1935

Ecrit en allemand à la veille du congrès des Jeunesses Socialistes de Copenhague, publié dans la Vérité du 23 août 1935. Depuis plusieurs semaines, Trotsky insistait sur la nécessité d'un « tournant » vers la construction d'une organisation révolutionnaire indépendante.


Œuvres - juillet 1935

L. Trotsky

Aux jeunes socialistes et communistes qui veulent penser

22 juillet 1935


La question du danger de guerre préoccupe actuellement la jeunesse de la façon la plus profonde. Et à juste titre, car c'est avant tout de sa propre tête qu'il s'agit. La question de la guerre constitue le premier point à l'ordre du jour du congrès des jeunesses socialistes de Copenhague.

Nous, marxistes révolutionnaires, rejetons entièrement les recettes contre la guerre qu'ont données les chefs de la II° et de la III° Internationale. Ils prêchent le désarmement et la « conciliation » par la Société des Nations. Cela signifie qu'ils croient à la possibilité de changer l'essence du capitalisme par des réformes pacifiques, car la lutte armée entre Etats capitalistes appartient aussi bien à l'essence du capitalisme que la concurrence entre les divers capitalistes ou entre leurs trusts. Il y a des gens qui s'intitulent socialistes ou communistes, qui qualifient l'Etat capitaliste d'institution complètement impérialiste et qui croient en même temps à la Société des Nations, c'est‑à‑dire à la Bourse des Etats impérialistes.

Pour le marxiste, la lutte contre la guerre coïncide avec la lutte contre l'impérialisme. Le moyen de cette lutte, ce n'est pas le « désarmement général », mais l'armement du prolétariat en vue de l'anéantissement révolutionnaire de la bourgeoisie et de l'instauration d'un Etat ouvrier. Notre mot d'ordre n'est pas : Société des Nations, mais Etats‑Unis soviétiques d'Europe et du monde entier !

Aujourd'hui nous voyons comment, en France, les réformistes et les prétendus « communistes » (à vrai dire stalinistes) ont conclu avec les radicaux une alliance pour lutter, paraît‑il, contre le fascisme et la guerre. Que sont les radicaux. ? Un parti résolument impérialiste qui monte la garde devant le traité de Versailles et devant l'empire colonial français. Comment peut‑on mener en commun avec un parti impérialiste la lutte contre la guerre impérialiste ?

Evidemment, les radicaux se plaisent à parler de la paix. Hitler s'échine également en faveur de la paix. Car ils sont tous pour la paix : les curés, les banquiers, les généraux. Mais que signifie, en réalité, le pacifisme des gouvernements et des partis bourgeois ? Une infâme hypocrisie. N'importe quel bandit préfère, si c'est possible, prendre la bourse de sa victime « pacifiquement », sans toucher à sa vie. Mussolini aimerait évidemment mieux empocher l'Abyssinie d'une façon « pacifique », c'est‑à‑dire sans les frais et les victimes d'une guerre. L'Angleterre et la France voudraient bien savourer leur butin en « paix ». Mais gare à celui qui les dérange ! C'est en cela que consiste l'amour de la paix des capitalistes.

Le pacifisme petit‑bourgeois est en général sincère, mais d'autant plus aveugle et impuissant. Car, au fond, il n'est pas autre chose que la foi du paysan ou du petit boutiquier dans la possibilité d'améliorer la classe dominante, de désarmer les grands bandits impérialistes et de les décider à coexister pacifiquement l'un avec l'autre. Malgré ses bonnes intentions, le pacifisme petit­-bourgeois devient un prétexte à l'aide duquel l'impérialisme, au moment voulu, s'empare des masses pour en faire de la chair à canon. Nous accusons précisément les chefs de la II° et de la III° Internationale d'aider, par leur politicaillerie pacifiste, le capitalisme à préparer un nouveau carnage des peuples. Dans une nouvelle guerre, les réformistes et les stalinistes seront, dans la plupart des cas, du côté de leur gouvernement, surtout en France, en Tchécoslovaquie, en Belgique. Celui qui veut réellement lutter contre la guerre doit parler clairement au peuple, doit rassembler les militants sous un drapeau révolutionnaire, et ce drapeau est celui de la IV° Internationale.

Entre les deux anciennes « Internationales » qui, en réalité, ont cessé d'en être, et nous, les combattants de la IVe Internationale, il y a plusieurs fractions et groupements intermédiaires que nous appelons centristes.

Ce terme n'est pas, comme le pensent certains naïfs, une injure, mais une conception tout à fait scientifique. Nous appelons centristes ces tendances qui oscillent entre le marxisme (internationalisme) et le réformisme (patriotisme), mais qui, dans leur essence, sont généralement plus près du réformisme. En France, c'est la fraction de la Bataille socialiste qui a un caractère centriste, liant son acceptation de la défense nationale à la glorification du pacifisme (Zyromski) et tolérant à son aile gauche un internationalisme vague (Pivert). De tels courants existent dans une série de pays. Pour la période actuelle, on peut citer comme exemple typique de centrisme le parti ouvrier socialiste allemand (S.A.P.) [1]. Le S.A.P. n'est nullement une organisation de masse. Il possède, cependant, des fonctionnaires de parti et de syndicat assez nombreux, répandus actuellement comme émigrés en différents pays. Ils disposent souvent d'une routine pratique considérable et d'une certaine éducation théorique ; mais leur activité ne dépasse jamais le cadre des opinions centristes. C'est pourquoi ils sont contre la IV° Internationale. C'est pourquoi ils combattent les partis et organisations qui se rassemblent autour du drapeau de la IV° Internationale. C'est pourquoi ils cherchent leurs amis à leur droite. C'est pourquoi leur hostilité se dirige toujours vers la gauche.

De temps en temps, ils affirment qu'ils ne sont pas, au fond, des adversaires de la IV° Internationale en tant que telle, mais qu'ils la trouvent inopportune. Cette assertion, cependant, est sans contenu. Car il ne s'agit pas d'une question mathématique, mais d'une question politique où le facteur temps est décisif. Le socialisme non plus n'est pas « opportun » tant que nous ne sommes pas capables de le réaliser. Mais nous l'avons écrit sur notre drapeau, et ce drapeau, nous le portons, bien ouvertement, devant les masses. Si nous sommes maintenant persuadés que la lutte contre la guerre et pour le socialisme exige un nouveau rassemblement de l'avant‑garde prolétarienne autour d'un programme nouveau, alors nous devons commencer ce travail sans tarder.

Celui qui aujourd'hui, comme le S.A.P., est contre la IV° Internationale, ses défenseurs et ses constructeurs, celui-­là démontre que, consciemment ou inconsciemment, il veut garder ouverte la voie du retour vers les réformistes et les patriotes. Cette affirmation peut apparaître aux naïfs comme une manifestation de « sectarisme » ou même une « calomnie ». La plus récente position du S.A.P. dans la question de la guerre, absolument antimarxiste, a confirmé notre appréciation de manière irréfutable. Celui qui n'a pas lu la fameuse résolution du S. A. P. sur « la lutte pour la paix » devrait le faire immédiatement et même apprendre par cœur certaines phrases. Aucune formule sonore sur la révolution socialiste et la dictature du prolétariat ne peut dissimuler le caractère réel, c'est‑à‑dire pacifiste, de la politique du S.A.P., qui veut rassembler « toutes les forces » pour le désarmement et pour la paix, et créer pour cela un « comité mondial ». Celui qui prêche que les impérialistes peuvent, sous la « pression » des masses, désarmer pacifiquement nie par cela même la nécessité de la révolution prolétarienne. Car quelle révolution peut‑il y avoir contre la bourgeoisie désarmée ? Au pacifisme en politique extérieure correspond inévitablement le pacifisme en politique intérieure. Quelqu'un peut nous jurer solennellement qu'il est matérialiste ; si, pour assurer le salut de son âme, il va à l'église à Pâques, il reste pour nous une triste victime du clergé. Celui qui joint les phrases sur la révolution sociale à des supplications pacifiques en faveur du désarmement, celui‑là n'est pas un révolutionnaire prolétarien, mais une pitoyable victime de la superstition petite‑bourgeoise.

N'y a‑t‑il pas pourtant ‑ nous réplique‑t‑on souvent ‑, dans le S.A.P. et dans les organisations analogues, de bons ouvriers d'esprit révolutionnaire qu'il ne faudrait point heurter de front ? Cet argument aussi manque son but. Il est tout à fait possible et presque certain qu'il y ait dans le S.A.P. et les organisations semblables des ouvriers qui ne sont pas contents de la politique chancelante et évasive de leur direction. Mais la meilleure façon d'aider les éléments susceptibles d'évoluer, c'est de mettre à nu sans pitié la politique fausse de leur direction. Il est vrai qu'au premier moment même les éléments progressifs se sentent heurtés. Néanmoins la critique se grave dans leur conscience. Puis viennent de nouveaux faits qui confirment notre critique. Et, enfin, l'ouvrier révolutionnaire honnête se dira : les léninistes avaient tout de même raison : il faut que je me joigne à eux. C'est toujours ainsi que s'est accompli le développement d'un parti révolutionnaire [2]. C'est ainsi que la chose se passera cette fois‑ci encore.

Jeunes camarades et amis !

Ce n'est pas par une haine « fanatique » et encore moins par hostilité personnelle que nous combattons tout ce qui est équivoque, confus et ambigu. Notre époque, cruelle, ménage très peu la sentimentalité, l'indulgence personnelle et autres beaux sentiments. Ce qu'elle exige, c'est un programme juste et une volonté farouche de vaincre. A l'égard des masses qui ne font que chercher une direction révolutionnaire, nous devons faire preuve de la plus grande attention, de la plus grande patience. Il faut leur exposer cent et mille fois les principes révolutionnaires à la lumière des événements du jour. Mais envers ceux qui se présentent aux masses comme des chefs et déploient un drapeau à eux, nous devons faire preuve de sévères exigences. La première est la clarté.

Ceux qui s'arrêtent à mi‑chemin, les centristes, les pacifistes, peuvent, pendant des années, végéter, publier des journaux, convoquer des conférences, obtenir même momentanément des succès dans le domaine de l'organisation. Mais les grands tournants histo­riques ‑ guerre, révolution ‑ font s'écrouler de tels partis comme châteaux de cartes. Au contraire, les organisations qui, par une âpre lutte intérieure et extérieure, sont arrivées à une clarté révolutionnaire réelle et à une conscience de leur but, aboutissent, précisément dans les circonstances historiques critiques, d'un seul coup, au plus large déploiement de leur puissance. Alors le philistin s'étonne, le philistin de gauche les acclame, sans comprendre pourtant que le « Miracle » n'a été possible que par un travail préparatoire lent de longues années et que la rigueur marxiste a été la meilleure arme de ce travail préparatoire.

  Dans toute grande lutte idéologique, il y a des copeaux et des éclats. Les centristes se servent de préférence de ce pitoyable maté­riel pour détourner l'attention de ce qui est important, décisif. Les jeunes ouvriers qui veulent penser doivent apprendre à mé­priser la manière cancanière, philistine, méchante et impuissante des centristes. Vous devez aller au fond des choses ! Les questions les plus importantes pour la formation du révolutionnaire prolétarien sont à présent l'attitude envers la guerre et la position envers la IV° Internationale. Ces questions, vous devez vous les poser dans toute leur envergure. Nous, bolcheviks‑léninistes, nous avons édité, il y a plus d'un an, la brochure La IV° Internationale et la guerre. Prendre sérieusement connaissance de ce document programmatique, c'est là le premier devoir de tout révolutionnaire qui veut se faire une opinion indépendante. Ne perdez donc pas de temps, étudiez, réfléchissez, discutez honnêtement, aspirez inlassablement à la clarté révolutionnaire !

Salut fraternel.


Notes

[1] Au moment où Trotsky écrivait ces lignes, la Bataille socialiste était en train d'éclater, son aile gauche pivertiste s'en détachant pour former avec d'autres éléments la Gauche révolutionnaire. Mais le S.A.P., après avoir été partisan de la construction de la IV° Internationale, devenait le centre des regroupements hostiles.

[2] En fait, le seul exemple probant à l'appui de cette démonstration est celui du parti bolchevique.


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