1931

 

Pierre Nikiforov

la Grève

Pour la journée de travail de 9 heures

1931

Pour la journée de travail de 9 heures

La préparation à la lutte pour la conquête de la journée de 9 heures allait assez bien. Une par­tie importante non seulement de la jeunesse, mais encore des anciens adhéra à notre mouvement. En vérifiant nos forces, nous vîmes que chaque bateau comptait un petit groupe actif, réuni autour du mot d'ordre de la journée de 9 heures. Les chauffeurs et les mécaniciens s'intéressèrent sérieusement à l'affaire et se déclarèrent prêts à « essayer ». On demanda l'avis des anciens. Ceux-ci refusèrent résolument :

— Nous ne serons pas de la grève.

— Mais on ne veut pas de grève, insistait la jeunesse, nous voulons seulement travailler 9 heures, mais sans aucune grève.

Les vieux se défendaient, mais certains se ren­dirent :

— Si on se passe de grève, alors ça peut aller, mais, si vous pensez à quelque chose d'autre... on ne sera pas avec vous.

Les jeunes surent convaincre les vieux de ne pas avoir peur.

— Mais on n'a pas peur, qu'est-ce que ça nous fait à nous, pourvu qu'il n'y ait pas de politique.

Au bout de deux jours, nous résolûmes de commencer notre campagne. La jeunesse s'agi­tait ; quant à moi, je craignais que toute notre entreprise ne croulât si notre mouvement pre­nait la forme d'une grève non organisée.

Le soir, sur tous les bateaux, sur les bastin­gages et les cheminées, de grandes inscriptions en blanc apparurent : « Demain, le travail com­mence à 7 heures du matin. »

L'administration considérait ces inscriptions comme étant l'œuvre de chahuteurs et les quar­tiers-maîtres, en jurant, obligeaient les matelots à nettoyer les cheminées et les bastingages salis par la craie.

Le lendemain, la rue était noire de monde ; à bord et dans le port, il n'y avait personne excepté l'administration. L'on entendait les sonneries du bord qui appelaient au travail, mais personne ne venait. Tout le monde se tassait en silence sur le quai.

Un jeune s'approcha de moi et me raconta en jubilant comme « tout le monde est arrivé à 6 heures 30 sur le quai, mais personne ne mon­tait à bord. Les hommes de garde donnaient tout le temps le signal de commencer le travail, et nous ne bougions pas. Le capitaine du Choumski est arrivé et nous a demandé pourquoi on n'allait pas travailler et nous lui avons crié de la foule : « Nous commencerons le travail à 7 heures. » Il est reparti bredouille.

A bord des bateaux, l'administration regardait la foule qui s'était amassée et ne comprenait pas ce qui se passait. A 7 heures, le sifflet du Choumski se mit à hurler, tout le monde monta à bord et se mit au travail.

Avant la fin du travail, sur toutes les chemi­nées des dragueurs, de grandes inscriptions appa­rurent écrites à la craie et à la peinture : « On cesse le travail à 4 heures ». La jeunesse, la pre­mière, arrêta le travail et les vieux la suivirent. Le lendemain, la même histoire se répéta.

L'administration, déroutée, ne savait que faire, Le jour suivant, les dragueurs reçurent la visite des gendarmes, mais tout le monde travaillait et les gendarmes durent s'en aller.

Donc, il n'y avait pas eu de grève et la journée avait été réduite. Cette manière de faire sortant de l'ordinaire avait été, sans doute, tellement inattendue, que l'administration n'entreprit rien et la journée de 9 heures resta en fait. Les méca­niciens et les capitaines nous approuvèrent même ensuite, car leur journée avait été, par cela même, réduite aussi.

C'est ainsi que nous menâmes, sans accroc et avec succès, notre première attaque.

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