1906

Cet ouvrage va permettre de tirer les bilans de la révolution russe de 1905. C'est la première formulation achevée de la théorie de la Révolution Permanente.


Bilan et Perspectives

Léon Trotsky

9. La révolution et l’europe

 En juin 1905 nous écrivions :

"Plus d'un demi-siècle s'est écoulé depuis 1848, plus d'un demi-siècle de conquêtes incessantes du capitalisme dans le monde entier; plus d'un demi-siècle d'accommodation mutuelle " organique " des forces de la réaction bourgeoise et des forces de la réaction " féodale "; plus d'un demi-siècle pendant lequel la bourgeoisie a manifesté sa soif forcenée d'une domination pour laquelle elle n'hésite pas à se battre avec férocité.
Tel un mécanicien fantastique qui, cherchant le mouvement perpétuel, rencontre obstacle après obstacle, et entasse machine sur machine pour les surmonter, la bourgeoisie a modifié et reconstruit son appareil d'État tout en évitant un conflit " extra-légal " avec les forces qui lui sont hostiles. Mais, de même que notre mécanicien autodidacte finit un jour par se heurter à l'ultime et à l'insurmontable obstacle de la loi de la conservation de l'énergie, de même la bourgeoisie doit finalement se heurter à cet ultime obstacle, pour elle insurmontable : les antagonismes de classe, réglés inévitablement par un conflit.
En liant tous les pays entre eux par son mode de production et son commerce, le capitalisme a fait du monde entier un seul organisme économique et politique. De même que le système moderne du crédit rattache des milliers d'entreprises par de multiples liens et donne au capital une mobilité incroyable, qui permet d'éviter beaucoup de petites faillites, mais est en même temps la cause de l'ampleur sans précédent des crises économiques générales, de même, les efforts économiques et politiques du capitalisme, son marché mondial, son système de dettes d'État monstrueuses, et les groupements politiques de nations qui rassemblent toutes les forces de la réaction dans une sorte de trust mondial n'ont pas seulement résisté à toutes les crises politiques individuelles, mais également préparé les bases d'une crise sociale d'une extension inouïe. En refoulant tous les symptômes maladifs sous la surface, en éludant toutes les difficultés, en remettant à plus tard la solution de tous les problèmes majeurs de la politique intérieure et internationale, en estompant toutes les contradictions, la bourgeoisie est parvenue à différer le dénouement; mais, par-là même, elle a préparé une liquidation radicale de son rôle à l'échelle mondiale. Elle s'est empressée de s'accrocher à toutes les forces réactionnaires, sans se préoccuper de leur origine. Le pape et le sultan ne sont pas les moindres de ses amis. La seule raison qui l'a empêchée d'établir des liens d'" amitié " avec l'empereur de Chine, c'est qu'il ne représente aucune force. Il était beaucoup plus avantageux pour elle de piller son territoire que de le conserver à son service, en le payant de ses deniers, dans les fonctions de gendarme. Nous voyons donc que la bourgeoisie a fait largement dépendre la stabilité de son système d'Etats de celle des remparts pré-capitalistes instables de la réaction.
Cela donne immédiatement aux événements qui se déroulent actuellement un caractère international, et ouvre un large horizon. L'émancipation politique de la Russie sous la direction de la classe ouvrière élèvera cette classe à des sommets historiques inconnus jusqu'à ce jour et en fera l'initiatrice de la liquidation du capitalisme mondial, dont l'histoire a réalisé toutes les prémisses objectives [1]."

Si le prolétariat russe, ayant temporairement accédé au pouvoir, ne porte pas, de sa propre initiative, la révolution en territoire européen, il y sera contraint par les forces de la réaction féodale-bourgeoise européenne. Il serait naturellement vain, à l'heure actuelle, de déterminer les méthodes qu'emploiera la révolution russe pour se lancer à l'assaut de la vieille Europe capitaliste. Ces méthodes pourraient bien apparaître tout à fait à l'improviste. Prenons la Pologne comme exemple du maillon qui relie l'Est révolutionnaire et l'Ouest révolutionnaire, étant entendu qu'il s'agit là d'une illustration de notre point de vue plutôt que d'une prédiction véritable.

Le triomphe de la révolution en Russie signifiera la victoire inévitable de la révolution en Pologne. Il n'est pas difficile d'imaginer que l'existence d'un régime révolutionnaire dans les dix provinces de la Pologne sous occupation russe doive aboutir à une révolte de la Galicie et de la Posnanie. Les gouvernements des Hohenzollern et des Habsbourg y répondront en envoyant des forces militaires à la frontière polonaise pour, ensuite, la franchir et écraser leur ennemi dans son véritable centre : Varsovie. Il est clair que la révolution russe ne pourra pas laisser son avant-garde occidentale aux mains de la soldatesque austro-prussienne. Une guerre contre les gouvernements de Guillaume II et de François-Joseph deviendrait, dans ces conditions, un acte d'auto-défense de la part du gouvernement révolutionnaire russe. Quelle attitude adopterait alors le prolétariat d'Autriche et d'Allemagne ? Il est évident qu'il ne pourrait rester passif pendant que les armées de ces deux pays mèneraient une croisade contre-révolutionnaire. Une guerre entre l'Allemagne féodale-bourgeoise et la Russie révolutionnaire conduirait inévitablement à une révolution prolétarienne en Allemagne. A ceux à qui cette affirmation pourrait paraître trop catégorique, nous répondrons en leur demandant de chercher quel événement historique aurait plus de chance de contraindre les ouvriers allemands et les réactionnaires allemands à une épreuve de force ouverte.

Lorsque notre ministère d'octobre [2] décréta à l'improviste la loi martiale en Pologne, une rumeur tout à fait plausible se répandit selon laquelle cette mesure était prise sur des instructions venues directement de Berlin. A la veille de la dispersion de la Douma [3], les journaux gouvernementaux publièrent, en les présentant comme des menaces, des informations concernant des négociations en cours, entre les gouvernements de Berlin et de Vienne, sur l'éventualité d'une intervention armée de leur part dans les affaires intérieures de la Russie, afin d'y réduire la sédition. Aucune sorte de démenti ministériel ne put affaiblir le choc que produisirent ces informations. Il était clair que, dans les palais de trois pays voisins, on préparait une sanglante revanche contre-révolutionnaire. Comment les choses pourraient-elles être autrement ? Les monarchies semi-féodales des pays voisins pourraient-elles rester passives tandis que les flammes de la révolution lèchent les frontières de leurs royaumes ?

Bien qu'elle soit loin d'avoir encore remporté la victoire, la révolution russe a déjà eu ses effets sur la Galicie à travers la Pologne. "Qui aurait pu prévoir, il y a un an - s'est écrié Daszynsky à la conférence de Lvov du parti social-démocrate, en mai de cette année -, ce qui se passe en ce moment en Galicie ? Ce grand mouvement paysan a rempli d'étonnement l'Autriche tout entière. Zbaraz élit un social-démocrate au poste de vice-prévôt du conseil régional. Des paysans publient un journal socialiste révolutionnaire destiné aux paysans, intitulé Le Drapeau rouge, de grands meetings de paysans, forts de 30 000 personnes, se tiennent, des processions traversent les villages galiciens, autrefois si calmes et apathiques, brandissant des drapeaux rouges et chantant des chants révolutionnaires... Qu'arrivera-t-il lorsque, venant de Russie, l'annonce de la nationalisation du sol atteindra ces paysans misérables ? " Il y a plus de deux ans, au cours d'une discussion avec le socialiste polonais Louznia, Kautsky indiqua que la Russie ne doit plus être considérée comme un boulet attaché au pied de la Pologne, ni la Pologne comme une tête de pont orientale de l'Europe révolutionnaire enfoncée comme un coin dans les steppes de la barbarie moscovite. Si la révolution russe se développe et remporte la victoire, la question polonaise, selon Kautsky, "retrouvera son acuité, mais non dans le sens où le pense Louznia. Elle dirigera sa pointe, non contre la Russie, mais contre l'Autriche et l'Allemagne, et, si la Pologne sert la cause de la révolution, son devoir sera, non de défendre la révolution contre la Russie, mais de l'étendre en Autriche et en Allemagne." Cette prophétie est bien plus près de se réaliser que Kautsky lui-même ne pouvait le penser.

Mais une Pologne révolutionnaire n'est pas du tout le seul point de départ possible pour une révolution en Europe. Nous avons indiqué plus haut que la bourgeoisie s'est systématiquement abstenue pendant des décennies entières de résoudre bien des questions complexes et graves, tant en politique intérieure qu'en politique étrangère. Les gouvernements bourgeois ont mis d'énormes masses d'hommes sous les armes, mais ils ne se décident pas à trancher de l'épée les nœuds enchevêtrés de la politique internationale. Seul un gouvernement qui a l'appui de la nation dont les intérêts vitaux sont en jeu, ou encore un gouvernement qui sent le sol se dérober sous ses pas et est inspiré par le courage du désespoir, peut lancer au combat des centaines et des milliers d'hommes. Dans les conditions modernes de la culture politique, de la science militaire, du suffrage universel et du service militaire obligatoire, seule une profonde confiance ou un aventurisme insensé peut lancer deux nations dans un conflit. Dans la guerre franco-prussienne de 1870, il y avait, d'un côté, Bismarck, qui combattait pour la prussianisation de l'Allemagne, ce qui, après tout, signifiait l'unité nationale, nécessité élémentaire ressentie par tous les Allemands; il y avait, de l'autre, le gouvernement de Napoléon III, insolent, impuissant, méprisé par le peuple, prêt à se lancer dans n'importe quelle aventure susceptible de lui assurer douze mois d'existence de plus. La même division des rôles a abouti à la guerre russo-japonaise. Il y avait, d'un côté, le gouvernement du Mikado, auquel ne s'oppose pas encore un puissant prolétariat révolutionnaire, qui luttait pour la domination du capital japonais sur l'Extrême-Orient, de l'autre un gouvernement autocratique qui avait fait son temps et s'efforçait de racheter les défaites subies à l'intérieur par des victoires à l'extérieur.

Dans les vieux pays capitalistes, il n'y a pas de pareilles revendications "nationales", c'est-à-dire de revendications de la société bourgeoise dans sa totalité, dont la bourgeoisie dirigeante puisse se faire le champion. Les gouvernements de la France, de l'Angleterre, de l'Allemagne et de l'Autriche sont incapables de conduire des guerres nationales. Les intérêts vitaux des masses populaires, les intérêts des nationalités opprimées ou la politique intérieure barbare d'un pays voisin ne sont plus susceptibles d'amener un seul gouvernement bourgeois à faire une guerre qui pourrait avoir un caractère libérateur, donc national. D'un autre côté, les intérêts des pillards capitalistes, qui conduisent si souvent tel ou tel gouvernement à entrechoquer ses éperons et aiguiser son sabre à la face du monde, ne peuvent susciter aucune réponse dans les masses populaires. C'est pourquoi la bourgeoisie ne peut ou ne veut, ni proclamer, ni conduire de guerres nationales. Et ce à quoi aboutissent les guerres antinationales modernes, c'est ce que l'on a vu lors de deux expériences récentes : en Afrique du Sud et en Extrême-Orient.

La sévère défaite parlementaire subie par les conservateurs impérialistes en Angleterre n'est pas, en dernière analyse, due aux leçons de la guerre contre les Boers; une conséquence beaucoup plus importante et plus menaçante (pour la bourgeoisie) de la politique impérialiste, c'est l'autodétermination politique du prolétariat britannique qui, maintenant qu'elle a commencé, avancera avec des bottes de sept lieues. Quant aux conséquences de la guerre russo-japonaise pour le gouvernement de Pétersbourg, elles sont suffisamment connues pour qu'il ne soit pas nécessaire de les rappeler. Mais, indépendamment même de ces deux dernières expériences, du moment où le prolétariat européen a commencé à se dresser sur ses jambes, les gouvernements européens ont toujours redouté de le mettre devant le dilemme de la guerre ou de la révolution. C'est précisément parce qu'ils craignent la révolte du prolétariat que les partis bourgeois sont obligés, au moment même où ils votent des sommes monstrueuses pour les dépenses militaires, de faire des déclarations solennelles en faveur de la paix, de rêver de tribunaux internationaux d'arbitrage et même de l'organisation d'États unis d'Europe. Ces pitoyables déclarations ne peuvent, naturellement, abolir ni les antagonismes entre États, ni les conflits armés.

La paix armée qui s'est instaurée en Europe après la guerre franco-prussienne était fondée sur un équilibre européen des puissances qui ne supposait pas seulement l'inviolabilité de la Turquie, le partage de la Pologne et la sauvegarde de l'Autriche, ce manteau d'Arlequin ethnographique, mais aussi le maintien du despotisme russe, armé jusqu'aux dents, dans ses fonctions de gendarme de la réaction européenne. Mais la guerre russo-japonaise porta un coup sévère à ce système, maintenu artificiellement, dans lequel l'autocratie occupait une position de premier plan. La Russie disparut pour un temps du prétendu concert des puissances. L'équilibre des puissances était détruit. D'autre part, les victoires japonaises excitaient les instincts conquérants de la bourgeoisie capitaliste. La possibilité d'une guerre sur le territoire européen s'est considérablement accrue. Des conflits mûrissent partout, et si, jusqu'à présent, ils ont pu être réglés par des moyens diplomatiques, il n'y a, cependant, aucune garantie que ces moyens puissent réussir longtemps. Mais une guerre européenne signifie inévitablement une révolution européenne [4].

Pendant la guerre russo-japonaise, le parti socialiste de France a déclaré que si le gouvernement français intervenait en faveur de l'autocratie, il appellerait le prolétariat à prendre les mesures les plus résolues, jusqu'à la révolte incluse. En mars 1906, lorsque le conflit franco-allemand sur le Maroc arriva à son point culminant, le bureau socialiste international résolut, dans l'éventualité d'une menace de guerre, de "déterminer les méthodes d'action les plus avantageuses pour tous les partis socialistes de l'Internationale et pour toute la classe ouvrière organisée, afin d'empêcher la guerre ou d'y mettre fin". Ce n'était naturellement qu'une résolution. Il faut une guerre pour mettre à l'épreuve sa signification réelle, mais la bourgeoisie a toute raison d'éviter une telle épreuve. Cependant, malheureusement pour la bourgeoisie, la logique des rapports internationaux est plus forte que la logique de la diplomatie.

La banqueroute de l'État russe, qu'elle résulte de la continuation de la gestion des affaires par la bureaucratie ou qu'elle soit déclarée par un gouvernement révolutionnaire qui refusera de payer pour les péchés de l'ancien régime, aura en France de terribles conséquences. Les radicaux, qui ont maintenant les destinées politiques de la France entre leurs mains, ont assumé, en prenant le pouvoir, toutes les fonctions de protection des intérêts du capital. C'est pourquoi il y a toute raison d'admettre que la crise financière résultant de la banqueroute russe se répercuterait directement en France, et y prendrait la forme d'une crise politique aiguë, qui ne pourrait prendre fin qu'avec le passage du pouvoir aux mains du prolétariat. D'une façon ou de l'autre, que ce soit par l'intermédiaire d'une révolution en Pologne, des conséquences d'une guerre européenne ou des effets de la banqueroute de l'État russe, la révolution franchira la frontière et pénétrera dans les territoires de la vieille Europe capitaliste.

Mais, même sans la pression d'événements extérieurs comme une guerre ou une banqueroute, la révolution peut se produire dans un avenir prochain, sous l'effet de l'extrême aggravation de la lutte des classes, dans l'un des pays d'Europe. Nous n'essaierons pas de former ici des hypothèses pour déterminer lequel de ces pays sera le premier à prendre le chemin de la révolution; une chose est certaine, c'est que, dans la dernière période et dans tous les pays européens, les contradictions entre les classes ont atteint un haut degré d'intensité.

La croissance colossale, dans le cadre d'une constitution semi-absolutiste, de la social-démocratie allemande conduira, avec une nécessité inéluctable, le prolétariat à une lutte ouverte avec la monarchie féodalo-bourgeoise. La question de la grève générale, en tant que moyen de résistance à un coup d'État politique, est devenue, l'année dernière, une question centrale dans la vie politique du prolétariat allemand. En France, le passage du pouvoir aux radicaux laisse au prolétariat les mains entièrement libres, ces mains qui, depuis longtemps, étaient liées par la coopération avec des partis bourgeois dans la lutte contre le nationalisme et le cléricalisme. Le prolétariat socialiste, riche des immortelles traditions de quatre révolutions, et la bourgeoisie conservatrice, qui se dissimule sous le masque du radicalisme, sont face à face. En Angleterre où, pendant un siècle, les deux partis bourgeois ont joué régulièrement le jeu de bascule du parlementarisme, le prolétariat, sous l'influence de toute une série de facteurs, vient tout juste de prendre le chemin de la séparation politique. Tandis qu'en Allemagne ce processus a pris quatre décennies, la classe ouvrière anglaise, qui possède de puissants syndicats et est riche d'expériences dans le domaine des luttes économiques, peut, en quelques bonds, rejoindre l'armée du socialisme continental.

La révolution russe exerce une influence énorme sur le prolétariat européen. Non contente de détruire l'absolutisme pétersbourgeois, force principale de la réaction européenne, elle créera, dans la conscience et dans l'humeur du prolétariat européen, les prémisses nécessaires de la révolution.

La fonction du parti socialiste était et est de révolutionner la conscience de la classe ouvrière, de même que le développement du capitalisme a révolutionné les rapports sociaux. Mais le travail d'agitation et d'organisation dans les rangs du prolétariat a son inertie interne. Les partis socialistes européens, spécialement le plus grand d'entre eux, la social-démocratie allemande, ont développé leur conservatisme dans la proportion même où les grandes masses ont embrassé le socialisme, et cela d'autant plus que ces masses sont devenues plus organisées et disciplinées. Par suite, la social-démocratie, organisation qui embrasse l'expérience politique du prolétariat, peut, à un certain moment, devenir un obstacle direct au développement du conflit ouvert entre les ouvriers et la réaction bourgeoise [5] . En d'autres termes, le conservatisme du socialisme propagandiste dans les partis prolétariens peut, à un moment donné, freiner le prolétariat dans la lutte directe pour le pouvoir. Mais la formidable influence exercée par la révolution russe montre que cette influence détruira la routine et le conservatisme de parti et mettra à l'ordre du jour la question d'une épreuve de force ouverte entre le prolétariat et la réaction capitaliste. La lutte pour le suffrage universel est devenue acharnée en Autriche, en Saxe et en Prusse, sous l'influence directe des grèves d'octobre en Russie. La révolution à l'Est contaminera le prolétariat occidental de son idéalisme révolutionnaire, et éveillera le désir de "parler russe" à l'ennemi. Si le prolétariat russe se trouve lui-même au pouvoir, fût-ce seulement par suite d'un concours momentané de circonstances dans notre révolution bourgeoise, il rencontrera l'hostilité organisée de la réaction mondiale et trouvera, d'autre part, le prolétariat mondial prêt à lui donner son appui organisé.

Laissée à ses propres ressources, la classe ouvrière russe sera inévitablement écrasée par la contre-révolution dès que la paysannerie se détournera d'elle. Elle n'aura pas d'autre possibilité que de lier le sort de son pouvoir politique et par conséquent, le sort de toute la révolution russe, à celui de la révolution socialiste en Europe. Elle jettera dans la balance de la lutte des classes du monde capitaliste tout entier l'énorme poids politique et étatique que lui aura donné un concours momentané de circonstances dans la révolution bourgeoise russe. Tenant le pouvoir d'État entre leurs mains, les ouvriers russes, la contre-révolution dans leur dos et la réaction européenne devant eux, lanceront à leurs camarades du monde entier le vieux cri de ralliement, qui sera cette fois un appel à la lutte finale :

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !


Notes

[1] Voir ma préface à la traduction russe de l'Adresse au jury, de F. Lassalle, éditée par Molot. Il s'agit du procès intenté contre Lassalle et Weyer pour " incitation à s'armer contre l'autorité royale ", jugé par les assises de Cologne le 3 mai 1849. (Voir F. Mehring, Geschichte der deutschen Sozial-Demokratie, vol. Il, p. 489-491. N.d.T.)

[2] Le ministère du comte Witte, désigné comme Premier ministre par le tsar le jour de la publication du manifeste du 17 octobre 1905.

[3] La dissolution de la première Douma, le 21 juillet 1906, marqua le début de la dictature de Stolypine.

[4] Cette phrase est soulignée dans l'édition de 1919.

[5] Cette phrase est soulignée dans l'édition de 1919.


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