes qui leur manquent. D'après le K. A. P. D., la principale leçon qu'on puisse tirer des journées de mars, c'est la nécessité d'un abandon définitif de l'action légale. Il mène la propagande en faveur des actes terroristes, du sabotage de la production comme un moyen ingénieux de montrer à la détestable légalité combien peu elle est respectée par le K. A. P. D. Il se peut que de cette façon le K. A. P. D. arrive à acquérir la respectueuse estime de cette même légalité. Le meilleur de l'histoire c'est que le K. A. P. D. mène cette propagande en faveur de l'illégalité dans une feuille tout ce qu'il y a de plus légal, et le gouvernement allemand serait bien fou de prendre des mesures contre cette propagande. Car rien ne peut autant servir la bourgeoisie que l'abdication par les ouvriers de la modeste liberté de réunion que la bourgeoisie est contrainte de leur octroyer maintenant.

En tant qu'organisation révolutionnaire, l'Internationale Communiste doit veiller avant tout à ne se faire aucune illusion sur la qualité réelle des partis qui lui sont affiliés, sur leur combativité, sur leur organisation. Non seulement elle ne se dissimule pas l'existence dans ses rangs de certains courants opportunistes, mais encore elle voit dans la lutte contre ces tendances opportunistes l'une des conditions de son triomphe futur. Le 3e Congrès de l'Internationale Communiste devra en premier lieu, au moment de prendre ses décisions politiques et organisatrices, ne pas perdre de vue la lutte à mener contre l'épidémie de centrisme. Mais une chose me paraît évidente. Ce n'est pas en adoptant la tactique des utopistes hollandais qu'on pourra venir à bout du centrisme, non, ce n'est pas par la propagande, mais seulement par un renforcement de notre action, par un redoublement de travail parmi les masses prolétariennes, par une liaison solide et intime avec ces masses qui souffrent et qui luttent.

L'expérience faite par l'Internationale Communiste d'une lutte contre l'opportunisme sur le terrain du plus grand parti communiste, c'est-à-dire du V. K. P. D., cette expérience montre que l'espoir qu'il y a de pouvoir créer des organisations vraiment révolutionnaires des masses, là où la situation est révolutionnaire, ne peut que nous confirmer dans la voie adoptée par nous précédemment. Le bilan du K. A. P. D. parle plus éloquemment que toutes théories contre la voie proposée par le parti. Le 3e Congrès de l'Internationale Communiste aura à exprimer cette vérité en toute netteté.


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