1940

En mai 1940, Trotsky rédige le manifeste de la IV° Internationale sur la guerre. Ce texte basé sur les principes de l'internationalisme prolétarien servira de base à l'activité trotskyste durant toute cette période et sera l'un des derniers de Trotsky avant son assasinat.


Manifeste d'alarme de la IV° Internationale

Léon Trotsky

La II° Internationale


La guerre de 1914‑1918 a scindé la Il° Internationale, d'un coup, en deux camps séparés par des tranchées. Chaque parti sociaI‑démocrate défendait sa patrie. Ce n'est que plusieurs années après la guerre que les frères ennemis traîtres se réconcilièrent et proclamèrent l'amnistie mutuelle.

Aujourd'hui la situation de la Il° Internationale est tout à fait différente, ‑ en surface. Toutes ses sections sans exception sont d'un même côté des lignes militaires, dans le camp des Alliés : certains parce qu'ils sont des partis de pays démocratiques, d'autres parce que ce sont des émigrés de pays belligérants ou neutres. La social‑démocratie allemande, qui a suivi une politique chauvine méprisable pendant la première guerre impérialiste sous le drapeau des Hohenzollern, est aujourd'hui un parti du « défaitisme » au service de la France et de l’Angleterre. Il serait sans excuses de croire que ces laquais au cœur endurci soient devenus des révolutionnaires. Il existe des explications plus simples. L'Allemagne de Guillaume Il [1] offrait aux réformistes des possibilités suffisantes de sinécures personnelles dans les organismes parlementaires, les municipalités, les syndicats et autres postes. La défense de l'Allemagne impériale était la défense d'une auge bien pleine dans laquelle la bureaucratie ouvrière conservatrice enfouissait son groin. « La social-démocratie ne demeure patriote que tant que le régime politique lui assure profits et privilèges », avertissions‑nous dans nos thèses il y a six ans. Les mencheviks et les narodniks russes qui étaient patriotes même sous le tsar ‑ quand ils avaient leur propre fraction à la Douma, leurs propres journaux, leurs propres permanents syndicaux, et espéraient continuer à progresser dans cette voie ‑ maintenant qu'ils ont perdu tout cela, ont une position défaitiste par rapport à l'U.R.S.S.

En conséquence, « l'unanimité » actuelle de la Il° Internationale s'explique par le fait que toutes ses sections espèrent que les Alliés vont sauver leurs postes et leurs revenus dans la bureaucratie ouvrière des pays démocratiques et restaurer ces postes et ces revenus dans les pays totalitaires. La social-démocratie ne va pas au‑delà de rêves éveillés impuissants sur le patronage de la bourgeoisie « démocratique ». Ces invalides politiques sont totalement incapables de lutter même quand c'est de leurs propres intérêts qu'il s'agit.

C'est en Scandinavie que c'est apparu le plus clairement, dans ces pays qui apparaissaient comme le sanctuaire le plus sûr de la Il° Internationale et qui, tous trois, étaient gouvernés pendant nombre d'années par la sobre, réaliste, réformiste et pacifiste social‑démocratie. Le socialisme était ce que ces messieurs appelaient la démocratie royale conservatrice, plus l'Eglise d'Etat, plus les chiches réformes sociales rendues possibles pour un temps par la limitation des dépenses militaires. Soutenus par la S.D.N. et protégés par le bouclier de la « neutralité », les gouvernements scandinaves misaient sur des générations de développement tranquille et pacifique. Mais les maîtres impérialistes n'ont accordé aucune attention à leurs calculs. Il leur a fallu, esquiver les coups du destin. Quand l'U.R.S.S. envahit la Finlande, les trois gouvernements scandinaves se sont proclamés neutres par rapport à la Finlande. Quand l'Allemagne envahit le Danemark et la Norvège [2], la Suède proclama sa neutralité par rapport aux deux victimes de cette agression. Le Danemark trouva même moyen de se proclamer neutre par rapport à lui-même. La Norvège, sous la gueule des canons de son gardien l'Angleterre, a été la seule à esquisser quelques gestes symboliques d'autodéfense. Ces héros sont tout à fait prêts à vivre aux dépens de la patrie démocratique, mais se sentent peu enclins à mourir pour elle. La guerre qu'ils n'avaient pas prévue a renversé au passage leurs espoirs d'une évolution pacifique sous le Roi et Dieu. Le paradis scandinave, dernier refuge des espoirs de la Il° Internationale est devenu un minuscule secteur de l'enfer impérialiste général.

Les opportunistes social‑démocrates ne connaissent qu'une seule politique ‑ celle de l'adaptation passive. Dans les conditions du capitalisme décadent il ne leur reste qu'à livrer une position après l'autre, à réduire leur programme déjà misérable, diminuer leurs revendications et même y renoncer totalement, battre en retraite toujours plus loin jusqu'à ce qu'ils n’aient plus qu'un seul endroit où reculer, un trou de rat. Mais, même de là, la main impitoyable de l'impérialisme les tire par la queue. Telle est la brève histoire de la Il° Internationale. La guerre actuelle est pour elle une seconde mort ‑ définitive cette fois, on peut le penser.


Notes

[1] Guillaume Il de Hohenzollern (1859‑1941) roi de Prusse, empereur d’Allemagne, abdiqua en novembre 1918.

[2] Le 9 avril, par une attaque simultanée contre les ports, la Wehrmacht avait occupé le Danemark et pris position en Norvège.


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