1965

 

Jacques Droz

L’Internationale Ouvrière de 1864 à 1920

VI. Les relations de la 1ère Internationale et de la Commune

1965

LES RELATIONS DE LA PREMIERE INTERNATIONALE ET DE LA COMMUNE (1)

I Le rôle des sections françaises de l’Internationale dans la Commune.

Il faut bien voir que l’Internationale avait été très affaiblie avant la guerre de 1870 par les persécutions systématiques dont elle avait été l’objet de la part du gouvernement impérial, et que cet affaiblissement avait été accentué encore par la dispersion des membres de l’Internationale due à la mobilisation. Il n’en reste pas moins que les internationaux ont contribué à animer la résistance pendant le siège de Paris, en organisant en particulier les comités de vigilance d’arrondissements, et en siégeant au sein de la délégation des vingt arrondissements qui a joué un rôle politique assez considérable pendant le siège pour accentuer le mouvement de résistance.

Cependant la participation de l’Internationale au cours des événements qui ont suivi le siège a été extrêmement faible. Ceci se montre lors des élections à l’assemblée législative qui ont eu lieu le 8 février 1871 en vertu de l’armistice conclu entre la France et la Prusse, élections qui ont été un triomphe en France pour les forces conservatrices, mais où à Paris des membres assez nombreux de la gauche ont été élus (vingt députés appartenant à diverses tendances de la gauche), et seulement deux membres de l’Internationale : Tolain et Malon. L’Internationale n’a joué pratiquement aucun rôle dans l’insurrection du 18 mars (s’il est vrai que certains internationaux comme Varlin y ont participé), qui est l’oeuvre essentiellement de la Garde Nationale de Paris. D’autre part, l’Internationale n’a joué qu’un très faible rôle dans la proclamation de la Commune.

Au sein du Conseil de la Commune qui a été élu le 26 mars, les Internationaux sont au nombre d’une trentaine environ, sans que l’on puisse d’ailleurs préciser ce chiffre. Mais ils apparaissent comme diviser entre eux, entre proudhoniens de droite ou de gauche (proudhoniens " étroits " ou " larges ", comme on disait à l’époque), et il y a parmi eux un certain nombre ayant des tendances blanquistes. Quoi qu’il en soit ces internationaux ne constituent au sein du Conseil de la Commune qu’une minorité, par opposition à ceux qu’on appelle les jacobins, les radicaux ou les blanquistes, qui constituent la majorité, occupent les postes les plus importants et préconisent une action révolutionnaire. Dans les différentes commissions qu’a mises sur pied le Conseil de la Commune, les internationaux ont des places seulement dans les commissions de caractère économique et social, et non dans les grandes commissions politiques. C’est le cas par exemple pour Varlin qui s’occupe des subsistances, pour Jourde qui s’occupe des finances, pour Vaillant qui s’occupe de l’enseignement, pour Frankel qui s’occupe du travail, et pour Theisz qui s’occupe des postes.

L’Internationale constitue au sein du Conseil de la Commune une force de pondération. Frankel déclare à une séance du Conseil fédéral du 28 mars " Nous voulons le droit des travailleurs et le droit de s’établir par la force morale et la persuasion. " Ils mettent le social avant le politique et insistent sur la primauté des intérêts ouvriers. Leur oeuvre, du point de vue social, n’a pas été négligeable, en particulier au sein de la commission du travail. Il est prévu notamment par cette commission du travail la remise aux syndicats des ateliers confisqués ou abandonnés, ce qui constituait une mise en pratique de la gestion ouvrière directe.

Certains des membres de l’Internationale ont eu, en tant que communards, des relations avec Marx. Cela a été le cas en particulier de Frankel et surtout de Madame Elisabeth Dmitrieff, exilée russe, fille d’un grand propriétaire terrien de la Russie, qui s’était convertie au socialisme et a créé pendant la Commune l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Frankel et Mme Dmitrieff ont correspondu avec Marx et ont essayé de faire prévaloir les instructions du Conseil Général à Paris. Mais, dans l’ensemble, comme le montre la lecture du journal des Internationalistes pendant la Commune, La Révolution politique et sociale, l’activité des membres de l’Internationale demeure marquée très profondément de proudhonisme, s’il est vrai d’ailleurs que les internationaux ont condamné formellement l’attitude de certains proudhoniens qui, comme Tolain, avaient accepté de siéger à l’assemblée nationale et qui fut exclu de l’Internationale dans une séance du 12 avril. Mais il a manqué en général aux internationaux parisiens une doctrine révolutionnaire cohérente. Ils n’ont pas joué au cours des journées de la Commune le rôle directeur qui semblait leur revenir.

II La position du Comité Central de l’A.I.T. à l’égard de la Commune

Le Conseil général de Londres n’a eu aucune part dans la formation de la Commune. Les procès-verbaux des séances antérieures au 18 mars sont absolument muets sur ce qui s’est passé en France. Et la correspondance d’Engels et de Marx ne contient pas le moindre indice qui laisse penser que l’insurrection parisienne ait été encouragée à Londres. Cependant, une fois l’insurrection éclatée, le 18 mars, Marx revendique pour l’Internationale la paternité de la Commune, car il y discerne " le premier grand combat du prolétariat européen contre la bourgeoisie ". Il est remarquable, en effet, que le Conseil général a suivi avec le plus grand intérêt et avec la plus vive sympathie les événements de Paris, en faveur de qui il essaie de créer un mouvement d’opinion européen en envoyant des lettres aux différentes sections de l’Internationale dans lesquelles il montre " la véritable signification de cette grandiose manifestation parisienne ". Le Conseil général a délégué à Paris l’un de ses membres, Auguste Serrailler, qui a eu énormément de peine à entrer en relation avec les membres des sections parisiennes de l’Internationale. Et son attitude politique a témoigné de la plus grande inexpérience. Il semble que le choix de Serailler ait donc été malheureux.

Pourtant de très bonne heure Marx a perdu toute espèce d’illusions sur les chances de victoire de l’insurrection, et dans sa correspondance il s’est montré extrêment sévère à l’égard de la politique des communards. Il écrit, par exemple, à Frankel et à Varlin le 13 mai 1871 : " La Commune semble perdre trop de temps avec des bagatelles et des querelles personnelles. On voit qu’il y a d’autres influences que celles des ouvriers. Tout cela ne ferait rien, si vous aviez le temps pour rattraper le temps perdu. " D’autre part, il s’est montré très sévère pour la politique financière de la Commune, pour les communards qui ont refusé de mettre la main sur les réserves de la Banque de France à Paris. Malgré tout et malgré ces réserves, il a fait passer constamment des conseils aux communards, les invitant par exemple à prendre l’offensive contre les troupes versaillaises, la tactique défensive devant à ses yeux conduire à une issue fatale. Il les invite à chercher l’appui des paysans par des mesures appropriées. Et enfin il fait passer aux communards des documents diplomatiques sur les conversations entre Favre et Bismarck. Ses lettres, adressées à des socialistes allemands comme Kugelmann ou Liebknecht, montrent l’étendue de ses préoccupations à propos de la Commune. Il fait allusion au " troupeau des vils chiens de la vieille société qui se sont jetés sur les ouvriers parisiens, contre le parti laborieux, pensif, combattant et sanglant, qui oublie presque dans l’incubation d’une société nouvelle les cannibales campés à ses portes, rayonnant de l’enthousiasme de son initiative historique. "

Dans les derniers jours du conflit Marx a composé son étude La guerre civile en France qui fut lue au Conseil Général à Londres après la défaite, et transmise aux différentes sections de l’Internationale. Cet ouvrage n’est pas seulement un hommage aux héros de la classe ouvrière française, mais il célèbre la Commune comme l’avant-coureur d’une société nouvelle. Et l’exemple de la Commune sert à Marx pour définir ce que doit être l’Etat issu de la révolution. " Quoique la Commune, disait-il, fût une esquisse imparfaite d’organisation nationale, elle n’en demeurait pas moins essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. " Il félicite la Commune en particulier d’avoir " détruit l’Etat oppresseur, amputant les organes purement répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental, brisant (c’est l’expression qu’a utilisée Lénine pour expliquer ce texte de Marx) la machine d’Etat bourgeoise, supprimant la police, la bureaucratie, les armées permanentes, brisant le pouvoir des prêtres par la séparation de l’Eglise et de l’Etat, supprimant la centralisation par la libre fédération des communes de France, entreprenant la réforme du travail par l’organisation coopérative de la production. " L’Etat issu de la révolution communale devenait une forme d’émancipation, au lieu d’être comme jusqu’alors une forme d’oppression. Ainsi, et c’est ceci qu’il faut retenir surtout, la Commune avait fourni aux yeux de Marx le type d’organisation politique qui correspondait à cette phase transitoire qu’était pour lui la dictature du prolétariat. Elle représentait donc, aux yeux de Marx, la forme transitoire où l’Etat se transforme d’une forme d’oppression en une forme d’émancipation. Marx a écrit : " Le véritable secret de la Commune, le voici, c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte des classes des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail ". On voit par conséquent que la Commune de Paris a permis à Marx de définir un aspect essentiel de ce stade intermédiaire entre la société capitaliste et la société de type communiste, sous la forme d’une dictature du prolétariat.

III Les conséquences de la Commune pour l’histoire de l'Internationale

En Angleterre les résultats de la Commune ont été sérieux pour l’Internationale. En effet, la Commune a provoqué dans les milieux syndicaux anglais de graves remous. Certes, il existe à Londres un certain nombre de partisans de la Commune, rassemblés en particuliers autour de Bradlough, républicain actif qui a essayé d’organiser à Londres un certain nombre de manifestations de soutien à l’égard de l’Internationale. Mais dans l’ensemble les trade-unions ont réagi d’une façon négative à la Commune parisienne. Et notamment l’adresse que Marx a rédigée à la fin de la Commune, comme manifestation à son égard, a provoqué une réaction hostile de la part des syndicalistes anglais. A ce moment-là deux membres du Conseil Général qui représentaient les trade-unions, Lucraft et Odger, décidèrent de donner leur démission, ne voulant pas soussigner la déclaration de Marx. D’ailleurs les relations entre les trade-unions britanniques et l’Internationale étaient déjà extrêmement relâchées ; la Commune ne fit qu’aggraver cette situation. Ainsi, avec la Commune disparaît le lien entre les trade-unions de plus en plus attachés au réformisme et l’Internationale.

En fait, si Marx leur reproche d’avoir vendu le mouvement à Gladstone, ces syndicats anglais étaient depuis très longtemps tout autre chose que révolutionnaires. Il était bien évident que la Commune de Paris devait leur paraître quelque chose de monstrueux. La conséquence de cette démission d’Odger et de Lucraft est qu’en 1871, alors que les sections anglaises de l’A.I.T. avaient été jusqu’alors dirigées directement par le Conseil Général à Londres, il se constitua à ce moment-là une fédération anglaises des sections britanniques, ce qui naturellement a diminué l’influence directe que Marx pouvait exercer encore sur le mouvement ouvrier anglais.

Pour ce qui est du continent, la Commune a eu pour conséquence tout un système de répression dont l’Internationale a été victime. Thiers d’ailleurs, habilement, avait déjà dirigé contre l’Internationale les colères de la réaction en désignant l’Internationale (ce qui était absolument faux) comme la principale responsable de la Commune. Les dénonciations pleuvent contre l’activité de l’A.I.T. rendue responsable d’un plan général de subversion. On peut lire dans la presse de cette époque les accusations les plus abracadabrantes contre l’Internationale. La Gazette de Cologne fait par exemple savoir que le Conseil Général de Londres a mis 200 000 Frs au service de la section française pour poursuivre la guerre contre la Prusse. La presse française annonce que Marx est le secrétaire particulier de Bismarck et que c’est sur son ordre qu’a été déclenchée la Commune de Paris. On peut lire dans la presse américaine que l’incendie qui, en octobre 1871, a détruit entièrement Chicago, était l’oeuvre des membres de l’Internationale. L’on pourrait multiplier les exemples de ces calomnies qui ont été dirigées contre le mouvement.

Jules Favre, rédigea, le 6 juin 1871, une circulaire aux puissances européennes qui leur demandait de prendre conjointement des mesures contre l’A.I.T. " Elle est, disait cette circulaire, la société de la guerre et de la haine. Elle a pour base l’athéisme et le communisme. Son but est la destruction du capital et de la propriété privée. Ses moyens sont la violence brutale de la grande masse. L’Europe se trouve en présence d’une oeuvre de destruction qui est dirigée contre toutes les nations et contre les principes sur lesquels repose toute civilisation ". Peu de temps après la publication de cette circulaire, Bismarck faisait paraître à l’usage des cabinets européens un pro memoria où il demandait la réunion d’une conférence internationale pour établir une alliance européenne contre l’Internationale. Cette idée fut à ce moment-là formellement repoussée par le cabinet britannique qui fit répondre à Bismarck que lui-même ne se sentait nullement menacé par les activités de l’Internationale et qu’il ne voyait aucune raison de convoquer cette conférence. Mais Bismarck rencontre peu de temps après le chancelier autrichien, Beust, dans la ville autrichienne de Gastein (entrevue qui est d’ailleurs suivis quelque temps après par une rencontre entre les deux empereurs d’Autriche et d’Allemagne), et il discute avec lui des " mesures de caractère répressif destinées à détruire l’esprit de l’Internationale ". Dans ces conditions on ne peut pas s’étonner que la répression se soit abattue sur cette association.

En France, la loi connue sous le nom de loi Dufaure, du 14 mars 1872, interdit absolument toute adhésion à une quelconque organisation de caractère international. En Allemagne, l’attitude très favorable à la Commune adoptée par Liebknecht et Bebel au Reichstag aggrave leur cas (nous l’avons vu) lorsque, en mars 1872, ils comparaissent devant la cour suprême de Leipzig et sont condamnés à dix-huit mois de prison pour haute trahison. Il n’est pas douteux que le discours prononcé par Liebknecht au Reichstag en faveur de la Commune a décidé Bismarck à engager le plus tôt possible la lutte contre la social-démocratie allemande dont on sait les liens avec l’Internationale. La loi sur les socialistes, destinée à briser le parti social-démocrate allemand et qui prendra corps à la fin des années soixante-dix, a été conçue dans l’esprit de Bismarck du fait des paroles prononcées par Bebel et Liebknecht en faveur de la Commune En Autriche-Hongrie des mesures extrêmement énergiques ont été prises à l’égard des groupements favorables à l’Internationale. Si déjà depuis 1870, du fait de leur participation au congrès d’Eisenach de 1869, les leaders autrichiens Scheù et Oberwinder, sont en prison, des mesures de répression sont dirigées contre les sections hongroises de l’Internationale, notamment contre l’association générale des ouvriers hongrois qui avaient des relations profondes avec les milieux marxistes de Londres. Deux membres de cette association, Politzer et Farkas, furent traduits devant les tribunaux. Et l’activité des mouvements ouvriers hongrois dut pratiquement cesser jusqu’en 1880, date où se formera un parti ouvrier hongrois. En Espagne, l’action de l’Internationale a été interdite depuis octobre 1871 par une loi des Cortès. Et en février 1872 le gouvernement espagnol présidé par Sagasta envoie une circulaire aux puissances, invitant les gouvernements (comme l’avait fait quelques temps plus tôt Bismarck) à s’entendre pour mettre en oeuvre les méthodes de répression. Ici encore l’initiative de Sagasta se heurte au mauvais vouloir du gouvernement anglais. La pape Pie IX lui-même intervient dans une allocution prononcée à Rome devant des catholiques suisses : il invite ceux-ci à faire pression sur leur gouvernement (on sait qu’il y avait énormément de réfugiés politiques en Suisse) pour qu’il renonce au droit d’asile en faveur des membres de l’Internationale et les livre à la vindicte de leur gouvernement. On voit par conséquent l’ampleur des tentatives de réaction contre l’Internationale.

Cependant il ne faut pas s’imaginer que la Commune ait signifié un affaiblissement profond de l’A.I.T. Certes la propagande contre les communards représentés comme des incendiaires a réussi auprès d’un certain nombre de membres de la petite bourgeoisie et du prolétariat qui étaient encore en grande partie inéduqués. Et les attaques contre la Commune ont eu incontestablement une répercussion dans un très grand nombre de groupements ouvriers. Mais cela ne signifie pas que les événements de la Commune aient diminué l’action et les initiatives de l’Internationale. On a déjà vu que les sections italiennes n’ont pris leur extension qu’après la Commune, et en grande partie en réaction contre Mazzini qui, dans son journal, Il popolo di Roma, avait pris position contre la Commune et contre l’Internationale qu’il accusait de l’avoir provoquée. Si le socialisme italien à ce moment-là rompt avec Mazzini pour s’orienter vers d’autres directions, garibaldienne ou bakouniniste, il faut le mettre sur le compte de l’enthousiasme provoqué par la Commune. On peut dire la même chose d’une grande partie des sections espagnoles. Il semble, d’autre part, que la Commune ait exercé un effet stimulant sur les sections de l’Internationale en Hollande ainsi qu’au Danemark qui voit sa première section créée en juillet 1871. C’est après la Commune que les sections belges connaissent également leur plus grand développement, disposant maintenant d’une presse très importante qui a pris en quelque sorte la succession des journaux français et anglais pour la direction de l’Internationale : le journal L’Internationale qui paraît à Bruxelles, où en particulier Eugène Steens a fait une importante campagne d’explications sur la Commune ; le journal Le Mirabeau qui paraît à Verviers ; le journal Le Devoir qui paraît à Liège ; à côté de toute une série de journaux qui paraissent dans les villes flamandes.

Enfin, et c’est un point sur lequel il importe d’insister, la Commune a exercé une très forte impression dans les pays slaves, et en particulier en Bohême. Jusqu’en 1871 il n’y avait eu qu’un très faible développement des sections tchèques de l’Internationale, notamment dans les portions peuplées slaves de la Bohême, alors que de nombreuses sections avaient été créées dans les pays allemands de l’Etat autrichien. Or, ce fut la Commune qui a démontré aux tchèques (les Tchèques avaient été l’une des seules nations –ou éléments de nation – qui avaient protesté d’une façon formelle contre l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace et de la Lorraine) que le socialisme n’était pas un fait spécifiquement allemand. Elle a développé un très grand enthousiasme dans les milieux tchèques et a entraîné de nombreuses participations à l’Internationale. Karl Kautsky, né en Bohême et d’origine tchèque, l’une des personnalités les plus importantes du mouvement socialiste avant 1914, a raconté dans ses Mémoires que c’est la Commune qui a déterminé l’éclosion de son idéal socialiste et de ses vues internationalistes. Les groupements ouvriers tchèques, tant à Prague que dans les villes industrielles de la Bohême, comme Reichenberg, tendent à échapper alors à l’influence du mouvement bourgeois Jeunes Tchèques qui les avait jusqu’alors contrôlés. C’est la Commune qui les a amenés à prendre conscience de la solidarité des travailleurs par-dessus les divisions sociales. Cette évolution apparaît en particulier dans le grand journal socialiste tchèque qui paraît à ce moment-là à Prague, le Delnické Lysty.

Aux Etats-Unis enfin, les sections nord-américaines de l’A.I.T. ont publié un communiqué pour défendre les communards contre les attaques qui se répandaient contre eux dans la presse américaine. " Si vous avez encore quelques doutes contre la Commune, déclarait ce manifeste, n’oubliez pas que toutes vos informations vous ont été transmises par la presse servile de nos plus mortels ennemis. N’oubliez pas que la Commune était le gouvernement des travailleurs et, comme telle, est calomniée par toutes les classes privilégiées et leurs organes qui ont toujours agi de même à l’égard de tous les mouvements ouvriers. N’oubliez pas que la Commune s’est battue et est tombée pour revendiquer les droits dont nous devons tous jouir à l’avenir : le droit de nous gouverner nous-mêmes et le droit du travailleur à jouir du fruit de son travail ". Cette manifestation prouve l’ampleur des répercussions de la Commune aux Etats-Unis dans les mouvements ouvriers.

En conclusion, il faut souligner que, contrairement à ce qui est lu et dit le plus souvent, ce n’est ni la guerre de 1870, ni la Commune, qui ont provoqué la dissolution de l’A.I.T. Ce qui provoqua cette dissolution, ce sont les conflits idéologiques intérieurs, qui s’y manifestaient déjà en 1870, et qui vont prendre au cours de la période suivante, du fait de l’opposition entre le bakouninisme et le marxisme, une importance de plus en plus grande.

 

Note

(1) Pour l’histoire générale de la Commune parisienne de 1871, cf. l’ouvrage collectif de Bruhat, Dauty et Tersen (1960).

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