1936

« Staline défend non pas des idées progressives, mais les privilèges de caste de la nouvelle couche sociale, de la bureaucratie soviétique, qui, depuis longtemps déjà, est devenue un frein au développement socialiste de l'U.R.S.S. Il est impossible de défendre ces privilèges par les méthodes de la démocratie prolétarienne ; on ne peut les défendre qu'à l'aide de falsifications, de calomnies et d'une sanglante répression. »

Lev Sedov

Le livre rouge du procès de Moscou

Le compromis tragique : contre les aveux, la vie sauve

Un décret du Comité central exécutif de l'U.R.S.S. Du 1er décembre 1934 établissait une procédure militaire accélérée dans les affaires de terrorisme, sans défenseurs, à huis clos, sans droit d'appel et avec exécution immédiate du verdict. Pour le procès de Moscou, il fut fait une « exception » à ce décret. Formellement, tout fut admis : les avocats, l'appel au Comité central exécutif, l'audience publique. La réalité fut toute autre.

Un avocat tant soit peu indépendant aurait rendu le procès impossible. Aussi les accusés renoncèrent-ils aux avocats, et cet abandon était un de leurs apports dans le « compromis » que Staline avait passé avec eux : pour les aveux, la vie sauve.

La question du droit d'appel a une importance toute particulière. Pourquoi Staline donna-t-il ce droit aux accusés ? Il avait pourtant décidé par avance de les fusiller. L'unique explication de ce fait est celle-ci : en donnant aux accusés, par dérogation au décret spécial du Comité central exécutif, le droit de faire appel, Staline leur offrait une « garantie » du compromis conclu avec eux : pour prix des aveux, la vie sauve.

Or, au tribunal, c'est une comédie qui se joua, avec des rôles distribués à l'avance. Tout avait été convenu auparavant. Les accusés remplirent les conditions imposées, mais Staline les « viola »... Ce fut l'exécution.

* * *

En guise de défenseurs1, des accusateurs, c'est-à-dire les inculpés eux-mêmes ; en guise de public, une assistance de deux cent agents de la Guépéou, triés sur le volet, au « maintien militaire », comme le communiquaient les correspondants des journaux britanniques. La présence de ce public n'était qu'une nouvelle dérision de Staline à l'égard des accusés.

Cette lie thermidorienne, quoique choisie, n'a pas seulement applaudi les discours du procureur et le verdict, mais elle a ri aussi bien souvent des malheureux accusés... Elle considérait avec délectation l'anéantissement et la fin des anciens chefs du bolchévisme et de la révolution. A eux, à ces thermidoriens comme à Staline, il fallait la fusillade. Les traditions et les idées de la révolution d'Octobre les tourmentent comme un sombre cauchemar, elles les gênent pour construire leur « vie heureuse et sereine ».

Enfin, les juges se retirèrent pour délibérer. Et pour « rédiger » le verdict, préparé depuis longtemps au secrétariat de Staline, il leur fallut sept heures et demie. Encore une nouvelle vengeance misérable et odieuse de Staline : faire souffrir ces hommes, se jouer d'eux aux dernières heures de leur vie. Certes, les accusés avaient le droit de faire appel à la grâce... pour qu'elle ne leur soit pas accordée. Le 24 août, à la nuit, ils furent directement conduits de la salle du tribunal à la mort.

Le procès, non seulement dans son ensemble, mais même dans chaque détail, porte la marque d'une ignominie inhumaine.

Notes

1 Comment ne pas rappeler ici le procès des socialistes-révolutionnaires de 1922 ? Ils étaient eux, de véritables terroristes. Ils avaient tué Ouritski, blessé Lénine. Et c'était dans les moments les plus redoutables et les plus précaires de la révolution. Le procès fut public, des avocats furent admis, même des avocats étrangers (Vandervelde, Kurt Rosenfeld, Theodor Liebknecht). IL n'y avait alors rien à cacher. Le procès établit en pleine évidence que les actes terroristes n'avaient pas été le fait d'individus isolés, comme il l'avait semblé tout d'abord, mais avaient été organisés par le parti des socialistes-révolutionnaires. Tous les accusés, ennemis mortels de la révolution d'Octobre, eurent malgré tout la vie sauve.

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