1931

 

Pierre Nikiforov

la Grève

Le début du travail d'organisation

1931

Le début du travail d'organisation

La première moitié de 1906 fut caractérisée dans le sud de la Russie par un fort mouvement de grève.

Le coup porté au gouvernement tsariste par le prolétariat de Pétersbourg et de Moscou, à la fin de 1905, se répercuta dans tout le pays pendant toute l'année 1906.

Les usines métallurgiques du sud et de l'Oural étaient constamment en grève. Un mouvement révolutionnaire puissant se développait parmi les matelots de la flotte commerciale de la mer Noire, une vague révolutionnaire se soulevait de nou­veau parmi les marins de la flotte de guerre de la mer Noire et de la mer Baltique. La situation exigeait de nous une action décisive. Les organi­sations social-démocrates s'efforçaient de mobili­ser toutes leurs forces dans le but de se mettre à la tête du mouvement.

Le comité de Crimée m'ordonna de rejoindre d'urgence la ville de Kertch afin de venir en aide à l'organisation locale. Dans la situation présente, Kertch avait une importance primordiale, car le détroit de Kertch était le seul chemin par lequel l'on pouvait faire passer les quantités énormes de blé qui étaient exportées des ports de Rostov, Taganrog et Marioupol.

En fermant le détroit de Kertch, l'on paralysait tout le trafic des ports de la mer d'Azov et, par conséquent, le mouvement des exportations.

J'allais avoir un travail important à effectuer parmi les ouvriers dragueurs et les dockers du port de Kertch.

L'organisation de Kertch était, entièrement menchévik et la base de son organisation était dans de petites usines métallurgiques qui possédaient des groupes d'ouvriers menchéviks assez forts. La flottille des dragueurs et les dockers étaient en dehors de l'influence des menchéviks. Les s.-r. (socialistes-révolutionnaires) et les anarchistes n'étaient pas très forts et se recrutaient parmi la petite bourgeoisie de Kertch.

Par décision du comité de Kertch, j'allai travailler parmi les ouvriers dragueurs et les doc­kers. Je me mis avec ardeur à la besogne.

Je passais des journées entières parmi eux. J'étudiais la vie des dockers, j'écoutais leurs conversations et mis bientôt le doigt sur les points où pouvait s'exercer mon agitation.

Tous les travaux de chargement et de déchar­gement des quais étaient dirigés à l'époque par des entrepreneurs qui s'entendaient avec l'admi­nistration des bateaux et du port pour exploiter férocement la masse non organisée des dockers.

Les entrepreneurs saoulaient les dockers et les trompaient lors du règlement des comptes. Cha­que règlement de compte provoquait des manifes­tations de mécontentement et des tempêtes de protestations des ouvriers contre les entrepre­neurs.

J'étudiai tout ceci en détail et le gravai dans ma mémoire.

J'avais la possibilité de m'embaucher en qua­lité de docker, mais je décidai néanmoins de me faufiler dans la flottille des dragueurs.

Les dragues étaient encore en réparation et seule une petite quantité d'entre elles étaient en action et nettoyaient le détroit de Kertch. J'engageai la conversation avec les ouvriers et, m'étant fait passer pour un sans-travail, je m'installai avec leur aide sur l'une des dragues, le Victor Choumski, en qualité de manoeuvre avec un salaire de 75 kopecks par jour.

Je fus embauché par le maître d'équipage, un vieux loup de mer qui avait fait son service mili­taire dans la flotte.

Possédant une capacité de travail et une endu­rance tout à fait extraordinaires, il tenait solide­ment en mains l'équipage du bateau et était le bras droit du capitaine ; il buvait jusqu'à en tomber ivre-mort. Lorsque je me présentai à lui, il me scruta attentivement. Mes habits simples et ma force physique le satisfirent.

— Que sais-tu faire ?

— Je sais faire tout le travail de manœuvre.

— Où as-tu travaillé en dernier lieu ?

— A Tcheliabinsk, au dépôt des chemins de fer, répondis-je, comptant bien qu'il n'irait pas en Sibérie prendre des renseignements sur mon travail.

— Pourquoi as-tu été renvoyé ?

— Parce que je buvais, répondis-je gêné.

— Ça va, vas travailler ! Si je remarque que tu te saoûles, je te fous à la porte. Eh, Bespalov, je t'envoie un aide. Attrape !

Bespalov me regarda avec aménité. Il était voûté et sombre comme s'il portait un lourd far­deau. A ce point de vue, tous les vieux ouvriers métallurgistes ayant passé une période d'entraî­nement consistant en 14-16 heures de travail par jour se ressemblent beaucoup ; ils sont comme coulés dans le même moule.

Bespalov, qui posait et préparait les tuyaux de conduite sur les bateaux, travaillait avec son fils. Depuis longtemps il était dans la flottille. Il avait succédé à son père dans ce travail. Il était renfrogné et silencieux et buvait sans doute con­sidérablement. Il était tenace au travail ; ses mains noueuses saisissaient comme des pinces les objets et les posaient avec précision à l'endroit voulu. Il travaillait bien, solidement et propre­ment.

Je connaissais également le travail des conduites d'eau et m'avérai comme étant un aide « déluré », ce qui disposa aussitôt le vieux en ma faveur. J'accordais une importance particulière à ce fait, car dans mon travail la sympathie d'un vieil ouvrier était déjà un soutien, même s'il ne voulait pas se mêler de politique.

Tout le travail le plus difficile et le plus sale retomba sur moi ; je, soulevais les objets les plus lourds, j'enlevais la crasse aux endroits où il fallait poser les conduites, etc.

Les premiers jours de mon travail à bord du dragueur ne me montrèrent aucun indice de la possibilité d'accomplir un travail politique quel­conque.

Bespalov était peu loquace et répondait peu volontiers aux questions qui n'avaient pas directement trait à son travail.

Je résolus tout de même de sonder le vieux et j'engageai la conversation sur la Douma.

— C'est bientôt les élections à la Douma.

— Et nous, on va voter aussi ?

— Cette question-là ne nous regarde pas. A trop penser on perd la tête...

— Et comment que ça se fait que les journaux écrivent que les ouvriers vont voter aussi ? insis­tai-je en revenant à la charge.

— On écrit ce qu'on veut, et on fait ce qu'on veut aussi, prononça Bespalov avec importance.

Là-dessus se termina notre causerie politique.

La sagesse de Bespalov, contenue dans sa phrase, qu'à trop penser on pouvait perdre la tête, montrait que les vieux ouvriers sentaient profondément et comprenaient parfaitement la politique du gouvernement tsariste et que Bes­palov en savait plus long qu'il ne le laissait entendre.

Les anciens de la flottille évitaient en général les conversations politiques et, en ce sens, le tra­vail parmi eux ne disait rien qui vaille. Au con­traire, les sujets touchant aux salaires trouvaient toujours chez eux un excellent accueil.

Ayant fait connaissance des ouvriers, de leur état d'esprit et de leur situation économique, je conclus qu'il me fallait commencer mon travail par la jeunesse non encore chargée de famille La majorité des ouvriers dragueurs travaillaient dans le métier depuis des années et beaucoup d'entre eux même depuis leur enfance ; ils avaient acquis des maisonnettes et avaient installé leur famille. L'administration avait créé toute une échelle d'avancements savamment gradués, dont les ouvriers franchissaient docilement les éche­lons, un par un. Des familles entières avec leurs enfants, frères, neveux, etc., avaient pris racine dans ce travail et vivaient d'une vie intérieure très fermée. Les anciens étaient particulièrement sévères pour toute « libre pensée » et tenaient la jeunesse très étroitement.

L'administration du port et de la flottille s'efforçait de se comporter d'une manière familière avec toute cette masse et demandait même les conseils techniques des vieux particulière­ment respectables ou les consultait sur les questions de discipline et d'ordre intérieur. Natu­rellement, il ne fallait même pas penser à com­mencer le travail par les vieux. Il fallait tâcher d'arracher peu à peu la jeunesse à l'influence des vieux et de l'amener ensuite à s'intéresser à la politique.

C'est par là que je commençai.

Le fils de Bespalov, André, était étudiant dans une école technique et rêvait de devenir mécanicien à bord ; je me liai rapidement d'amitié avec lui. Souvent nous passions des heures en­tières à terre et devisions sur des thèmes divers. Je l'initiai avec précaution à la politique.

Mes récits sur la révolution qui venait d'avoir lieu provoquaient des questions diverses de sa part. Il me demandait pourquoi existaient « les partis clandestins », pourquoi ils sont contre le tsar, etc. En présence de son père, je menais la conversation plus doucement, le vieux faisait des répliques dans le genre de : « Les uns sont pous­sés à la révolution par la famine, les autres par la graisse, et nous... pourvu qu'on travaille... Et puis, on dit que les youpins jettent de l'huile sur le feu... »

Je lui parlais avec précaution des grèves de masse dans les différentes villes, je lui citais les grèves des postes et télégraphes et des chemins de fer.

Le vieux discutait avec entêtement et son fils écoutait et me soutenait. En terminant ces con­versations j'ajoutais toujours pour le vieux : « Ni toi, ni moi, ne nous proposons de faire la révolu­tion, grand-père, mais l'homme doit tout de même être fixé sur tout. » La précaution n'était pas inutile.

L'homme de chauffe de notre dragueur, que le vieux nommait Danilo, en abrégeant son nom, s'adjoignit à nos conversations. Danilo était Ukrainien. C'était un bon gars qui avait fait son service dans l'infanterie et s'était embauché en­suite dans notre flottille.

Gai et simple, il s'assimilait vivement le côté romantique de la révolution et s'en imprégnait comme une éponge s'imbibe de liquide. Revenu de la guerre russo-japonaise, il avait été lui-même pris par la grande tempête dont le torrent l'avait entraîné jusque sur les bords de la mer Noire. Il était toujours heureux de nos causeries et y apportait une grande animation. Le vieux ne l'aimait pas pour cela et ronchonnait contre lui en le traitant de « carillon ».

Peu à peu la jeunesse se groupait autour de nous, la lecture des journaux pendant le casse-croûte, les commentaires des événements dont les échos ne s'étaient pas encore assoupis, les cause­ries à terre après le travail, tout cela attirait la jeunesse à la vie politique. Progressivement, des questions générales, je passai aux questions ayant trait à la vie de notre flottille.

A l'ancre, la journée ouvrière de la flottille, était de 11 h. 30 Je choisis en premier lieu ce thème pour mes causeries avec les jeunes ma­rins. Je reliai cette question à la lutte générale de la classe ouvrière et à la nécessité de l'auto-éducation politique ; je leur parlai de la lutte ac­tuelle que les capitalistes, aidés par la gendar­merie et la police, mènent contre les ouvriers qu'ils poursuivent pour la moindre manifestation de mécontentement.

Ces récits soulevaient particulièrement l'inté­rêt de la jeunesse sur la révolution et provo­quaient une foule de questions. Un certain roman­tisme du mystère, de lutte contre le gouvernement et la police, trouvait un écho vivant dans les cœurs de toute cette jeunesse.

C'est ainsi qu'autour de moi, insensiblement, se forma un groupe. Je me mis à faire mon tra­vail politique en dehors des heures de service. Nous organisâmes des réunions de notre groupe, le soir. Ces réunions se passaient en longues cau­series.

A cette époque, dans la presse, les questions concernant la Douma étaient fortement débattues. Je réussis à me lier sur ce terrain avec les an­ciens, mais non avec tous il est vrai. Je leur expliquai ce que c'était que la Douma, pourquoi le gouvernement tsariste la convoquait, etc. En un mot, je fus promu près des anciens au rang d'explicateur des questions politiques ayant trait à la Douma. Mon travail progressa d'une manière assez sérieuse et, malgré cela, je ne fus pas dé­couvert par l'administration qui, étant bercée par l'illusion de la docilité des ouvriers, ne re­marquait pas ce qui se passait sous son nez. Personne ne remarquait ma figure modeste de manœuvre, d'autant plus que je n'entrais jamais en discussion avec les anciens et même, parfois, les soutenais lorsque les jeunes les taquinaient.

La jeunesse s'assimilait sans s'en douter les conceptions révolutionnaires ; les exemples frap­pants de mutineries de marins, de combats sur les barricades, etc. enflammaient leur imagina­tion.

 Lorsque je disais que dans beaucoup d'usines les ouvriers avaient su imposer la journée de 9 heures par une grève solidaire, la jeunesse s'excitait, Danilo se frottait les mains et, fermant les poings, disait :

— Il faudra secouer les nôtres aussi...

— Oh, les nôtres, il faudra du temps pour les mettre en train, disait André le pondéré, pour calmer Danilo, rien que mon père, pour le...

— De quoi ton père ? c'est pas nos pères, c'est nous qu'il faut mettre en train.

La pensée de « secouer » à bord, chez nous, intéressa fortement les gars et ils n'abandon­nèrent plus cette idée.

Ma première expérience de travail avec la jeu­nesse m'avait montré que ma tactique politique était exacte, que je pouvais hardiment me reposer sur la jeunesse et travailler par son intermé­diaire.

Je résolus de développer mon travail ultérieur de façon à être moi-même le plus longtemps pos­sible dans l'ombre et à ne pas provoquer trop tôt l'attention de la gendarmerie ou de la police.

J'introduisis, avec l'autorisation du comité du Parti, une partie de la jeunesse dans un cercle du Parti.

L'admission des jeunes à un cercle politique les enthousiasma ; ils masquaient leur participa­tion à ce cercle par des méthodes de conspiration exagérées jusqu'à la naïveté, se considéraient avec orgueil comme membres d'un parti révolu­tionnaire clandestin qui mène la lutte, « peut-on dire avec le tsar, son gouvernement et tous ses partisans ».

La tête tournait à tous ces gars.

La question d'attirer la jeunesse des autres bateaux à notre travail se posa devant nous.

— Il faut les réunir à terre après le travail et leur parler, proposa Danilo.

— Quel ballot ! répliqua André.

— Et toi, t'es si intelligent que tu crois que tous les autres sont des imbéciles, se froissa Da­nilo.

— Pas « les autres », mais seulement toi. T'es un imbécile. Vas les réunir tous, et aujourd'hui même toute la ville saura de quoi il s'agit.

— Naturellement, ce n'est pas comme cela qu'il faut faire, dis-je pour soutenir André ; nous aurons toujours le temps de tomber entre les pattes de la gendarmerie, donc il ne faut pas se dépêcher, il faut les entraîner progressivement, un par un, en choisissant, non les bavards, mais les fermes. Nous formerons un cercle solide. Il faut avoir son homme sur chaque navire et, par son intermé­diaire, travailler parmi la jeunesse de ces bâti­ments.

André s'enthousiasmait insensiblement, com­me si notre cause lui était devenue proche depuis longtemps.

Les gars prirent sur eux de faire de l'agita­tion parmi le jeunesse et de travailler à l'adhé­sion des ouvriers des autres bâtiments. Nous résolûmes d'organiser un cercle parmi eux. Nous nommâmes André organisateur responsable, on avait décidé de ne pas mettre les navires en liaison avec moi.

— Toi, mon vieux, reste dans ton coin et montre-nous comment il faut faire, le reste, nous le ferons nous-mêmes, déclara Danilo avec une ferme conviction.

C'est ainsi que se noua le petit lien de notre grand travail politique.

 Sur ma proposition, le comité décida d'organiser un meeting en plein air à la veille du Pre­mier Mai. Ce meeting avait pour but d'attirer le plus grand nombre d'ouvriers de notre flottille et de dockers. Je confiai à Danilo le soin de mobiliser tout notre cercle pour ce travail. Les gars firent tous de leur mieux. 100 hommes de la flot­tille assistèrent au meeting. Les postes, la chaîne de francs-tireurs, les mots de passe mystérieux, tout cela produisait une forte impression sur les ouvriers. Des socialistes-révolutionnaires avec lesquels des empoignades formidables avaient toujours lieu, s'infiltrèrent aussi chez nous. Les socialistes-révolutionnaires de Kertch n'étaient pas très ferrés en théorie et se faisaient chaque fois copieusement battre par les social-démocrates. C'est pourquoi les socialistes-révolution­naires s'efforçaient toujours de concentrer la discussion sur les questions ayant trait à la ter­reur. Sur ce point-là, la discussion leur était plus facile. Néanmoins, ils ne pouvaient obtenir la majorité dans nos meetings.

Le meeting de ce jour dura longtemps. Nous expliquâmes en détail la signification du Pre­mier Mai, comment il fallait le fêter et pourquoi l'autocratie et les capitalistes étaient contre lui, etc.

Le meeting se termina à l'aube. Nous partîmes tous ensemble. La police savait qu'un meeting avait lieu, mais avait peur de se risquer dans la steppe.

Elle avait une peur intense de nos groupes de combat, dont elle connaissait également l'exis­tence, mais dont elle s'exagérait l'importance. C'est pourquoi elle résolut de surveiller le retour des auditeurs dans un faubourg de la ville et de les arrêter lorsqu'ils passeraient. Mais nos éclaireurs firent passer les ouvriers par des chemins détournés à travers la montagne et les amenè­rent du côté opposé de la ville.

Plus de 300 hommes descendirent bruyamment et en chantant de la montagne vers la rue cen­trale de la ville ; les flics de garde sifflaient éper­dument, les policiers qui avaient préparé la sou­ricière couraient à toute allure vers le lieu de la manifestation, mais ils ne trouvèrent personne. Le réseau des ruelles étroites avait englouti les manifestants qui s'en revinrent tous, sains et saufs, dans leurs foyers.

Notre meeting eut une influence énorme sur tous les ouvriers et surtout sur la jeunesse. Les questions politiques devinrent le thème constant des conversations de la jeunesse. Les vieux gar­daient le silence, mais toléraient ces conversa­tions ; le meeting avait brisé leur entêtement. Les discussions sur la terreur étaient particulière­ment passionnées : le romantisme du terrorisme paraissait très séduisant, très noble et entraî­nant... et la jeunesse subissait la contagion de cet aventurisme malsain.

André me déclara qu'il était nécessaire de dis­cuter la question de la terreur dans notre cer­cle ; il craignait beaucoup que cette question dan­gereuse n'apportât la dissension au sein de notre cercle et fît avorter tout notre travail. Dans une causerie longue et détaillée faite au cercle, j'ex­pliquai la signification de la lutte prolétarienne de masse que j'illustrai de deux exemples : une révolte armée de marins et le soulèvement de Moscou, et je parlai de la terreur individuelle comme méthode nuisible de lutte, détournant le prolétariat de la lutte politique de masse ; la jeunesse envisagea dès lors avec plus de calme cette question brûlante. Mes explications sur le rôle essentiel de la préparation d'un mouvement ouvrier de masse dont la force agissante menait à la victoire furent convaincantes et, détournant la jeunesse du romantisme individuel, l'orientèrent vers la voie de la lutte de classe.

Notre liaison avec les autres unités de la flot­tille se consolida tellement que l'on pouvait déjà activer le travail de la jeunesse organisée.

Je résolus de poser devant la jeunesse la ques­tion de l'élaboration d'un plan concret de lutte pour la diminution de la journée de travail. La tâche était assez malaisée : tout le monde doutait de la possibilité de décider les ouvriers à la grève ; ce travail était nouveau, et, de plus, la question ne pouvait être résolue par les seules forces de la jeunesse, il fallait faire marcher les vieux. J'esti­mai également que la grève ne réussirait pas. Il fallait pour cela faire un travail soutenu et de plus longue haleine.

Je proposai d'essayer spontanément, sans faire grève, de réduire le nombre des heures de tra­vail. D'abord personne ne comprit cette manière de poser la question, ensuite, après y avoir pensé, mes camarades décidèrent que l'on pouvait essayer. André et moi prîmes sur nous d'élabo­rer ce plan. Nous confiâmes aux autres le soin de faire de l'agitation en faveur de la réduction de la journée de travail. Nous résolûmes de ne pas poser pour le moment la question de l'aug­mentation des salaires.

Nous élaborâmes, avec André, un plan détaillé. Il se résumait en ceci : les ouvriers de la flottille des dragueurs devaient réduire de leur propre volonté la journée de travail de 11 heures et demie à 9 heures : au jour fixé, les ouvriers de la caravane devaient arriver au travail à 7 heures du matin au lieu de 6 heures ; prendre une demi-heure pour dîner et terminer le travail à 4 heures au lieu de 5.

Nous devions désigner le jour fixé pour l'ac­complissement de notre plan dès que les ouvriers seraient suffisamment préparés. La veille de ce jour, avant la fin du travail, sur toutes les che­minées de tous les bateaux, nous devions écrire à la craie, en grosses lettres, à quelle heure, le lendemain, le travail devait commencer et se ter­miner. Pour diriger cette campagne, nous choisîmes un comité avec, comme centre, le Victor Choumski, sur lequel je travaillais. L'organisa­teur responsable ou président du comité fut André.

A partir de ce moment, le Victor Choumski devint le centre du mouvement ouvrier qui se formait à bord de la flottille.

Lorsque je fis, au comité du Parti, mon rapport sur le plan de campagne pour la réduction de la journée de travail, ce plan provoqua les protes­tations de tout le comité qui déclara qu'il fallait me borner au travail d'éducation à l'intérieur du cercle et ne pas m'occuper de travail actif. Je déclarai au comité que la tactique des manifesta­tions de combat organisées donnerait phis de ré­sultats politiques que le travail d'éducation à l'in­térieur des cercles. Après ma déclaration catégorique, le comité fut obligé de ratifier mon plan et je reçus l'autorisation de commencer notre campagne.

La jeunesse opérait avec décision : elle faisait de l'agitation ouverte pour la réduction de la journée de travail. L'administration habituée à sa prospérité paisible ne sentait pas le danger et portait peu d'attention à la « jeunesse bavarde »

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