1921

Source : Le bulletin communiste, numéro 55 (deuxième année), 15 décembre 1921.


Le Parti Communiste Français à la veille du Congrès de Marseille

Boris Souvarine


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Le Parti Communiste français tiendra à la fin de l'année, à Marseille, son premier congrès politique proprement dit, c'est-à-dire le premier congrès à l'occasion duquel le Parti aura été appelé à discuter de questions de doctrine et de tactique.

Le Parti avait tenu au mois de mai un Congrès dit « administratif » consacré à la révision des statuts du vieux Parti. Une grave erreur fut commise à ce moment-là par suite de cette conception du caractère administratif attribué à un Congrès qui traitait, en réalité, un problème d'ordre éminemment politique, celui de la structure et de l'organisation d'un Parti Communiste.

En effet, selon la conception que l'on se fait de la phase de la lutte des classes consécutive à la guerre impérialiste et des formes actuelles de cette lutte, le parti du prolétariat s'organisera en formation exclusivement destinée au recrutement et aux discussions éclectiques ou en formation de combat centralisée, disciplinée, préoccupée avant tout de réaliser le maximum d'homogénéité dans sa composition, de cohésion dans ses rangs, d'unité dans ses conceptions comme dans son action.

Les résolutions et les thèses adoptées par l'Internationale Communiste dans ses deux premiers Congrès généraux démontrent avec un grand luxe d'arguments la nécessité pour le prolétariat mondial de s'organiser dans tous les pays en parti politique répondant aux nécessités d'une lutte de classe déclarée et qui va s'intensifiant. Les 21 conditions arrêtées par le deuxième Congrès International et imposées à tous les partis adhérents, n'avaient pas d'autre objet que de faire entrer dans la pratique les conclusions organisatrices qui découlent des postulats et des démonstrations théoriques et doctrinales précédemment adoptés.

Le Comité Directeur du Parti français a donc méconnu le fondement politique du problème de l'organisation. Il en est résulté un Congrès vraiment « administratif », selon la mode d'autrefois, c'est-à-dire un examen superficiel, une discussion étriquée, des décisions inorganiques. Les vieux statuts ont été révisés et remaniés avec timidité, les dispositions de la résolution communiste de Tours y ont été introduites avec prudence, sans que l'esprit de cette résolution inspirât la refonte.

Si l'erreur est passée inaperçue de la plupart des membres du Parti à ce moment, elle a du moins été comme instinctivement perçue par des militants ardents qui n'ont pas su malheureusement l'analyser et la combattre avec clairvoyance. Il en est résulté, certes, de véritables améliorations du projet de statuts soumis à l'épreuve des discussions, de par l'intervention du Comité de la 3e Internationale privé de quelques-uns de ses membres les plus autorisés, mais aussi quelques manifestations de démagogie stérile qui n'ont été d'aucun bénéfice, pour les statuts adoptés.

Une autre erreur du Comité Directeur comme de tous les éléments actifs du Parti a été de considérer la résolution de Tours comme une sorte d'expression suprême de l'idée communiste en France, alors qu'elle n'avait été, dans la pensée de ses rédacteurs, que comme la traduction minimum des conceptions générales de l'Internationale Communiste. Les militants les plus qualifiés du Comité de la 3e Internationale, en consentant à certaines concessions de forme et en sacrifiant quelques points secondaires du programme assigné par le deuxième Congrès mondial dans le but de réaliser l'accord avec la fraction qui désirait sincèrement s'unir à la leur, n'entendaient nullement renoncer à la revendication intégrale et à l'effort d'application intégrale des résolutions de l'Internationale. Pour eux, la résolution et le vote de Tours ne devaient point être l'aboutissement, le couronnement de tout leur travail, mais bien le point de départ d'un nouveau travail, de nouveaux efforts, de luttes nouvelles pour l'entraînement du Parti Communiste français vers de nouvelles étapes de perfectionnement.

Il eût été nécessaire que la direction du Parti, après Tours, se mît à la besogne pour élaborer une base doctrinale fondamentale. La résolution de Tours pouvait en tenir lieu provisoirement, mais elle ne comportait pas les développements nécessaires à la composition d'un programme politique complet, elle était muette sur plusieurs questions essentielles et encore imprécise sur plusieurs autres. C'est ainsi que la question de la défense nationale peut encore être posée devant le Parti qui devra prononcer son mot sur ce point à Marseille, plus de deux ans après les autres Partis Communistes. C'est ainsi que la conception du Parti sur le travail des communistes dans les syndicats n'est pas encore définie. C'est ainsi que le Parti n'a apporté encore aucune suggestion pour la formation d'organismes ouvriers sur la base des usines et des ateliers, sur la question du contrôle ouvrier, etc. Le Parti français s'est laissé distancer par tous les autres grands Partis Communistes et il doit accomplir de grands efforts pour prendre le rang que l'histoire lui assigne.

Ce que le Parti français n'a pas osé ou n'a pas pu faire jusqu'à ce jour, devra nécessairement être fait. Une bonne partie de la tâche a été confiée au Congrès de Marseille. Mais il restera encore de grands efforts à accomplir pour que le Parti se hausse au niveau de l'Internationale et pour qu'il fasse son profit des matériaux préparés et accumulés par trois Congrès internationaux.

Le Parti français, après son acceptation des thèses essentielles du communisme révolutionnaire et son adhésion à la nouvelle Internationale, a manqué de cette impulsion initiale qui devait donner à cette acceptation et à cette adhésion leur pleine valeur effective. Mais constater le fait ne suffit pas : il faut encore l'expliquer et réagir contre lui. L'explication se trouve aisément dans la perte de deux générations de militants expérimentés, dans la dislocation des cadres du Parti, dans l'affaiblissement inévitable que celui-ci a momentanément subi avec ses annulations, tout ceci exigeant un grand effort de reconstitution et de réorganisation auquel le Parti s'est adonné depuis Tours. Quant à la réaction nécessaire, elle reste encore à faire aux meilleurs éléments du Parti, ceux qui sont animés de l'esprit de l'Internationale Communiste.

Ces camarades qui participent de cœur et d'esprit à la vie de l'Internationale Communiste ne peuvent plus laisser passer la moindre occasion propice à imprimer au Parti un nouvel élan. Ils ne sauraient prolonger le silence et l'inaction qu'ils ont observés en croyant affermir ainsi l'unité du nouveau Parti Communiste. On ne doit plus voir dans ce Parti des assemblées comme le Conseil National réuni en octobre pour l'audition des rapports de la délégation française au Congrès de Moscou, toute discussion, toute application des décisions prises étant renvoyées au Congrès de fin d'année. Il est déjà bien tard, quoi qu'il ne soit jamais trop tard, pour alimenter et intensifier la vie spirituelle du Parti, ralentie après les discussions passionnées qui aboutirent au dénouement de Tours.

Les tendances du Parti

A la veille du Congrès de Marseille, quel est l'état physique et moral du Parti ? Ses forces en effectifs sont restées à peu près stationnaires, s'élevant à environ 130 000 membres comme après la scission de Tours. Son travail intérieur a consisté beaucoup plus dans la réorganisation de ses cadres et de ses ramifications que dans des efforts de recrutement. Quoi qu'en pensent certains membres du Parti, il n'y a là rien qui soit alarmant. Le Parti a mieux à faire qu'à enfler inconsidérément ses contingents. Il est préférable qu'il s'éduque, qu'il se discipline, qu'il s'entraîne à la lutte. La presse communiste prospère, le développement des adhérents a reconstitué les ressources matérielles de leurs organisations : ce ne sont pas là des résultats négligeables et ils valent d'être mis en lumière à côté des fautes commises au cours de l'année. Quant à l'orientation du Parti, ou plutôt aux orientations qui s'esquissent en lui, elles méritent de retenir longuement l'attention.

Il faut, avant tout, écarter toute supposition ou prévision d'un danger « de gauche » en France. Ni l'antiparlementarisme, ni le désir de scission des syndicats, ni la volonté de « tactique offensive » ne se sont exprimés dans le Parti. Les erreurs qu'a pu commettre la Jeunesse Communiste, sévèrement critiquées au 3e Congrès de Moscou, sont purement accidentelles et nul n'a prétendu les systématiser. Ces erreurs n'ont été d'ailleurs que la conséquence d'une ardeur méritoire que la Direction du Parti n'a pas su employer, et il faut reconnaître que les rares excès reprochés à nos jeunes sont plutôt d'heureux symptômes d'activité et de vaillance que des maux affligeant le Parti. Autre chose a été la manifestation, en juin, de certaine tendance qui n'avait de « gauche » que l'épithète qu'elle se donnait volontiers, et qui eût créé un pernicieux courant de démagogie si elle avait persisté. Cette tendance mérite d'être combattue sans faiblesse parce qu'elle discréditerait les grandes idées communistes dont elle se réclame ; mais il est bon de prendre en considération certaines de ses critiques justifiées, visant l'inaction du Parti, la carence fréquente de sa Direction, des fautes commises ça et là par des membres ou des organisations du Parti.

Alors qu'il ne s'est pas formé de tendance organique de gauche, on assiste actuellement à la formation d'une véritable tendance de droite, avec toutes les caractéristiques du réformisme et de l'opportunisme, et c'est là qu'est le danger pour le mouvement communiste français. Cette droite se constitue sous nos yeux en fraction, avec ses porte-parole autorisés, sa presse, et si elle n'arbore pas encore fièrement un drapeau, du moins se répand-elle déjà en sourdes menaces que nous n'entendons pas laisser sans réplique.

Les faiblesses de notre Parti, qui sont visibles à l'œil nu et dont tous les membres du Parti, sans exception, sont pour leur part responsables, sont combattues par les propagateurs sincères de l'idée communiste : les opportunistes, par contre, les justifient et tâchent à les élever à la hauteur d'un système. Les premiers déplorent les erreurs, les faux pas de leur Parti et s'appliquent à les lui épargner dans l'avenir ; les seconds considèrent ces maux comme un état normal et font obstacle aux tentatives de ceux qui prétendent y remédier. Cette situation se précise de plus en plus et, après une année de conciliation et de trêve tacitement consenties, un nouveau conflit de tendances apparaît inévitable. Il est provoqué par l'activité croissante d'éléments qui jouent, dans le Parti Communiste, le rôle d'agents du parti dissident de Renaudel et de Longuet, ou qui sont soumis inconsciemment beaucoup plus à l'influence de ce parti que de l'Internationale Communiste. Il importe de le limiter dans son développement et d'enrayer ses effets par une lutte ouverte contre l'opportunisme qui relève la tête dans une des sections de l'Internationale Communiste après s'être quelque temps dissimulé ou masqué.

La tendance qu'il importe de dénoncer comme dangereuse pour le mouvement ouvrier français mérite à tous égards le nom de droite, par le caractère spécifique qu'elle revêt à mesure que se dessinent les divers aspects de ses conceptions. Il suffira d'en tracer ici les principaux traits pour que tous les communistes reconnaissent, à première vue, le vieil ennemi qu'ils ne cessent de combattre.

Une tendance de droite

Cette tendance participe de l'état d'esprit imprégné de nationalisme qui était celui de toutes les sections de la 2e Internationale, et en raison duquel on se gardait attentivement d'intervenir dans les affaires des partis « étrangers ». Selon cette mentalité, un communiste français n'a pas le droit de parler à la tribune d'un congrès socialiste italien comme s'il était lui-même membre de ce congrès. La même mentalité supporte difficilement que des révolutionnaires russes, quels que soient les titres qu'ils aient à la gratitude et à l'admiration du prolétariat international, se permettent de critiquer des communistes français ou soi-disant tels. Surtout, la même mentalité s'insurge contre l'immixtion du Comité exécutif de l'Internationale dans les discussions et les actions des divers partis communistes, principalement dans celles du Parti français. Les déclarations de Clara Zetkin, Walecky1, Treint, Overstraeten, etc. —, au récent congrès de Milan, la délégation également récente d'un membre de l'Exécutif auprès de la Direction du Parti français, etc. —, sont autant de faits qui répugnent à ces singuliers internationalistes. Ceux-ci acceptent volontiers que l'Exécutif condamne l'inopportunisme de gauche, la maladie infantile du communisme et ils applaudissent à ses interventions contre les extrémistes à tout prix. Mais quand l'Exécutif critique et combat l'opportunisme de droite, la maladie sénile du socialisme, ils en sont offensés, voire même indignés. Ils polémiquent contre l'Exécutif, non pas en répondant aux critiques ou en opposant leurs conceptions aux siennes, mais en l'invitant à laisser les Français tranquilles, car les Français sont au-dessus de tout reproche et bien insolents sont ceux qui les contredisent. Comme ils n'ont pas toujours le courage de s'en prendre ouvertement à l'Exécutif ou à son président Zinoviev, ils accablent volontiers le représentant du Parti français à Moscou comme si celui-ci était le mauvais conseiller des représentants de tous les autres partis qui composent l'organisme dirigeant de l'Internationale. Il suffit de lire les articles de Verfeuil, de Fabre, de Méric dans le Journal du Peuple pour se convaincre de l'existence de cette sorte de nationalisme.

La même tendance exprime un désir abstrait d' « unité » et même ne craint pas quelquefois de formuler une volonté concrète de rétablir cette association immorale que constituait l'ancien parti socialiste. Elle remet on question la scission de Tours, cette délivrance du mouvement révolutionnaire français. Elle va même jusqu'à remettre en question la fondation de l'Internationale Communiste et celle de l'Internationale Syndicale Rouge, sous le prétexte qu'il ne faut pas quitter une organisation mais la conquérir de l'intérieur. Des articles de Verfeuil et de Fabre, dans le journal déjà nommé, soutiennent ces points de vue.

La même tendance, hostile au Comité Exécutif, prend fait et cause pour les dissidents internationaux de l'Internationale Communiste. Dans la Vague, Brizon2 a pu appeler l'héroïque mouvement prolétarien de mars en Allemagne une « insurrection de manches à balais » et commenter en une langue particulièrement injurieuse les sacrifices consentis par les ouvriers allemands à leur cause communiste : pour avoir voulu imiter Levi, il n'a réussi qu'à exécuter une odieuse parodie des critiques de Levi, lequel aurait éprouvé certainement un grand dégoût s'il avait lu la Vague qui prétendait s'inspirer de sa thèse.

Tout récemment, dans le Journal du Peuple, Rappoport prenait la défense de « notre bon ami Serrati » et attribuait au Comité Exécutif un manque de tact dans son intervention au congrès de Milan. Après s'être approprié un mot de feu Georges Plékhanov sur le tact et la tactique, Rappoport laissait entendre que l'Exécutif pousse les masses du Parti socialiste italien « dans le chemin de la trahison » en excluant de l'Internationale le parti de Serrati. Les masses ouvrières italiennes sont en grande partie solidaires de Serrati, dit encore Rappoport, qui oublie que ces masses sont trompées par Serrati et qu'elles ne peuvent être détrompées que par la rupture de l'Internationale Communiste avec un parti de verbalisme révolutionnaire et d'opportunisme pratique.

La même tendance cherche à tirer profit de la nouvelle politique du gouvernement des Soviets et prétend en faire une transposition arbitraire dans la politique du Parti français, y puiser la justification de l'opportunisme. Aux compromis que consent momentanément à la bourgeoisie internationale le gouvernement des Soviets pour assurer au prolétariat russe de meilleures conditions de vie et de lutte, à ces compromis imposés à l'avant-garde de la Révolution par la lenteur du développement du mouvement révolutionnaire mondial, on voudrait faire correspondre en France des compromissions profitables exclusivement à la bourgeoisie et détournant le prolétariat français de la voie révolutionnaire.

La même tendance se manifeste à l'occasion de certaines élections partielles, quand celles-ci comportent un deuxième tour de scrutin. On parle encore de « bloc des gauches », ou d'entente avec les partis les plus proches du nôtre par leur programme, comme si le parti politique unique du prolétariat pouvait abandonner une parcelle des revendications intégrales de la classe exploitée. Pour justifier une compromission qui serait fatale à l'autorité du Parti Communiste, certains prennent pour prétexte l'exemple d'une campagne électorale récente où le Parti fit appel, au second tour de scrutin, aux masses qui avaient été entraînées au premier tour par d'autres partis, appel qui ne comportait pas la moindre renonciation au programme communiste, le moindre abandon de la moindre partie de ce programme, qui gardait intacte l'indépendance complète du Parti Communiste et tendait, selon une tactique classique, à détacher des chefs consciemment contre-révolutionnaires les masses inconscientes dévoyées à leur suite.

La même tendance s'exprime à propos des rapports du Parti Communiste avec les syndicats ouvriers. Sous prétexte d'autonomie des organisations corporatives, de leur caractère apolitique, et en réalité par paresse devant la tâche de pénétration et de propagande communistes dans les syndicats, on préconise une théorie de « laissez-faire, laissez-passer », d'abstention de toute participation à l'activité intellectuelle de nature inévitablement politique des syndicats. On reproche à l'Internationale Syndicale Rouge et à l'Internationale Communiste une ingérence insupportable dans les affaires des syndicats français. C'est encore là une des manifestations du nationalisme signalé plus haut. On prétendrait que dans les organisations ouvrières internationales, politiques et syndicales, les sections françaises seules jouissent d'une autonomie absolue et du droit de répudier les engagements pris en commun, tandis que les autres sections seraient liées par leurs engagements réciproques envers les organisations françaises. On critique les décisions de Moscou sur la liaison organique indispensable des deux Internationales et sur la liaison organique souhaitable entre le Parti Communiste et les syndicats révolutionnaires dans chaque pays. Mais en même temps, on accepte la formation en France d'un Comité mixte qui prend successivement des étiquettes diverses, soit qu'il se propose de lutter contre les menaces de guerre impérialiste, soit qu'il s'assigne pour tâche de secourir les faméliques de Russie, de combattre les projets de lois scélérates dirigées contre la propagande révolutionnaire dans l'armée, de mener campagne pour que justice soit rendue à deux militants anarchistes italiens condamnés à mort aux Etats-Unis. En d'autres termes, en matière de liaison organique, on accepte la chose mais on repousse avec horreur le nom. Et l'on agite périodiquement le spectre de la subordination des syndicats au Parti et de l'Internationale Syndicale Rouge à l'Internationale Communiste, comme si les résolutions et les thèses adoptées aux récents congrès internationaux de Moscou préconisaient ou impliquaient quelque chose de semblable.

La même tendance pousse des cris affreux chaque fois qu'il est question d'affermir la discipline dans le Parti et que le mot d'exclusion est prononcé quand quelque membre du Parti se signale par des excès nuisibles au mouvement communiste. L'unité de doctrine et d'action, pour ces champions de la liberté absolue, devient du sectarisme, de l'intolérance, etc... On imagine sans peine les variations qui peuvent être faites sur les thèmes connus des déchirements intérieurs, de l'émiettement du Parti, des opérations chirurgicales mortelles et autres accidents dangereux qui n'ont rien de commun avec la discipline communiste.

À ces attitudes nettement caractérisées au regard d'importantes questions de tactique du mouvement communiste, il faut ajouter les écarts individuels, les aberrations locales qui ne sauraient évidemment engager la responsabilité du Parti entier, mais que le Comité Directeur ne réprime pas toujours avec vigueur et qui contribuent à la formation de cette fâcheuse tendance de droite. Il n'en faudrait pas tant pour qu'une telle tendance apparaisse comme un danger et soit combattue sans hésitation. C'est une tâche immédiate qui s'impose d'autant plus impérieusement que beaucoup de camarades subissent, sans s'en douter, l'influence de cette tendance et contribuent inconsciemment à faire le jeu des agents avérés du Parti de Renaudel et de Longuet, ce qu'ils ne feront plus quand leur sera démontrée clairement et avec force la nocivité de leurs erreurs.

Contre la droite

Les militants français qui se sont ralliés pleinement aux mots d'ordre de l'Internatioale Communiste, qui ont approuvé ses thèses, qui ont à cœur d'appliquer ses décisions, et dont le dernier Congrès mondial, les actes et les paroles du Comité Exécutif ont confirmé et fortifié les convictions, ont pour devoir d'entreprendre immédiatement une lutte loyale contre les tenants des méthodes d'autrefois. Ils doivent les obliger à revendiquer franchement ces méthodes ou à les abandonner, et dans le premier cas, à prendre la place qui leur revient dans le Parti de Renaudel et de Longuet. Il faut le faire d'autant plus vite, qu'il est encore temps d'aider plusieurs de ces camarades qui donnent dans l'opportunisme, à se ressaisir et à renoncer à leur déviation.

Nous devons d'abord combattre les symptômes de l'esprit nationaliste : proclamer qu'il n'y a qu'un seul Parti Communiste International, que tout Parti Communiste, que tout membre d'un tel Parti a le droit et surtout le devoir de s'intéresser à la vie d'un autre Parti comme du sien propre, d'intervenir avec passion, de critiquer ou d'approuver sans que sa nationalité entre en ligne de compte. Notre Parti doit envoyer aussi fréquemment que possible des représentants travailler dans les autres Partis, échanger ainsi des collaborations pour s'imprégner d'esprit vraiment internationaliste. Il doit prendre position au regard de toutes les questions intéressant ses Partis frères et l'Internationale, se tenir en communication constante avec les autres Partis et surtout avec le Comité Exécutif. Il doit renseigner et documenter celui-ci, participer intimement à son travail, afin que toute résolution ou décision concernant le mouvement révolutionnaire français soient prise en parfaite connaissance de cause. Il doit prendre au sérieux les résolutions adoptées, observer ses engagements et obligations, appliquer les décisions débattues en commun. Il doit aussi s'efforcer de prendre des initiatives profitables à l'action prolétarienne mondiale, contribuer pour sa part à la stimuler et à l'accélérer.

Si un désaccord survient entre lui et un autre Parti ou l'Exécutif, il doit l'exposer franchement et le discuter sainement, c'est-à-dire en écartant de la discussion toute manœuvre indigne et en prenant des sanctions impitoyables contre ceux de ses membres qui se permettent de répandre hypocritement le soupçon, le doute, l'insinuation, qui empoisonnent ou avilissent la controverse.

Nous devons combattre toute tendance à rapprocher les fractions du vieux Parti, épuré par la scission de Tours, démontrer la justification de cette scission par les événements qui ont suivi. Nous dénoncerons la politique de dissidents, non pas par de mesquines discussions sur telle ou telle manifestation particulière ou localisée imputable à un membre ou à un groupe dissident, mais par la critique implacable du caractère fondamental de cette politique au service de la bourgeoisie. Nous montrerons que la formation contemporaine des Partis Communistes dans tous les pays correspond à une nécessité historique dans une phase nouvelle de la lutte des classes, et nous le prouverons, grâce à l'universalité du phénomène de scission et de constitution d'organisations communistes. Nous saurons aussi établir la différence entre la scission indispensable dans les Partis politiques où se contrecarrent deux doctrines antagoniques et la scission criminelle dans l'organisation économique du prolétariat, la première étant imposée par la logique même de la formation des groupements d'affinités, la seconde étant provoquée par les leaders qui trahissent les intérêts de l'organisation qu'ils dirigent et au seul profit de leur domination.

A ceux qui prennent le parti de Serrati, nous dirons que nous ne confondons pas les masses ouvrières trompées avec le trompeur qui abuse de leur bonne foi et de leur confiance pour les entraîner, lui, dans le chemin de la trahison. Nous montrerons aisément que le Comité Exécutif a épuisé toutes les ressources de la conciliation et s'est montré prêt à faire toutes les concessions pour retenir dans l'Internationale Communiste les masses entraînées par Serrati, acceptant même d'admettre encore celui-ci dans l'Internationale pour ne pas se séparer d'une fraction importante du prolétariat agissant d'Italie. Nous leur demanderons de dire ouvertement s'ils conçoivent que l'Internationale accueille dans ses rangs le groupe de la Critica Sociale et les majoritaires de la C. G. T. italienne, responsables de l'avortement du mouvement d'occupation des usines, des défaites répétées que subit depuis la classe ouvrière italienne, du développement de la terreur fasciste avec laquelle ils ont pactisé, et candidats permanents à la collaboration avec les ministres de la monarchie de Savoie. Quant à ceux qui, voulant reprendre à leur compte les critiques de Paul Levi sur le mouvement insurrectionnel de mars, sons avoir même lu ces critiques, sans les avoir, à plus forte raison, comprises et assimilées, bafouent et injurient le Parti Communiste frère d'Allemagne, encore saignant des mille blessures qui l'ont atteint au cours de plusieurs luttes héroïques contre la dictature capitaliste, quant à ceux-là, nous ne discuterons même pas avec eux et nous saurons les chasser du Parti avec l'approbation unanime de celui-ci.

A propos de la nouvelle politique du Gouvernement des Soviets, nous expliquerons aux camarades de bonne foi que les compromis imposés par des conditions de combat et acceptés dans l'intérêt de l'accession au but final de la lutte révolutionnaire qui reste immuable, et au seul bénéfice du prolétariat, compromis qui n'entament en rien l'intégralité des principes inspirateurs de l'effort vers le Communisme, n'ont rien de commun avec les compromissions de principe qui obscurcissent la conscience de classe du prolétariat, brisent son élan, lui assurent la défaite avant la bataille et ne profitent qu'à son ennemi bourgeois. Nous démontrerons que plus le Parti Communiste de Russie se trouve acculé aux concessions, plus intransigeants, plus résolus, plus hardis encore doivent se montrer les Partis Communistes européens. Ainsi que Boukharine l'exposait judicieusement dans une conférence aux membres du IIIe Congrès de Moscou, les camarades russes ne craignent pas de souligner brutalement les nécessités qui contraignent leur Parti au recul, parce que cela ne peut que stimuler l'activité des autres Partis dont l'insuffisance seule a créé pour la Russie révolutionnaire les conditions d'isolement qui lui interdisent une transformation rapide en société communiste. Nous établirons la distinction entre la politique du Gouvernement des Soviets qui tend à conserver au prolétariat d'un pays le pouvoir conquis et la politique de l'Internationale Communiste qui tend à la conquête du pouvoir par le prolétariat dans tous les pays.

Aux partisans du « bloc des gauches », ou de quelque entente que ce soit avec des Partis ennemis, nous dirons que nous ne connaissons que deux classes en lutte, que notre Parti est l'expression politique de la volonté d'émancipation de la classe opprimée, qu'il défend par suite des intérêts opposés à ceux de l'autre classe, c'est-à-dire que protègent tous les autres Partis, et que, défendant la totalité des intérêts prolétariens, il s'interdit tout compromis avec les intérêts opposés.

Aux sophistes qui prétendent que le Parti Communiste ne doit pas faire appel aux masses dévoyées sous l'influence d'autres Partis, qui confondent par incompréhension ou par mauvaise foi les Partis et les chefs contre-révolutionnaires avec les masses abusées que les communistes ont pour mission d'attirer dans la voie révolutionnaire, nous répondrons par un redoublement d'activité dans toutes les circonstances favorables à entraîner à notre suite ces masses encore flottantes et qui cherchent leur orientation définitive. Si des considérations de tactique incitent le Parti à une manœuvre ou à un expédient dont un autre Parti pourrait momentanément bénéficier, comme les bolcheviks l'ont fait en Russie dans certaines conjonctures, nous ne permettrons pas que l'on nous attribue une arrière-pensée de compromission ou d'opportunisme.

Aux gardiens de la vertu des syndicats qui prétendraient nous interdire de corrompre la vie spirituelle des corporations en y introduisant des idées politiques, nous répliquerons que toute lutte de classe est une lutte politique, nous proclamerons que là où il y a des prolétaires il y a place pour les idées communistes et que rien ni personne ne peut s'opposer à la diffusion de la pensée communiste, pas plus dans un syndicat que dans tout autre groupe prolétarien. Ceux qui voudraient provoquer une rivalité entre le vieux syndicalisme révolutionnaire et le jeune communisme français trouveront encore à qui parler : notre passé récent, les méthodes du Comité pour la reprise des relations internationales, puis du Comité de la 3e Internationale, la résolution votée au Congrès de Tours, les efforts actuels pour l'entente avec les syndicalistes révolutionnaires, la résolution établie en commun à Moscou et signée des représentants de l'Internationale Communiste, de l'Internationale Syndicale Rouge et des Comités syndicalistes révolutionnaires français, tout démontre la volonté de notre Parti de s'allier aux forces ouvrières animées de l'esprit de la révolution sociale communiste.

Enfin, nous exigerons que tous les membres du Parti se considèrent avant tout comme des membres du Parti et de l'Internationale Communiste qu'ils fassent passer les intérêts de ces organisations avant tous autres, qu'ils considèrent comme leur loi les principes, les thèses, les décisions de l'Internationale Communiste et de leur Parti. Cela signifie qu'une discipline doit maintenir la cohésion dans les rangs du Parti et que toute préoccupation particulière doit être sacrifiée aux préoccupations générales du Parti. Les épurations et les exclusions nécessaires seront préconisées par nous d'autant plus ardemment qu'il est facile de démontrer qu'un parti ne s'affaiblit pas en éliminant ses membres indignes mais au contraire qu'ainsi il se fortifie.

A coté de cette contre-partie répondant aux manifestations variées de l'opportunisme, les éléments les plus conscients et clairvoyants du Parti, les plus fidèles à l'esprit général de l'Internationale Communiste devront accomplir un travail positif pour précipiter la transformation du Parti en parti véritablement communiste et lui donner la structure, les cadres, la direction, l'appareil de combat qui en feront l'avant-garde du prolétariat agissant.

Les tâches immédiates

On a prononcé dans l'Internationale le mot « crise » à propos du Parti français, quand Frossard a publié récemment l'article inquiétant intitulé L'heure des difficultés, et qui fut largement exploité par les journaux de Longuet, Serrati, Levi, Martov et autres représentants authentiques de l'opportunisme international. En fait, l'examen consciencieux et l'analyse approfondie de la situation du Parti français montrent que celui-ci ne connaît pas de crise caractérisée. Mais il y règne incontestablement un malaise qui, d'abord, participe du malaise général atteignant tous les Partis communistes d'Europe par suite d'une situation politique générale assez trouble et qui, ensuite, tient plus précisément à l'insuffisance de la direction du Parti français. Si l'on parle d'une crise dans ce Parti, c'est seulement d'une crise de direction qu'il peut être question.

Le ralentissement momentané du recrutement est dépourvu de signification. Le Parti français ne peut espérer accroître en permanence ses forces dans la même proportion où il les a vues grossir au lendemain de la guerre. A des périodes différentes d'agitation et de lutte correspondent des résultats différents dans l'ordre du recrutement. Dans certaines conditions, une diminution d'effectif peut même être d'un grand bénéfice pour le Parti au point de vue de sa cohésion et de son prestige, comme c'est actuellement le cas pour le parti frère de Russie qui sert de modèle à tous les autres à bien des titres. Mais si l'arrêt du recrutement ne saurait nous inquiéter, il n'en est pas de même de la désaffection des membres du Parti envers le travail de leur organisation, observée et signalée par Frossard. Là, il importe d'apporter d'urgence des remèdes efficaces.

Le premier est de découvrir la cause du mal : elle réside essentiellement et presque exclusivement dans une sorte de paresse physique et morale de la direction. Pourquoi les discussions dans les cellules du Parti ont-elles manqué d'aliments, pourquoi les assemblées ont-elles été clairsemée ? Parce que le Comité Directeur a négligé de distribuer cet aliment intellectuel que les sections attendaient de lui. Parce qu'il s'est gardé de provoquer des débats, de susciter des controverses, de crainte que l'unité en soit affaiblie alors qu'au contraire elle eût été fortifiée à l'épreuve de la discussion. Craignant d'apparaître comme un Comité Central « autoritaire » ou « dictatorial », il a oublié complètement son rôle de Comité directeur et il s'est gardé de rien diriger, d'intervenir là où son intervention eût été utile et même indispensable, de secouer l'apathie ici, de donner l'impulsion là, de répartir le travail, d'inciter à l'effort, d'encourager les initiatives, de stimuler partout les énergies. Pour n'avoir pas voulu prêter aux vains reproches d'autoritarisme, il a compromis son autorité.

Pourtant, le nom même du Comité Directeur définit clairement son rôle, qui est de diriger le Parti dans l'intervalle des congrès. Nul ne prétend le substituer aux assemblées plénières représentatives de l'ensemble du Parti, mais entre deux congrès, quel autre moyen avons-nous de donner an Parti une direction sinon d'investir de pouvoirs directoriaux un Comité élu par la confiance de la majorité ? Il faut sans plus de retard parer à cette crise de direction dont souffre le Parti en confirmant à nouveau l'autorité conférée au Comité Directeur, en renforçant celui-ci par l'élimination des éléments inactifs et l'introduction de forces neuves, de représentants ouvriers en contact avec les masses, enfin en créant un organe permanent de direction politique à l'exemple des autres partis communistes.

Il est temps aussi d'instituer dans toutes les ramifications du Parti de saines discussions, ouvertes, franches, où l'on appelle choses et gens par leur nom, et qui élimineront les campagnes sourdes, les menées équivoques, envenimées d'allusions, d'insinuations, de sous-entendus, comme celle que conduit Méric dans le Journal du Peuple. Il faut transporter les discussions hors des coulisses du Parti et des bureaux de rédaction des journaux, devant les plus larges auditoires du Parti, il faut introduire la loyauté dans la contradiction, proscrire et flétrir les intrigues et les combinaisons politiciennes.

Ce n'est pas seulement la direction du Parti qui a besoin d'être remise sur pied, c'est le Parti lui-même qui a besoin de transformation organique. Les thèses du 3e Congrès mondial sur la structure et l'organisation des Partis Communistes auraient dû figurer à l'ordre du jour du Congrès de Marseille, pour adaptation et application en France. Si cet ordre du jour est déjà assez lourd, il faut espérer que le Parti convoquera, dans un délai très rapproché, une assemblée qui examinera ce problème d'importance primordiale. Notre Parti ne peut pas affronter les tâches d'aujourd'hui et de demain avec une organisation édifiée pour celles d'hier.

Le Congrès de Marseille

Le Congrès de Marseille n'examinera malheureusement pas toute l'œuvre du 3e Congrès de Moscou, mais il doit aborder quelques-unes des questions essentielles posées au Parti français. La principale est celle des rapports de celui-ci avec les syndicats en général, avec les syndicalistes-révolutionnaires en particulier. Si le Congrès lui donne d'heureuses solutions, que les événements par la suite confirmeront de fructueux résultats, il aura accompli un acte méritoire qui comptera dans l'histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire français.

Le travail des communistes dans les syndicats consiste évidemment à y introduire et enraciner l'idée communiste, à y conquérir les sympathies et les adhésions, à rendre ces sympathies agissantes et ces adhésions effectives pour que l'orientation syndicale subisse l'influence du communisme. Si d'aucuns s'avisent de reprocher aux communistes de faire ce que font les réformistes ou les anarchistes, de rivaliser avec ceux-ci, ce ne sont pas des griefs aussi vides qui peuvent nous arrêter. Nous avons le droit comme quiconque et le devoir comme communistes de propager nos doctrines partout où il y a des prolétaires, selon l'excellente expression de la résolution de Tours.

La question des relations entre communistes et syndicalistes-révolutionnaires est plus difficile à résoudre, mais elle n'est pas insoluble. Le syndicalisme et le socialisme d'avant-guerre n'ont résisté ni l'un ni l'autre aux épreuves de la guerre et de la révolution. Le parti bolchevik, le premier, a compris la nécessité de réviser les formules et le programme de l'ancienne social-démocratie, de la 2e Internationale, et il en a pris l'initiative, devançant de longtemps tous les autres partis. Il a hardiment refondu la doctrine politique du prolétariat révolutionnaire en remontant à la source du marxisme et a frayé la voie à la 3e Internationale. D'autres partis ou fractions de partis l'ont suivi et parmi eux le Parti français, délesté de son contingent réformiste avoué. Le Parti français n'a certainement pas perdu toute trace d'esprit réformiste, mais on ne peut nier l'immense progrès révolutionnaire qu'il a réalisé, sa bonne volonté et sa volonté révolutionnaire évidentes, ses efforts de chaque jour pour former une section française digne de l'Internationale Communiste. D'autre part, les syndicalistes-révolutionnaires n'ont pas négligé les leçons de la guerre, l'expérience des révolutions de Russie, d'Allemagne, d'Autriche, de Hongrie. Ils ont renoncé à une bonne part de leurs dogmes, l'apolitisme, l'anti-étatisme, le libertarisme absolu, la répudiation de tout parti politique. En même temps, les socialistes devenus communistes appréciaient hautement la valeur révolutionnaire du syndicalisme, le rôle du syndicalisme révolutionnaire français comme réaction contre le réformisme du vieux parti socialiste, le contact permanent des syndicalistes avec les masses ouvrières. Qu'est-ce donc qui sépare encore les syndicalistes-révolutionnaires des communistes, qui empêche leur alliance de devenir union intime, qui retient les syndicalistes-révolutionnaires d'entrer au Parti ? D'anciennes habitudes, quelquefois des préjugés, la vieille méfiance d'autrefois persistante malgré tout, de ne sont pas là d'insurmontables obstacles et il est permis d'espérer qu'avec un effort de compréhension réciproque de part et d'autre, la fusion nécessaire se fera. Quoi qu'il en soit, rien n'interdit la discussion entre syndicalistes-révolutionnaires et communistes et nous ne devons pas craindre d'exprimer publiquement nos idées sur le sujet. Trotsky a ouvert la controverse à Moscou et il n'en est résulté aucun malheur : la seule chose à regretter est que les syndicalistes-révolutionnaires n'aient pas répondu.

Le Congrès de Marseille devra aussi, aux termes de l'ordre du jour, fixer le point de vue du Parti au regard de la défense nationale. Il est permis de déplorer le retard apporté à cette clarification des idées du Parti sur un problème si important, résolu par le premier Congrès de l'Internationale Communiste. Sans nous attarder aux regrets, nous devons nous efforcer de formuler une réponse catégorique, dans le sens de la doctrine communiste de toujours, à la question posée. Car c'est bien une question doctrinale qui est posée, contrairement à ce que pensent ceux qui la considèrent comme purement circonstancielle. L'idée de défense nationale est une conception qui divise les prolétaires par nations, alors que l'idée communiste est une notion qui abolit les divisions factices entre prolétaires des divers pays et met en lumière la véritable division fondamentale qui détermine les rapports sociaux, la division en classes antagonistes, la division à l'intérieur de chaque pays et non aux frontières de chaque pays. Etre partisan de la défense nationale, c'est s'inspirer de l'idée de nation, c'est prendre souci des intérêts de la bourgeoisie de son pays. Etre adversaire de la défense nationale, c'est s'inspirer de l'idée de classe, c'est prendre souci des intérêts du prolétariat exclusivement, de celui de son pays comme de celui des autres pays, intérêts qui ne sont qu'un. Si le Congrès de Marseille remettait en question ces vérités communistes, il méconnaîtrait l'essence même du communisme, — hypothèse invraisemblable.

Sur la tactique électorale, le Congrès aura à se prononcer d'autant plus librement qu'il ne sera pas mis en présence de conceptions nettement arrêtées et résolument défendues. A la vérité, il faut prendre à l'avance son parti de le voir adopter une méthode qui comportera, quelle qu'elle soit, des inconvénients. Le seul fait qu'il devra envisager l'éventualité des seconds tours de scrutin le condamnera à des expédients, puisqu'une pure solution communiste est impraticable dans de tels cas. Si le Congrès sait faire abstraction des préoccupations locales et des considérations subalternes pour n'envisager que l'intérêt supérieur du Parti, il tracera une règle générale qui fera loi pour tous et qui, en dépit des inconvénients inévitables qu'elle ne peut pas ne pas entraîner, vaudra certainement mieux que l'absence actuelle de tactique unifiée, et délivrera le Parti de discussions irritantes et stériles.

Quand le Parti aura résolu les difficultés immédiates qui se dressent devant lui, il ne sera pas au terme de son effort de mise au point et de précision. Les lendemains du Congrès de Marseille seront pour lui encore chargés de problèmes, lourds de difficultés. Comment le Parti établira-t-il son contact avec les masses prolétariennes, comment les entraînera-t-il dans la lutte des classes, à quelles plate-formes, à quel mots d'ordre recourra-t-il pour les rallier ? Autant de questions qui exigeront un travail acharné du Parti et surtout de sa direction de demain. Puisse-t-il s'adonner courageusement à la tâche, se préparer à assumer les responsabilités capitales qui lui incomberont ! Puisse-t-il déjà apporter au 4e Congrès de l'Internationale Communiste une part importante d'idées et de travaux !

Notes

1 Henryk Walecki, pseudonyme de Maksymilian Horwitz (1877-1937), membre du PPS puis du Parti Communiste Polonais. Arrêté et exécuté en 1937 par le NKVD.

2 Pierre Brizon (1878-1923), enseignant, député socialiste durant la Première Guerre mondiale. En 1915-16, tend vers une position internationaliste, participe à la Conférence de Kienthal. Pacifiste. Tendant de plus en plus vers la droite, il finit par rombre avec le Parti communiste français.


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