1938

Lettre à J. Dewey (7685), traduite de l'anglais, avec la permission de la Houghton Library.


Œuvres - juillet 1938

Léon Trotsky

[Vers un procès de diplomates ?]

15 juillet 1938


Cher M. Dewey,

J'ai écrit à Mademoiselle LaFollette que le verdict complet de la commission (Not Guilty) entrerait dans l'histoire comme un monument d'intelligence, de passion pour la vérité et de patience. Mais, précisément pour ces raisons, le verdict est un coup terrible ‑ ou, pour mieux dire, insupportable ‑ pour la clique du Kremlin. Je suis certain que nous tous sous‑estimons beaucoup l'impression produite par tout le travail de la commission dans les rangs des staliniens.

Sous cet angle, la rumeur persistante du déroulement prochain d'un procès de diplomates soviétiques revêt à mon avis une signification plus concrète, non seulement en ce sens que les diplomates offrent beaucoup d'avantages pour « démasquer » mes « liens » internationaux et mes «conspirations » avec eux comme avec les autres. En dehors de cette considération générale, l'objectif concret des « aveux » futurs de lakoubovitch [1]‑ ancien ambassadeur soviétique en Norvège ‑ pourrait être d'améliorer l'impression désastreuse produite par le prétendu vol de Piatakov vers Oslo. Cet échec dans la mécanique de l'imposture ne peut en toute logique être « corrigé » que par les aveux de Iakoubovitch. Il peut, par exemple, dire que Piatakov, afin de le sauver, lui, personnellement, a, pour son compte, fait de façon préméditée une déposition fausse, que Piatakov, en réalité, ayant atterri ailleurs, a rencontré lakoubovitch lui‑même, été caché dans sa maison, etc.

lakoubovitch a été l'homme qui a réussi à obtenir mon internement et celui de ma femme, mais qui n'a pas réussi à obtenir ma livraison entre les mains du G.P.U. lakoubovitch ne pouvait pas ne pas jouer le rôle de partenaire dans la construction de cette partie de l'imposture qui concerne la visite de Piatakov à Oslo. En ce sens, aux yeux de Staline, il est directement responsable de cette terrible défaite. Il doit en tout cas être puni en tant que bouc émissaire. C'est tout à fait dans la nature des procédés de Staline d'utiliser cette punition avec l'objectif de cacher sa véritable raison et de corriger les conséquences négatives de la défaite.

Tout cela n'est bien entendu qu'une hypothèse, qui m'est imposée par un article du journal réactionnaire norvégien Aftenposten qui représente nommément Iakoubovitch comme le chef de la conspiration des diplomates (en réalité, lakoubovitch a toujours été une personne tout à fait secondaire et n'a jamais appartenu à aucune opposition). Je me permets de vous communiquer cette supposition au cas où le procès des diplomates aurait lieu réellement.

J'espère que votre santé est satisfaisante et je vous envoie les souhaits les meilleurs au nom de ma femme et de moi-même.


Notes

[1] I.S. Iakoubovitch, longtemps secrétaire d'ambassade à Berlin avant d'être ambassadeur à Oslo, avait été « dénoncé » comme un agent de l'opposition et un « trotskyste » camouflé par les « aveux » de l'accusé Krestinsky, ancien ambassadeur à Berlin, lors du procès de Boukharine, Iagoda et autres. On pouvait supposer qu'il était prévu pour un autre procès. La rumeur circula avec insistance que, rappelé, il avait refusé de revenir en U.R.S.S. Mais il revint.


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