1988

" Pendant 43 ans, de ma vie consciente, je suis resté un révolutionnaire; pendant 42 de ces années, j'ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j'avais à recommencer tout, j'essaierai certes d'éviter telle ou telle erreur, mais le cours général de ma vie resterait inchangé " - L. Trotsky.

P. Broué

Trotsky

XII - L'assaut du ciel [1]

Les princes qui gouvernaient le monde en 1917 ont sans doute évalué à sa juste valeur le risque créé par la victoire de la révolution d'Octobre. Son souvenir, en tout cas, n'est pas près de s'effacer de la mémoire des hommes – indépendamment du sort que lui a réservé l'avenir. L'une des raisons essentielles est évidemment que personne, dans l'Histoire, n'avait encore pris d'engagements d'une portée analogue à ceux que les bolcheviks avaient pris à la face du monde en faisant adopter par le deuxième congrès pan-russe des soviets les « décrets » visant à satisfaire les trois revendications de la Paix, de la Terre et du Pain.

Les peuples de Russie, à commencer par les soldats, aspiraient à la paix et l'avaient démontré de mille et une manières. Mais ce n'était pas n'importe quelle paix que les bolcheviks avaient revendiquée au nom des soldats et qu'ils promettaient maintenant aux anciens sujets du tsar. C'était une « paix démocratique », une paix « juste », sans annexions ni sanctions, respectant le droit des nations à disposer d'elles-mêmes. Or il était bien évident que, même au pouvoir dans l'ancien empire du tsar, les bolcheviks ne disposaient nullement des moyens de donner à leurs mandants une telle paix.

Pendant toute la guerre, ils n'avaient cessé d'insister dans leur propagande et leur agitation sur le fait qu'une paix de cette nature ne pourrait jamais être arrachée aux puissances impérialistes belligérantes et qu'il fallait d'abord abattre ces régimes sanglants avant de pouvoir avancer vers la réalisation d'un programme par essence international, ce qui impliquait une révolution victorieuse au moins dans plusieurs pays.

En outre, au cours des semaines de préparation politique de l'insurrection, en réponse à une question mille et mille fois posée, Trotsky n'avait cessé de proclamer que la révolution victorieuse aurait à se défendre par les armes contre ses ennemis impérialistes, à préconiser le « défensisme révolutionnaire », à livrer, pour se défendre, une « guerre révolutionnaire ». Mais les dizaines de millions d'hommes –ouvriers, paysans, soldats, jeunes gens – qui avaient suivi ou précédé les bolcheviks pendant les mois décisifs, attendaient d'eux une paix immédiate. Pouvait-on raisonnablement escompter, dans les conditions concrètes de la guerre en cette fin de 1917, une paix démocratique et juste ? La volonté de paix des soldats russes protégeait-elle éventuellement avec une suffisante efficacité le pays d'une invasion ou d'une intervention étrangère, ou tout simplement de la poursuite de la guerre jusqu'à une paix séparée dont la révolution russe avait ouvert la perspective pour les puissances centrales ? Ces deux contradictions, à elles seules, hypothéquaient déjà, et à très court terme, la réalisation du programme des bolcheviks.

Il en était de même avec la revendication de la Terre. Les paysans russes la voulaient comme leurs frères sous l'uniforme voulaient la paix – et pour des raisons identiques. Ils avaient fait plus d'un pas en ce sens, avaient dans de nombreux cas imposé de force le partage et n'entendaient pas se laisser dépouiller d'une conquête si chère et si âprement disputée. Mieux que les autres, les bolcheviks l'avaient compris, puisqu'ils avaient ratifié, par le décret sur la terre, une politique de partage qui n'était pas la leur. C'était là, bien entendu, une politique à court terme, dont le résultat – ils le savaient – ne pouvait être que la stagnation, voire la régression économique. Aucun dirigeant bolchevique ne doutait alors que la solution socialiste du problème de la terre, conforme au programme des socialistes historiques qu'ils étaient, pût être autre qu'une collectivisation voulue par la majorité des ruraux sur la base de la mécanisation sur une grande échelle de l'agriculture. Mais une telle issue n'était pas moins éloignée dans le temps que ne l'était la « paix juste et démocratique  ». Plus grave peut-être : la révolution agraire, conforme à la volonté des classes paysannes de l'ancien empire, ne répondait pas aux besoins économiques du pays et entrait en contradiction avec les objectifs socialistes de la révolution d'Octobre.

Cette nouvelle politique n'assurait pas non plus d'ailleurs le Pain que les bolcheviks promettaient aussi pour l'immédiat. La rentabilité de 25 millions de petites propriétés paysannes travaillant dans des conditions moyenâgeuses ne permettait pas d'espérer raisonnablement l'amélioration d'un ravitaillement des villes dont la guerre puis la révolution avaient déjà détruit le mécanisme et gravement endommagé les canaux de circulation. La reprise de l'activité industrielle était également compromise dès le départ : les mesures en faveur des ouvriers, et tout particulièrement la mise en place du contrôle ouvrier sur les entreprises, étaient considérées par la classe patronale comme une déclaration de guerre à laquelle elle répondait immédiatement sur le terrain économique avec ses armes propres – retrait des capitaux, lock-out – en d'autres termes fermetures massives, marasme et chômage. Ainsi, les bolcheviks, qui souhaitaient commencer prudemment, en ce domaine, par un contrôle, lequel eût constitué pour les travailleurs un véritable apprentissage, se trouvaient-ils au pied du mur de l'improvisation, ne disposant ni de recettes ni d'outils pour simplement remettre en marche la production industrielle désorganisée par la guerre et la tension excessive de la machine.

Enfin, la question posée par le succès de l'insurrection d'Octobre à Petrograd était celle de l'extension de l'autorité du gouvernement bolchevique – du pouvoir des soviets si l'on préfère – de la seule capitale à l'ensemble du pays.

Bien entendu, les bolcheviks n'étaient ni aveugles ni sourds, et les débats qu'ils menaient entre eux tout en se préparant à agir font apparaître que les problèmes soulevés a posteriori par nombre d'historiens, et, de façon générale, la précarité de leur situation ne leur échappaient nullement. Déjà, dans leur « Lettre sur le moment présent » destinée à combattre les arguments de Lénine en faveur de l'insurrection, Zinoviev et Kamenev avaient rassemblé les arguments qui pouvaient être opposés à la décision de passer à l'insurrection en soulignant qu'elle risquait de mettre en jeu non seulement le destin du parti lui-même, mais, au-delà, celui de la révolution russe et de la révolution internationale pour toute une période historique.

Zinoviev et Kamenev, partant de l'aspiration généralisée et incontestée de la masse des soldats à la paix, avaient signalé très nettement qu'ils ne croyaient pas à la possibilité d'une « guerre révolutionnaire » : les masses ne suivraient pas les bolcheviks si ces derniers, arrivés seuls au pouvoir, se trouvaient obligés de mener une telle guerre contre les Puissances centrales. Ils contestaient de même l'analyse de Lénine selon laquelle la majorité des paysans étaient en train de se ranger derrière les bolcheviks et les soutiendraient dans la voie de l'insurrection... Ils assuraient, de plus, que l'on devait s'attendre, dans le cas d'élections à la Constituante, à un vote massif des paysans en faveur des s.r. Sur la question du ravitaillement, ils s'étaient contentés d'écrire: « Il y a du pain à Petrograd pour deux ou trois jours. Pouvons-nous donner du pain aux insurgés ? » Ainsi ces deux dirigeants bolcheviques avaient-ils exprimé un scepticisme raisonné sur les possibilités d'appliquer le programme de l'insurrection que la majorité du comité central avait décidée, passant outre à leur mise en garde.

Bien entendu, la victoire de l'insurrection avait démenti au moins en partie les prévisions pessimistes de Zinoviev et Kamenev dont la « Lettre sur le moment présent » assurait notamment que la direction de leur parti sous-estimait gravement les forces de la contre-révolution et leur volonté de combattre, et surestimait en revanche le sentiment militant des masses ouvrières de Petrograd. Il n'en restait pas moins que, sur la base d'une analyse différente du rapport des forces et du développement de la révolution, les deux dirigeants opposaient à Lénine une ligne distincte, celle de la « pression », du « revolver sur la tempe de la bourgeoisie », consistant en une combinaison entre Assemblée constituante et soviets qui serait devenue « base politique » d'une victoire réelle du parti bolchevique, obligeant la Constituante à des concessions sous sa pression et celle du bloc qu'il pourrait, dans ces conditions, animer sans s'engager seul au pouvoir.

C'est d'ailleurs cette discussion qui se poursuit au lendemain de l'insurrection à travers une polémique dont nous parlerons plus loin. Les bolcheviks « conciliateurs », qui préconisent alors un « gouvernement socialiste de coalition » à la place du gouvernement purement bolchevique, remettent en cause les résultats de l'insurrection et par conséquent le bien-fondé même de cette dernière. Le 4 novembre 1917 – une semaine après l'insurrection victorieuse –, le point de vue d'une importante fraction de la direction est exprimé dans une déclaration de Noguine, commissaire du peuple et membre de la direction du parti, qui affirme :

« Nous considérons qu'un gouvernement purement bolchevique n'a pas d'autre choix que de se maintenir par la terreur politique. C'est dans cette voie que s'est embarqué le conseil des commissaires du peuple. Nous ne pouvons suivre ce cours qui conduira à la séparation entre les organisations des masses prolétariennes et les dirigeants des affaires politiques, à l'établissement d'un gouvernement irresponsable et à l'anéantissement de la révolution et du pays [2]. »

Peut-on penser que cette prévision s'est révélée juste et que l'histoire a justifié un avertissement [3] dont, tout de même, un certain nombre d'éléments de base n'étaient pas à l'époque perceptibles ? Il ne nous semble pas que cette prédiction ait eu alors plus de solidité et de fondement que celle de Trotsky, en 1904, dans Nos Tâches politiques, sur la genèse de la dictature : le phénomène sociopolitique qu'on appellera le stalinisme repose sur des fondements et connut un développement qui ne peuvent se résumer par de simples analogies structurelles ou formelles.

Il reste que le gouvernement purement bolchevique présidé par Lénine ne pouvait pas ne pas se heurter à des résistances ni renoncer d'avance à l'emploi de la répression contre les menaces de soulèvement et de guerre civile. La « terreur politique » que Noguine redoutait était mise à l'ordre du jour par le cours des événements comme une question concrète incontournable. Et elle était d'abord mise à l'ordre du jour par le rapport de forces dans le pays.

Est-ce vraiment, comme le suggèrent ceux qui fondent leur analyse sur les résultats des élections à l'Assemblée constituante, une minorité de la population, y compris de la population laborieuse, qui a soutenu en octobre et dans les semaines suivantes, la prise du pouvoir par les bolcheviks ? Si tel était le cas, les analyses de Noguine constitueraient une prophétie non seulement facile à formuler, mais indiscutable, ce qui poserait cependant la question des raisons pour lesquelles le régime a connu une telle durée dans les conditions les plus difficiles.

Dans son Histoire de la Révolution russe Trotsky évalue à 25 000 ou 30 000 au plus le nombre de soldats, marins et gardes rouges qui ont participé directement en octobre aux opérations militaires qui ont constitué l'insurrection [4]. Ce chiffre est évidemment loin de soutenir la comparaison avec le raz de marée humain coulant en février dans les grèves de masses et les manifestations de rue. Cela signifie-t-il que la base de la révolution s'était rétrécie au fur et à mesure de son approfondissement ? Le paradoxe serait difficilement explicable. Trotsky répond par avance aux arguments que des adversaires pourraient tirer de ses propres évaluations : il souligne que l'insurrection d'Octobre à Petrograd a constitué en dernière analyse la phase finale du développement de la révolution, avec la réalisation de tâches bien définies et par là même limitées. Il explique que la bataille a été en réalité gagnée au cours de l'étape précédente, pendant laquelle se sont mobilisés pour une action directe « défensive sur la forme, prenant l'offensive au fond », des centaines de milliers de soldats et d'ouvriers. Il semble approcher de très près la vérité quand il écrit :

« En réalité, ce fut le plus grand soulèvement de masses de toute l'Histoire. Les ouvriers n'avaient pas besoin de sortir sur la place pour fusionner : ils constituaient sans cela politiquement, moralement, un ensemble. [...] Ces masses invisibles marchaient plus que jamais au pas des événements. [...] C'est seulement avec de grosses réserves derrière eux que les contingents révolutionnaires pouvaient marcher avec tant d'assurance [5] … »

Il semble bien que, sur ce point, l'Histoire lui ait donné raison : dans les jours qui suivent Octobre, en effet, le pays se rallie de façon majoritaire au pouvoir des soviets, c'est-à-dire au nouveau gouvernement bolchevique. Les bolcheviks ont une nette majorité dans les 20 millions d'électeurs du deuxième congrès pan-russe des soviets. Ils vont recueillir plus de 10 millions de voix aux élections à la Constituante un peu plus tard (23,9 %), dans une élection qui reflète sans aucun doute une situation et un rapport des forces déjà remis en cause. On peut évidemment s'attacher à ce dernier point et minimiser leur position en soulignant qu'ils n'ont pas obtenu la majorité, même relative, aux élections au suffrage universel. En fait, comme l'admet Deutscher, ils ont avec eux « la masse de la classe ouvrière urbaine, les éléments prolétarisés de la paysannerie et une très large portion de l'armée, bref les éléments les plus dynamiques de la population : de la continuité de leur soutien dépendait l'avenir de la révolution [6]  ». Le nombre de suffrages exprimés une seule fois dans un contexte précis ne peut être plus significatif qu'un tel appui social, surtout renouvelé.

Contre les bolcheviks conciliateurs dans leur propre parti, contre les mencheviks et les s.r., contre les commentaires à venir de nombre de spécialistes, Lénine et Trotsky ont pensé, en octobre 1917, qu'ils disposaient dans le pays d'un véritable crédit, d'une base réelle pour trouver une issue dans l'élan de la révolution. Cette base existait, et la Pravda expliquait parfaitement la situation en reparaissant le 26 octobre sous son véritable titre, après des semaines de suspension quand elle écrivait :

« Ils veulent que nous soyons seuls à relever le gant, pour que nous soyons seuls à régler les terribles difficultés qui sont posées au pays... Eh bien, nous prenons le pouvoir tout seuls, nous appuyant sur les suffrages du pays et comptant sur l'aide amicale du prolétariat européen. »

Et le journal bolchevique d'ajouter pourtant aussitôt:

« Ayant pris le pouvoir, nous appliquerons aux ennemis de la Révolution et à ceux qui la sabotent, le gant de fer. Ils ont rêvé de la dictature de Kornilov... Nous leur donnerons la dictature du prolétariat [7]. »

Curieusement, et en dépit de ce que pourraient suggérer ses réflexions d'autrefois sur le « terrorisme » des Jacobins, c'est Trotsky qui est le premier à brandir contre les adversaires du nouveau régime la menace de la Terreur. Le 1°  décembre, à une réunion de l'exécutif des soviets, il menace :

« La Russie est coupée en deux, entre deux camps irréconciliables, celui de la bourgeoisie et celui du prolétariat. [...] Il n'y a rien d'immoral à ce que le prolétariat achève une classe finissante : c'est notre droit. Vous vous indignez de la terreur sans masque que nous appliquons à nos ennemis de classe, mais laissez-moi vous dire que, dans un mois au plus, elle prendra des formes plus effrayantes, copiées sur le modèle de la Grande Révolution française. Ce n'est pas la forteresse, c'est la guillotine qui attend nos ennemis [8]. »

Cette déclaration fait quelque bruit. Elle peut être spectaculairement orchestrée dans une polémique, mais elle n'est qu'une pièce dans un débat plus vaste et plus complexe. L'une des premières décisions des bolcheviks au pouvoir n'a-t-elle pas été, contre l'opinion de Lénine d'ailleurs, l'abolition de la peine de mort ? N'est-ce pas Trotsky en personne qui a fait libérer sur parole les élèves-officiers arrêtés à Petrograd en tentant de résister par les armes à l'insurrection, et même le général Krasnov, qui a tenté de conduire ses troupes sur la capitale au lendemain de l'insurrection ? Et Trotsky n'oublie jamais de le rappeler à l'occasion : les mêmes mencheviks et s.r. qui ont accepté de siéger jusqu'au bout dans des assemblées factices comme le préparlement, n'ont pas hésité à quitter le congrès des soviets quand celui-ci a décidé de revendiquer le pouvoir pour lui. Le refus de reconnaître le pouvoir des soviets était à terme le signal de la lutte armée contre lui.

Faut-il conclure, comme le font aujourd'hui les plus bienveillants des commentateurs, que Lénine et Trotsky, en lançant l'assaut contre le gouvernement provisoire, seraient en définitive tombés dans un piège qui leur aurait été tendu par les socialistes conciliateurs ? Dès 1918, Rosa Luxemburg s'opposait fermement à cette interprétation en écrivant à la fin d'une brochure où elle n'avait pourtant pas manifesté un excès d'indulgence à l'égard des bolcheviks :

« Dans cette dernière période où nous sommes à la veille des batailles décisives dans le monde entier, le problème le plus important du socialisme a été et est encore tout juste la brûlante question du jour: non pas tel ou tel détail de tactique, mais la capacité d'action du prolétariat, la force de l'action des masses, la volonté d'avoir le pouvoir dans le socialisme en général. A cet égard, les Lénine et les Trotsky, avec leurs amis ont été les premiers qui aient devancé le prolétariat mondial par leur exemple : ils sont jusqu'ici les seuls qui puissent s'écrier [...] : « J'ai osé cela ! » [...] Il leur reste le mérite impérissable dans l'Histoire d'avoir pris la tête du prolétariat en conquérant le pouvoir politique et en posant dans la pratique le problème de la réalisation du socialisme [9].  »

Et, de la cellule où elle a été jetée par le gouvernement allemand, dans l'attente de la révolution dont elle ne doute pas qu'elle va lui ouvrir les portes de sa prison, la prisonnière ajoute :

« En Russie, le problème ne pouvait être que posé ; il ne pouvait pas être résolu en Russie. Et c'est en ce sens que l'avenir appartient partout au bolchevisme [10]. »

La militante allemande est sans doute la première qui ait fait apparaître avec autant de netteté que le débat autour de l'opportunité de la révolution d'Octobre recèle en réalité un débat plus profond, sous-jacent à tous les développements révolutionnaires, sur le rapport de la révolution dans un seul pays à la révolution mondiale – et, comme nous allons le voir, le rapport des révolutionnaires à la révolution.

Tout au long de l'année 1917, Trotsky le répète à l'adresse des « conciliateurs » pris de panique devant le déferlement du mouvement des masses et qui rêvent d'arrêter la marée montante : la révolution n'est pas un complot dont quelques personnes, « chefs » ou « révolutionnaires », « meneurs» ou « conspirateurs », tireraient les ficelles et qu'on pourrait déclencher en appuyant sur un bouton et arrêter en serrant les freins. La révolution est le mouvement organique même d'une société, la façon dont elle surmonte ses contradictions. Elle implique des milliers et finalement des millions d'individus, indépendamment des intentions, des déclarations ou des actions des révolutionnaires dont l'unique possibilité d'intervenir est d'y exprimer, de leur mieux, consciemment, le processus inconscient qui met les masses en mouvement.

Selon Trotsky, comme selon tous les marxistes de son temps, c'est l'antagonisme fondamental entre les classes qui constitue par conséquent la force motrice de la lutte entre révolution et contre-révolution, chacune recouvrant un camp de classe. La révolution, se concrétisant par la mobilisation, la mise en marche de millions d'hommes et de femmes, se fraie son chemin à travers les obstacles de toute nature, ébranle la société de bas en haut et de haut en bas, démonétise ou détruit les institutions apparemment les plus stables, affaiblit et met en pièces l'Etat, décompose l'armée, balaie les idées reçues et les préjugés séculaires, fait triompher perspectives et comportements nouveaux, libérant d'immenses réserves d'espoir, d'énergie, de combativité, donnant force matérielle aux aspirations et aux idées, rendant ainsi l'oppression définitivement intolérable. Dans ce cadre, l'insurrection – en l'occurrence celle d'Octobre – est l'opération chirurgicale qui couronne de façon à la fois organisée et consciente le développement organique et inconscient de la révolution : l'insurrection n'a de sens que parce qu'elle est l'aboutissement, le prolongement, la pointe aiguisée de la révolution, parce qu'elle va dans le sens de son triomphe, portée par elle et l'aide à aboutir.

Celui qui veut œuvrer à la victoire de la révolution – et tel est en principe le désir de tout socialiste de cette époque – ne peut que chercher à lui frayer un chemin, à l'aider à surmonter et détruire les obstacles, à la conduire jusqu'à sa victoire à travers l'insurrection qui trace le trait définitif, proclame l'ordre nouveau après la destruction de l'ancien. Que peut faire celui qui est opposé non seulement à l'insurrection, mais à la révolution elle-même, quels que soient les motifs qui l'inspirent ? Peut-on arrêter la révolution par des discours et des appels, des arguments de raison et de patience ? C'est là, au fond, ce que les partis conciliateurs –mencheviks et s.r. –, pour des raisons qu'ils ne dissimulaient pas, ont tenté de faire depuis la révolution de Février et sans grand succès. La révolution, dont la force physique et matérielle balaie les obstacles sur sa route – l'expérience le démontre – ne peut être arrêtée que par une force matérielle, l'usage des armes et de la violence, la guerre civile, en d'autres termes la contre-révolution armée – sous quelque couverture idéologique que ce soit. Trotsky l'a répété sous toutes ses formes, tout au long des mois précédant l'insurrection, à ses anciens amis « conciliateurs » qu'il ne désespère jamais de convaincre : dans l'opposition entre les classes fondamentales, en période de crise révolutionnaire, il n'y a ni « juste milieu » ni position de neutralité possible. En revanche – et c'est la loi qui régit le sort des modérés et fait dire aux conteurs que « la révolution dévore ses enfants» –, la logique de toute tentative d'arrêter la révolution a conduit tout droit ses défenseurs – quelles que soient la qualité et l'intégrité de tel ou tel – dans les rangs de la contre-révolution, laquelle, en période de guerre civile, ne peut être, au bout du compte, que le bras armé de la soldatesque la plus brutale, de la réaction noire ; la guerre civile de Russie en sera une claire illustration.

La question posée dans le débat d'octobre-novembre 1917 entre bolcheviks autour de l'insurrection serait-elle donc en quelque sorte la réfraction d'un autre débat non moins capital : celui sur les chances de la révolution russe de se développer à court terme en révolution européenne ? C'est un débat déjà terriblement faussé à partir du moment où il est mené un demi-siècle plus tard et où les intervenants ont sur les acteurs historiques l'énorme avantage apparent de connaître « la suite ». A fortiori, lorsqu'il est mené par des historiens dont on connaît la propension à valoriser le fait accompli et à le justifier au lieu de l'expliquer, au détriment des possibles qui ne se sont pas concrétisés.

Il nous faut donc maintenant nous poser la question de savoir quels étaient, en dehors de l'analyse générale de la crise du capitalisme, les éléments qui pouvaient alors conforter Lénine et Trotsky dans une analyse dont la perspective de la révolution européenne était évidemment la poutre maîtresse ?

Le premier de ces éléments était évidemment la révolution russe elle-même. Tous deux, en des termes différents, l'avaient, nous l'avons vu, prévue depuis 1905 en tant que « seconde révolution russe ». Trotsky l'avait, depuis, constamment envisagée comme la première étape de la révolution européenne, ce qu'il avait brillamment exposé dans Bilan et Perspectives. Ses prévisions s'étaient donc réalisées et particulièrement dans leur partie la plus fragile, leur pronostic le plus aléatoire : en s'emparant du pouvoir à Pétrograd, les bolcheviks, suivant l'expression de Rosa Luxemburg, avaient « pris la tête du prolétariat mondial » et assuré une avance formidable sur la voie qui menait inéluctablement à la révolution européenne.

Peut-on examiner la situation européenne en général et allemande en particulier de façon empirique, en faisant le décompte des éléments et tendances qui pèsent dans la direction de telle ou telle conclusion ? Il semble bien que non. Les bolcheviks, par exemple, voient, dans l'organisation, au sein de la marine de guerre allemande, d'un réseau clandestin se fixant des objectifs d'action pour la paix, la preuve de la montée des masses et de la recherche d'organismes autonomes pouvant exprimer les revendications et la poussée que les appareils traditionnels combattent. Nombre d'historiens voient, au contraire, une classe ouvrière allemande d'abord partie prenante dans l'enthousiasme guerrier, puis laminée par la guerre et la répression et surtout prisonnière de la politique de collaboration de classes de ses dirigeants traditionnels, parti et syndicats. Personne ne nie, bien entendu, la possibilité du développement en Allemagne de courants, voire d'organisations conséquentes d'opposition à la guerre. A la fin 1917 pourtant, l'observateur relève que les têtes d'une éventuelle révolution, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, sont en prison, que les réseaux clandestins ont été décimés après les mouvements de grève d'avril, qu'aucune action de masse ne semble s'annoncer.

L'argument est très faible. Qui, en effet, aurait pu prédire, en novembre 1916, à Lénine au travail dans une bibliothèque de Zürich, ou à Trotsky errant en Espagne, flanqué de ses « mouchards », qu'ils se trouveraient portés au pouvoir une année plus tard par une insurrection victorieuse à Pétrograd ? C'était pourtant cet invraisemblable – plus invraisemblable que tout, et notamment qu'une révolution allemande en 1918 – qui s'était réalisé. Dès l'année suivante, Trotsky, devenu chef des armées, allait retrouver dans son bureau, arrêté comme espion, le fonctionnaire Charles Faux-Pas-Bidet, qui avait, deux ans auparavant, « machiné » son expulsion de France [11]...

Mais le principal argument, celui qui pèse le plus lourd, dans l'appréciation que portent Lénine et Trotsky en faveur de la révolution allemande est la tradition de la classe ouvrière. Bien que la révolution ait débuté en Russie et que celle-ci ait été le premier théâtre d'une victoire prolétarienne, ni Lénine ni Trotsky ne remettaient en question l'importance décisive du poids spécifique d'un prolétariat moderne et instruit dans la société allemande, trempé par son passage par la « vieille école » de la formation social-démocrate à travers le parti qui avait été à leurs yeux le modèle pendant des années. Conscients de la dégénérescence du Parti social-démocrate sous le poids de l'opportunisme de ses dirigeants qui l'avaient, au moment décisif, mis à la remorque des classes dirigeantes en en faisant une force auxiliaire de l'Union sacrée, ils n'en étaient pas moins convaincus de la vitalité des traditions de classe, prolétariennes, de la conscience socialiste, plus développées en Allemagne que partout ailleurs. Pour eux, l'explosion au grand jour de la crise de la société allemande, la crise révolutionnaire inévitable en Allemagne allaient en faire des facteurs décisifs pour la victoire. Ni l'un ni l'autre n'ont jamais douté pendant la guerre que le prolétariat allemand trouvait son expression historique dans les figures de Liebknecht et de Luxemburg. La faiblesse des groupes clandestins rassemblés à leur initiative, la sévérité de la répression leur paraissaient des traits communs avec la situation en Russie dans la période précédant la révolution. Il y avait en outre la guerre, le grand accélérateur commun, qui ne pouvait pas ne pas mettre en marche les foules qu'elle frappait si durement, commençant par les pays les plus faibles pour s'étendre finalement aux plus forts.

L'ultime argument des Lénine et des Trotsky qui édifiaient leur politique sur la base de l'inéluctabilité de la révolution allemande et européenne, reposait sur l'exemplarité ou, si l'on préfère, sur la valeur d'entraînement de la révolution russe. On se retrouve ici au cœur du débat.

L'un des arguments les plus forts en faveur de l'insurrection d'Octobre et des perspectives des révolutionnaires résidait précisément dans le fait qu'en dépit des sceptiques et des faibles chances qu'on lui avait généralement attribuées, elle avait finalement rencontré le succès. La révolution d'Octobre attestait qu'au moins pour un temps un « impossible » avait été réalisé : les bolcheviks, en prenant le pouvoir dans un pays arriéré, à majorité rurale écrasante, avec un prolétariat proportionnellement numériquement faible et politiquement jeune, avaient remporté la victoire dans le cas de figure où ce développement paraissait le plus invraisemblable. Les émigrés qui usaient depuis des années leurs redingotes sur les chaises des bibliothèques d'Occident venaient d'être portés au pouvoir par l'élan des masses qui les avaient ignorés pendant des dizaines d'années et n'avaient commencé à connaître leurs noms que quand ils avaient été qualifiés d'espions et d'agents allemands. Comment douter, dans ces conditions, que la tâche des révolutionnaires des pays avancés d'Occident en serait facilitée ?

La tentative même et a fortiori la victoire d'Octobre, parce qu'elle élargissait de façon presque démesurée le champ du possible, étaient pour les révolutionnaires d'Occident exemple en même temps qu'assurance, encouragement en même temps que directive. C'est ce que Rosa Luxemburg exprimait quand elle mettait à l'actif de la révolution russe la « volonté » de combattre et de s'emparer du pouvoir. L'insurrection d'Octobre était en elle-même mobilisation, appel au combat, première offensive. Elle devait être d'autant plus entendue qu'elle avait abouti.

Nous n'aborderons que dans les chapitres suivants la question de la révolution européenne et de l'isolement final de la révolution dans les limites – par-dessus le marché singulièrement rétrécies – de l'ancien empire du tsar. Mais nous avons dû mentionner ici les problèmes de la révolution internationale, parce que cette dernière constitue, en 1917, l'objectif essentiel de Trotsky comme de Lénine à travers l'insurrection d'Octobre. Or cet élément capital de toute appréciation de la politique des bolcheviks est généralement passé sous silence ou sommairement écarté par la plupart des discussions autour d'Octobre, mentionné dans le meilleur des cas comme une « illusion » qui aurait précisément faussé les calculs et dévoyé les perspectives, transformant l'insurrection d'Octobre en la spectaculaire manifestation d'une sanglante utopie : en s'emparant du pouvoir seuls, dans un pays arriéré et à bien des égards encore en plein Moyen Age, les bolcheviks se seraient eux-mêmes condamnés à ce qui fut le déroulement des années suivantes dans le pays de la victoire révolutionnaire, et la dictature stalinienne aurait été le fruit monstrueux d'une entreprise contre nature...

Nous ne pouvons suivre ces raisonnements qui relèvent également en dernière analyse de ce que nous avons appelé l'adoration du fait accompli. Les historiens qui écrivent aujourd'hui, dans les années quatre-vingts, savent depuis longtemps – au moins dans les grandes lignes – ce qui s'est passé et ce qui ne s'est pas passé en Europe au début des années vingt. Mais c'est faire vraiment bon marché de la richesse et des contradictions, de l'infini des virtualités de l'histoire humaine, et se comporter plus en idéologue qu'en chercheur que d'étayer un jugement sur la politique de Lénine et de Trotsky en 1917 à partir de l'histoire des années 1918-1923 en Europe. Et ne faudrait-il pas, dans ces conditions, ouvrir de nouveau le dossier des autres révolutions – celles qui se sont vraiment produites, en Europe centrale, par exemple, à cette époque –, ou celles du passé, notamment de cette année 1793 où les jacobins introduisirent dans la constitution un suffrage universel qui allait mettre plus d'un siècle à s'inscrire dans la réalité ?

Sans vouloir ouvrir ici un procès contre des méthodes de plus en plus répandues dans la démarche de généralisation en histoire, ne peut-on tout de même signaler que cette discrimination n'apparaît guère innocente ? Que, selon cette conception, la décision d'insurrection constitue une « erreur » et la croyance en la révolution européenne une « illusion », alors que la victoire de la contre-révolution en Europe est, elle, dotée de toutes les qualités de l'accompli, du réel et du raisonnable ? En d'autres termes, cette histoire-là, qui se proclame « objective », est en réalité très partisane, puisqu'elle aboutit inéluctablement à justifier des conceptions conservatrices ou, au mieux, prudemment réformistes, et condamne toujours la révolution comme une « utopie » ou une « aventure ».

Nous ne mentionnerons ici que pour mémoire la question du pouvoir soviétique : pouvoir mis sur pied par les masses qui s'y incarnent, État sans armée permanente, sans police ni bureaucratie, « État à bon marché », écrit Lénine, à la veille de l'insurrection, dans L'Etat et la Révolution, où il reprend les thèmes, longtemps négligés, de Marx et Engels sur le dépérissement de l'Etat, le passage du gouvernement des hommes à l'administration des choses. La majorité des commentateurs académiques d'aujourd'hui ne prennent même pas la peine d'examiner sérieusement dans quelle mesure les organes soviétiques peuvent à cette époque – et pendant combien de temps – refléter ces orientations et de quelle manière, bref quelle est alors la réalité de la démocratie soviétique, de la pluralité des partis intervenant à l'intérieur des soviets, de la conviction des partisans du pouvoir soviétique que ce dernier apportait aux masses ouvrières et paysannes de Russie plus de liberté, de droits et de dignité – une conviction qui reposait autant sur la réalité du moment que sur leur démarche théorique.

Nous ne voyons pas non plus l'intérêt de suivre Isaac Deutscher, alors même qu'il se fait l'avocat des inspirateurs et dirigeants d'Octobre, quand il assure qu'initialement « la démocratie plébéienne des soviets ne se pensait pas comme un Etat monolithique ou totalitaire [12] ». Cette remarque est certainement exacte, mais elle souffre d'une anachronisme évident dans la mesure où, sous la forme de « l'Etat monolithique ou totalitaire », elle introduit dans le débat de 1917 ce que nous avons appelé « la suite », à savoir le stalinisme.

Nous ne suivrons pas non plus ceux qui assurent que la république soviétique a entamé sa première année d'existence sous le signe du pillage de l'alcool dans les caves et des gigantesques saouleries, « bacchanales démentes », comme écrit Antonov-Ovseenko [13]. L'effet littéraire est sans doute impressionnant, mais ce n'est rien de plus. De telles orgies reflétaient en effet le passé et l'arriération de la société russe, la volonté de provoquer de la part de ses derniers défenseurs, comme la détermination d'une certaine pègre de « brûler la révolution au feu de l'alcool [14]  ».

Pourquoi placer le début du régime soviétique sous le signe de cette orgie ? Pourquoi ne pas le placer au contraire sous le signe inverse et non moins réel de l'initiative prise par une poignée de militants bolcheviques, autour du marin Markine, de protéger et, en cas d'impossibilité, de détruire les stocks d'alcool ? Pourquoi préférer le spectacle hallucinant des beuveries géantes, près des palais, au tableau tracé par Trotsky dans un passage célèbre de Ma Vie, le vin et les alcools coulant par les ruisseaux vers la Neva, et Markine, revolver au poing, combattant « pour la lucidité d'Octobre [15] » ?

Car cet épisode est déjà en lui-même un moment de la guerre civile, le signe annonciateur de la résistance acharnée du Vieux Monde. Historiquement, l'insurrection d'Octobre constitue en effet une césure : elle tranche, dessinant une ligne de clivage nette entre ses partisans et ses adversaires, une ligne qui sera désormais, qu'on le veuille ou non, celle de la révolution et de la contre-révolution, des rouges et des blancs. Elle est en ce sens le signal d'une guerre civile qui avait déjà traîné depuis plusieurs mois dans le cadre de l'ancien empire, allait traîner encore plusieurs mois dans celui de la nouvelle république des soviets, pour s'embraser finalement, avec l'intervention directe et indirecte des grandes puissances, mêlant ainsi inextricablement guerre impérialiste et guerre civile, et une guerre civile réellement internationale. Certains arguments dans les débats historiographiques contemporains ne sont au fond que l'écho déformé de ceux au moyen desquels les uns et les autres se préparaient alors à la guerre civile en lui fabriquant des justifications. N'est-il pas plus loyal de l'admettre franchement ? Pour l'historien qui veut à tout prix se faire « juge » tout en s'affirmant « objectif », ne serait-il pas plus fécond, quand il s'agit de « juger» les acteurs de 1917, de s'en tenir à la situation telle qu'elle apparaissait à cette date et non telle qu'elle peut apparaître, après plus d'un demi-siècle de développements historiques, qui ne peuvent être sérieusement abordés dans le cadre d'une étude sur 1917 ?

C'est en tout cas l'attitude qui s'impose pour l'historien qui a entrepris d'écrire la biographie de Trotsky. Comment ne pas devenir le conteur d'une histoire de fou dite à des idiots, si l'on trouve absurde que ce dernier, depuis des années, ne concevait la révolution qu'internationale et n'attendait de sa victoire en Russie que le signal de son extension à l'échelle mondiale ? Comment ne pas se faire, a priori, procureur ou psychiatre si l'on cherche à retracer la vie de cet homme en tournant systématiquement en dérision l'objectif qu'il a poursuivi consciemment tout au long de sa vie et dans ses tournants les plus décisifs ?

Références

[1] Ce chapitre, conclusion de la première partie, est appuyé sur l'ensemble des travaux utilisés dans les chapitres précédents.

[2] B.R.D.O., p. 198.

[3] Deutscher, op. cit., I, p. 442.

[4] Trotsky, H.R.R., t. IV, p. 401.

[5] Ibidem, p. 318.

[6] Deutscher, op. cit., I, p. 423.

[7] Pravda, 26 octobre 1917.

[8] Compte rendu cité dans Keep, The Debate on Soviet Power, p. 177.

[9] Rosa Luxemburg, La Révolution russe, éd. 1964, pp. 70-71.

[10] Ibidem, p. 71.

[11] M.V., II, pp. 127-128.

[12] Deutscher, op. cit.,  p. 422.

[13] V.A. Antonov-Ovseenko, Zapiski o Gajdanskoj Vojne, I, pp. 19-20.

[14] M.V., II, p. 167.

[15] Ibidem, pp. 167-168.

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