1961

" A ceux qui crient à « l'Espagne éternelle » devant les milices de la République avec leurs chefs ouvriers élus et leurs titres ronflants, il faut rappeler la Commune de Paris et ses Fédérés, ses officiers-militants élus, ses « Turcos de la Commune », ses « Vengeurs de Flourens », ses « Lascars ». "

P. Broué, E. Témime

La Révolution et la Guerre d’Espagne

II.3 : L'aide russe et les Brigades Internationales

Pour les Russes comme pour les Italiens et les Allemands, l'Espagne a été un champ d'expérience. L'épreuve, ici, a été surtout matérielle. Ils ont pu obtenir de précieux renseignements sur la valeur de leurs armes par rapport à celles des puissances fascistes, des Ratos russes par rapport aux Messerschmitt par exemple. Ils ont tiré de sérieuses leçons de l'expérience de la guerre : utilisation massive de l'artillerie, nécessité de manœuvres en profondeur adaptées aux nouvelles techniques du combat, utilisation des partisans contre une armée organisée. Bon nombre de cadres militaires russes ont fait en Espagne un stage plein d'enseignements.

Il est nécessaire en contrepartie de souligner d'emblée que, sans l'apport du matériel russe, la résistance républicaine n'aurait pu se prolonger au-delà de l'année 36.

La Russie de Staline et la guerre d'Espagne

Cette aide indispensable n'a cependant jamais été suffisante. Les troupes républicaines n'ont cessé de manquer de matériel d'aviation, d'armes antiaériennes, et même d'armes légères, durant toute la durée du conflit. Partant de cette constatation, il est impossible de présenter comme un effort de solidarité sans réserve un secours qui a été longtemps suffisant pour permettre de poursuivre la lutte, mais qui, s'il avait été plus généreux, aurait sans doute permis de faire pencher définitivement la balance en faveur de la République espagnole. Cette constatation a même conduit des hommes politiques et notamment d'anciens communistes espagnols à prêter aux dirigeants russes un machiavélisme extraordinaire, supposant finalement à la politique de Staline une simplicité et une continuité [1] qui sont constamment démenties par les faits au cours de cette période.

En réalité, sans envisager d'autres problèmes que ceux posés par le conflit espagnol, il est possible de relever trois attitudes successives dans la politique de l'U.R.S.S. au cours de cette période :

  1. d'abord, une position de neutralité de fait, accompagnée d'ostensibles témoignages de sympathie et de solidarité,
  2. à partir d'octobre 1986, un effort considérable d'aide militaire qui correspond à une prise de position vigoureuse en faveur de la République au Comité de non-intervention,
  3. enfin, à partir de l'été 38, un ralentissement progressif de l'aide militaire qui aboutit à l'abandon total de la République.

La neutralité initiale

Pendant les premiers mois du conflit, l'U.R.S.S. refuse d'intervenir en faveur de la révolution espagnole. Le gouvernement de Staline n'a en effet aucune raison d'encourager ni d'aider les organisations révolutionnaires, C.N.T.-F.A.I. ou P.O.U.M., dont le rôle est à ce moment essentiel et qui n'ont pas pour son régime politique une particulière sympathie. En outre, il n'existe pas encore de relations diplomatiques entre l'U.R.S.S. et l'Espagne; il est question de les établir, mais cinq ans de république n'ont pas suffi pour aboutir à un résultat aussi mince. Enfin, l'Espagne n'est, aux yeux de Staline, qu'un élément très secondaire dans une situation internationale inquiétante. La Russie ne veut être en flèche dans aucun conflit. Elle craint l'isolement, vit encore sur le souvenir des années d'après-guerre qui ont dressé contre le « bolchevisme » toutes les puissances européennes, les États-Unis, le Japon, sur l'échec de la révolution en Hongrie et en Allemagne. Avec Staline, renonçant à l'extension de la Révolution mondiale, elle s'efforce de bâtir le « socialisme dans un seul pays », et, en même temps, de se protéger par un système d'alliances extérieures. L'avènement d'Hitler est une menace directe. La conclusion du pacte franco-soviétique (pacte Laval-Staline) en 1934 est une riposte, un premier pas vers la sécurité. Cette alliance reste pourtant fragile et ne peut être considérée comme efficace qu'à la condition d'être étendue à la Grande-Bretagne, qui ne semble guère y être disposée. L'attitude hésitante du gouvernement Léon Blum et finalement sa prise de position en faveur d'une prudente neutralité ne sont certainement pas faites pour encourager Staline à se jeter, en Espagne, dans une aventure hasardeuse. Aussi, lorsqu'est lancée la campagne de non-intervention, l'U.R.S.S. s'y associe-t-elle sans hésitation. Le 31 août est publié à Moscou, comme en Occident, le décret interdisant « l'exportation, la réexportation, et le transit en Espagne de toutes les sortes d'armes, de munitions, de matériel de guerre, d'avions et de navires de guerre ». En fait, ce décret ne sera respecté que pendant un mois au maximum. Au milieu d'octobre, le matériel russe, chargé sur des bateaux russes ou étrangers, commence déjà à arriver en Espagne.

Le tournant de l'automne 36

Il y a donc eu un premier tournant, dû à des facteurs divers, mais qui, en définitive, ont tous tendu à une modification dans le même sens de la politique russe. C'est d'abord l'émotion générale suscitée dans le monde, et plus particulièrement dans les milieux de gauche des pays occidentaux, par le pronunciamiento franquiste et la réaction populaire. Il semble impossible que le « pays du socialisme » se tienne à l'écart du mouvement général d'aide à l'Espagne, sous peine de perdre nombre de ses partisans de l'extérieur. On répètera avec insistance que les dirigeants des partis communistes occidentaux, Maurice Thorez notamment, se sont fait l'écho des inquiétudes des militants devant la défaite imminente du Front populaire espagnol, lequel, après l'échec des forces de gauche en Italie et en Allemagne, avait suscité chez eux de grandes espérances.

Mais surtout, malgré la modération dont a fait preuve le gouvernement de Moscou, le conflit espagnol a pris une trop grande extension pour qu'il puisse continuer à se tenir à l'écart. L'intervention des nazis et surtout des fascistes italiens est trop évidente : la victoire du général Franco apparaîtrait aux yeux de tous comme leur victoire, et par suite, comme un échec de la politique de l'U.R.S.S. Aussi bien l'intervention russe cherche-t-elle à cette époque à apparaître, aux yeux des gouvernements de Londres et de Paris, comme une action en faveur du statu quo européen, au service de la démocratie et de la paix [2].

Il convient aussi, peut-être, d'indiquer une raison de politique intérieure : l'épopée espagnole détourne l'attention d'une partie de l'opinion militante en U.R.S.S. des purges qui sont en train de frapper les adversaires de Staline [3] ; en outre, sous le couvert de l'aide à la République espagnole, il est possible de demander aux travailleurs russes un effort supplémentaire de production qui ne manquera pas de contribuer à la réalisation des objectifs fixés par le plan quinquennal de 1933.

Quoi qu'il en soit, la décision d'intervenir en Espagne a été annoncée début septembre, selon Krivitsky, lors d'une conférence de hauts fonctionnaires réunie à la Loubianka et à laquelle assiste Orlov, qui sera un des représentants officieux, mais tout-puissants, de la police de Staline en Espagne. Comme cette décision est contraire aux principes affirmés par l'U.R.S.S. et les autres puissances du Comité de non-intervention, elle doit rester la plus discrète possible ; des sociétés privées sont créées, dès le début de ce mois, qui se chargeront des achats et du transport des armes, à partir de la Russie, par Odessa, vers l'Espagne.

L'aide matérielle

Les départs vont se succéder, d'octobre 1936 à février-mars 1937, à la cadence de trente à quarante bateaux, de tonnage variable, par mois. Les envois de vêtements et de ravitaillement, déjà importants avant octobre, augmentent avec l'extension considérable de l'activité du « Comité intérieur d'aide au peuple espagnol ». L'U.R.S.S. envoie de l'essence et des camions, ce que n'interdit pas du reste le pacte de non-intervention, mais surtout des armes et des avions. Plus de 50 % des avions utilisés par les républicains entre août 36 et avril 37 sont venus d'U.R.S.S. Selon un document du département d'État américain, au 25 mars 37, sur 460 appareils républicains, il y aurait 200 avions de chasse, 150 bombardiers et 70 avions de reconnaissance russes. Ce sont surtout des bombardiers Katiousha et des chasseurs 1.15 et 1.16, supérieurs aux premiers appareils allemands, mais bien inférieurs aux Messerschmidt. La quasi-totalité des tanks est également d'origine russe : les chars de 12 et 18 tonnes sont rapides et bien armés [4]. Ils ne seront cependant pas assez nombreux et la plupart du temps mal utilisés, quoiqu'ils constituent un matériel de valeur au moins égale à celui des adversaires, venu d'Allemagne et d'Italie. Les canons, dont la fourniture sera modeste, sont surtout des 76 de campagne et des canons lourds qui manquent à l'armée républicaine.

Du reste, tout le matériel venu de Russie n'est pas amené par des navires russes, et n'est pas forcément du matériel russe. Il n'est pas non plus toujours de première qualité : le président Aguirre parlera de fusils « datant de la guerre de Crimée » et Krivitsky, à propos d'achats faits en Pologne, en Tchécoslovaquie et même en Allemagne, de « matériel vieilli, mais utile ». Il n'y a là rien d'extraordinaire : le matériel français qui passe la frontière durant les premières semaines est aussi ancien et parfois en mauvais état. L'Espagne n'est pas seulement le terrain d'expérimentation des armes neuves, elle fournit aussi le moyen de liquider à bon prix le vieux matériel qui encombre les parcs militaires. Il ne faut pas oublier que ce trafic a un aspect commercial. Pas plus que l'Allemagne à Franco, l'U.R.S.S. ne donne ses armes à la République : dès les premières négociations, il a été prévu que l'or de la Banque d'Espagne financerait les fournitures.

L'envoi en Russie de la plus grande partie de l'or espagnol a soulevé plus tard de violentes controverses entre les dirigeants républicains. Elles peuvent aujourd'hui se ramener à une question unique : la responsabilité de l'opération repose-t-elle sur le seul Negrin, ministre des Finances à l'époque, ou l'a-t-il partagée avec d'autres, Largo Caballero, président du Conseil, Prieto, ministre de la Défense nationale? Au moment de l'avance franquiste sur Madrid, un Conseil des ministres décide de mettre en lieu sûr l'or de la Banque d'Espagne. Un premier transfert a lieu, de Madrid à Carthagène. Le 25 octobre 1936, l'or - une quantité estimée à 510 079 529 grammes est expédié pour Odessa sous la surveillance de quatre fonctionnaires espagnols. Prieto a rejeté sur Negrin la responsabilité de cette expédition. Alvarez del Vayo réplique que la décision a été prise par Largo Caballero et Negrin et que Prieto a été tenu au courant. Il est certain, en tout cas, que le premier transfert sur Carthagène s'est fait avec l'approbation des ministres, et il est peu vraisemblable qu'une décision aussi importante que la sortie d'Espagne de son or ait pu être prise sans l'accord du président du Conseil [5].

L'envoi de l'or en Russie se place au moment où l'aide russe est la plus importante. Il est très possible qu'une bonne partie ait effectivement servi à payer les achats d'armes à l'étranger. D'ailleurs, le trafic provoqué par la guerre d'Espagne n'est pas négligeable pour un commerce extérieur médiocre comme celui de la Russie soviétique : l'Espagne devient son deuxième client, et le chiffre d'affaire de ce commerce est multiplié par vingt par rapport à l'avant-guerre.

Evidemment, ce trafic est bien difficile à dissimuler : la longueur de la traversée, qui parcourt toute la Méditerranée, permet de repérer facilement les convois, et les sous-maîtres italiens contrôlent aisément leur passage en Méditerranée centrale. L'aide de la Russie sert de prétexte à l'Allemagne et à l'Italie pour contre-attaquer au Comité de non-intervention, et pour tenter d'opposer l'U.R.S.S. aux pays occidentaux. Elle permet aussi à l'Angleterre de maintenir une fiction de neutralité, en affirmant qu'elle tient ainsi une balance égale entre les deux belligérants. Staline craint de se retrouver seul dans les conversations diplomatiques, comme cela arrive trop souvent à ses représentants au Comité. D'autre part, après l'échec de Franco devant Madrid, l'espoir d'une rapide victoire des nationalistes a disparu. La prolongation de la guerre est peut-être favorable à la politique russe : elle voit dans le conflit espagnol un abcès de fixation qui détourne une partie des forces allemandes et italiennes.

Ceci explique à la fois la poursuite et la réduction de l'aide russe. D'ailleurs, la mise en vigueur des mesures de contrôle maritime par les puissances du Comité de Londres va gêner l'arrivée du matériel et entraîner une diminution sensible des expéditions, dès le printemps 1937. L'U.R.S.S., qui ne dispose pas sur mer de moyens importants et ne se soucie pas de les engager imprudemment, refuse de participer au contrôle, mais voit en revanche les côtes méditerranéennes de l'Espagne républicaine gardées par les navires de guerre allemands et italiens. Enfin, depuis décembre 1936, l'Italie a recours, pour transformer en véritable blocus les mesures de limitation du commerce des armes à destination de l'Espagne à une authentique piraterie maritime contre les navires russes ou susceptibles de transporter du matériel de guerre en provenance de Russie. Le premier torpillage entrepris dans ces conditions semble bien avoir été celui du Komsomol, bien qu'il soit difficile de savoir s'il faut en attribuer la responsabilité aux nationalistes espagnols équipés de sous-marins italiens ou à la marine italienne elle-même.

L'aide russe : les hommes

S'il est nécessaire de souligner la réduction de l'aide russe dès l'année 1937, il faut aussi rappeler que, toute mesurée qu'elle ait été, c'est elle qui a permis au gouvernement de Valence de poursuivre la résistance. A différentes reprises, même dans le courant de 1938, après la bataille d'Aragon notamment, le matériel russe a constitué le seul secours extérieur important. Ce fait, à lui seul, peut suffire à expliquer l'influence énorme prise par les conseillers russes sur l'évolution politique et militaire de l'Espagne loyaliste. C'est aussi ce qui a permis à ses adversaires d'accuser Negrin d'être un « agent » de la Russie : le président, en réalité, avait fait un choix politique et se justifiera par le refus de se brouiller avec le seul État qui apportât à l'époque un appui sérieux à l'Espagne.

On doit également tenir compte de l'action de la propagande franquiste qui a systématiquement « gonflé » l'aide soviétique. Même si on néglige certaines énormités, il n'est pas rare d'entendre parler, du côté nationaliste, de milliers d'hommes envoyés en Espagne. Ce qui est, au contraire, remarquable, c'est la faiblesse numérique des troupes russes en Espagne. Dès 1939, Brasillach et Bardèche estiment qu'ils n'ont jamais été plus de cinq cents. D'autres, comme Krivitsky ou Cattell, admettent des chiffres un peu supérieurs; les Russes, en tout cas, n'ont jamais été plus de mille, essentiellement des spécialistes, tankistes et aviateurs, conservant, comme les Allemands du côté nationaliste, leur commandement et leurs installations propres, tenus à l'écart de la population civile.

Reste, évidemment, le rôle des « techniciens russes » ; les diplomates d'abord, sincèrement attachés, semble-t-il, à la cause espagnole, mais qui ont presque tous été rappelés dans le courant de 1937 et qui ont disparu ensuite, exécutés ou emprisonnés. Disparu, Marcel Rosenberg, le premier ambassadeur de l'U.R.S.S. à Madrid, disparu Antonov-Ovseenko, consul à Barcelone, disparu Stachevski [6], l'attaché commercial qui négocia les livraisons d'armes, disparu aussi Michel Koltsov [7], comme si personne ne devait survivre qui puisse témoigner de cette intervention politique, à moins que leur disparition n'ait semblé une préface nécessaire à l'abandon de l'Espagne. Avec les diplomates ou immédiatement après eux sont arrivés les conseillers militaires, nombreux et influents, mais peu connus et dont l'identité réelle n'est que rarement établie : les généraux Goriev, organisateur de la défense de Madrid et qui n'a suscité chez ceux qui l'ont approché que des témoignages de sympathie, Grigorévitch, Douglas, le chef des aviateurs, Pavlov, le chef des tankistes, Kolia le chef des marins. Parmi eux, sous des noms d'emprunt, quelques-uns des grands chefs militaires de la guerre de 1939-45. Un premier groupe est arrivé le 28 août, avec Rosenberg, un autre en septembre et un troisième en octobre. « Les généraux changent souvent, dit Koltsov à Regler, ils viennent apprendre leur métier, et comme les défaites instruisent plus vite que les victoires, ils ne restent pas longtemps. » Il apparaît en tout cas qu'en dehors du quartier-général où travaillait la mission centrale russe, tous les grands chefs républicains avaient au moins un conseiller technique russe dans leur état-major [8]. Les uns et les autres ont été constamment surveillés par les représentants du N.K.V.D., la toute-puissante police politique, placée en Espagne sous l'autorité d'Orlov [9]. Il faut lui rattacher aussi bon nombre de militants communistes étrangers, venus d'U.R.S.S. avec l'appareil du Komintern, les Geroe et quelques autres, dont l'action sera plus policière que politique ou militaire [10].

Les premiers volontaires internationaux

Aux militaires russes, il faut ajouter les communistes étrangers formés en Union soviétique, dont le rôle fut essentiel dans l'organisation et l'encadrement des brigades internationales - car il n'y a pratiquement pas eu de Russes dans les brigades, sinon, paradoxalement, des Russes blancs [11].

En fait, l'intervention de troupes étrangères au profit de la République espagnole, l'aide sollicitée et amenée de l'extérieur n'a finalement été que le résultat de multiples concours individuels. Au contraire de ce qui s'est passé du côté nationaliste, où les dirigeants allemands et italiens ont préparé et organisé l'expédition de contingents armés, aucun gouvernement - sauf celui de l'U.R.S.S., nous avons vu dans quelle mesure - n'a pris à la lutte, du côté républicain, une part essentielle. C'est cependant avant tout sur l'initiative du Komintern que cette aide a pu être organisée.

Sans doute, pendant les premiers mois de guerre, à l'époque des milices révolutionnaires, un petit nombre d'étrangers étaient-ils venus spontanément combattre dans les rangs républicains : étrangers déjà installés en Espagne comme le socialiste italien De Rosa, ou venus pour une raison quelconque lors du soulèvement comme les participants des jeux Spartakistes de Barcelone, qui ont immédiatement apporté leur appui aux ouvriers catalans. Ainsi se forment les premiers groupes de volontaires étrangers auxquels s'ajoutent, venus de France, des militants de l'antifascisme, italiens, allemands, français ou belges. Ainsi la petite troupe formée sur le front Nord et qui participe a la défense d'Irun, les Allemands de la centurie Thälmann, les Italiens de la colonne Rosselli, les Français de la centurie Commune de Paris, les Italiens de la centurie Gastone Sozzi qui défendront Madrid sur la Sierra ou les étrangers qui s'engagèrent dans la colonne Durruti [12].

Mais le premier exemple d'une organisation sérieuse est celui de l'aviation internationale mise sur pied par André Malraux. L'escadrille España rendra d'énormes services, au moins dans les premiers mois de la guerre à une époque où l'aviation de bombardement gouvernementale est totalement inexistante. Malgré le petit nombre d'appareils dont ils disposent - une vingtaine -, les Internationaux sont les seuls à agir avec quelque efficacité, en particulier dans le bombardement de la colonne nationaliste de Medellin, comme le soulignera son chef seule opération de grand style effectuée par les républicains dans la première partie de la guerre. De même, leur aviation de chasse - une quarantaine d'appareils - a relevé efficacement l'aviation républicaine qui ne dispose que de vieux Breguet. Pourtant ces escadrilles de fortune ne pourront lutter contre les avions allemands ou italiens, plus modernes et surtout plus rapides. C'est à Malaga que l'escadrille España effectuera sa dernière mission en essayant de protéger la retraite contre les mitrailleuses des chasseurs ennemis [13].

Les Brigades Internationales

C'est au mois de novembre 36 qu'apparaîtront les premiers appareils russes capables de soutenir la comparaison avec ceux de l'adversaire. C'est aussi à partir de novembre que sont engagées sur le front espagnol les brigades internationales. Quelle que soit leur tendance politique, journalistes et écrivains n'ont pas manqué de souligner l'influence de l'entrée en ligne des bataillons internationaux sur le raidissement de la résistance républicaine. Ils ont constitué un corps d'élite engagé jusqu'à la fin 38 dans tous les combats d'importance. Le 7 novembre, ils sont à Madrid, le 13, ils prennent part aux combats du Cerro de los Angeles : en décembre, ils apparaissent à Teruel et à Lopera, sur le front de Cordoue. En février-mars 37, ils combattent sur le Jarama, à Malaga, à Guadalajara. On les retrouvera plus tard dans toutes les grandes offensives, à Brunete comme à Belchite, à Teruel, et enfin lors de la bataille de l'Ebre, où ils prennent part à la dernière offensive républicaine.

Le rôle déterminant qu'elles ont ainsi joué sur tous les théâtres d'opération a pu faire croire à l'existence d'une force numériquement très importante. On parle encore, aujourd'hui, en Espagne, de centaines de milliers de volontaires étrangers des brigades. Sans qu'il soit possible de fixer toujours des chiffres et de préciser les conditions de combat, une étude plus sérieuse fera apparaître des effectifs infiniment plus modestes,

Qui sont ces combattants ? D'où viennent-ils ? Comment ont-ils été préparés et jetés dans la bataille? A l'origine, il n'y a eu, semble-t-il, que des engagements à titre individuel dans les milices républicaines. Puis les étrangers se sont peu à peu regroupés en unités organisées séparément. Ces combattants sont des antifascistes, surtout allemands et italiens, expulsés de leur pays par les régimes de Hitler et Mussolini, et qui choisissent cette occasion de reprendre leur lutte contre ces dictatures, mais aussi des Français, nombreux à cause de la proximité du pays, des facilités de franchissement de la frontière, du rapprochement naturel entre les deux pays où le Front populaire vient de triompher. En fait ces engagements individuels ne peuvent influer sérieusement sur le rapport des forces militaires et ne font qu'apporter, le plus souvent, un élément hétérogène de plus à une armée déjà fort disparate.

Dès la fin de septembre l'aide à l'Espagne connaît un début d'organisation, en particulier pour le recrutement et l'acheminement des volontaires. Le noyau dirigeant se recrutera parmi les responsables du parti communiste français et les réfugiés politiques italiens. Le comité chargé du recrutement est dirigé, selon Longo, par Giulio Ceretti, dit Allard. C'est aussi un communiste, le futur maréchal Tito, Josip Broz, qui organise l'acheminement des volontaires venus d'Europe centrale[14]. Luigi Longo - « Gallo » - partage avec l'appareil du P.C.F. la responsabilité du passage des volontaires. Ils ont déjà été nombreux à suivre les filières organisées quand, le 22 octobre, les brigades naissent officiellement. Au début du mois, une délégation composée de trois communistes, l'Italien Longo, le Polonais Wisniewski et le Français Rebière, a été reçue par Azaña, puis par Largo Caballero [15]. Les trois hommes sont finalement envoyés à Martinez Barrio, qui est chargé de l'organisation des premières brigades de l'armée régulière. L'accord se réalise facilement, et c'est ainsi qu'en novembre 1936 apparaissent les premières brigades internationales.

Le recrutement des Brigades

Certes, le recrutement demeure individuel. Les engagés volontaires, venant de tous les pays, sont réunis en France d'où ils arrivent par petits groupes, par la frontière des Pyrénées. En fait, malgré la diversité des organisations qui se chargent de l'enrôlement - les engagements sont reçus dans des permanences installées aux sièges des organisations syndicales ou des partis de gauche -, c'est le parti communiste qui contrôle l'ensemble de l'opération. C'est lui qui se charge d'acheminer les volontaires jusqu'en Espagne. Aucun obstacle d'ailleurs au passage de la frontière, même si, officiellement, celui-ci est interdit [16]. Il y a, à Perpignan, une véritable caserne de volontaires internationaux, qui circulent librement dans la ville. Dans le seul mois de février 37, plus de trente-cinq camions franchissent la frontière sans rencontrer de difficultés. Le parti communiste français a d'ailleurs doublé les convois frontaliers par des bateaux qui, sous le couvert d'une compagnie maritime, « France-Navigation », assurent le transport des volontaires. Longo, parlant des premiers volontaires, déclare que 500 sont venus par Figueras et 500 de Marseille à Alicante sur le Ciudad de Barcelona. Des délégations des brigades sont installées dans toutes les grandes villes espagnoles et accueillent les nouveaux venus. Mais, si la question du transit est ainsi résolue, l'organisation de cette force originale que constitue une armée internationale de volontaires pose des problèmes particuliers.

Il est très difficile, on l'a vu, de déterminer avec précision l'importance numérique des brigades ; la plupart des documents ont disparu et même les anciens responsables ne peuvent se mettre d'accord sur les chiffres. Sans doute la tendance la plus commune est-elle de les exagérer : les pays fascistes ont systématiquement cherché à grossir le nombre des « volontaires rouges », et les partis et groupements nationaux antifascistes ont eux-mêmes eu tendance à présenter leur intervention comme plus importante qu'elle n'a été en réalité. Si l'on en croit Victor Alba, il y aurait eu, en juin 37, 25 000 Français, 5 000 Polonais, 5 000 Anglo-Américains, 3 000 Belges, 2 000 « Balkaniques ». 5 000 Germano-Italiens, soit, au total, 45 000 hommes au moins. Si l'on tient compte du va-et-vient continuel, du fait que des volontaires, même en tout petit nombre, n'ont pas cessé d'arriver jusqu'en début 38, on ne devrait guère avancer un chiffre global inférieur à 50 000 hommes; en fait, ce chiffre est probablement supérieur aux chiffres réels. Si l'on évalue l'effectif d'une brigade à 3 500 hommes, ce qui est un maximum, car les brigades ont rarement eu un effectif complet, on arrive au chiffre total de 30 000. Et sans doute n'a-t-il même pas été atteint. L'opinion de Malraux; est que le nombre total des volontaires n'a pas dépassé 25 000 hommes. C'est aussi l'avis. très autorisé, de Vidal-Gayman, selon lequel il n'y a jamais eu plus de 15 000 hommes simultanément en action, dont une dizaine de milliers de combattants, et cela au moment où les brigades atteignaient leur effectif le plus important, au printemps et à l'été 37. Ce nombre a diminué par la suite : les pertes ont été lourdes - on peut les évaluer à 2 000 morts - et bien des volontaires, blessés, las ou découragés, sont repartis sans avoir été remplacés par autant de nouveaux venus.

Sur ce total de 25 000, les Français ont été incontestablement les plus nombreux, bien que leur valeur combative ait souvent été inférieure à celle des contingents allemands ou italiens, recrutés parmi des émigrés qui avaient déjà payé de l'exil la lutte pour leur cause dans leur pays d'origine. Au lendemain d'une crise économique qui a bouleversé l'Europe et dont les séquelles subsistent en dépit d'une reprise économique que stimulent les fabrications de guerre, il existe encore en France un lumpen-proletariat qui s'engagera en Espagne pour des motifs par toujours désintéressés. Cela explique certaines déclarations faites en France à la presse pro-nationaliste par des hommes partis sans être bien sûrs d'eux-mêmes et qui ont très vite été écœurés par la dureté des combats. C'est également le chiffre des volontaires français qui a le plus varié, comme aussi les appréciations sur leur comportement. Les brigades 14 et 14 bis furent essentiellement françaises, mais d'autres éléments français se trouvaient dans la 11°, le bataillon Commune de Paris, dans la 12°, le bataillon franco-belge, et dans la 13°, le bataillon Henri Vuillemin. Encore une telle classification est-elle difficile, ces bataillons ayant été sans cesse remaniés, intégrés dans de nouvelles unités, selon les nécessités du moment ou les pertes subies. Le travail réalisé par l'Association des volontaires en Espagne républicaine pour essayer de retrouver les effectifs exacts des brigades fait apparaître environ un tiers de volontaires français, soit certainement moins de 10 000 hommes, souvent confondus avec les volontaires belges. On peut également adjoindre à ce groupe franco-belge celui des Polonais, en majorité recrutés dans les régions minières de France et de Belgique [17]. Grâce à leur apport, le nombre total des Polonais ayant combattu en Espagne a sans doute dépassé 4 000 hommes.

Un autre contingent important de volontaires est fourni par les émigrés allemands et italiens. Ils jouent un rôle particulièrement important dans l'encadrement des brigades. Parmi eux, des cadres politiques, en grosse majorité communistes. Les Italiens et les Allemands ont envoyé presque tous leurs dirigeants : le socialiste Pietro Nenni, les communistes Luigi Longo (« Gallo ») et Di Vittorio (Nicoletti), le républicain Pacciardi, pour les Italiens, le socialiste autrichien Julius Deutsch, les communistes allemands Hans Beimler et Dahlem. Des autres pays, exception faite d'André Marty, peu de responsables « nationaux », mais de nombreux « cadres moyens », et, notamment pour les Français, des dirigeants des Jeunesses communistes.

Restent les volontaires venus des pays anglo-saxons, anglais, américains et canadiens du bataillon Lincoln, quelques centaines d'hommes de chaque nationalité; ceux d'Europe centrale, Yougoslaves surtout, mais aussi Hongrois, Tchèques, Bulgares, Albanais même, venus par tous les moyens, et parfois à pied. D'autres sont venus de plus loin encore, d'Asie ou d'Afrique. Au total, 53 pays sont représentés dans les brigades [18].

Les cadres supérieurs, à l'image des troupes, sont de toutes nationalités, français et italiens sans doute, mais aussi allemands, hongrois ou polonais. Les officiers occupant les postes les plus importants sont, plus souvent qu'on ne s'y attendrait, originaires d'Europe centrale. Les communistes y sont la grande majorité, ce qui fait d'autant plus remarquer un Nenni ou un Pacciardi [19]. Nombre d'entre eux ont fait la guerre de 14-18, certains ont été officiers de carrière, d'autres ont reçu à Moscou une formation militaire. Ils ont parfois reçu l'une et l'autre formation. Ainsi Hans Kahle, (le lieutenant-colonel Hans) ainsi Wilhelm Zaisser (le général Gomez) le hongrois Maté Zalka (le général Lukacsz), le Polonais Karol Swierczewski (le général Walter) qui, tous combattants de 14-18, sont devenus militants communistes et ont parfois suivi les cours d'Académies militaires en U.R.S.S. Ainsi des anciens combattants aux responsabilités politiques plus réduites, le Français Dumont [20], l'écrivain allemand Ludwig Renn, Regler, le Hongrois Gal, ancien compagnon de Bela Kun. Ainsi le plus mystérieux et le plus célèbre de tous les chefs des Internationaux, le général Kléber, que beaucoup de contemporains ont présenté comme le héros de la défense de Madrid [21].

La base d'Albacete

Le premier problème qui se pose aux organisateurs des brigades est de donner une certaine unité à ces forces hétérogènes pour les intégrer ensuite dans l'armée espagnole. Les volontaires doivent trouver, en arrivant en Espagne, des centres de rassemblement et d'instruction, qui permettront de les répartir selon leurs origines et leurs capacités. C'est d'abord à ce rôle que répond la création du centre d'Albacete.

La ville n'a pas été choisie au hasard : le 5° régiment, en effet, y possède déjà une base. Longo, aidé de Vidali (commandant Carlos), a préparé les locaux qui doivent recevoir les premiers Internationaux. On y improvise un état-major qui devra avant tout se procurer, avec la collaboration des Espagnols, le matériel nécessaire au casernement et à la nourriture des hommes qui arrivent toujours plus nombreux. Tout n'est pas parfait les premiers jours et « on manque même d'eau pour se laver ». Peu à peu, pourtant, les problèmes les plus urgents sont résolus.

L'état-major d'Albacete, composé surtout de Français, agit en relations constantes avec les autorités militaires espagnoles : les Internationaux sont envoyés là où le danger est le plus pressant, sur demande et sur ordre du commandement espagnol. Bien sur, on retrouve à Albacete la dualité de pouvoir, familière dans l'armée populaire, entre commandement militaire et commissariat. Les questions militaires sont du ressort des officiers français, notamment Vital Gayman, le « commandant Vidal », la direction politique est assurée par Di Vittorio, Longo et surtout André Marty. Ce dernier doit ce poste décisif de « meneur d'hommes » à sa carrière de militant et à sa réputation de vieux révolutionnaire. Mais celui qui avait été longtemps le « mutin de la mer Noire », prisonnier sans doute de sa propre légende, devient, pour beaucoup de ses détracteurs, « le boucher d'Albacete » [22]. Même si l'on refuse de croire à ses crimes, il faut bien admettre que ce « vieux grognon au tempérament belliqueux » n'était pas le chef idéal pour une troupe aussi composite. Gayman affirme pourtant qu'il n'est jamais sorti de ses attributions politiques, ne se mêlant ni des nominations d'officiers, ni de la conduite des opérations.

La base cessera rapidement de n'être qu'un centre d'accueil pour les « combattants de la liberté ». Elle devient d'une part centre de mobilisation pour les unités au front ou en voie de constitution, et d'autre part centre d'instruction et direction générale des services. Dans le voisinage s'installent des camps d'instruction, une école militaire pour officiers et commissaires politiques. Les services sont nombreux et divers, puisqu'on y trouve un atelier de réparation pour le matériel, et, plus tard, une fabrique de grenades. Il y aura même pendant un certain temps un parc à bestiaux rempli de bêtes abandonnées après le début de la guerre civile, et ramenées de l'Estrémadure où elles erraient depuis des mois. Plus essentiels cependant sont les services de la poste et des transports. La censure postale d'une correspondance rédigée en une quarantaine de langues pose des problèmes compliqués. Les moyens de transport, presque nuls au début, « trois motos et quelques vieilles voitures », sont améliorés : le parc automobile sera bien entretenu par des volontaires, anciens ouvriers de Renault et de Citroën.

Le service le plus important est celui de la Santé. Il y a, certes, les hôpitaux espagnols, mais ils sont concentrés à Madrid, ce qui cause de réelles difficultés du fait des bombardements de la capitale. L'isolement des blessés internationaux au milieu d'Espagnols que, bien souvent, ils ne comprennent pu, a de fâcheuses conséquences sur leur moral. On leur donne d'abord des salles spéciales dans les hôpitaux madrilènes. Puis on cherche à les rassembler. Dès octobre, six médecins, que dirigeront le docteur Rouquès, puis le docteur Neumann, organisent le service sanitaire des hôpitaux de campagne, des ambulances, des groupes mobiles d'évacuation. La doctoresse Struzelska organise l'hôpital international de Murcie, et quatre centres annexes dans la région. Des centres de repos et de convalescence sont créés. Ambulances et matériel sanitaire viennent de Paris. Les volontaires, pour financer ces réalisations, ont renoncé pour un temps aux deux tiers de leur solde [23].

Organisation des brigades

Nous avons insisté ici seulement sur les problèmes propres aux brigades, leur organisation et les difficultés d'armement étant les mêmes que celles des autres troupes républicaines. Notons simplement qu'il y a eu, à côté des brigades d'infanterie, des groupes d'artillerie internationaux, les batteries Gramsci, Anna Pauker, et Skoda, la plus ancienne.

En ce qui concerne le commandement, il n'y a jamais eu, pas plus d'ailleurs que dans l'ensemble de l'armée républicaine, de distinction parfaitement nette entre le commissaire politique et le commandant d'unité. Le rôle du commissaire est, au début, celui d'un surveillant : il porte un uniforme particulier. L'importance de son rôle a varié selon sa personnalité. Fait remarquable, alors que le commissaire doit initialement se consacrer avant tout aux problèmes humains, particulièrement complexes dans les brigades, il finira par devenir le second du commandant, le déchargeant des questions matérielles, évacuation des blessés, service sanitaire et postal, problèmes de ravitaillement. Vers la fin de la guerre, commissariat politique et commandement finissent presque partout par se confondre, rétablissant ainsi l'unité de commandement des armées classiques, avec plus de netteté d'ailleurs que dans le reste de l'armée républicaine.

Les officiers expérimentés qui encadrent les brigades ont aussi largement contribué à la formation des soldats espagnols, dont nombreux seront finalement ceux qui serviront dans les unités internationales. C'est qu'elles se transforment progressivement, d'abord en s'organisant selon les nécessités du moment et le nombre croissant des volontaires, ensuite parce qu'au contraire les volontaires deviennent de moins en moins nombreux. Dès le début, pour les commodités de l'instruction et du commandement, l'état-major des brigades a Cherché à grouper les combattants d'après leur pays d'origine. C'est ainsi que les bataillons Thälmann et Edgar-André seront formés d'Allemands et de quelques Autrichiens. Le bataillon Garibaldi, un des premiers groupes de combat, qui jouera à Guadalajara un rôle déterminant, est exclusivement composé d'Italiens. Il n'est cependant pas toujours possible de grouper ainsi les combattants, le nombre des ressortissants de certaines nationalités ne permettant pas de composer des unités homogènes. D'autre part les volontaires doivent être incorporés au fur et à mesure de leur arrivée et ne peuvent l'être que dans des unités à l'entraînement. Ainsi le bataillon Gastone-Sozzi comprendra des Italiens et des Polonais. Le 9° bataillon de la 14° brigade est connu sous le nom de « bataillon des neuf nationalités ». L'Italien Pencheniati nous a parlé du bataillon Dimitrov, dont le commandant est le Bulgare Grebenaroff et le commissaire politique l'Allemand Furman [24]. Les difficultés sont plus grandes encore pour les grandes unités, les brigades elles-mêmes étant parfois hâtivement formées pour aller sur le front dans les délais les plus brefs. Ainsi la 12° comprend à sa formation un bataillon allemand, Thülmann, un italien, Garibaldi et le bataillon franco-belge. Ultérieurement, on tentera un regroupement, Thälmann et Edgar-André se retrouvant dans la 11° et la 14° étant presque exclusivement formée de bataillons français. Les lourdes pertes subies dans les premiers combats ont précipité le mouvement, en obligeant l'état-major d'Albacete à une refonte totale. Dès novembre 36, Commune de Paris a perdu l'effectif de deux sections. A Teruel, du 28 au 31 décembre 37, la 12° brigade a perdu la moitié de ses nombres. Des unités disparaissent ainsi : le bataillon Louise-Michel est fondu dans Henri-Vuillemin après les premiers engagements. En tenant compte de ces remaniements, et en s'appuyant sur le tableau des unités internationales établi par l'A.V.E.R. [25], on peut dégager la présence permanente de cinq brigades en 36-37 : la 11°, dont le commandant est Kléber et le commissaire Beimler, la 12°, dont le commandant est Lukacsz et le commissaire Longo-Gallo, la 13° commandée par Zaisser-Gomez, la 14°, par Walter et la 15°, par Gal. Certains des éléments internationaux se fondront directement dans l'armée espagnole, tandis que des recrues espagnoles seront incorporées dans les brigades : selon Longo, cet amalgame s'est révélé nécessaire dès mars 37.

Ainsi apparaît le double rôle des brigades dans l'armée républicaine. Par leur valeur et leur enthousiasme, elles ont constitué une troupe d'élite prête à être engagée dans les combats les plus difficiles. Par leur capacité de résistance et leur combativité, elles ont constitué un exemple, et, à certains égards, une école. Leur petit nombre, pourtant, ne permettra de les engager que sur des fronts restreints. Leurs efforts seront vains, surtout après l'écroulement du Nord. En outre, le grand élan international de 1936-37 pour la défense de la République espagnole ne se renouvellera pas : à partir de 1937, les partis communistes renoncent à la mobilisation au nom de l' « antifascisme ». Reste que les brigades ont existé, que leur rôle a été déterminant dans plusieurs batailles décisives. C'est, entre autres, pour cette raison qu'un homme comme Gustav Regler, après sa rupture avec le parti communiste et l'écroulement des illusions sur lesquelles il avait bâti sa vie de proscrit, peut, encore aujourd'hui, exalter sans réserve le souvenir de la fraternité enthousiaste des Internationaux.

Notes

[1] Ainsi, pour Jesus Hernandez, Staline aurait été capable de décider exactement la date de la chute du gouvernement de Largo Caballero et même, plus tard, celle de la défaite finale.

[2] Significatif à cet égard est le discours prononcé au meeting du Monumental, le 30 octobre 36, par Marcel Rosenberg : « Je n'invite personne à participer à une croisade dirigée contre tel et tel régime, car il serait contraire à notre conception même de la démocratie de vouloir imposer aux autres par la force notre façon de penser. Il s'agit seulement de faire en sorte que les démocraties qui luttent pour la paix se concertent et s'unissent. » Voir également le discours de José Diaz aux Cortes le 1° décembre 1936 (Tres años de Lucha, pp. 227 et sq) et son appel aux « gouvernements démocratiques » de France et d'Angleterre menacés par l'Allemagne et l'Italie qui préparent la guerre mondiale. C'est sur ce même terrain que se place la propagande des P.C. occidentaux : l'Humanité, dès la fin août 36, reprend le mot d'ordre : « Avec l'Espagne, pour la sécurité de la France. »

[3] L'existence de la révolution espagnole, l'aide que lui apporte l'U.R.S.S., seront, en effet, pour bien des militants, d'impérieuses raisons d'accepter dans le silence les sanglantes épurations de Moscou. André Gide a raconté les pressions qui se sont exercées sur lui, au nom des miliciens espagnols, pour empêcher la publication de son Retour de l'U.R.S.S. Des « compagnons de route» comme André Malraux et Louis Fischer justifiaient à l'époque leur silence sur les Procès de Moscou par la nécessité de ne pas briser le front des défenseurs de l'Espagne.

[4] Nous avons suivi ici d'assez près le bilan dressé par Cattell (op. cit.).

[5] La thèse du gouvernement russe est que l'or a été entièrement utilisé pour le ravitaillement et l'armement de l'Espagne. Après la mort de Negrin, et, parait-il, sur ses instructions, sa famille a remis le reçu de cet or au gouvernement de Franco ...

[6] Il est intéressant de noter que Marcel Rosenberg et Antonov-Ovseenko étaient tous deux d'anciens trotskystes. Antonov-Ovseenko, ancien collaborateur de Trotsky, ancien commissaire général de l'armée rouge, avait été l'un des dirigeants de l'Opposition de 1923. Le choix de ces personnalités a soulevé bien des discussions. Staline leur tendait-il un piège ? Cherchait-il à les compromettre tout en les surveillant étroitement ? (On disait à Barcelone qu'Antonov tremblait devant Geroe). Voulait-il mettre à l'épreuve un loyalisme dont il mettait en doute la sincérité ? Fusillé sur l'ordre de Staline, Antonov-Ovseenko a été l'un des premiers communistes réhabilités par Khrouchtchev.

Quant à Stachevski, Krivitsky en fait le véritable responsable de la politique russe en Espagne et affirme que c'est lui qui fit mettre en avant le nom de Negrin comme successeur de Largo Caballero. Alvarez del Vayo confirme les excellents rapports, de Stachevski avec Negrin, facilement explicables du fait que Negrin était en 36 ministre des Finances, et Stachevskl attaché commercial.

[7] Nous avons déjà indiqué, dans le chapitre X de la première partie le considérable rôle politique et probablement militaire joué en Espagne par Michel Koltsov dont aucun adversaire n'a contesté la brillante intelligence. Sa psychologie un peu compliquée de « stalinien lucide » peut se deviner à travers l'autobiographie de Regler, qui lui garde un fidèle attachement, Comme Rosenberg et Antonov-Ovseenko, Koltsov a disparu, liquidé sans jugement dans les grandes purges de 1938. La disparition de son nom de tous les ouvrages officiels a cependant été la seule preuve de sa condamnation par Staline. Lui aussi a été réhabilité par Khrouchtchev, et son Journal d'Espagne réédité : la version officielle de sa mort est aujourd'hui celle de l' « épuisement dû au surmenage ». La mort de Koltsov et de toute l'équipe qui l'accompagnait signifiait, on n'en peut douter, la liquidation de la « ligne antifasciste » si remarquablement exposée dans son livre.

[8] Le secret a été longtemps gardé sur l'identité des officiers russes comme sur les dates exactes de leur séjour. Krivitsky écrit que le véritable chef de la mission russe était le général Berzine, dont l'identité n'était connue que d'une demi-douzaine d'Espagnols, mais n'indique pas son « nom de guerre ». pour 1937, Alvarez del Vayo nomme le général Grigorevitch, Louis Fischer, Barea et nombre d'anciens communistes espagnols insistent sur le rôle joué par le général Goriev. Colodny avait suggéré que Grigorevitch et Goriev pouvaient être les deux pseudonymes d'un même officier, de son vrai nom Berzine.

Une partie du mystère a été levée avec la publication de l'ouvrage collectif des anciens volontaires russes, Pod znamenem Ispansko respubliki. Le général Vladimir Goriev était tout simplement attaché militaire, et c'est bien de lui que nous ont parlé Hernandez, Castro, Fischer et Arturo Barea. Celui-ci l'a décrit « bel homme, grand et fort, avec des pommettes hautes, des yeux bleus glacés, une façade de calme et, derrière, une tension constante ». Il y a Ehrenbourg confirme ce qu'en disait Louis Fischer : Goriev, rappelé à Moscou en 1937, va été fusillé.

Le général Ian Berzine fut bien le premier « responsable des conseillers militaires ». C'était l'ancien responsable des services de renseignement de l'armée. Rappelé, il a également été fusillé (et réhabilité depuis lors), Son successeur fut le général Stern - à ne pas confondre avec le général Kléber, de son vrai nom Manfred Stern - connu sous le nom de Grigorevitch.

Parmi les autres officiers russes, Fischer qui les fréquenta beaucoup cite le colonel Simonov, dit « Valois », conseiller des Brigades ; Nicolas Koutznetzov, dit « Kolia », chef de la mission navale, plus tard amiral et commissaire à la marine, et « Fritz », conseiller de Lister. Il affirme également que le futur maréchal Joukov a combattu à Madrid pendant l'hiver 36-37. Tous sont d'accord pour parler, avec d'ailleurs beaucoup moins de sympathie, du général Kulik, connu sous le nom de « Kupper », et conseiller de Pozas. El Campesino cite Malinovski, le « colonel Malino. », Rokossowski et Koniev. Le général von Thomma a déclaré à Liddell Hart avoir déjà combattu Koniev en Espagne : s'agit-il du tankiste au crâne rasé qui était l'adjoint de Goriev et qu'on retrouve sous les noms divers de Pavlov, Pablo et Konev ? Questions d'Histoire a confirmé la présence de Malinovski, y ajoutant Meretzkov et Rodimtsev, alors « capitaine Pablilto ». Elle précise que le « camarade Douglas », chef des aviateurs, était en réalité le général Smoutchkievitch. Le président Aguirre a gardé un excellent souvenir du général Jansen, qui commandait les aviateurs russes du Nord. Pour les autres officiers généraux, les renseignements concordent : le « colonel Volter », futur maréchal Voronov, le général Mereltzkov, dit « Petrovitch », le colonel Batov - futur général, dit « Fritz Pablo » sont les plus connus.

[9] Regler a été cependant frappé par l'atmosphère de la mission russe : « Plus rien de la suspicion moscovite, les bombardements fascistes faisaient oublier les coups de revolver dans la nuque et les arrestations du Guépéou ... La révolution engendrait la confiance… L'Espagne héroïque donnait à ces hommes des âmes de partisans » (op. cit. pp. 326-327). Il découvre avec stupeur qu'on arrose au champagne le départ d'un ingénieur dont tout le monde sait - Koltsov le lui dira - qu'il est rappelé pour être fusillé. Koltsov lui-même dit couramment : « Si un jour je dois être fusillé ... » (ibid.). Le réseau du N.K.V.D. en Espagne fut, selon Krivitsky, mis en place par Sloutski. Selon Ettore Vanni, le premier responsable en fut Velaiev. Fischer a connu Velaiev et Orlov, tous deux attachés à l'ambassade.

[10] L'intervention du N.K.V.D. en Espagne devait provoquer au sein même de ce corps une crise très grave, dont la rupture de Krivitsky n'est qu'une des manifestations. Avant lui, un des agents les plus importants en Europe occidentale, Ignace Reiss, communiste polonais connu dans le « service » sous le nom de Ludwig, avait rompu publiquement avec Staline pour se rallier à la IV° internationale de Trotsky. C'est lui qui avait prévenu Trotsky, Victor Serge et leurs amis de la décision prise à Moscou d'exterminer en Espagne trotskystes et poumistes. Il sera assassiné au début de septembre 37, près de Lausanne, à la veille d'un rendez-vous en France avec Victor Serge et ses amis. L'enquête devait mettre en cause des communistes étrangers et des fonctionnaires de la mission commerciale russe à Paris, dont Lydia Grosovskaia, qui fut mise en liberté sous caution et en profita pour disparaître.

[11] Tel cet ancien général de l'armée Wrangel, devenu palefrenier en exil, qui s'engage dans les brigades avec l'espoir de mériter son retour au pays, et sert sous les ordres de Walter, son adversaire pendant la guerre civile. Chef de section, il devait trouver la mort au feu.

[12] Notons parmi ces volontaires la présence de Simone Weil dans la colonne Durruti. Sa carrière de milicienne devait d'ailleurs être, très tôt, interrompue par un grave accident.

[13] André Malraux à remarquablement décrit dans L'Espoir les difficultés de sa tache. Elles tiennent, d'abord, à la mauvaise qualité des appareils, « surplus » trop souvent endommagés, mais aussi aux hommes, parmi lesquels s'opposent « volontaires », en grande majorité, et « mercenaires ».

[14] Précisons, à ce propos, que, contrairement à ce qui a été souvent affirmé, même par des anciens des brigades, Tito n'a jamais combattu en Espagne.

[15] Selon Luigi Longo, l'accueil de Largo Caballero aurait été plutôt froid.

[16] Sans doute les journaux français font-ils régulièrement état d'arrestations à la frontière; mais elles sont plutôt symboliques, semble-t-il.

[17] Ces immigrés récents, se sentant étrangers dans leur pays d'adoption, n'avaient souvent retrouvé un cadre de vie que dans le syndicat ou le parti.

[18] Bien des « anciens » des brigades monteront par la suite dans l'appareil de leur parti, ou dans celui de l'État après la victoire du parti. Citons, parmi les dirigeants allemands actuels de la D.D.R., Heinrich Rau et le général Staimer, général de la police. « Richard » en Espagne. Parmi les Hongrois, Laszlo Rajk, qui fut ministre de l'Intérieur dans son pays avant d'être pendu à la suite d'un procès célèbre et qui avait été en Espagne lieutenant et commissaire politique sous le nom de Firtos, le général hongrois Szalvai qui était en Espagne le commandant Tchapaiev, et l'actuel président du Conseil de Hongrie, après la révolution de 56, Ferenc Muennich. Parmi les Polonais, le général Komar, qui, sous le nom de Vacek, commanda un bataillon et devait en 1956 Jouer un rôle décisif à la tête des troupes de sécurité, dans les événements qui allaient ramener Gomulka au pouvoir. Ce sont des anciens des brigades, avec Gosnjak, Rankovitch, Vlahovitch, qui constitueront l'encadrement militaire et politique des partisans yougoslaves. D'autres, Français, formeront le noyau des Francs-Tireurs et Partisans : Rebière, fusillé en 1942, Pierre Georges, lieutenant en Espagne et qui sera le colonel Fabien; Tanguy, commissaire politique, qui sera le colonel Roi; François Vittori, organisateur dans le Front National de l'insurrection de Corse en 1944. Citons également, pour la France, le futur secrétaire du parti communiste, exclu depuis lors, Auguste Lecœur, et le futur sénateur Jean Chaintron (Barthel).

[19] La destitution de Randolfo Pacciardi, « ce grand seigneur républicain » comme dit Regler, et son départ d'Espagne furent aux yeux de bien des combattants, la preuve de la mainmise, désormais déclarée, des communistes sur les brigades. C'est à partir du témoignage de ses propres miliciens et des accusations lancées par eux qu'Antonia Stern a pu affirmer que Hans Beimler était mort assassiné à l'instigation du N.K.V.D. Des documents rassemblés par elle, il ressort que Beimler était effectivement en contact avec des oppositionnels allemands, volontiers critique de la direction et très hostile aux « services spéciaux » : dans ces conditions, l'hypothèse de l'assassinat est loin d'être invraisemblable. Elle n'est pas cependant étayée par de véritables preuves.

[20] Hans Kahle, ancien officier, militant communiste dès 1919; Zaisser, officier passé aux révolutionnaires russes en Ukraine à la tête de ses troupes; tous deux avaient séjourné en Russie et occupé de hautes fonctions dans l'appareil militaire communiste clandestin en Allemagne. Zalka, ancien officier de 14-18, ancien compagnon de Bela Kun dans la révolution hongroise de 1919, avait servi en Chine comme conseiller militaire avec Gallen et Borodine. Jules Dumont, converti sur le tard au communisme, ancien capitaine, avait auparavant servi en Ethiopie contre les troupes du Duce.

[21] L'homme qui a connu la gloire en Espagne sous le nom de général Kléber semble s'être appelé en réalité Manfred Stern. Selon Ypsilon, c'était un ancien officier autrichien, prisonnier en Russie pendant la grande guerre et converti au communisme, militant de l'appareil militaire clandestin en Allemagne, conseiller militaire en Chine en 27, puis commandant des troupes d'Extrême-Orient en 35 contre les Japonais. Cox lui attribue la même biographie, mais en fait un Autrichien naturalisé canadien, venu en Russie en 19 avec le corps expéditionnaire allié. Pacciardi écrit qu'il se dit canadien, mais semble être allemand. Selon Fischer, il aurait été liquidé au cours des purges de Moscou avant-guerre, alors que Colodny en fait le chef des troupes russes qui enfoncèrent la ligne Mannerheim au cours de la guerre russo-finlandaise de 1940. La confusion est évidente avec l'autre genéral, Stern, dit Grigorovitch.

[22] Le volontaire belge Nick Gillain, dans son livre Le Mercenaire, l'accuse d'avoir présidé un Conseil de guerre qui condamne et fait exécuter sans raison - peut-être pour avoir pris contact avec les colonnes de la C.N.T. - un officier français, le commandant Delesalle. Pencheniati l'accuse d'avoir abattu de sa main à Cambrils quatre soldats qui protestaient parce qu'il les couvrait d'injures pour avoir lâché pied. Ernest Hemingway, dans Pour qui sonne le glas, a fait de lui, sous le transparent pseudonyme de Massart un portrait peu flatteur, celui d'une brute soupçonneuse, incapable et autoritaire. Fischer, qui travailla à Albacete sous ses ordres, est au moins aussi sévère. Quant à Regler, Il écrit : « Il dissimulait son incapacité bien pardonnable sous une incurable méfiance. » La vérité sera d'autant plus difficile à établir sur André Marty que les communistes, après son exclusion, s'étaient, à leur tour, joints à ce concert de blâmes.

[23] L'essentiel de ces renseignements est tiré du livre de Longo.

[24] Pour se comprendre, ils sont obligés de parler russe.

[25] Anciens volontaires en Espagne républicaine.

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