1936

« Staline défend non pas des idées progressives, mais les privilèges de caste de la nouvelle couche sociale, de la bureaucratie soviétique, qui, depuis longtemps déjà, est devenue un frein au développement socialiste de l'U.R.S.S. Il est impossible de défendre ces privilèges par les méthodes de la démocratie prolétarienne ; on ne peut les défendre qu'à l'aide de falsifications, de calomnies et d'une sanglante répression. »

Lev Sedov

Le livre rouge du procès de Moscou

Vieille chanson, nouvel air

Peut-on croire un seul instant au bien-fondé de l'information..., suivant laquelle Trotsky, ancien président du Soviet des députés de Pétersbourg en 1905, révolutionnaire qui a servi pendant des dizaines d'années la révolution avec désintéressement, aurait quelque rapport avec un plan financé par le « gouvernement allemand » ? C'est une calomnie manifeste, inouïe, malhonnête lancée contre un révolutionnaire.
Lénine, dans la Pravda du 16 avril 1917.

Il y a une calomnie que l'on ne réfute pas, à côté de laquelle on passe, pour ne pas se salir : C'est la calomnie sur les « liaisons avec la Gestapo ». Mais même celle-ci, ce n'est pas Staline qui l'a inventée. Staline répète servilement la vieille calomnie des impérialistes anglais, russes et autres sur les « espions allemands Lénine et Trotsky », en la modernisant seulement par le mot de Gestapo. Lorsqu'en 1917, la bourgeoisie russe et ses agents Milioukov, Kérenski, etc. s'efforcèrent de calomnier et de noircir le parti bolchévik, parti vers qui tendaient tous les espoirs de la classe ouvrière russe et de larges couches de la paysannerie, ils proclamèrent que ses chefs Lénine et Trotsky étaient des « agents de l'Etat-major allemand ». Si Staline ne fut pas lui-même à ce moment-là au nombre des chefs calomniés (Lénine, Trotsky, Zinoviev), c'est uniquement parce qu'à cette époque héroïque il était trop peu connu et n'était qu'une figure de troisième plan. Le méprisable et pitoyable Kérenski reste au moins fidèle à lui-même quand il écrit aujourd'hui qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que Trotsky et Zinoviev aient eu des relations avec la Gestapo, car, voyez-vous, Lénine, Trotsky et d'autres ont déjà été liés en 1917 avec le général Ludendorff !

Kérenski renoue le fil de sa propre calomnie d'autrefois contre Lénine, Trotsky et Zinoviev à la calomnie d'aujourd'hui lancée par Staline contre Trotsky et Zinoviev. (Si Lénine n'était pas mort, il aurait été, bien entendu, le premier et le principal agent de la Gestapo.) Combien significative est cette poignée de mains que les deux calomniateurs, Kérenski et Staline, se donnent par-dessus toute une époque : 1917-1936 !

Dans la citation que nous avons donné en épigraphe, Lénine dit dans la Pravda de 1917 que « c'est une calomnie manifeste, inouïe, malhonnête lancée contre un révolutionnaire ». Ces mots sont aujourd'hui d'une plus grande actualité que jamais, mais entre temps, toute la Révolution a passé.

Quand la Pravda écrivait avec indignation ces lignes, Trotsky n'avait pas encore été à côté de Lénine, chef de la révolution d'Octobre, pendant laquelle, selon Staline lui-même, « tout le travail d'organisation pratique de l'insurrection fut mené sous la direction immédiate de Trotsky, président du Soviet de Pétrograd. On peut dire avec certitude que le rapide passage de la garnison du Soviet et l'habile organisation du travail du Comité militaire révolutionnaire, le parti en est avant tout et surtout redevable au camarade Trotsky. » (Article de Staline dans la Pravda du 6 novembre 1918.) Trotsky n'avait pas encore été alors, à côté de Lénine et de Zinoviev, créateur et chef de l'Internationale communiste. Trotsky n'avait pas encore été alors le chef de l'Armée rouge et l'organisateur des victoires de la guerre civile.

Et peut-il exister une meilleure preuve de la confiance de Lénine en Trotsky, et en Trotsky seulement que la « carte blanche » bien connue que lui donna Lénine. En 1919, au plus fort de la guerre civile, Lénine remit le document suivant à L. Trotsky :

Camarades !
Connaissant le caractère rigoureux des prescriptions du camarade Trotsky, je suis tellement persuadé, persuadé à un degré absolu, de la justesse, de l'opportunité et de la nécessité pour la cause, de l'ordre donné par le camarade Trotsky que je confirme intégralement cette prescription.
V. Oulianov-Lénine

Lénine écrivit ces quelques lignes au bas d'une feuille de papier en blanc portant l'en-tête du Président du Conseil des commissaires du peuple (en juillet 1919), afin que Trotsky pût écrire au-dessus de la signature de Lénine toute décision qu'il jugerait nécessaire.

Un journal réactionnaire français, le clérical Echo de Paris, communique déjà que les trotskistes français sont des agents du Reich. L'Humanité se saisit immédiatement de cette découverte. Oh ! il n'y a aucun doute là-dessus, l'Echo de Paris le dit.

Les bolchéviks-léninistes de Pologne sont des agents de la police secrète, proclame la Pravda. Bien sûr ! On ne peut pas les forcer comme Thorez et Duclos à crier « Vive la Pologne » de Pilsudski ! Ils préparent dans la lutte illégale et dans les prisons une nouvelle Pologne, qui ne sera pas la Pologne de Pilsudski. Evidemment, ce sont des agents de la police secrète !

Cet « argument » n'est pas nouveau : Lénine et Liebknecht, Trotsky et Rosa Luxemburg ont eu à le subir. Marx aussi l'a subi : la presse bonapartiste française l'accusait d'être un agent de Bismarck.1 Eh bien, ce n'est pas une si mauvaise tradition !

Lisez les journaux fascistes allemands, voyez avec quelle rage haineuse ils manifestent pour Trotsky. Ce sont eux qui conseillent de livrer Trotsky à Staline ! Les fascistes allemands ne peuvent pardonner à Trotsky non seulement son rôle révolutionnaire en général, mais aussi sa politique révolutionnaire en Allemagne. Ils savent que c'est Trotsky qui a propagé en Allemagne l'idée du front unique, seule politique qui aurait pu vaincre le fascisme, tandis que Staline ne faisait qu'aider le fascisme, en proclamant que social-démocrate et fascisme étaient des « jumeaux » et que la social-démocratie était le fascisme de gauche. Sans Staline, il n'y aurait pas eu Hitler, ni la Gestapo ! C'est Staline qui a aidé Hitler à s'asseoir sur le dos de la classe ouvrière allemande. Et c'est dans ce sens historique, beaucoup plus profond, que Staline est un agent de la Gestapo, et toutes ses pitoyables machinations policières ne pourront effacer cette terrible responsabilité. Oui, s'il existe aujourd'hui en Allemagne le fascisme et la Gestapo, ils le doivent « avant tout et surtout » à Staline.

Notes

1 La police de Napoléon III a d'ailleurs accusé aussi la Première Internationale d'avoir trempé dans un attentat contre l'Empereur (Affaire Beaury, mai 1870). Comme tout se répète !

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