1948

Mention de la bande titre :
L'ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MEMES 
ORGANE DE LUTTE DE CLASSE


Voix des Travailleurs nº 43

Barta

21 avril 1948


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"La grève Renault d'avril 1947"  publication sur 5 numéros de la "Voix des Travailleurs" nº  43 à 47

IL Y A UN AN ...

Il y a un an, le 25 avril, les ouvriers du secteur Collas, chez Renault, en se mettant en grève pour un "véritable minimum vital", déclenchèrent un mouvement revendicatif qui s'étendit ensuite, par étapes, à toute la classe ouvrière.

Ce mouvement rompait avec deux années et demie de soumission complète des travailleurs au bon plaisir des patrons, soutenus par toutes les tendances syndicales officielles (C.G.T. frachoniste et jouhaussiste, C.F.T.C., etc...). Et il ouvrait une nouvelle période de renaissance du mouvement ouvrier qui, malgré les revers actuels dus à la puissance encore debout des vieux bureaucrates syndicaux, n'est pas close.

Il n'est pas inutile que les lecteurs de La Voix, dont une grande partie est précisément de ceux qui ont participé à cette grève, trouvent ici un historique des événements de l'année dernière.

La grève fut préparée de longs mois à l'avance, par le travail d'un petit nombre de militants ouvriers groupés autour du journal La Lutte de classes (organe de l'Union communiste-trotskyste). La fraction Renault de ce groupe (créé pour renverser les capitalistes et instaurer la démocratie économique et politique ouvrière), appela les travailleurs à plusieurs reprises, par des tracts, à changer complètement d'orientation.

Ainsi le 7 janvier, dans un tract, elle concluait : "Ce qu'il faut faire, c'est dire à la bourgeoisie et à nos soi-disant représentants : Nous n'avons plus confiance en vous, ni en vos discours, ni en vos manoeuvres. Nous n'avons confiance qu'en une seule chose : notre action."

Le 13 février, elle commença à publier La Voix des Travailleurs de chez Renault (dont notre journal n'est que la continuation), qui proclamait : "Nous en tant qu'ouvriers, nous avons décidé de discuter, au moyen de ce bulletin, quelle est l'attitude qu'on doit avoir ; nous voulons opposer la conception de la majorité des ouvriers prise sur le vif, à ceux qui prétendent avoir le secret du "bon point de vue" et qui n'hésitent pas, pour faire triompher ce point de vue, même quand il est en contradiction avec l'opinion de la majorité des ouvriers, à employer des procédés répugnants."

Par ses tracts et par La Voix des Travailleurs de chez Renault, le groupe réussit à donner aux ouvriers confiance en eux-mêmes et à les amener à prendre en leurs propres mains la défense de leurs intérêts.

Et c'est ainsi que, le 23 avril 1947, eut lieu l'assemblée générale des ouvriers du secteur Collas qui décida la grève déclenchée le vendredi 25 avril. Elle avait pour but immédiat une augmentation de 10 francs sur le taux de base et le paiement des heures de grève.

Nous reproduisons ci-dessous le compte rendu publié à l'époque dans La Lutte de Classes nº 89 (26 avril 1947). "Le camarade" qui prit le premier la parole et dont le compte rendu devait encore taire le nom, c'est le camarade Pierre Bois.

Nous continuerons à rappeler dans les prochains numéros les principales étapes de la grève.

A 12 h30, lorsque j'arrive, le trottoir (large d'au moins 8 mètres) est encombré d'ouvriers qui sont là, par dizaines et discutent ; tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d'affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet : ce qui va se passer tout à l'heure. Et le mot de grève circule. Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grève, élu à l'Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu'il a effectuées auprès de la direction.

Une heure donnée doit être respectée, et à 12h 30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler. Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d'œil significatifs s'échangent ; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus. Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l'échec de la délégation, auquel d'ailleurs on s'attendait. Et, devant l'auditoire ouvrier attentif, il démontre que l'arme gréviste reste le seul moyen permettant d'obtenir satisfaction. Au milieu des cris d'approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grève à venir sera une lutte des plus sérieuses qu'il faudra mener avec résolution jusqu'au bout.
"Il ne sera plus question de jouer de l'accordéon, ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s'organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grève et défendre les issues de l'usine au besoin."

Répondant d'avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d'argent que cela occasionnerait, et l'intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des journées de grève sera exigé ; quant aux "lacrymogènes" de la police, "pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n'a rien dit. On s'est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd'hui, nous n'aurions pas la force et le courage d'en faire au moins une infime partie pour nous ?"

Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.

Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grève en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts. Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour". C'est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s'avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue. Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaître ses objections, il ne put éviter de s'attirer la réplique d'un ouvrier :
"Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie".
Grimpé sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d'expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires". Pour son malheur, il se mit à parler d'une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d'établir une égalité de salaires entre les ouvriers d'ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d'ailleurs ajouta-t-il, elle ne trouva pas.

Manifestement, les ouvriers vomissaient les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d'exclamations plus ou moins significatives.
"Les délégations, on en a assez"
"Jusqu'où comptez-vous nous mener en bateau ?"
"On n'en veut plus de tes délégations, maintenant ce qu'il faut, ce sont des actes."
J'ajoute moi-même :
"Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi."
Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme" et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations". Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d'une trentaine d'années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua, en quelques mots, ce qu'il pensait et des délégués et des délégations :
"Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l'histoire en février et on nous a dit que l'absence de Lefaucheux, à l'époque, avait empêché les revendications d'aboutir. Cela a recommencé hier et, une fois de plus encore, il n'était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu'à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n'est plus des parlottes qu'il faut, ce sont des actes."

Complétant dans le même sens ce que l'ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l'ordre du jour de la C.G.T. en novembre et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également.
"Mais la C.G.T., dit-il, capitula sur le minimum vital et l'on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?"
Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grève afin de l'habiliter à déclencher la grève au moment opportun.

Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grève fut la même que précédemment, il n'en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l'oreille : "Tu les vois, tous ceux qui sont pour l'action, rince-toi l'œil !"

GREVE GENERALE CHEZ RENAULT

Le Comité de grève, élu le 23 avril 1947 par l'assemblée générale des ouvriers des départements 6 et 18, se mit aussitôt à la besogne. Il lui fallait prendre toutes les dispositions nécessaires au déclenchement de la grève, ainsi que fixer la date au moment le plus favorable pour les ouvriers. Le jour choisi fut le vendredi 25 avril, aussitôt après la paye. Ce matin-là, à 6h 30, le comité donna l'ordre de grève, impatiemment attendu par tous les ouvriers. Aussitôt les piquets de grève, prévus à l'avance, entrèrent en action et les deux départements furent occupés.

Le mouvement était donc parti. Mais le plus difficile restait à faire. Personne n'avait la naïveté de croire qu'une augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des heures de grève pouvaient être obtenus par douze cents grévistes ! Pour renverser la vapeur, pour mettre un frein à la rapacité capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action gréviste de la majorité de la classe ouvrière.

Dans cette voie, un grand obstacle se dressait devant le comité de grève. La majorité des travailleurs (comme l'ont prouvé ensuite la grève générale des cheminots, la grève générale de chez Citroën, de Sochaux, du métro, et enfin les grèves de novembre-décembre) était, en effet, tout à fait disposée à recourir à l'action gréviste généralisée : mais l'appareil cégétiste, Frachon et Jouhaux en tête, allait sûrement s'opposer avec acharnement à un mouvement qui, surgi en dehors de leur contrôle, dérangeait leurs combinaisons avec le gouvernement capitaliste. Or, si chez Renault, à Collas et partiellement dans d'autres départements, le 88 par exemple, l'influence des bureaucrates avait été mise en échec par le travail de la fraction "lutte de classes", partout ailleurs il n'en était pas de même. C'est la lutte qui devait donc découvrir jusqu'à quel point les travailleurs seraient capables de s'émanciper des bureaucrates par leurs propres forces.

Le comité de grève, composé par les onze ouvriers suivants : Bois, Schwartzman, Faynsilberg, Quatrain, Delanoy, Lopez, Alvarez, Mertin, Lévêque, Vayer et Gadion, décida par conséquent d'entraîner d'abord dans la grève tous les ouvriers de chez Renault. Par un tract, il appela les ouvriers à un meeting général pour le lundi 28 avril.

Tenu place Nationale, ce meeting fut un succès complet pour le comité de grève. Une voiture-micro, amenée par les Jeunesses socialistes (qui devaient peu après rompre avec le parti de Blum), permit à ses dirigeants d'exposer les motifs et les buts de la grève aux ouvriers massés sur la place. Des représentants de certaines organisations syndicales, C.N.T., "Front Ouvrier", C.F.T.C., prirent aussi la parole pour exprimer la sympathie de leurs organisations pour la grève.

Les dirigeants cégétistes n'osèrent même pas se montrer. Ils avaient convoqué "leur" meeting dans la soirée et, après avoir parlé sous les huées d'une grande partie de l'assistance, se défilèrent quand les dirigeants du comité de grève demandèrent la parole.

Mais il ne suffisait pas de discours pour que le mouvement s'étendit effectivement dans tous les départements. Les discours peuvent tout au plus donner à la masse une conscience plus claire des buts qu'elle veut atteindre. Ce sont les ouvriers de chez Collas qui, après le meeting, réussirent à élargir le mouvement ; ils allèrent directement dans les ateliers et les firent débrayer. Et, au soir, dix à douze mille ouvriers avaient arrêté le travail.

Dès lors, la généralisation de la grève n'était plus qu'une question d'heures. C'est pourquoi les dirigeants cégétistes tentèrent une dernière "manœuvre", avant de recourir à "d'autres moyens". Le mardi 29 avril, ils appellent les ouvriers de chez Renault à se mettre en grève... POUR UNE HEURE, pour appuyer leurs "revendications" auprès de la direction. Ils espéraient qu'après une telle "action", les ouvriers reprendraient sagement le joug de la direction syndicale.

Les 30.000 ouvriers et employés de l'usine suivirent l'appel de la C.G.T., mais refusèrent de reprendre le travail ensuite. Si la grève était nécessaire, si la C.G.T. elle-même y avait été contrainte, c'est le comité de grève qui avait raison : non pas une pitrerie symbolique, mais grève jusqu'à complète satisfaction.

Devant ce résultat tout à fait inattendu par eux, les dirigeants cégétistes décidèrent de recourir à "d'autres moyens". Deux jours plus tard, Thorez devait parader à l'occasion du 1er mai et une grève d'une telle envergure déclenchée contre sa volonté, mettait en danger non seulement son prestige, mais aussi sa place au gouvernement.

Le mercredi 30 avril, ils firent irruption dans l'usine et les troupes de choc staliniennes eurent vite fait de chasser les faibles piquets de grève que certains ouvriers avaient constitués dans les départements. Mais ils n'osèrent pas s'attaquer à Collas, car il y avait là 1.200 ouvriers décidés, enthousiastes, qui se savaient bien dirigés et étaient par conséquent prêts à se défendre contre toute attaque. Dans l'après-midi, à un meeting dans l'île, Hénaff exhorte ainsi ses gardes du corps contre les ouvriers qui veulent prendre la parole : "MAIS TIREZ DONC !"

D'autre part, vis-à-vis de l'extérieur, pour cacher le véritable rôle qu'elle joue, la C.G.T. adopte officiellement la grève et ses revendications. Pour mieux les enterrer, comme on le verra par la suite. Mais "par d'autres moyens", c'est-à-dire par la violence, les staliniens enregistrent leur premier succès. En installant aux portes des départements leurs hommes de main baptisés "piquets de grève", ils isolent la masse des ouvriers de chez Renault du comité de grève. Dans ces conditions, l'essai d'élargir le comité de grève par des représentants d'autres départements ne donne aucun résultat positif, car les ouvriers qui en viennent représentent leur propre bonne volonté, mais n'ont pas d'appui sérieux parmi leurs camarades d'atelier.

Le même sort attendait les ouvriers de Collas, qui essayèrent de débaucher les ouvriers de chez Citroën, et les militants ouvriers (Jeunesses socialistes, parti communiste internationaliste, etc...), qui s'employèrent à diffuser, dans le cortège du 1er mai le tract du comité de grève adressé à toute la métallurgie. A noter que ce tract fut imprimé à 100.000 exemplaires gratuitement par les typographes de la rue Réaumur (S.N.E.P.). Des secours en argent commençaient par ailleurs à arriver au département 6. Quelques grèves, comme celle des camions Bernard, éclataient ça et là. Mais les grandes "boîtes", sous la pression stalinienne et malgré une grande effervescence, ne bougèrent pas.

Cependant, le lendemain, vendredi 2 mai, chez Renault, les ouvriers tiennent bon. En dépit des pressions et de la manœuvre cégétiste consistant à "reprendre" les revendications du comité de grève. Les bonzes syndicaux voulaient faire reprendre le travail avec 3 francs de "prime au rendement" et promettaient d'obtenir les 10 francs, toujours sur la base d'un rendement accru, par des négociations ultérieures avec M. Lefaucheux. Par 11.354 voix contre 8.015 et 1.009 annulées, les travailleurs de la régie refusèrent de capituler.

Ainsi se termine la première semaine de grève, qui révèle pleinement la force et la faiblesse du mouvement. Sa force, c'est la volonté de tous les ouvriers de reprendre leurs traditions de lutte, d'en finir avec la collaboration de classe. Sa faiblesse, c'est le manque d'une organisation véritablement ouvrière. De ce fait, les ouvriers sont sans défense devant l'action répressive de l'appareil bureaucratique cégétiste, aussi bien dans la majeure partie des usines Renault que dans les autres usines. Tandis que le comité de grève voit ainsi diminuer considérablement ses chances de déclencher un mouvement général comme en juin 1936, les dirigeants cégétistes peuvent maintenant, après avoir circonscrit la grève à l'intérieur de Renault, tenter d'y mettre fin par un nouveau vote. Ils y réussiront une semaine après, le 9 mai.

L'histoire de cette deuxième semaine de grève fera l'objet du prochain article.

Fait digne de remarque, la grande presse capitaliste qui, avant la généralisation du mouvement, avait accordé ses "faveurs" au comité de grève, se ravise aussitôt. Ces messieurs avaient essayé de jouer au plus fin, escomptant que d'un côté ils allaient discréditer la C.G.T., dont la collaboration était payée par des postes ministériels à Thorez et Cie, et que de l'autre côté le comité de grève serait impuissant à mener une véritable lutte. Mais le comité de grève avait porté un coup décisif à la politique de soumission des ouvriers au patronat. Son mouvement allait avoir les répercussions les plus profondes sur toute la vie politique, économique et sociale de la France. Ces messieurs les journalistes capitalistes se hâtèrent donc de suivre le conseil que Duclos leur avait donné à la Chambre : "il fallait jeter des pelletées de sable sur l'incendie au lieu de l'attiser !" Et, à partir du moment où la grève devient générale chez Renault, C.G.T., gouvernement et capitalistes marchent, par une savante division du travail, la main dans la main contre les ouvriers.

Mai 1947, grève générale chez Renault
LES MINISTRES P.C.F. CONTRAINTS DE DEMISSIONNER

Comme nous l'avons fait remarquer dans notre précédent article, du fait que la C.G.T., par des manœuvres et par la violence, avait réussi à isoler le secteur Collas et l'usine Renault du reste de la métallurgie, le vote du vendredi 2 mai, en faveur de la continuation de la grève (11.354 contre 8.015) n'amènera aucun changement notable pendant la deuxième semaine. La section syndicale Renault, la C.G.T. et le P.C.F. n'auront qu'à continuer le double jeu commencé dans la première semaine pour arriver à leurs fins : étrangler un mouvement qui est non seulement un désaveu cinglant du soutien total qu'ils avaient apporté au blocage des salaires au profit des capitalistes, mais aussi une révolte ouverte contre leur emprise bureaucratique.

Tout ce beau monde qui, au déclenchement de la grève, avait crié à la "provocation", devient, en paroles, le défenseur de la grève Renault et de ses revendications. Mais, dans la pratique, il en est tout autrement.

Dans l'usine même, la section syndicale travaille en-dessous pour amener les ouvriers par un nouveau vote, à accepter, de guerre lasse, les propositions de M. Lefaucheux, repoussées le 2 mai. Ces propositions sont les suivantes :

1º prime horaire de production de 3 frs. ;

2º paiement des bons coulés au salaire de base ;

3º paiement des heures perdues ;

4º révision des temps insuffisants ;

5º commission de révision des chronos.

La section syndicale promet que l'union des métaux fera aboutir les 10 francs par des négociations ultérieures... Il n'est même pas question du paiement des heures de grève, deuxième revendication des grévistes !

Pour sa part, pour effrayer les ouvriers des autres usines tentés de se mettre en grève en même temps que ceux de chez Renault, la direction de la C.G.T. se rallie aux "arguments" de M. Ramadier, premier ministre, et prétend avec lui qu'"une revalorisation générale des salaires provoquerait une hausse des prix". Or, les 10 francs réclamés par les travailleurs de chez Renault ne peuvent être obtenus que précisément dans le cadre d'une "augmentation générale".

Le comité de grève ne laisse pas ce mensonge sans riposte et réplique dans un tract (6 mai) : "Ce sont les dépenses ruineuses de l'Etat qui provoquent l'inflation (hausse des prix). M. Ramadier, qui fait fonctionner la planche à billets pour couvrir en partie ces dépenses, veut en même temps en rendre responsable la classe ouvrière. La classe ouvrière, voilà l'ennemi pour ceux qui parlent au nom des capitalistes. La classe ouvrière doit non seulement supporter tous les sacrifices qu'on lui impose au nom de promesses non tenues ; mais dès qu'elle réclame les choses les plus indispensables pour vivre, on l'accuse, par-dessus le marché, de tous les maux qui sont la conséquence du fait que l'économie est dirigée par une poignée de capitalistes parasites. NOUS VOULONS LA HAUSSE DES SALAIRES PAR RAPPORT AUX PROFITS CAPITALISTES", concluait justement le tract du comité de grève, mais il est diffusé seulement chez Renault...

A la Chambre, le 3 mai, après certains discours de députés staliniens de second plan sur la "solidarité avec les justes (mais sans dire lesquelles !) revendications des ouvriers", Duclos, au nom du groupe, déclare à Ramadier : "Nous sommes pour la stabilité du franc... Nous vous aiderons quelle que soit la conclusion politique de ce débat". Il avait du reste déjà déclaré aux journalistes américains : "La grève générale est une idiotie !"

Dans ces conditions, les efforts réunis du gouvernement, de la Chambre, du P.C.F.. et de la C.G.T. ont provisoirement raison de la combativité ouvrière. Le vendredi 9 mai, une majorité de 12.075 ouvriers et employés, contre 6.886, se prononce pour la reprise du travail chez Renault.

Mais Collas n'a pas encore dit son dernier mot. Il le montrera le lundi 12 mai, quand les ouvriers de ce secteur resteront seuls en grève en réclamant le paiement des heures de grève.

Cependant, le vote du 2 mai eut des conséquences importantes sur le plan gouvernemental. Les ministres P.C.F., qui jusqu'alors avaient cru les ouvriers résignés à leur politique de trahison, réalisèrent brusquement qu'il n'en était rien... Ils avaient dit aux ouvriers qu'on ne revendiquait pas dans un pays ruiné par la guerre et n'avaient pas toléré que ceux-ci se mettent en grève, alors que tous les gouvernements auxquels ils avaient participé – de De Gaulle à Ramadier – toléraient et organisaient le pillage de l'effort ouvrier par une poignée de parasites capitalistes. Et, en fait, quand la production eût atteint son niveau de 1938, les salaires étaient tombés plus bas que sous l'occupation !

L'explosion de chez Renault, en démontrant que la C.G.T. ne réussirait pas à endiguer indéfiniment la révolte de la classe ouvrière contre leur politique de trahison, pose au P.C.F. le dilemme suivant : continuer à partager officiellement la responsabilité du blocage des salaires en conservant les postes ministériels et entrer partout en lutte ouverte avec les ouvriers, ou bien résigner leurs postes ministériels en attendant que l'orage se passe.

Les ministres P.C.F. se décident pour une "opposition loyale". Comme l'avait prévu le journal La Lutte de classes, le 14 février 1946, la grève générale qui s'annonçait, les oblige "à se mettre temporairement du côté de la classe ouvrière pour ne pas se couper des masses et pour endiguer leur mouvement". C'est ce à quoi le P.C.F. et la C.G.T. vont s'employer avec zèle les mois suivants.

Nous parlerons de la troisième semaine de grève et des enseignements généraux du conflit dans le prochain et dernier article.

12 MAI 1947 : LE SECTEUR COLLAS
PROLONGE LA GREVE GENERALE CHEZ RENAULT

Le lundi 12 mai, les ouvriers des départements 6 et 18 montrèrent qu'ils n'avaient pas dit leur dernier mot. A une très forte majorité, ils décident, même seuls, de continuer la lutte.

Bien entendu, il ne peut plus être question d'obtenir "les 10 francs" ; mais ils réclament le paiement des heures de grève, leur deuxième revendication, que la C.G.T. avait complètement passé sous silence. "Sans paiement des heures de grève, explique le tract du comité de grève, le 13 mai, le droit légalement reconnu à la grève ne sera que le droit de se laisser mourir de faim".

En présence d'une volonté de lutte aussi ferme, M. Lefaucheux se décide à recevoir les dirigeants du comité de grève et de faire appel à leur "civisme". (Plus tard, il niera le fait, car il avait pris la précaution de les faire accompagner par les délégués cégétistes encore en fonction, bien qu'ils ne représentent plus personne). Il n'avait jusqu'alors essayé que des contacts "clandestins", dans le but de les corrompre.

L'entrevue reste infructueuse et finit sur ce court dialogue :

M. LEFAUCHEUX. – Ce serait "couler" la Régie que de payer les heures de grève !

P. BOIS. – Vous préférez "couler" les ouvriers qui n'arrivent pas à se nourrir ! Vous avez cependant pu payer les 30 % d'augmentation au trust de la sidérurgie ?

M. LEFAUCHEUX. – C'était une hausse autorisée par le gouvernement. Ils ont présenté la note, il fallait bien payer !

P. BOIS. – Maintenant, ce sont les ouvriers qui présentent la note et il faudra également payer ! Vous trouverez bien l'autorisation du gouvernement !

Effectivement, il ne restait rien d'autre à faire à M. Lefaucheux que "d'obtenir" le consentement de M. le ministre du Travail, le "socialiste" Daniel Mayer. Celui-ci, qui pendant la grève générale avait refusé de reconnaître le comité de grève, expression de la volonté de la majorité des ouvriers de l'usine, se lamente maintenant publiquement sur l'"inconséquence" démocratique que commet le comité de grève en continuant la lutte après le vote du 9 mai ! Il avait compté sur la section cégétiste pour étouffer complètement le mouvement, mais les dirigeants cégétistes, impuissants, font eux-mêmes appel au gouvernement et sa police contre les "250 (sic !) énervés" du secteur Collas !

Car la majorité des ouvriers de chez Renault n'avait voté qu'à contre-cœur la reprise du travail. Ils se rendent compte que cette décision, due à la trahison des dirigeants cégétistes et du P.C.F. réduit à néant leur lutte de deux semaines et ils sont indécis. Partout, dans tous les départements, dans tous les ateliers, tantôt une minorité, tantôt une majorité, continue à ne pas travailler. D'autant plus que la continuation de la grève au secteur Collas paralyse, par manque de pièces, le travail de toute l'usine. Et, n'étant pas en grève officiellement, ces travailleurs ne perdront pas leur salaire. Toute leur sympathie va donc au secteur Collas, dont la réussite serait une victoire pour tous.

Le jeudi 15, au soir, MM. Mayer et Lefaucheux capitulent devant les "énervés". Tous les travailleurs de la Régie recevront 1.600 francs "d'indemnité de reprise du travail". Mais personne n'est dupe de la formule de M. le ministre. Bien que la somme ne représente que le paiement d'une semaine de grève, l'essentiel est acquis : la reconnaissance officielle que le paiement des heures de grève est un droit pour les ouvriers. Et toutes les grèves ultérieures surgies de la base poseront invariablement cette revendication. Le Monde (16 mai), organe officieux des 200 familles, reconnaît la défaite de la direction et de la C.G.T. "Les accords intervenus (mettant fin à la grève) se payent de concessions assez lourdes".

Sur cette base, le vendredi 16 mai, après trois semaines de grève jour pour jour, les travailleurs du secteur Collas décident à leur tour de reprendre le travail.

Ainsi prend fin la grève des 30.000 ouvriers des usines Renault. Mais, tel Samson ébranlant les colonnes du temple, elle avait déjà complètement bouleversé la situation politique et sociale de la France.

A QUOI ONT SERVI  LES GREVES ?

En se posant la question : A quoi ont servi toutes ces grèves de l'année dernière ? la plupart des ouvriers ne manquent pas de se dire : à rien, sinon de nous avoir enfoncé un peu plus ; notre pouvoir d'achat est maintenant bien plus faible qu'en avril 1947. C'est en somme, exactement ce que la propagande capitaliste de la "grande presse" n'a cessé de leur répéter.

Mais, si simple que cela paraisse, rien n'est plus éloigné de la vérité. Que les ouvriers aient fait ou pas grève, leur pouvoir d'achat a constamment baissé dès avant-guerre ; et si avec la guerre cette baisse a pris des proportions catastrophiques, l'après-guerre, en dépit du relèvement de la production a vu se poursuivre le même processus.

Il y a à cela deux causes principales. D'un côté, les dépenses croissantes de l'Etat capitaliste qui, pour rejeter le fardeau des armements sur les travailleurs, l'impôt n'y suffisant plus, a eu recours à l'impôt, ensuite à l'inflation, c'est-à-dire l'émission illimitée. De l'autre côté, la concurrence capitaliste internationale, de plus en plus âpre, qui a déterminé les monopoleurs français, pour lutter contre leurs rivaux internationaux à abaisser au maximum le prix de revient. Ils l'ont fait à la manière capitaliste, entièrement sur le dos des ouvriers : diminution relative des salaires par la hausse des prix intérieurs tout en exigeant un rendement sans cesse accru. Rien de plus éloquent, à ce point de vue, que le chiffre donné par la Régie Renault concernant l'accroissement du rendement depuis 1945 : 15 ouvriers par mois pour fabriquer une voiture, actuellement 6 seulement !

Avant, pendant et après le mouvement gréviste de mai-décembre 1947, l'Etat et le patronat ont mené une seule et même politique, à savoir réduire les travailleurs à l'état de parias ; le mouvement n'a été que la conséquence de cette politique.

La réponse correcte à la question "A quoi ont servi les grèves ?" n'est pas, comme le fait la presse réactionnaire, de rendre celles-ci responsables de la situation actuelle, mais de reconnaître qu'elles n'ont réussi ni à arrêter, ni même à freiner l'exploitation dont les travailleurs sont victimes. Bien que tous les mouvements aient réussi à arracher des concessions au moins partielles et même, comme dans le cas de la grève générale des cheminots au mois de juin, de très importantes concessions, les capitalistes ont toujours repris d'une main ce qu'ils ont été obligés de lâcher de l'autre. Par la hausse des prix et par des lois fiscales scélérates (lois Schumann), le patronat a regagné, et au-delà, tout ce que les ouvriers lui ont arraché par la lutte gréviste. Et il ne peut en être autrement tant que tous les leviers de commande économiques et politiques restent entre ses mains. Cela s'est produit même après juin 1936, quand la classe ouvrière, en menant un combat uni a gagné sur toute la ligne, mais que les organisations syndicales n'ont rien fait pour obtenir la garantie de ces revendications.

C'est pour éviter cela que le comité de grève Renault (tract du 30 avril) demandait L'ECHELLE MOBILE, c'est-à-dire l'adaptation automatique des salaires à l'indice des prix, ce qui, en cas de victoire, ouvrait la voie au CONTROLE OUVRIER sur les affaires des capitalistes. Mais le comité de grève n'eut pas les forces nécessaires pour aller jusqu'au bout. La lutte s'est donc menée sur le seul terrain de l'augmentation des salaires, revendication qui (bien qu'élémentaire dans toute grève) est absolument insuffisante dans les conditions actuelles du capitalisme, pour assurer une victoire tant soit peu durable.

Mais même n'ayant pu atteindre leur but – faute d'une organisation véritablement ouvrière – les luttes grévistes de mai-décembre 1947 ont-elles été inutiles ?

Il serait aussi faux de le croire. Ce que la bourgeoisie poursuit en appauvrissant les travailleurs, c'est non seulement essayer de "tenir" des marchés internationaux, mais aussi de rendre les ouvriers moralement incapables de réagir à aucune de ses entreprises, pour finalement les soumettre à la dictature militaire.

Or, dans les luttes grévistes de mai-décembre 1947 (et malgré l'échec de cette dernière provoqué par la direction de la C.G.T.), les travailleurs ont sauvegardé et renforcé leur capacité de combat. Ils ont évité la déchéance morale : Face au patronat les ouvriers se sont dressés comme une classe décidée à se défendre contre la rapacité capitaliste !

Un autre résultat décisif de ces grèves a été de mettre fin à l'emprise totalitaire des bonzes staliniens de la C.G.T. sur le mouvement ouvrier. Bien que, faute de cadres véritablement prolétariens, une nouvelle centrale syndicale démocratique n'ait pas été créée, il existe maintenant beaucoup plus de possibilités de s'organiser librement à la base qu'avant mai 1947.

En fait, même battues, les grèves d'une certaine envergure ne peuvent en aucun cas faire empirer la situation de la classe ouvrière. Ecoles élémentaires de résistance au patronat, de solidarité et de démocratie ouvrières, elles sont presque toujours, quels que soient les résultats immédiats, le seul moyen de progrès ultérieurs. Car de même que l'enfant n'apprend à marcher qu'en tombant, la classe ouvrière, classe exploitée et opprimée, ne peut qu'après d'innombrables échecs remporter le succès.

A. MATHIEU.


NI DU NEUF, NI DU RAISONNABLE !

En réclamant un gouvernement d'union démocratique, la résolution finale du comité central du P.C.F., qui vient de se tenir les 15 et 16 avril, à Gennevilliers, confirme qu'en politique non plus l'on ne saurait rester assis entre deux chaises.

Tel est bien le cas du parti stalinien en France. Ce fut uniquement la peur d'être débordés par les trotskystes qui obligea les ministres staliniens à donner leur démission, quand la grève Renault d'avril 1947 révéla que les ouvriers en avaient assez de la misérable politique du produire d'abord, revendiquer ensuite, grâce à laquelle Thorez était arrivé à la charge de "ministre d'Etat". Phraséologie "révolutionnaire" sans révolution, verbiage revendicatif sans aucune véritable lutte pour les salaires, tantôt en brisant les luttes commencées par d'autres, tantôt en lançant dans des combats décisifs seulement la minorité des travailleurs (grève de novembre-décembre), tout cela n'avait qu'un but de la part des dirigeants du P.C.F. : reprendre leurs troupes en main, lasser la classe ouvrière qui avait osé troubler leur quiétude ministérielle !

N'étant partis que pour empêcher les travailleurs de trouver une voie nouvelle, la lutte véritable, côte à côte, avec les ouvriers du rang, leur fait l'effet de strapontins ; après avoir réussi en grande partie leur travail de démoralisation, les chefs staliniens ne pouvaient donc que briguer à nouveau quelques misérables fauteuils ministériels.

Car gouvernement d'union démocratique, c'est cela et rien de plus. Ennemi de l'action indépendante des travailleurs, craignant comme la peste la révolution socialiste, inséparable d'une véritable démocratie ouvrière, que reste-t-il à Thorez pour étayer ses prétentions gouvernementales, sinon l'arithmétique parlementaire ?

Or celle-ci le pousse, encore et à nouveau, dans les bras des Blum, des Bidault et autres "démocrates" ; c'est pourquoi, encore et à nouveau, il tend la main ; mais, comme l'a fait remarquer un journaliste, tel un dieu hindou, il en tend d'innombrables ! Dans tous les sens, même opposés, ajouterons-nous : au catholique-ouvrier et au catholique-prêtre, au démocrate-ouvrier et au démocrate-politicien, au résistant-ouvrier et au résistant-patron ; en un mot, aux exploités en même temps qu'aux exploiteurs. Mais, si l'on tend la main au patronat sous prétexte de démocratie, de résistance et d'anti-américanisme, c'en est fait de la lutte pour un véritable minimum vital, pour l'adaptation des salaires au coût de la vie en réduisant les profits des capitalistes et pour le contrôle sur les livres de comptes des requins de la finance et l'industrie ; car on ne peut pas, en même temps, s'unir et s'attaquer à quelqu'un !

De son côté, De Gaulle se livre au même jeu. Seulement, dans son jargon, la politique de la main tendue prend nom de j'en appelle à tous. Il a, lui aussi, besoin, le pauvre homme, des Schuman, des Herriot, des Daladier, des Blum et autres parlementaires du même calibre, pour "sauver la France", c'est-à-dire revenir au gouvernement. Le fait qu'il réclame de nouvelles élections ne change rien à l'affaire : s'unir au Parlement ou s'unir pour des élections parlementaires n'est qu'une seule et même opération.

Ainsi, grâce à Thorez et grâce à De Gaulle, le ramassis de politiciens qui a dirigé les destinées de la Troisième République et qui a survécu à toutes ses catastrophes reste l'arbitre de la situation politique et le maître du destin de la France, sous le nom de Troisième Force. Vieille et grimée, elle ne doit, en réalité, son existence qu'à un équilibre instable entre les forces de De Gaulle et celles de Thorez et leurs ambitions gouvernementales.

Tous ces gens, réunis, prétendaient cependant, il y a quelque trois ans, faire ensemble du neuf et du raisonnable. Mais il n'y a rien de raisonnable dans le fait que le peuple français, débarrassé du règne sanglant de Pétain et de Hitler, ait été obligé d'en revenir au vieux système pourri de la Troisième République (qui avait précisément engendré le pétainisme) et de se mettre sous la coupe des banquiers de New-York.

Est-il étonnant que rien de neuf non plus n'ait été fait ?

LA VOIX DES TRAVAILLEURS.


LA CLASSE OUVRIERE SE DEFEND,
MAIS SES ORGANISATIONS BUREAUCRATISEES NE LA DEFENDENT PAS

Le patronat ne connaît pas de trêve dans la lutte de classe qu'il impose constamment à la classe ouvrière. Quand celle-ci arrache une victoire, il essaie de reprendre de la main gauche ce qu'il a été obligé de lâcher de la droite. Quand elle subit un échec, il en profite aussitôt pour pousser plus loin ses "avantages". C'est ce qui se produit depuis le mois de décembre : partout les capitalistes s'attaquent à la dignité et aux libertés des ouvriers, à leurs conditions de travail pour les rendre plus pénibles, à leurs salaires pour les ramener plus bas (dans maints endroits les ouvriers ont été ramenés, par divers procédés, aux salaires d'avant novembre).

Si dans un endroit et dans l'autre les ouvriers répondent par des grèves partielles à l'augmentation de la cadence, aux licenciements massifs ou au renvoi de responsables syndicaux, c'est là la preuve que, s'ils ont été trahis dans leurs luttes par les dirigeants bureaucratisés, ils n'acceptent pas encore de se soumettre au patronat.
"La classe ouvrière se défend", s'écrie triomphalement Frachon dans L'Humanité du 17 avril.

Oui la classe ouvrière se défend ! Mais la classe ouvrière se défend aujourd'hui non pas en attaquant le patronat comme elle l'avait fait, en mai dernier, en posant ses propres revendications pour un niveau de vie plus digne. La trahison, par les Frachon et Cie, de la lutte gréviste commencée au mois de mai de l'année dernière, a réduit la classe ouvrière à se défendre péniblement pour parer les coups que veut encore lui porter le patronat. Elle se défend, mais la confiance dans sa force, son union, ses mots d'ordre et ses dirigeants lui manque, pour pouvoir aller courageusement de l'avant. Est-ce cela la victoire des Frachon ?

Quand la classe ouvrière a réellement voulu se défendre, ses dirigeants bureaucratiques l'en ont empêchée. Si, aujourd'hui que la situation de la classe ouvrière a empiré, les Frachon crient victoire, c'est parce qu'ils sont restés les mêmes qu'il y a un an, étrangers aux intérêts des travailleurs, sabotant leurs luttes et criant victoire quand, après avoir réussi à les briser, ils peuvent plus facilement s'emparer des leviers de commande. Les ouvriers sont pour eux ce que sont, sur le champs de bataille, les soldats pour les généraux, un prétexte pour crier victoire.

Oui, la classe ouvrière se défend, mais les organisations bureaucratisées ne la défendent pas !

En mai dernier, pour s'unir et attaquer le patronat, les ouvriers avaient rejeté les dirigeants traîtres ; Quand ils seront à nouveau capables de le faire, ils pourront vraiment défendre leurs libertés et leurs conditions d'existence.


A la R.N.U.R. OU VEULENT EN VENIR LES DIRIGEANTS CEGETISTES ?

Les raisons de faire grève, chez Renault comme partout, ne manquent pas. En premier lieu, le problème du salaire lui-même : la direction a si bien jonglé avec les textes gouvernementaux, que pour la première fois depuis la mise en Régie, les ouvriers se trouvent payés à un taux de base inférieur au minimum légal de leur catégorie.

Mais, s'il n'est nul besoin de "fomenter" des grèves pour que les ouvriers y recourent, comme en ce moment, pour riposter aux attaques de la direction visant l'augmentation des cadences et la diminution des salaires, la façon dont elles sont conduites amène la question : où veulent en venir les dirigeants cégétistes avec leurs grèves, tantôt pour un motif, tantôt pour un autre, sans aucune liaison, ni aucune coordination ?

Tout d'abord, pour savoir que tel département de chez Renault est en grève, il faut lire les quotidiens, et, spécialement L'Humanité qui n'enregistre tous les jours que "victoires". Car dans l'usine, ni tracts ni réunions, même les ouvriers en grève ignorent les revendications qui sont présentées à la direction.

A la 4cv, ainsi qu'aux presses de la tôlerie, les ouvriers ont obtenu satisfaction. Leur salaire était tellement anormal et inférieur au reste de l'usine (62 et même 59 frs. pour un OS à la tôlerie), que la direction a dû céder, bien que même maintenant les ouvriers soient payés à un tarif inférieur aux autres secteurs.

Au Dép.95, par contre, les ouvriers ont fait grève pour revendiquer que la perte de salaire résultant de la suppression de 4 heures supplémentaires soit compensée par une augmentation du salaire horaire. Accorder cette revendication, c'était pour la direction admettre le principe d'une limitation de la journée de travail pour un même salaire. Elle a refusé. Et les délégués se sont inclinés, en déclarant que la direction voulait pousser à une grève générale pour pouvoir se débarrasser des délégués, et qu'il fallait cesser la grève pour ne pas faire son jeu.

Dans leur presse, les dirigeants cégétistes affirment que les ouvriers luttent, en même temps que pour des revendications particulières, pour l'augmentation générale des salaires, qu'ils chiffrent à 36% (équivalant à l'augmentation de décembre non accordée par la direction).

Pourquoi, dans aucun des mouvements qui ont lieu, ne posent-ils la revendication des 36 %, qu'ils "défendent" dans leurs journaux ?

Pourquoi ne posent-ils pas la revendication du paiement des heures de grève et répondent-ils aux ouvriers qui la réclament qu'on peut aussi bien s'arranger avec les collectes faites dans l'usine ?

Pourquoi ne posent-ils aucune revendication qui attaque le système de rémunération au rendement, cause de tous les conflits actuels ?

Pourquoi le Comité d'entreprise ne prend-il ses responsabilités pour publier les chiffres que les ouvriers auraient intérêt à connaître, tels que le détail des frais généraux, les sommes investies dans l'achat de nouvelles machines, alors que les revendications des ouvriers ne sont pas satisfaites, les appointements de la haute maîtrise (Grillot, Lefaucheux, etc...), la part versée aux concessionnaires pour la vente des voitures, et, enfin, la part des obligataires dont le seul travail est d'encaisser les bénéfices ?...

C'est que les responsables cégétistes ne recherchent pas la satisfaction des revendications ouvrières, mais uniquement un bilan de "victoires". Et il est d'autant plus facile d'obtenir la victoire, qu'on n'a rien demandé.

Mais l'attitude qu'ils prennent, aujourd'hui, d'entretenir une agitation dans l'unique but de prouver leur "emprise sur les masses" et obtenir leur retour au gouvernement, n'est pas faite pour redonner aux travailleurs la confiance en eux-mêmes, diminuée par l'attitude anti-ouvrière des dirigeants cégétistes dans les grèves de l'année dernière.

C'est pourquoi, comme le dit le dernier tract du S.D.R., aux attaques patronales, les ouvriers doivent répondre en élaborant eux-mêmes leurs revendications, en définissant eux-mêmes les moyens de les faire aboutir.

Ils ne laisseront pas la responsabilité de leurs luttes à des chefs sans scrupules qui veulent spéculer sur leur action pour se hisser à nouveau dans le repaire de brigands qu'est le gouvernement, au lieu de faire aboutir les revendications.

P. BOIS


LE PRIX DE LA VERITE

Aux premiers coups de feu de Bogota, la presse unanime, reconnaissait la main de Moscou dans l'insurrection de la capitale colombienne, où siège justement, en ce moment, la Conférence Panaméricaine, sous l'égide de Marshall.

Mais à peine quelques jours s'étaient-ils écoulés, que nos journalistes, tout à coup, se ravisaient : on avait exagéré ! "Les communistes en Colombie sont une infime minorité : 8.000 environ pour une population de près de 11 millions d'habitants", rectifiait Le Monde du 13 avril.

Finalement, il s'avère que le danger "communiste" (les gens de Moscou) en Colombie est minime sinon imaginaire. Le danger "communiste" ? Il existe, certes, mais en Europe, non pas en Amérique latine. Il ne faudrait donc pas que, sous prétexte de le combattre dans leur voisinage immédiat, les Etats-Unis n'accordent plus à l'Europe la même attention..., c'est-à-dire la même part des fonds que lui destinait jusque-là le Plan Marshall. Pour les 8.000 communistes de Colombie, c'est déjà bien assez des 500 millions de dollars qui leur ont été alloués !

Pour une fois, mal en avait pris à nos journalistes d'emboucher si vite la trompette américaine de l'anticommunisme. Ils se sont aperçus à temps qu'à partager les mêmes dangers, il faudrait partager les mêmes secours. Quelques centaines de millions de dollars en péril valaient bien un revirement aussi brusque. Ils valaient bien un aveu de la part du Monde qui, du même coup, est obligé de découvrir toute la vérité sur la situation en Colombie. "En réalité, comme le font remarquer maints observateurs fort avertis des problèmes américains, c'est à la source économique et sociale de ces pays qu'il faut remonter pour situer la cause des mouvements séditieux. Les républiques latines reflètent dans l'hémisphère occidental l'image du Moyen-Orient : mêmes élites vivant dans l'opulence, mêmes masses ignorantes et miséreuses."

Les dollars en jeu valaient bien la peine de cet aveu, dût-il encore prouver que la presse capitaliste n'est que bourrage de crâne, vendue au plus offrant.  


"DEMOCRATIE" IMPERIALISTE EN ALGERIE

Quoi qu'il en soit, l'Assemblée algérienne comprend une majorité suffisamment solide pour travailler sans heurts", écrivait Le Monde, le 13 avril, en se félicitant du triomphe des partisans du colonialisme.

Le fascisme a montré déjà comment on "fait" des élections. Une lettre ouverte, adressée par le M.T.L.D. (parti de l'indépendance algérienne) au gouverneur général de l'Algérie, et sur laquelle tous les journaux ont fait silence, donne une idée de la façon dont a été obtenu le succès électoral des champions de l'impérialisme français en Afrique du Nord :

Suppression de la presse d'opposition (El Mogrib, El  Arabi) ; internement dans sa villa du chef du M.T.L.D. Messali Hadj ; des arrestations par centaines, sous prétexte d'"atteinte à la souveraineté française", dont celle de 21 candidats qui, internés à la prison d'Alger, au régime de droit commun, font la grève de la faim depuis le 8 avril pour obtenir leur droit au régime politique ; absence complète de contrôle sur les opérations électorales par l'interdiction des bureaux de vote aux délégués des candidats, etc...

"C'est cette mesure qui vous a permis, monsieur le gouverneur, de nommer et non d'élire vos "administratifs" qui vous garantissent une confortable et tenace majorité de deux tiers...

"C'est cette mesure, enfin, qui engage directement M. le gouverneur, votre responsabilité et celle de votre administration dans la tuerie d'Aumale". (Lettre ouverte au gouverneur général).

Voilà le vrai visage de la "démocratie au sein de l'Union française"…


CHEZ RENAULT

A l'atelier 95

A l'atelier 95 (entretien) les ouvriers ont fait grève, grève d'avertissement d'une heure le lundi et grève totale le mardi à deux heures. La revendication mise en avant par la C.G.T. était la suivante : "Augmentation des salaires sous n'importe quelle forme, de façon que le paiement des 100 heures par quinzaine effectuées actuellement soit égal à celui des 104 heures effectuées il y a un mois, avant le nouvel horaire de travail". En effet, les ouvriers estiment fournir aujourd'hui en 100 heures le même travail qu'auparavant en 104 heures, puisque l'entretien de l'usine est toujours le même et que, de toute manière, ils doivent le mener à bien.

Cette revendication s'est heurtée à un refus catégorique de la direction. Les ouvriers ont alors reculé et repris peu à peu le travail jusqu'au mercredi à 5 heures, quand le délégué est venu leur recommander de cesser la grève, sinon "c'était faire le jeu de la direction".

Néanmoins, cette revendication mérite d'être retenue. Elle marque la volonté de ces ouvriers d'obtenir un meilleur salaire pour un nombre d'heures moins grand.

Les ouvriers ont d'autant plus raison d'avancer cette revendication que le salaire, en régime capitaliste, ne dépend nullement de la production, mais de la lutte qu'ils mènent pour le défendre.

D.M. (atelier 95)


Au département 49

A la suite de l'écho "Unité d'action" paru dans La Voix nº 41, L'Acier, spécialiste de calomnies en tous genres, a soulevé l'indignation des ouvriers par son "interprétation" de l'action menée au département 49. Voici à ce sujet la réponse des camarades du S.D.R. de ce département.


Un camarade du S.D.R. et un camarade cégétiste avaient pris l'initiative de faire circuler une pétition aux ateliers 49.58, 49.61, 49.67, revendiquant qu'il soit percé des fenêtres sur la rue Emile-Zola (cette revendication ayant été déposée depuis deux ans et n'ayant pas abouti). Ils portèrent cette liste de pétition, signée de tous les ouvriers, au chef de département, qui promit de faire le nécessaire.

En agissant ensemble, les camarades de la C.G.T. et du S.D.R. ont montré que l'unité des ouvriers peut se faire, quelle que soit leur appartenance syndicale, politique ou autre.

Cette unité n'a pas plu à MM. les responsables de la C.G.T., qui ont fait beaucoup de tapage avant que les fenêtres soient percées. C'est ainsi que dans leur bulletin local, ils prétendent avoir fait aboutir cette revendication et passent sous silence l'action des ouvriers.

Dans L'Acier, ils ne se contentent pas de falsifier les faits, ils insultent et calomnient les ouvriers du S.D.R.

Pour eux, l'unité d'action des ouvriers appartenant à des organisations différentes, c'est la division.

Ce qui les rend hargneux, c'est de voir les ouvriers et même les cégétistes ne pas prendre leurs arguments au sérieux et sympathiser avec nous.

Le 18.4.48.


Propagande R.P.F.

La gaulliste Etincelle Renault amuse son public avec des ragots et des petites histoires sur les leaders du P.C.F. ; mais ce n'est que pour faire passer plus facilement sa marchandise sérieuse, qui consiste à enseigner aux ouvriers la soumission.

A quoi bon faire grève ? "Les travailleurs français de 1948 ont une législation qui les protège, une Inspection du Travail qui les défend, des syndicats qui doivent parler en leur nom, des délégués au pouvoir certain..."

Heureux ouvriers ! Mais curieuse argumentation pour des gaullistes, ennemis déclarés de la Constitution...

Cependant, l'argument massue, c'est celui que L'Etincelle arbore en slogan : "La première victime de la grève c'est ton porte-monnaie". Ces messieurs ne veulent faire au patron nulle peine, même légère. Ce n'est pas eux qui iront revendiquer le paiement des heures de grève, quand la rapacité patronale oblige les ouvriers à recourir à leur seule arme efficace.

Sans doute, la grève sabotée par des chefs traîtres fait du mal au porte-monnaie de l'ouvrier (novembre 1938, novembre-décembre 1947) ; mais la grève dirigée par les ouvriers eux-mêmes fait du mal aux coffres-forts des patrons et améliore le standard de vie de l'ouvrier (juin 1936 : semaine de 40 heures, congés payés, conventions collectives, etc...).

Sans doute, que L'Etincelle se le tienne pour dit, si la classe ouvrière arrive à se débarrasser de ses chefs traîtres, ce ne sera pas pour aller chercher les représentants militaristes et réactionnaires de la bourgeoisie.


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