1965

 

Jacques Droz

L’Internationale Ouvrière de 1864 à 1920

VII. La dissolution de la Première Internationale

1965

LA DISSOLUTION DE LA PREMIERE INTERNATIONALE

La crise au sein de la Première Internationale est venue beaucoup moins des conséquences de la Commune, de la répression qui s’est développée dans les Etats européens, que de la division idéologique qui touchait essentiellement les buts de l’Internationale, les méthodes de la révolution sociale et l’organisation même de l’A.I.T. C’est en somme la continuation du conflit qui avait opposé Marx et Bakounine. Ce conflit, à l’époque où l’on est arrivé, c’est-à-dire en 1870-1871, a été considérablement aggravé par ce que l’on appelle l’affaire Netchaïev, affaire d’ailleurs obscure et qui a provoqué à l’époque une très grosse émotion dans les milieux révolutionnaires.

Ce Netchaïev était un révolutionnaire russe qui était venu à Genève en 1869 et avait collaboré (sans que les historiens soient absolument d’accord sur le rôle de chacun des deux auteurs) avec Bakounine à la rédaction d’un Catéchisme Révolutionnaire. La thèse qui est développée dans cet ouvrage et que Netchaïev a fait sienne, c’est que tout était permis aux révolutionnaires : la fin sanctifie les moyens. Netchaïev d’ailleurs a mis en pratique ces idées. Retourné en Russie, il organisa une société secrète, un plan de conspiration contre le gouvernement tsariste, et au cours de ces événements il mit à mort personnellement un de ses camarades, le révolutionnaire Ivanof, qui avait refusé de le suivre. Après ce meurtre il s’était enfui à l’étranger et il vécut de nouveau en Suisse dans l’entourage de Bakounine. Or les excès de la thèse développée par Netchaïev, ses actes même, avaient été constamment couverts par Bakounine, jusqu’au jour d’ailleurs où les deux hommes se brouillèrent, mais plus tard. Il était évident aux yeux de Marx que si l’on voulait que l’Internationale continuât à vivre, il fallait se libérer du bakouninisme, il fallait que l’Internationale ne pût être soupçonnée d’être le paravent, l’inspiration des méthodes de Netchaïev. La lutte contre Bakounine devenait dans ces conditions, pour le Conseil Général et pour Marx, une question de vie ou de mort. Le conflit opposant les deux tendances marxiste et bakouniniste va se développer jusqu’au congrès de la Haye, en 1872, qui va porter un coup très grave à l’Internationale.

Dans l’impossibilité où se trouve, par suite des événements internationaux, l’A.I.T. de réunir un congrès en 1871 (congrès qui avait été primitivement prévu à Mayence), le Conseil Général décida de convoquer une conférence à Londres en septembre 1871. En fait, le nombre des participants était extrêmement réduit. Il n’y eut que 23 présents dont 13 membres du Conseil Général. C’est dire qu’à cette conférence de Londres Marx avait une majorité absolue. Il continuait en effet à exercer une influence prépondérante sur les très nombreux émigrés politiques qui vivaient à Londres et qui constituaient l’élément le plus important de l’Internationale. A la conférence de Londres il n’y eut que quatre opposants sur les vingt-trois présents, dont le français Bastelica qui représentait l’Internationale à Marseille et l’espagnol Laurenzo, tandis que le Belge César de Paepe s’efforçait d’être un instrument de conciliation entre les deux tendances. Marx, qui disposait d’une majorité assurée à Londres, profita de cette situation pour faire voter par la conférence de Londres un certain nombre de thèses qui lui étaient chères, à savoir ses thèses sur l’action politique de la classe ouvrière, insistant sur la nécessité de la constitution de partis politiques : " La constitution du prolétariat en partis est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et son but suprême, l’abolition des classes ". A côté de cela il fit voter par la conférence de Londres un paragraphe prévoyant la nécessité de poursuivre une action politique et économique indissolublement unie. D’autre part l’attitude de la Fédération jurassienne fut sévèrement condamnée. On voit par conséquent que la conférence de Londres était absolument dans la lignée marxiste.

Mais elle va soulever au sein de l’A.I.T. de très vives protestations parmi les groupes bakouninistes, qui vont se manifester dans deux congrès principalement.

Le premier est le congrès de Sonvillier, village du Jura où se réunit la Fédération jurassienne sous la présidence de James Guillaume en novembre 1871. Au cours de cette conférence de Sonvillier les pouvoirs du Conseil Général furent discutés, son autorité fut mise en doute. Il était accusé de se considérer comme le chef légitime de l’Internationale, et on accusait Marx d’avoir truqué les mandats. Marx est accusé d’avoir fait prédominer une doctrine personnelle, de faire prévaloir dans l’A.I.T. une orthodoxie dont les apôtres sont les membres du Conseil Général et les secrétaires correspondants, manoeuvrés par lui. A ce régime le congrès de Sonvillier oppose le principe de l’indépendance des sections par rapport au Conseil Général, celui-ci devant être ramené au rôle d’un simple bureau de correspondance et de statistique. En prenant parti pour l’autonomie des sections, Bakounine s’attirait des groupes qui n’étaient pas précisément anarchistes (c’était le cas en particulier pour les Suisses de la Fédération jurassienne), mais qui le suivaient dans l’idée d’une réorganisation décentralisée de l’A.I.T.

Le second congrès fut celui de Rimini en Italie, en août 1872, où se réunirent un certain nombre d’Italiens favorables à Bakounine, en particulier Cafiero et Andrea Costa. C’est à ce congrès de Rimini que fut constituée la fédération italienne de l’Internationale qui alla encore beaucoup plus loin que la fédération jurassienne puisqu’elle décida de rompre complètement avec le Conseil Général dont l’autoritarisme était de nouveau dénoncé. C’est à Rimini également que l’on demanda le boycottage du Conseil Général jusqu’à un prochain congrès annoncé pour La Haye en 1872. Donc la fédération italienne cessait de reconnaître l’autorité du Conseil Général. Ce point de vue italien fut adopté également par le journal espagnol La Federacion (La Fédération) qui se demandait si une séparation en deux camps ne serait pas préférable à une lutte sourde perpétuelle.

On voit par conséquent qu’avec les congrès de Sonvillier et de Rimini l’autorité du Conseil Général sur l’A.I.T. est déjà fortement ébranlée.

Pendant ce temps, les polémiques se continuent avec une extrême violence entre Bakounine et Marx. Bakounine multiplie les attaques contre Marx et le Conseil Général, Marx étant accusé de faire de l’A.I.T. l’instrument de sa propre politique, étant même représenté comme un agent pan-germaniste au service de la politique bismarckienne. De leur côté Marx et Engels rejettent ces accusations et publient une brochure extrêmement importante pour l’histoire de l’Internationale, Les Prétendues Scissions de l’Internationale, dans laquelle ils justifient le travail du Conseil Général, montrent la volonté de Bakounine de désorganiser en fait l’A.I.T. et combattent l’idée de l’autonomie des sections.

Il n’est pas étonnant que dans ces conditions l’on ait attendu avec beaucoup d’impatience le congrès qui devait se tenir en septembre 1872 à La Haye et où furent représentés tous les pays ayant des sections de l’Internationale, sauf les Italiens qui avaient boycotté le congrès. A vrai dire, au congrès de La Haye, où Marx fut présent (c’est le seul congrès de l’Internationale où il ait été personnellement sur les lieux), malgré les attaques très violentes qui furent adressées au Conseil Général, en particulier venant de James Guillaume et d’un certain nombre d’Espagnols bakouniniens, le Conseil Général continuait à disposer d’une très solide majorité. Et c’est par 36 voix contre 6 et 15 abstentions qu’il fut dans sa forme présente renouvelé dans ses fonctions. Bakounine et Guillaume furent, au cours de ce congrès, exclus de l’A.I.T. à la suite de la déposition d’un rapport sur l’activité de cette fameuse alliance que, on le sait, Bakounine avait dissoute, mais que Marx et le Conseil Général prétendaient être clandestinement reconstituée. Mais à la suite de ces succès qui marquaient la position encore extrêmement forte de Marx au sein du congrès, Marx fit au congrès une proposition qui était de nature à l’étonner profondément, à savoir de transporter le Conseil Général de l’A.I.T. de Londres à New-York. L’idée du transfert, à la suite d’ailleurs d’une très longue discussion, fut adoptée, malgré l’opposition d’un certain nombre de bakouninistes, par 26 voix contre 23 et 9 abstentions.

La question se pose de savoir pourquoi Marx a demandé à ce moment-là le transfert du Conseil Général de Londres à New York. Marx a exposé les raisons de sa décision dans un discours qu’il a prononcé le lendemain au congrès de la section hollandaise de l’A.I.T. à Amsterdam. Les raisons avancées par Marx ont été les suivantes : il estimait qu’en 1872 l’Internationale était trop profondément divisée pour pouvoir continuer utilement son oeuvre. Les bakouninistes, constatait-il, dominaient en fait la Suisse jurassienne, l’Italie et l’Espagne. Ils étaient sur le point, s’ils ne l’avaient pas fait encore, d’emporter les sections belges et hollandaises qui sans doute n’étaient pas anarchisantes, mais étaient favorables au principe de l’autonomie des sections. Quant aux Français (c’étaient essentiellement les émigrés français de la Commune, ceux qui avaient pu fuir Paris et s’étaient réfugiés à Londres), et le plus influent d’entre eux était Edouard Vaillant, ils étaient presque tous blanquistes ; mais il n’ignorait pas leur hostilité à ses idées, désapprouvant ce qu’il appelait " l’émeutisme " des blanquistes et leur goût des barricades. Par conséquent si Marx s’était servi des votes blanquistes contre les bakouninistes, il savait très bien que les blanquistes avaient au fond une idéologie qui lui était opposée. D’autre part, ceux qui restaient des membres anglais de l’Internationale (ils étaient maintenant très peu nombreux) n’étaient pas anarchisants, mais étaient hostiles également aux conceptions politiques de Marx, puisque favorables, comme on sait, aux conceptions tradeunionistes. Dans ces conditions, sur qui pouvait compter Marx ? Il pouvait évidemment compter sur les socialistes allemands, sur les membres de la sociale démocratie, et en plus sur un certain nombre de socialistes autrichiens et de la Suisse allemande. Mais en Allemagne même le parti social-démocrate, qui était de tendance très nettement marxiste, était tellement retenu par les affaires intérieures d’organisation, par le péril que constituait pour lui l’administration impériale, qu’il ne pouvait pas consacrer de temps aux problèmes internationaux : si bien qu’Engels a déclaré que l’appui des sociaux-démocrates allemands était seulement platonique. On voit par conséquent que si l’on excepte le groupe d’émigrés qui vivaient à Londres et sur lesquels Marx exerçait une influence personnelle extrêmement forte (par exemple sur les émigrés polonais), Marx n’avait plus dans les pays étrangers d’appui sérieux. Il n’était plus possible dans ces conditions d’imposer une doctrine commune aux sections nationales qui se conduisent avec de plus en plus d’indépendance. C’est pourquoi Marx estima qu’il était préférable de détruire l’Internationale (tout au moins sous la forme où elle existait en 1872) de ses propres mains plutôt que de la laisser tomber un jour ou l’autre aux mains de ses ennemis dont il prévoyait le triomphe à plus ou moins logue échéance. Il faut dire aussi que Marx était personnellement fatigué par le poids extrêmement lourd pour lui de l’administration de l’Internationale et qu’il voulait avant de mourir terminer son travail sur Le Capital.

La question se pose de savoir si, en transportant le siège du Conseil Général à New-York, Marx ne pensait pas redonner à l’Internationale une nouvelle vie. Marx pensait en effet que le mouvement ouvrier aux Etats-Unis, en plein développement, constituerait pour l’Internationale un appui précieux. De fait, il y avait eu au cours des années précédentes un très grand développement de l’Internationale aux Etats-Unis. En novembre 1870 il y avait eu une manifestation extrêmement importante dirigée par l’Internationale à New-York contre la guerre franco-prussienne Les sections aux Etats-Unis, d’abord constituées presque uniquement par des ouvriers allemands, mais auxquelles s’étaient adjointes quelques sections irlandaises, françaises et tchèques, étaient au nombre de 27 au moment où l’Internationale a eu un entier rayonnement. Le chiffre de ses adhérents est d’ailleurs extrêmement difficile à préciser, sans doute un millier. Ces sections américaines étaient divisées entre des sections prolétariennes et des sections intellectuelles, ces dernières subissant l’influence très nette de Bakounine. C’était le cas en particulier pour la section 12 dirigée par deux femmes. Victoria et Tennessee Woodhull, que l’on présente dans la littérature de cette époque comme étant d’une ensorcelante beauté et qui se livraient à la pratique du spiritisme et de l’occultisme. Dans leur riche demeure de Wall Street, fréquentée par un très grand nombre d’intellectuels américains anarchisants, on parlait surtout de nourriture végétarienne, de socialisme, d’amour libre, de contrôle des naissances, du vote des femmes. Ces deux demoiselles éditaient une revue le Weekly, où fut imprimée la première traduction en anglais du Manifeste Communiste. Lors du congrès de la Haye en 1872, la question de la section 12 fit grand bruit. L’attitude des demoiselles Woodhull fut défendue avec talent d’ailleurs, par le délégué de la section William West qui fit un éloge brillant du féminisme : " Que Misses Woodhull et d’autres soient des spirites et des partisans de l’amour libre, peut-on l’interdire? Peut-on commander l’amour là où il n’y en a point ? " Malgré cette plaidoirie habile le mandat de West fut invalidé. On voit par conséquent qu’il y avait des tendances très diverses au sein des sections américaines de l’Internationale. Et la personnalité qui était chargée de s’occuper de ces sections, Sorge, était fort inquiète et sans illusion sur l’appui qu’elles pourraient apporter à l’Internationale.

Ce qu’il faut retenir de tout cela c’est l’évolution même du monde ouvrier et l’importance grandissante des partis et des syndicats qui, agissant sur le plan national, ont été de moins en moins favorables à l’action de l’Internationale. La décision du congrès de la Haye, en 1872, de transporter le Conseil Général de Londres à New-York a été pour l’A.I.T. le coup de grâce, une véritable liquidation. Au lendemain en effet du congrès de La Haye les bakouninistes anti-autoritaires au nom de cinq fédérations tinrent un congrès en Suisse, à Saint-Imier, sous la présidence d’Andrea Costa, le délégué italien, et de Bakounine lui-même. Le congrès de Saint-Imier repoussa les décisions de La Haye et prétendit être dorénavant le représentant officiel de l’Internationale. Cette Internationale dissidente et antiautoritaire créée à Saint-Imier fut rejointe (et ceci confirmait les pronostics de Marx) par la plupart des associations européennes, sauf toutefois par l’allemande. Elle réunit un nouveau congrès à Genève, en septembre 1873, qui vota à l’unanimité l’abolition du Conseil Général, l’autonomie des sections, et se prononça sous une forme platonique pour la grève générale comme moyen d’émancipation du prolétariat. Cette Internationale anti-autoritaire tint encore un certain nombre de congrès, de 1874 à 1877, le dernier ayant eu lieu à Verviers en Belgique.

En fait, il ne tarda pas à apparaître dans cette Internationale dissidente des tendances diverses qui s’accommodaient mal de l’anarchisme bakouninien. Les Anglais en particulier ne voulaient pas entendre parler d’anarchisme. James Guillaume lui-même, qui était beaucoup plus sensible à l’autonomie des sections qu’à la doctrine anarchiste, repoussa les méthodes bakouniniennes. Quant aux Italiens, ils rompirent avec le mouvement pour tenter sur leur propre initiative un certain nombre d’insurrections locales, d’ailleurs sans grandes conséquences, comme l’insurrection bolognaise en 1874. Insurrection également dans la région de Naples en 1877. Les héros malchanceux de ces insurrections, Malatesta et Cafiero, furent emprisonnés, tandis qu’un certain nombre d’autres Italiens qui subissaient à ce moment-là l’influence de Benoît Malon exilé en Italie, se rapprochaient de conceptions socialistes plus orthodoxes, de ce que l’on appelait le " socialisme légal " avec le journal La Plèbe. On retrouvera ces tendances en étudiant le rôle des Italiens dans la deuxième Internationale. D’ailleurs, et c’est ce qui a provoqué l’affaiblissement de l’anarchisme, Bakounine s’est retiré de l’Internationale entièrement en 1874 et est mort en 1876.

Quant à l’Internationale régulière, celle dont le Conseil Général s’était établi à New-York, elle tint encore deux congrès, l’un à Genève en 1873, l’autre à Philadelphie en 1876. A cette date elle ne comprenait plus que quelques membres américains et suisses et elle décida de se saborder elle-même. La disparition de l’A.I.T. en 1876 a amené un certain nombre de révolutionnaires à envisager tout de suite la reconstitution d’une nouvelle Internationale. Cesar de Paepe, le leader belge, proposa la réunion d’un congrès universel socialiste qui poserait de nouveaux statuts pour l’Internationale. De fait, une réunion de ce genre s’est tenue à Genève en septembre 1877. Il y eut à cette réunion 1800 présents appartenant à différentes nations, et parmi des socialistes de tendance marxiste comme Liebknecht et Cesar de Paepe, des anarchistes comme Costa, Brousse et surtout Kropotkine qui était devenu à la mort de Bakounine le théoricien de l’anarchisme. Si le congrès de Genève a donné lieu à des manifestations bruyantes, il fut impossible de trouver un terrain d’accord sur la méthode de la lutte des classes. Cela ne veut pas dire que l’Internationale n’ait encore végété quelque temps. Mais l’ultime citadelle, la Fédération jurassienne, tint son dernier congrès à La Chaux de Fonds en octobre 1880. Tels ont été les derniers soubresauts de l’Internationale après le congrès de La Haye.

Il reste maintenant à conclure sur l’Histoire de la Première Internationale.

La Première Internationale est extrêmement petite par le nombre. Seule, une très faible partie des ouvriers a adhéré au mouvement de l’Internationale. Les chiffres sont difficiles à fixer, il n’est pas possible de le faire dans la plupart des cas. Ce qui est certain c’est que le nombre des adhérents à l’Internationale est infime. Encore l’Internationale, et c’est un fait important, n’a-t-elle guère touché les ouvriers de la grande industrie. Elle se développe presque partout, notamment en Angleterre, en France, en Suisse, dans les milieux d’artisans, dans les métiers dans l’ensemble peu compétitifs. Il y a une exception en Belgique où certains ouvriers de la grande industrie ont été touchés par l’Internationale. Il y a certainement, parmi les adhérents, des ouvriers du bâtiment, des typographes, des cordonniers. Pour ce qui est de la grande industrie, c’est le textile beaucoup plus que la métallurgie qui a été touché.

Petite par le nombre, l’Internationale est faible par l’organisation. Peu de discipline. Cotisations très mal payées, en particulier les Français ne paient jamais les leurs. Beaucoup de sections en état de perpétuelle anarchie. Et chez un très grand nombre (on a vu que que cela a été une des causes de la décadence et de l’effondrement de l’Internationale), refus de reconnaître l’autorité du Conseil Général. Si bien que l’on a pu conclure que la Première Internationale a été un échec à la base. Il n’a pas été possible aux sections et aux fédérations d’organiser une lutte conséquente. Pour cela, on manquait de militants formés et éprouvés, de cadres constitués. Les masses, elles réagissaient fortement lors d’une grève, mais elles redevenaient apathiques quand le problème précis était résolu. Les organisations de l’A.I.T. ont été en général faiblement structurées, les membres peu stables, peu fidèles ; très souvent on ne retrouve pas d’une année à l’autre, même au sein de la même section, les mêmes membres. Les résultats immédiats ont été peu importants. C’est qu’en fait l’idéologie de l’Internationale était encore trop abstraite pour pouvoir s’imposer à une masse de travailleurs incapables de la recevoir. L’idée même de l’Internationale, c’est-à-dire la solidarité internationale des travailleurs, dépassait de beaucoup la pensée moyenne des ouvriers, même les plus évolués, de cette époque. Si bien que l’on a pu parler d’un mythe de l’Internationale.

Mais alors d’où vient l’importance de ce mouvement ? La voici : il a existé un organisme, le Conseil Général, qui a pu diffuser dans le monde ouvrier des doctrines, des conseils, des mots d’ordre communs. Ce qui est donc essentiel dans l’Internationale, c’est beaucoup moins la vie des sections que les impulsions qui sont venues d’en haut. C’est ainsi qu’a pu être mis en marche un dispositif de secours international dans le cas de certaines grandes grèves, qui a pu malgré tout faire entrevoir aux travailleurs l’idée de la solidarité internationale de la classe ouvrière. Un certain nombre d’idées simples ont été diffusées ainsi dans l’ensemble du monde ouvrier. Ce travail n’a été possible que grâce à l’existence à cette époque d’un très grand nombre d’émigrés politiques qui, réunis à Londres en particulier, ont réussi à faire passer dans leurs pays d’origine les mots d’ordre de l’A.I.T., grâce aussi aux travailleurs émigrés travaillant dans un autre pays que leur pays d’origine et qui, revenus dans leur foyer, faisaient connaître les idées qui étaient celles de l’A.I.T. Ces émigrés ont été les instruments les plus importants de la vie de l’Internationale. C’est donc dans la divulgation de pensées communes que réside l’importance de l’A.I.T. L’Internationale a eu une influence considérable sur le mouvement ouvrier européen qui n’aurait pas vu le jour sans elle, car elle a établi une certaine unité dans les consciences. Elle a préparé par conséquent le mouvement ouvrier qui allait se développer surtout à partir de 1880.

 

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