1936

« Staline défend non pas des idées progressives, mais les privilèges de caste de la nouvelle couche sociale, de la bureaucratie soviétique, qui, depuis longtemps déjà, est devenue un frein au développement socialiste de l'U.R.S.S. Il est impossible de défendre ces privilèges par les méthodes de la démocratie prolétarienne ; on ne peut les défendre qu'à l'aide de falsifications, de calomnies et d'une sanglante répression. »

Lev Sedov

Le livre rouge du procès de Moscou

Les attentats qui n'eurent pas lieu

Outre des entretiens d'ordre général sur la terreur, toutes sortes de « conceptions terroristes », des transmissions d'instructions, etc., il est malgré tout mentionné quelques attentats concrets. Prenons-les l'un après l'autre.

L'attentat du couple Berman-Iourine - Fritz David contre Staline

Arrivés en mars 1933 à Moscou1, Berman-Iourine et Fritz David décidèrent d'organiser un attentat contre Staline à la XIIIe assemblée plénière du Comité exécutif de l'Internationale communiste (décembre 1933). Berman-Iourine indique que « le plan fut voué à l'échec »2, car Fritz David n'avait pu se procurer de carte d'entrée pour Berman-Iourine, « qui fut désigné pour tirer sur Staline »3. Fritz David donne une autre version : « Ces projets ont échoué puisque Staline n'avait pas assisté à la XIIIe assemblée plénière »4. Cela ressemble un peu à l'histoire du pot prêté : Premièrement, dit-il, je lui ai rendu le pot intact, deuxièmement, il était déjà cassé, troisièmement, je ne lui ai rien emprunté du tout. La troisième partie semble manquer ici, mais en fait, elle y est aussi. Il n'y avait pas de carte d'entrée, il n'y avait pas de Staline et il n'y avait aucune intention d'organiser un attentat.

Mais Fritz David et Berman-Iourine ne furent pas abattus par cet échec. En effet, « ils avaient élaboré deux plans concrets ( ! ) d'attentat contre Staline »5. Il restait le second plan : organiser un attentat contre Staline au VIIe Congrès de l'Internationale communiste. Sans doute, ce plan était brillant ; il correspondait d'ailleurs aux « directives » de Trotsky, qui étaient de ne pas tuer simplement Staline, mais de le faire obligatoirement au milieu de la musique et des ovations, « devant un forum international »6, d'après la déposition de Berman-Iourine. Mais malgré tout, ce plan gardait, à notre point de vue, un sérieux inconvénient. Le dernier congrès de l'Internationale communiste à cette date (le Vie) s'était tenu en 1928. De 1928 à 1933 il s'était déjà passé plus de cinq ans et il n'était pas du tout question d'un nouveau congrès. Violant les statuts de l'Internationale communiste, Staline le repoussait d'année en année, ayant bien l'intention, si possible, de ne plus jamais le convoquer. Dans la propagande de l'opposition de gauche à l'étranger, pendant ces années-là, la question de la non-convocation du congrès de l'Internationale communiste joua un grand rôle. Voici ce qu'écrivait, par exemple, Trotsky en décembre 1934 (on peut trouver des dizaines de citations semblables : « Le groupe staliniste dirigeant, au fond, a depuis longtemps renoncé à compter sur l'Internationale communiste. L'une des preuves les plus manifestes en est le refus de Staline de convoquer le congrès international. » (Bulletin de l'Opposition, n° 41).

Berman-Iourine et Fritz David furent envoyés par Trotsky, par le même Trotsky qui pensait que le congrès ne serait pas convoqué, et en même temps, comme l'indique Berman-Iourine, proposait à ce dernier d' « organiser un attentat au congrès ». Et voilà qu'en guise d'activité terroriste, nos terroristes attendent... le congrès. Ils attendent un an, deux ans et enfin, deux ans et demi plus tard, ils ont satisfaction. Après un intervalle de sept ans, de 1928 à 1935, le VIIe congrès est enfin convoqué. On peut rétorquer : ils ont peut-être attendu longtemps, mais en revanche ils avaient bien préparé l'attentat et « élaboré un plan concret ». Laissons la parole au compte-rendu du procès. « Pour ce qui est du congrès de l'Internationale communiste, seul Fritz David a pu y pénétrer, n'ayant pas réussi à avoir une carte d'entrée pour Berman-Iourine. Or, Fritz David, à l'en croire, n'a pu accomplir son acte terroriste parce qu'il lui fut impossible d'approcher Staline... »7. « Il y avait trop de monde dans la loge où lui, Fritz David, était assis et tirer était hors de questions. »8.

Sans doute, Fritz David avait-il pensé qu'on l'aurait mis à la présidence et qu'au congrès, « il n'y aurait pas eu trop de monde »...

Ainsi finit l'histoire. Mais, comment la Guépéou a-t-elle appris tout cela ? Ces « terroristes » seraient-ils allés eux-mêmes à la Guépéou pour lui raconter leurs échecs ? S'ils n'avaient pas commis cette erreur, ils seraient encore fort probablement en vie et prépareraient, avec non moins de succès, un nouvel attentat contre Staline, par exemple, pour le VIIIe congrès de l'Internationale communiste, en 1940 ou en 1945.

Et voilà ce que fut la seule tentative « concrète » d'attentat contre Staline ! D'ailleurs, le tribunal lui-même, semble-t-il, ne prend pas très au sérieux cette histoire policière, car il ne la mentionne même pas dans son verdict.

L'attentat du terroriste Olberg contre Staline

Tout comme Berman-Iourine et Fritz David, Olberg a « reçu des instructions » de Trotsky sur l'activité terroriste. Pas plus que Berman-Iourine et Fritz David, Trotsky n'a vu Olberg (quoique, à la différence des deux premiers, il ait entendu parler de lui, certes, en mauvaise part seulement9.

Olberg fit trois voyages en U.R.S.S. Ayant reçu en 1932 des « instructions terroristes », il partit fin mars 1933 en Union soviétique et y resta jusqu'en juillet 1933 ; il « se cacha », on ne sait pourquoi, un mois et demi à Moscou, puis il partit pour Stalinbad, où il parvint à obtenir un emploi de professeur d'histoire. Stalinbad, qui est distant de Moscou, donc aussi de tous les grands chefs, de quelque 4 000 kilomètres au moins, fut évidemment choisi par Olberg comme l'endroit le plus favorable à son activité terroriste. Mais bientôt Olberg dut retourner à Prague, car « ses papiers militaires n'étaient pas en règle ». Olberg alla en U.R.S.S., pour la seconde fois, en mars 1935, mais il n'y passa tout au plus que quelques jours, car il n'avait qu'un visa de touriste. En juillet 1935, Olberg vient pour la troisième fois en U.R.S.S. Ses deux derniers voyages, Olberg les fait avec le célèbre passeport du Honduras (la seule preuve matérielle officiellement mentionnée dans l'affaire). « Il séjourna d'abord quelque temps à Minsk ; de là il (Olberg) parti pour Gorki et établit des rapports avec les trotskistes Iéline et Fédotov, obtint rapidement du travail à l'Institut pédagogique de Gorki, où il travaillait au moment de son arrestation. »10

A lire cette histoire invraisemblable, on peut croire qu'il n'existe pas de Guépéou en U.R.S.S. ! Vychinski manifeste une grande curiosité pour le passeport du Honduras d'Olberg : ses parents avaient-ils quelque rapport avec le Honduras, ou, peut-être sa grand-mère ?11 On se demande pourquoi la Guépéou n'avait pas manifesté le même intérêt au moment des voyages d'Olberg ! Quiconque a une notion des conditions dans lesquelles on donne des visas pour l'U.R.S.S. Et de la manière rigoureuse avec laquelle la Guépéou surveille même les étrangers « sérieux » qui arrivent, reconnaîtra toute l'invraisemblance de cette histoire. Un individu arrive, et pas pour la première fois, avec un passeport exotique peu sérieux de la République du Honduras, ne parle pas un mot des langues américaines, mais parle... russe. Il est difficile d'imaginer un étranger plus suspect. Cependant, Olberg non seulement entre sans obstacle en U.R.S.S., en sort et y entre de nouveau, mais encore il obtient une charge officielle dans l'enseignement, dans un institut pédagogique d'Etat ! Nous nous permettons d'affirmer de la façon la plus catégorique : Olberg n'a pu recevoir un visa pour l'U.R.S.S., y entrer et y obtenir du travail qu'avec le concours des autorités soviétiques, la Guépéou y compris.

Mais revenons à l'activité « terroriste » d'Olberg. Trois années — de 1932 à 1935 — se passèrent, sans que nous entendions un mot sur cette activité. Mais voici qu'arrivé à Gorki, en juillet 1935, « Olberg apprit de Fédotov que des groupes de combat terroristes avaient été organisés avant son arrivée. Olberg n'eut donc qu'à élaborer le plan même de l'attentat. »12

Notons que ni Iéline, ne Fédotov (qui n'est autre que le directeur de l'Institut pédagogique où enseignait Olberg ! ) ne furent cités devant le tribunal ; ni comme accusés, ni comme témoins. Notons aussi que s'il avait réellement existé à Gorki des « groupes de combat » terroristes, organisés par Fédotov, on ne comprend absolument pas quel besoin Fédotov avait d'Olberg. Un jeune homme, sans feu ni lieu, n'ayant aucune notion de l'activité terroriste, ni conspirative en général, doit diriger — « élaborer un plan » — une organisation terroriste déjà mise au point par des hommes beaucoup plus expérimentés. Mais en quoi donc ce fameux plan consistait-il ? « L'acte terroriste devait être accompli le 1er mai 1936 à Moscou »13 ; c'est tout ce que nous apprenons par le compte-rendu du procès. Par qui ? Où ? Comment ? Pas un mot là-dessus. « Qu'est-ce qui empêcha la réalisation de ce plan ? » demande Vychinski. « L'arrestation », répond Olberg14.

Telle est l'histoire de cette « attentat ». Cela, d'ailleurs, n'empêche pas l'écrivassier mercenaire de la Pravda, L. Rovinski, de nous informer, le 22 août, que « l'activité de terroriste et d'espion d'Olberg était bouillonnante... Non seulement il organisait des groupes terroristes d'espionnage, mais encore il enseignait aux terroristes à tirer du revolver et à lancer des bombes ». Devant le tribunal, il n'a nullement été question de tir au revolver ou de lancement de bombes. Nous nous permettons de rappeler que l'étudiant en sciences politiques, V. Olberg, n'a sans doute jamais vu de ses yeux une bombe, à l'excepetion de celle que lui a préparée Staline.

L'attentat de Lourié n° 1 et de Lourié n° 2 convre Vorochilov en particulier

N. Lourié affirme qu'il était un actif trotskiste depuis 1927, c'est-à-dire depuis presque neuf ans. Malheureusement, personne n'en a jamais rien sur. Aucun trotskiste d'aucun pays, ni en 1927, ni plus tard, ne s'est jamais rencontré avec N. Lourié. A toutes nos tentatives de recevoir des renseignements sur N. Lourié, nous n'avons reçu de tous côtés qu'une seule réponse : inconnu. Malheureusement, parmi nos adresses, nous n'avons pas la Guépéou. Elle pourrait, à coup sûr, nous donner des renseignements intéressants et nous dire en particulier quand, en 1927 ou à un autre moment, a commencé l' « activité » de N. Lourié.

N. Lourié décrit ainsi le début de son activité terroriste : « Au commencement de 1932, Moïse Lourié me dit qu'il était temps (!) de partir pour l'U.R.S.S et d'y effectuer un travail terroriste. »15 Ce ton enjoué et dégagé est admirable ! Nous avons assez joué au bilard, « il est temps » d'aller dîner... c'est-à-dire d'aller faire du terrorisme. A Moscou, Lourié se rencontre avec certains Constant et Liepschitz, qu'il appelle des « trotskistes allemands », mais qui, de nouveau, ne sont connus d'aucun véritable troskiste (soit dit en passant, ni Constant, ni Liepschitz ne sont traduits devant le tribunal ou cités comme témoins. C'est la coutume dans ce procès « modèle »! ).

Lourié fait part à Constant des « directives sur la terreur ». Sur le même ton désinvolte, Constant répond à Lourié « que ceci n'a rien de nouveau pour lui »16 (sans doute connaissait-il ceci depuis l'enfance).

En août 1932, le groupe N. Lourié reçoit d'un certain Franz Weiz (agent secret fasciste, d'après les données du procès) la mission d'accomplir un attentat contre Vorochilov. Lors de l'instruction préalabl, N. Lourié déclara que la préparation de cet attentat, à Moscou, avait duré « de l'automne 1932 à la fin de 1933 ».17 Mais, à l'interrogatoire, le même Lourié indiqua que dès juillet 1933 il partit pour Tchériabinsk. Si N. Lourié s'est installé en juillet 1933 à Tchéliabinsk, on se demande comment il a pu jusqu'à la fin de 1933 préparer un attentat à Moscou. Pour se rattraper, N. Lourié se hâte, devant le tribunal, de donner une nouvelle version : « Nous nous en sommes occupés (de la préparation de l'attentat contre Vorochilov) depuis septembre 1932 jusqu'au printemps 1933. »18 Alors, jusqu'au printemps ou jusqu'en automne ? Le tribunal préfère passer cette contradiction sous silence.

Mais en quoi consiste donc la préparation même de l'attentat ? Le trio N. Lourié-Constant-Liepschitz qui, pour des raisons inconnues, est représenté au procès par le seul Lourié, guettait les sorties de Vorochilov, mais l'auto « allait trop vite ». « Il est tout à fait vain de tirer sur une automobile qui va à une trop rapide allure. »19 S'étant convaincu que l'auto roulait trop vite, ces terroristes de malheur cessèrent de surveiller les sorties de Vorochilov. Au président du tribunal leur demandant ce qu'ils firent ensuite, N. Lourié répond qu'ils portèrent leur attention sur l'acquisition d'explosifs pour accomplir l'attentat au moyen d'une bombe. Le tribunal ne fait aucune tentative pour tirer au clair le fait de savoir s'ils se sont procurés des explosifs, où, quand, comment, si une bombe a été fabriquée, etc. La chose en reste là. En juillet 1933, N. Lourié part pour Tchéliabinsk pour y travailler en qualité de chirurgien. Mais même dans le lointain « Tchéliabinski, Lourié poursuit son activité terroriste ».20 Il attend, voyez-vous, que quelque chef, Kaganovitch ou Ordjonikidzé, vienne à Tchéliabinsk. Mais ni Kaganovitch ni Orjonikidzé, comme un fait exprès, ne viennent à Tchéliabinsk ; en tout cas, N. Lourié n'y rencontre aucun d'eux et n'y commet, bien entendu, aucun attentat.21

Cela n'empêche pas Moïse Lourié de montrer « comment il avait organisé l'attentat contre Ordjonikidzé... Pour ce but, M. Lourié proposa à N. Lourié qui partait pour l'usine de tracteurs de Tchéliabinsk d'utiliser l'arrivée éventuelle d'Orjonikidzé à l'usine pour réaliser l'attentat terroriste » !22

N. Lourié reste deux ans et demi à Tchéliabinsk, dans l'attente infructueuse d'Ordjonikidzé ou de Kaganovitch. Mais, comme dit le proverbe, si la montagne ne vient pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne. N. Lourié part pour Léningrad. De passage à Moscou, Moïse Lourié le charge en janvier 1936 de « tirer sur Jdanov au cours de la manifestation du 1er mai à Léningrad ».23 Pourquoi lui faut-il assassiner Jdanov, c'est impossible à comprendre. Au cours de la manifestation du 1er mai, N. Lourié marche dans la colonne des manifestants, mais n'essaye pas de tirer. Au président du tribunal24 lui demandant pourquoi, il répond : « Nous sommes passés trop loin. »25 Et tot ce galimatias est servi au tribunal comme des attentats !

Nouvel attentat contre Vorochilov

Au cours du procès, il est fait mention de la préparation d'un nouvel acte terroriste contre Vorochilov, que devaient accomplir, dit-on, deux militaires importants, tous deux héros connus de la guerre civile : D. Schmidt et Kouzmitchev. Evidemment, aucune preuve n'est apportée. Ni Schmidt, ni Kouzmitchev, ni les autres militaires accusés d'activité terroriste, — Poutna, Esterman, Gaïevski, — ne sont cités devant le tribunal. Trois inculpés parlent de l'activité terroriste de Schmidt et de Kouzmitchev. Reingold raconte qu' « il sait par Mratchkovski et Dreitzer qu'au cours de l'été 1933 a été organisé... un groupe terroriste composé de militaires. Dans ce groupe figuraient Schmidt, commandant d'une brigade de l'Armée rouge, Kouzmitchev, chef d'état-major d'une unité militaire, et un certain nombre (!) d'autres personnes ».26 Mratchvkovski raconte que l'affaire s'est passée un an plus tard. « Au milieu de l'année 1934, Dreitzer me rapporta qu'il préparait en même temps l'assassinat de Vorochilov et qu'il devait utiliser à cet effet Schmidt Dimitri... »27 Dreitzer lui-même déclara devant le parquet : « Pour accomplir cet acte terroriste, je me suis assuré le concours d'Esterman et de Gaïevski, et en 1935, celui de Schmidt et de Kouzmitchev. Ces derniers se sont chargés de l'assassinat de Vorochilov. »28 Ainsi ces trois dépositions (et il n'y en a pas d'autre sur cette affaire) se contredisent radicalement l'une l'autre, en citant successivement 1933,1934 et 1935. Aussi faut-il les rejeter comme de grossiers mensonges.

* * *

Au cours du procès, il est encore fait mention d'autres tentatives d'attentats ; mais ces dernières n'ont même pas l'ombre d'une preuve. Ainsi, par exemple, Zinoviev raconte qu' « il était au courant de deux tentatives d'attentats à la vie de Staline auxquelles ont pris part Reingold, Dreitzer et Pikel ».29 Ni Dreitzer, ni Reingold ne parlent de ces « tentatives ». Pikel déclare « qu'en automne 1933 Bogdan avait fait une nouvelle (?) tentative d'attentat à la vie de Staline ».30 Il raconte aussi « comment fut préparé l'acte terroriste contre Staline dans l'année 1934 » ; d'ailleurs, sa participation « se bornait à ce qu'il avait mis Bakaïev en rapports avec Radine »31 (ce dernier n'est pas cité devant le tribunal). Bakaïev fait aussi savoir qu' « en octobre 1934, sous la direction de Kaménev, d'Evdokimov et de lui-même, un attentat contre Staline... était en préparation à Moscou... Cet attentat ne réussit pas ».32 Et c'est tout.

Le tribunal prend indifféremment acte de toutes ces déclarations, ne tente nullement d'éclaircir les circonstances, le caractère, le moment, le lieu de ces « attentats ». L'absence de toute donnée sur ces attentats ne nous permet pas de les examiner plus en détail.33

Notons, en conclusion, que dans l'acte d'accusation il est dit que « le centre trotskiste-zinoviéviste unifié a organisé une série de groupes terroristes et préparé une série de mesures pratiques en vue de l'assassinat des camarades Staline, Vorochilov, Kaganovitch, Kirov, Odjornikidzé, Jdanov, Kossior et Postychev »34.

Nous nous sommes efforcés plus haut de confronter systématiquement toutes les données sur les attentats qui sont dispersées dans le compte-rendu du procès. Si l'on fait du voyage de N. Lourié à Tchéliabinsk un « attentat contre Ordjonikidzé et Kaganovitch » et de son voyage à Léningrad un « attentat contre Jdanov » il n'en reste pas monis Postychev, Kossior et d'autres... Dans toute l'affaire, il n'est pas un seul mot sur des attentats contre eux. Cela n'empêche pas le tribunal d'introduire dans le verdicte le paragraphe suivant : « Les débats ont également établi que le centre terroritste trotskiste-zinoviéviste... préparait des actes terroristes contre les camarades Kossior et Postychev, par l'intermédiaire du groupe terroriste ukrainien qui agissait sous la direction du trotskiste Moukhine. »35

C'est dans le verdict que le groupe terroriste ukrainien et le nom même de son dirigeant Moukhine sont mentionnés pour la première fois ! L'histoire de Moukhine et de son groupe fut manifestement improvisée au dernier moment pour que Postychev et Kossior ne soient pas offensés.

* * *

Faisons le bilan sur la base des données judiciaires elles-mêmes. Il n'y a pas un seul attentat, il n'y a même pas eu une seule tentative d'attentat. Le procureur Vyumountchinski considère néanmoins que « la culpabilité... est parfaitement établie et qu'il peut se dispenser de l'obligation d'analyser les matériaux recueillis par l'examen de l'affaire ».36 Il ajoute : « L'essentiel dans ce procès, c'est qu'ils (les accusés) ont transformé leur pensée contre-révolutionnaire en action contre-révolutionnaire, leur théorie contre-révolutionnaire en activité contre-révolutionnaire : non seulement ils parnet de tirer, mais ils tirent ; ils tirent et ils tuent ! »37

Ainsi ils tirent ? ! Au procès il ne fut, en tout cas, pas mentionné qu'un des inculpés ait tiré. Il y eut des « instructions », des « conversations », une « préparation », des « tentatives », des gens furent « indiqués », tantôt l'activité terroriste fut « hâtée », tantôt elle « cessa », — il y eut tout cela en paroles, mais il n'y eut pas de coup de feu. Pas un seul attentat, pas une seule tentative réelle d'attentat n'ont été établis devant le tribunal. Il s'avère, comme un fait expèrs, que tantôt le personnage visé est trop loin, tantôt c'est le terroriste qui passe trop loin, tantôt l'auto roule trop vite, tantôt le terroriste se trouve à Stalinbad ou à Tchéliabinsk, et Staline, comme par hasard, à Moscou.

Cependant, ces « terroristes » furent placés dans des conditions exceptionnellement favorables. Les difficultés habituelles des terroristes sont l'appartenance à une couche sociale différente, le manque de renseignements sur les hommes visés, l'impossibilité de pénétrer dans leur milieu. Il n'y avait ici rien de tout cela, Zinoviev, Kamenev, Smirnov, Mratchkovski, Bakaïev et d'autres, après leur séparation de l'opposition, fréquentaient les milieux de l'appareil. Ils avaient leurs entrées au Kremlin, dans toutes les institutions, quelques-uns même au secrétariat de Staline. Mratchkovski, par exemple fut personnellement reçu par Staline38 ; il ne lui aurait pas coûté grand'chose de décharger son revolver contre Staline. Les possibilités terroristes de la majorité des fusillés, bolchéviks connus, étaient presque illimitées. De plus, ils étaient aidés de l'étranger par Trotsky, et en U.R.S.S., par des dizaines, sinon des centaines, de personnes ; ils étaient soutenus par une organisation aussi puissante que la Gestapo ! Et les résultats ? Zéro, zéro ! S'il n'y a pas eu d'assassinats, c'est uniquement parce qu'aucune des personnes fusillées ou impliquées dans l'affaire n'en avait préparé, aucune d'entreelles n'avait eu l'idée de chercher dans la voie de la terreur une issue pour sortir de l'impasse staliniste.

Sans l'assassinat de Kirov, Staline ne se serait jamais décidé à mettre en circulation tous ces mensonges délirants sur le « terrorisme ». C'est pourquoi il a artificiellement réuni la réalité — l'assassinat de Kirov par Nikolaïev, assassinat avec lequel aucun des inculpés de ce procès n'a eu de rapports — avec toutes les autres inventions. C'est dans cette réunion artificielle que réside la combinaison policière centrale du procès de Moscou. La réalité de l'assassinat de Kirov devait donner une apparence de réalité à d'autres attentats qui n'ont pas eu lieu.

Notes

1 Il est très caractéristique que tous les terroristes « envoyés » par Trotsky en U.R.S.S., Berman-Iourine, Fritz David, Moïse Lourié, etc. y arrivèrent en mars 1933. Ceci ne s'explique-t-il pas par le fait qu'ils furent en réalité « envoyés » en U.R.S.S. non pas par Trotskys, mais par Hitler qui venait de prendre le pouvoir en Allemagne avec l'aide de Staline et de tous ses Berman-Iourine ? Tandis que les ouvriers révolutionnaires allemands étaient expédiés dans les camps de concentration, les fonctionnaires stalinistes, au nombre desquels étaient Berman-Iourine, Fritz David et autres, partaient pour l'U.R.S.S.

2 Le Procès...., p. 96.

3 Ibidem, p. 96.

4Ibidem, p. 115.

5 Ibidem, p. 115.

6 Ibidem, p. 26.

7 Ibidem, p. 115.

8 Ibidem, p. 97.

9 Voir ici.

10 Le procès..., p. 90.

11 Ibidem, p. 89.

12 Ibidem, p. 92.

13 Ibidem, p. 92.

14 Ibidem, p. 92.

15 Ibidem, p. 102.

16 Ibidem, p. 103.

17 Ibidem, p. 28.

18 Ibidem, p. 104.

19 Ibidem, p. 104.

20 Ibidem, p. 105.

21 Il n'en est pas moins dit dans le verdicte que « Natan Lourié a essayé d'attenter à la vie des camarades Kaganovitch et Ordjonikidzé ». Le même Natan Lourié se voit accusé dans le verdict d'avoir aussi préparé un attentat contre Staline. Tout au long du compte-rendu du procès, pas un seul mot n'est dit sur un attentat de N. Lourié contre Staline !

22 Ibidem, p. 107.

23 Ibidem, p. 105.

24 Au cours de tout le procès, le président du tribunal ne fit aucune tentative d'éclaircir les contradictions, de citer devant le tribunal les personnes mises en cause, etc., etc. Mais il manifeste soudain un très grand intérêt quant au revolver de N. Lourié : un browning ? De quel calibre ? Quelle pitoyable comédie !

25 Ibidem, p. 106.

26 Ibidem, p. 36.

27 Ibidem, p. 35.

28 Ibidem, p. 36.

29 Ibidem, p. 77.

30 Ibidem, p. 63.

31 Ibidem, p. 64.

32 Ibidem, p. 60.

33 Nous laissons de côté un cas tout à fait anecdotique. Le « terroriste » Iakovlev, qui fut avec Safanova le seul témoin du procès (on ne comprend d'ailleurs pas pourquoi ils furent témoins et non inculpés) déclara que Kamenev l'avait chargé d'organiser un groupe terroriste à... l'Académie des Sciences ! (Le Procès..., p. 70).

34 Ibidem, p. 37.

35 Ibidem, p. 181.

36 Ibidem, p. 139.

37 Ibidem, p. 131.

38 C'est Safonova qui déposa sur cette visite, déclarant que « Mratchkovski nous a fait part Safonova et à I.N. Smirnov) de sa conversation avec Staline... et il déclara que la seule issue était d'assassiner Staline ». (Le Procès..., p. 78). Si tout cela n'a pas été inventé d'un bout à l'autre (I.N. Smirnov nie purement et simplement le récit de Safonova), le plus vraisemblable est que l'affaire s'est passée ainsi : Mratchkovski, revenant de sa visite à Staline, extrêmement déçu de cette visite, ce qui n'avait rien d'étonnant, lança quelques fortes invectives contre Staline. C'est de là que Safonova a tiré après coup l'accusation de vouloir la terreur. Bien entendu, ce n'est qu'une hypothèse.

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