1977

"(...) Les « fronts populaires » sont à l'ordre du jour lorsque se prépare une crise révolutionnaire, que la révolution prolétarienne s'avance et surgit : ils en sont le contraire, sa négation. (...)"

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Fronts populaires d'hier et d'aujourd'hui

Stéphane Just (avec Ch. Berg)


Origine et « théorie » des fronts populaires


Brusque tournant

Le 9 octobre 1934, se tenait salle Bullier à Paris un meeting du P.C.F. Thorez, secrétaire général, lançait le premier appel à la constitution d'un « front populaire du travail, de la liberté et de la paix ». Il s'agissait, selon Thorez et la direction du P.C.F., d'élargir l'unité d'action réalisée entre le P.S. et le P.C.F. aux « classes moyennes ». Le même jour, au comité de coordination du P.S. et du P.C.F., des représentants du P.C.F. proposaient l'élaboration d'un programme susceptible de servir de base à la constitution de ce front populaire. Toujours selon les dirigeants du P.C.F., le parti radical était la représentation politique des classes moyennes. Le 24 octobre, nouveau discours de Thorez à Nantes, où allait se tenir le congrès du parti radical. Il s'adressait « aux groupements radicaux hostiles à la réaction », proposant un programme qui comprenait jusqu'à la défense de la Constitution de la III° République. La direction du P.C.F. s'emparait du manifeste lancé fin mars 1934 par le « Comité de vigilance des intellectuels antifascistes », mais en lui donnant un contenu politique qui dépassait considérablement cet appel. Le nouveau cours politique, qui depuis quarante ans est constamment repris par les partis communistes, avait trouvé sa formule : front populaire, rassemblement populaire, union populaire, unité populaire...

Déclaration et orientation étonnantes, au moins en apparence, si on les compare à ce que le même Maurice Thorez écrivait encore quelques mois avant : les mouvements de février « ont permis à ces mêmes prolétaires de juger et de condamner le parti socialiste dans son rôle de principal soutien social de la bourgeoisie, dans sa pratique d'auxiliaire du fascisme » (l'Humanité du 20 mars 1934).

Non moins net était l'appel de l'Association républicaine des anciens combattants (A.R.A.C.) publié le 6 février 1934 par L'Humanité sous le titre « Manifestez... » : « Tous à 20 heures au rond-point des Champs­-Elysées [ ... ]. A la fois contre les bandes fascistes, contre le gouvernement et contre la social-démocratie. »

Naissance de la « théorie » du « Social-fascisme »

C'était le dernier écho de la « théorie » du « social-fascisme ».

Nous allons revenir l'origine de cette « théorie » du « social-fascisme » et suivre ses  développements. Quelques lecteurs pourraient s'étonner : formellement, en effet, les « théories » du « social-fascisme » et des « fronts populaires » sont radicalement opposées. En réalité, ainsi que nous allons le voir, l'une (celle des « fronts populaires ») est la conséquence de l'autre (celle du « social­-fascisme »). Elles sont les deux faces d'une même médaille. Elles résultent d'une opposition grandissante de ceux qui les ont élaborées, en l'occurrence la bureaucratie du Kremlin et des P.C. qui font partie de son appareil international, aux intérêts du prolétariat et de la révolution. Cette continuité de contenu doit être mise en évidence, pour bien appréhender les origines et la « théorie » des « fronts populaires ».

L'Internationale communiste a commencé à élaborer  la « théorie » du « social-fascisme » en fonction du cours de, la lutte des classes en Allemagne. La raison en est qu'au lendemain de la Première Guerre mondiale en Allemagne se sont concentrés tous les problèmes de la révolution prolétarienne et conjointement de la contre-révolution, que les rapports politiques à l'intérieur du mouvement ouvrier y ont atteint une sorte de pureté classique : un parti communiste qui était le plus puissant, après celui de l'U.R.S.S., de l'Internationale communiste ; un parti social-démocrate (S.P.D.) qui était encore beaucoup plus puissant que le parti communiste allemand (P.C.A.), et derrière lequel se regroupait la grande majorité de la classe ouvrière ; une centrale syndicale regroupant en son sein et derrière elle la quasi-totalité du prolétariat allemand.

Dès janvier 1924, le présidium de l'Internationale communiste affirmait : « Les couches dirigeantes de la social-démocratie ne sont, au moment actuel, qu'une fraction du fascisme allemand sous le masque du socialisme. Entre Ebert, Secks, Ludendorff, il y a certes des nuances. Mais elles ne doivent pas faire oublier aux communistes que la tâche principale est d'amener la classe ouvrière à une conscience claire de ce qui est essentiel, à savoir que dans la lutte entre le capital et le travail, les leaders du S.P.D. sont liés à la mort aux généraux blancs... Plus dangereux encore que les leaders sociaux-démocrates de droite sont ceux de la gauche du S.P.D. »

A la fin de l'année 1923 et au début de l'année 1924, un chapitre capital de la lutte, des classes, de l'histoire de l'U.R.S.S., du parti bolchevique et de l'Internationale communiste se fermait. En janvier  1923, Poincaré avait fait occuper la Ruhr par les troupes françaises. Il voulait imposer le paiement des fantastiques réparations infligées à l'Allemagne par le traité de Versailles. L'économie allemande délabrée, privée de ses marchés, était incapable de supporter ce fardeau. L'inflation déjà se développait. Le gouvernement Cuno décréta la résistance passive. La crise économique, sociale, politique, disloquait la société allemande. L'inflation n'avait plus de limites. Pour 1 mark en 1914, il fallait 1,4 mark-papier en 1918, 2,1 en 1919, 14,4 en 1920 le jour de rentrée des troupes françaises dans la Ruhr, 2 500 au milieu d'août 1923, 1 million le 4 octobre, 130 millions en novembre, 600 milliards le jour de la mise en circulation de la nouvelle monnaie... Evidemment, tous les rapports économiques étaient dissous. La petite bourgeoisie était totalement ruinée. C'était la famine pour des millions de travailleurs. Toutes les couches sociales se décomposaient. Seul le capital financier était gagnant.

Les masses s'orientaient résolument à gauche. En cette situation qui semblait désespérée, sans issue, par millions et par millions les prolétaires se tournaient vers le P.C.A., tandis que les ouvriers sociaux-démocrates se radicalisaient et que la dissolution même des rapports économiques rendait impuissant l'appareil de la centrale syndicale allemande.

Une crise révolutionnaire s'ouvrait.

L'avenir de la révolution russe, du parti bolchevique, de l'Internationale communiste, se jouait en Allemagne. Déjà, l'isolement de l'U.R.S.S., l'épuisement du prolétariat, la fatigue et l'usure du parti bolchevique après trois ans de guerre impérialiste et quatre ans de guerre civile, avaient de redoutables conséquences : la bureaucratie s'installait dans tous les rouages de l'Etat et du parti. Elle en prenait le  contrôle, devenait omniprésente. Dès 1922, Lénine s'inquiétait de la marée montante de cette couche. En alliance avec Trotsky, il décidait de préparer et d'engager la lutte au XlI° Congrès en avril 1923. Malheureusement, la maladie qui devait remporter le frappait pour la deuxième fois, l'obligeant à cesser toute activité. Trotsky différait la bataille à l'intérieur du parti bolchevique. La crise révolutionnaire allemande revivifiait le parti bolchevique. Elle laissait espérer la fin de l'isolement de l'U.R.S.S. et la concrétisation de la perspective de la révolution victorieuse en Europe, et par suite dans le monde. Tous les dirigeants du parti bolchevique et de l'I.C. considéraient alors que la révolution russe était une composante de la révolution mondiale.

Mais la direction du parti communiste allemand fut incapable d'utiliser la crise révolutionnaire. Elle ne comprit pas le tournant de la situation quand il se produisit. Lorsqu'elle rajusta sa politique, après que le comité exécutif de l'I.C. eut pris position, des mois précieux avaient été perdus. Elle mit à l'ordre du jour la préparation de l'insurrection pour le mois d'octobre 1923, mais sans conviction et en hésitant. Finalement, elle décommanda l'action révolutionnaire. Par suite d'erreurs de transmission, seul le prolétariat de Hambourg engagea la lutte armée. Pendant plusieurs jours des combats de rue se déroulèrent avant que les communistes de Hambourg ne soient écrasés. C'était la défaite et la confusion. Le P.C.A. était interdit pendant plusieurs mois (novembre 1923-mars 1924).

Cette défaite a eu des conséquences catastrophiques pour l'U.R.S.S., le parti bolchevique et l'Internationale communiste. La démoralisation s'emparait du parti et de l'I.C. L'isolement de l'U.R.S.S. était renforcé, sans espoir qu'il soit brisé avant de longues années. Le 21 janvier 1924, Lénine mourait. Les conditions politiques de la victoire de la bureaucratie montante étaient réunies. Trotsky engageait un combat devenu inéluctable. En décembre 1923, il publiait Cours nouveau et en octobre 1924 Leçons d'Octobre, qui analysent les erreurs de la direction du P.C.A. - Brandler, Thaelmann et d'autres mais aussi celles des dirigeants d'alors du bureau politique du parti bolchevique et de l'Internationale communiste : Staline, Zinoviev, Kamenev (la « troïka »).

Dès janvier 1924, Staline, Zinoviev, Kamenev, tentaient de justifier leur politique et de répondre à Trotsky. La responsabilité des fautes et des erreurs du P.C.A. était reportée entièrement sur les épaules de Brandler et de son équipe. Selon la direction de l'I.C., en Allemagne, la crise révolutionnaire n'en était encore qu'à ses débuts. Elle allait s'approfondir. En relation avec cette appréciation, la « théorie » du « social-­fascisme » était pour la première fois formulée. Il s'agissait de justifier l'« optimisme » révolutionnaire, couverture d'une politique capitularde et extérieure aux intérêts du prolétariat. Quelques mois plus tard, Staline formulait sa non moins fameuse « théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays ». La bureaucratie naissante se dotait empiriquement de « justifications théoriques » et mettait l'I.C. au pas.

La « bolchevisation » était imposée aux différents P.C. Au nom de la « bolchevisation », les dirigeants du Kremlin construisaient à l'intérieur de chaque P.C. un appareil à leur dévotion. Brandler était éliminé de la direction du P.C.A.

Un bloc constitué du centre et de la gauche en prenait la direction. Un texte du courant centriste du P.C.A. apportait une contribution à la nouvelle ligne, Il affirmait : « La démocratie bourgeoise a été abandonnée par ses propres partisans. C'est ainsi que le S.P.D. est passé ouvertement du côté du fascisme... Le S.P.D. dans sa totalité s'est placé du côté de la dictature de la bourgeoisie. La social-démocratie dans sa totalité s'est ainsi démarquée si nettement qu'une collaboration même provisoire avec les leaders et les instances sociales-démocrates est exclue. »

Cette orientation répondait au gauchisme latent à l'intérieur du P.C.A. et elle y avait de profonds échos. En effet, depuis les groupes spartakistes, le « gauchisme » a été une maladie récurrente du mouvement communiste en Allemagne. Cependant, la direction de l'I.C. jouait de cette tendance pour imposer son contrôle total sur le P.C.A. Peu de temps s'écoulait avant que l'I.C. prenne un nouveau tournant, et que le P.C.A. suive.

La période de « stabilisation »

Quelques mois plus tard, une fois encore, la direction de l'I.C. modifiait son appréciation de la période : fini l'approfondissement de la crise révolutionnaire, une période de longue durée de stabilisation mondiale du capitalisme s'ouvrait. En conséquence, la tactique de l'I.C. et des P.C. devait être bouleversée. Cette nouvelle appréciation du moment se fondait sur une base réelle. La crise révolutionnaire de 1923 en Allemagne avortée, la dette publique épongée et l'endettement des grandes  sociétés capitalistes liquidé par la faillite monétaire qui ruinait des millions d'épargnants, le paiement des réparations reporté, une nouvelle monnaie, le retenmark, était mise en circulation. D'un autre côté, le putsch de Ludendorff appuyé par Hitler les 8 et 9 novembre 1923 échouait lamentablement. Une certaine stabilisation politique se produisait en Allemagne. Le rôle de l'impérialisme américain s'affirmait. Il mettait au point le plan Dawes qui injectait d'importants crédits en Allemagne et qui devait garantir le paiement des réparations. Un compromis était imposé à l'Allemagne et à la France : l'Allemagne avait repris en partie ses livraisons en nature à la France et à l'Angleterre dès août 1923. Le pacte de Locarno garantissait les frontières françaises et belges. L'homme malade de l'Europe d'alors, l'Allemagne, semblait retrouver une certaine stabilité et la République de Weimar se renforçait. Aux élections présidentielles du 29 mars 1925, le social-démocrate Braun obtenait 8 millions de voix. En revanche, aux élections au Reichstag le P.C.A. ne recueillait plus que 1 872 000 voix, alors que le 4 mai 1924 il avait obtenu 3 693 000 voix. Partout en Europe, l'influence des partis sociaux-démocrates et des dirigeants réformistes des syndicats se raffermissait. En France, par exemple.

La détente internationale s'affirmait : le 8 septembre 1926, l'Allemagne entrait à la S.D.N. En avril 1926, le gouvernement français invitait Stresemann à signer le pacte Briand-Kellogg qui mettait « la guerre hors la loi ». En septembre 1929, les troupes françaises évacuaient la Rhénanie.

Un boom économique mondial se développait et le redémarrage de l'économie allemande semblait impressionnant. Pendant l'inflation galopante, la production était tombée à 55 % de celle de 1913, en 1927 elle atteignait 122 %. Les chômeurs n'étaient plus que 650 000 à l'été 1928. Le pouvoir d'achat des travailleurs s'améliorait.

Le comité exécutif élargi de l'I.C. de mars 1925 rectifia officiellement l'appréciation de la situation internationale. Zinoviev était encore dirigeant du Komintern. En juillet 1925, il écrivait au X° Congrès du P.C.A. une lettre où on lisait : « Nous avions entièrement raison quand nous caractérisions la social-démocratie en général et l'allemande en particulier de troisième parti de la bourgeoisie, d'aile du fascisme moderne. » D'où il tirait l'étonnante, au moins à première vue, conclusion suivante : « Le X° Congrès du P.C.A. doit reconnaître " ouvertement " que le parti avait commis une faute en refusant de suivre le conseil que le C.E. de l'Internationale nationale communiste lui avait donné après le premier  tour de scrutin de s'adresser à la social-démocratie pour lui proposer sous certaines conditions de retirer la candidature communiste en faveur de la candidature sociale-démocrate. »

Rappelons qu'au deuxième tour, le S.P.D. s'était désisté pour Marx, candidat du centre, mais que c'était Hindenburg qui avait été élu. Le P.C.A. maintenait son candidat qui recueillait un peu plus de voix qu'au premier tour.

Bien que la nouvelle direction du P.C.A. ait épousé les virages de l'I.C., peu après le X° Congrès, Ruth Fischer et Maslow étaient écartés de la direction, et plus tard exclus du P.C.A. Le règne de Thaelmann commençait. L'éviction des « gauchistes » précédait de peu l'éviction par Staline de Zinoviev de la direction de l'I.C. à la suite de la rupture de la troïka. Boukharine devenait président de l'I.C. et succédait en octobre 1926 à Zinoviev. Le cours droitier de l'I.C. s'accentuait. Il allait durer jusqu'au VI° Congrès de l'I.C., en juillet 1928.

Un pas vers la politique des fronts populaires

La nouvelle analyse de la période ainsi que la ligne politique suivie par l'I.C. et imposée aux P.C. n'étaient pas moins erronées que l'analyse et la ligne politique précédentes. La « stabilisation » était fondée sur le renouvellement des moyens de production, sur une politique de crédit et de prêts, la vocation de banquier du monde de l'impérialisme américain s'affirmait. Le marché mondial et la division internationale du travail restaient précaires. Les dettes des pays d'Europe aux U.S.A. croissaient. Une fois encore, l'Allemagne présentait un tableau saisissant de cette situation. Le plan Dawes aménageait le paiement des réparations imposées à l'Allemagne. Un emprunt souscrit par les banques américaines permettait au gouvernement allemand de payer une première tranche de 800 millions de mark-or.

Le reste des annuités devait être couvert par prélèvement sur les recettes des chemins de fer et sur les impôts. Entre septembre 1924 et août 1929, l'Allemagne paya ainsi 8 970 millions de mark-or. Mais, en 1927, on estimait la dette allemande à 120 milliards de mark-or.

Compte tenu du paiement des intérêts fixés à 5 %, jamais l'Allemagne ne s'acquitterait de ses dettes. Au cours d'une intervention à la Chambre des communes le 24 mars 1926, Churchill, alors chancelier de l'Echiquier, démontrait qu'il existait « une situation extraordinaire... La pression exercée [par les U.S.A.] pour le paiement de la dette [des pays victorieux contractée aux U.S.A. pendant et après la guerre] enlèverait les réparations aux pays d'Europe dévastés et passerait en flots ininterrompus au travers de l'Atlantique à cette grande république riche et prospère ».

Ces quelques indications démontrent suffisamment la fragilité et le caractère artificiel de cette période de boom économique. En outre, il n'empêchait pas que la lutte des classes dans le monde connaisse de nouveaux et puissants développements. En Chine, au cours des années 1924, 1925, 1926, 1927, se déroulait la Deuxième Révolution chinoise. En Angleterre, 1926 devait être l'année de la grève générale (4-12 mai) qui ébranlait la vieille puissance impérialiste. La politique suivie par l'Internationale communiste, tant en Chine qu'en Angleterre, était profondément opportuniste.

Les syndicats de l'U.R.S.S. et la direction des Trade-Unions anglais (T.U.C.) avaient conclu un accord et formé un comité pour la réunification syndicale et la défense de l'U.R.S.S. En 1926, les mineurs britanniques se mettaient en grève pour imposer la nationalisation des mines. L'épreuve de force entre les mineurs et le gouvernement mobilisa la classe ouvrière et posa le problème de la grève générale. La direction des T.U.C. manœuvra pour tenter d'éviter la grève générale. Contrainte de donner l'ordre de grève générale, elle le rapporta au bout de huit jours, laissant les mineurs isolés poursuivre leur grève qui se termina par une défaite. L'I.C. soutint entièrement la direction des T.U.C.

Naturellement, le P.C. anglais emboîta le pas à l'I.C. Ce sont les dirigeants des T.U.C. qui rompirent le comité anglo-russe sous prétexte qu'il s'immisçait dans les problèmes de la centrale syndicale anglaise. Le comité avait servi de couverture aux dirigeants opportunistes.

En Chine, l'I.C. pratiqua la politique dite du « bloc des quatre classes » : la bourgeoisie nationale, la petite bourgeoisie, la paysannerie, la classe ouvrière. La révolution était caractérisée comme nationale et anti-­impérialiste.

Au début de 1927, la résolution du Vil° Plénum de l'I.C. déclarait : « Le gouvernement de Canton, en dépit de son caractère démocratique-bourgeois, contient essentiellement et objectivement l'embryon d'une dictature révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie, et de la petite bourgeoisie urbaine. Le mouvement démocratico-petit-bourgeois de Chine devient révolutionnaire parce qu'il est un mouvement anti-impérialiste. Le gouvernement de Canton est un état révolutionnaire avant tout à cause de son caractère anti-impérialiste. Etant donc avant tout anti-impérialistes, la révolution chinoise et le gouvernement  qui en est issu doivent déraciner l'impérialisme en Chine. »

Le gouvernement de Canton était le gouvernement de Tchang Kaï-chek qui déjà, le 20 mars 1926, s'était livré à un coup de force en arrêtant de nombreux communistes et en chassant la gauche de la direction du Kuomintang. Ce qui n'empêchait pas l'I.C. de qualifier ce parti de la bourgeoisie de « parlement révolutionnaire ».

En mars 1927, l'« Etat révolutionnaire » laissait massacrer à Changhai les travailleurs par les troupes des seigneurs de la guerre. Etant entré à la tête de son armée à l'intérieur de la ville, Tchang achevait le massacre le 12 avril 1927.

L'I.C. se rabattait alors sur le « Kuomintang de gauche » qui avait formé à Hankheou un gouvernement auquel participaient les communistes. Le 15 juillet, le « Kuomintang de gauche » massacrait à son tour les communistes.

Alors, l'I.C. tournait à 180 degrés, elle décidait que la bourgeoisie avait « trahi ». Elle lançait le mot d'ordre de la constitution de soviets. Un « soviet » artificiellement constitué appelait le 10 décembre les travailleurs de Canton à l'insurrection. Le 13, l'insurrection était terminée, noyée dans le sang.

La politique de l'I.C. était évidemment reliée à la politique intérieure de Staline-Boukharine qui, de 1924 à 1928, rejetaient les plans d'industrialisation de l'Opposition de gauche. Ils prétendaient « aller au socialisme au pas de tortue » et « intégrer le koulak au socialisme » : « Le paysan n'a que faire d'un gramophone », affirmait Staline. La lutte contre l'Opposition de gauche battait son plein, et la « théorie » de la « construction du socialisme dans un seul pays » prenait son essor.

La politique concrétisée par le soutien des dirigeants des T.U.C. et l'alliance avec Tchang Kaï-Check montre que l'I.C. se transformait déjà en instrument que le Kremlin maniait en fonction de la recherche d'appuis diplomatiques, d'alliances avec les dirigeants opportunistes et bourgeois. La politique dite du « bloc des quatre classes », politique d'union nationale, contenait déjà les éléments de celle du front populaire.

Certes, en Chine, se posaient des problèmes sociaux et politiques spécifiques, ceux de l'indépendance et de l'unité nationale, de l'expropriation de l'impérialisme, de la réforme agraire, de la liquidation de l'héritage féodal, communs aux pays arriérés et soumis à l'impérialisme. Mais la « théorie » du bloc des quatre classes aliénait l'indépendance de classe du prolétariat, le soumettant aux intérêts et à la direction de la bourgeoisie dite nationale. L'essence de cette théorie devait se retrouver dans la « théorie » des fronts populaires : l'heure reste celle de la bourgeoisie, le prolétariat soutient l'aile réputée démocratique et nationale. L'alliance est celle du cavalier et de sa monture. La bourgeoisie « démocratique et nationale » chevauche le prolétariat, C'est déjà, encore inachevée, la politique qui immole la révolution prolétarienne au profit de l'alliance avec la bourgeoisie. C'est déjà un barrage érigé contre la révolution prolétarienne montante et menaçante.

Le « social-fascisme »

Au IX° Plénum de l'Internationale communiste, en février 1928, la théorie de la troisième période est pour la première fois avancée. C'est Boukharine qui présente le rapport, mais il n'est pas de son inspiration. En quoi consiste la « troisième période » ? La première période s'étendait de 1918 à 1923. Elle avait été celle d'une crise révolutionnaire aiguë. La deuxième période allait de 1923 à 1928. Elle avait été celle de la stabilisation du capitalisme et de la reconstruction des bases de l'économie de l'U.R.S.S. La troisième période était celle de la crise générale du capitalisme et de crises révolutionnaires sans précédent se succédant à un rythme rapide. En ce début d'année 1928, la réalité ne correspondait en rien à cette analyse. Le boom économique atteignait son maximum. Les dures défaites en Angleterre et en Chine pesaient sur le prolétariat mondial. Les P.C. dans le monde entier étaient en perte de vitesse. En revanche, la social-démocratie se renforçait. Le 20 mai 1928, aux élections pour le Reichstag elle remportait un succès et Hermann Müller formait un gouvernement de « grande coalition » qui s'étendait jusqu'aux catholiques et qui devait durer jusqu'en mars 1930.

Mais une fois encore, au sein de l'I.C. de plus en plus dominée par Staline et son appareil, la « théorie » et les analyses ne sont que des couvertures destinées à justifier la politique pratique et les zigzags.

La nécessité se fait sentir de couvrir les échecs et les défaites de l'Internationale communiste et de faire taire toute critique. De 1924 à 1928, la lutte a été menée contre l'Opposition de gauche en U.R.S.S. et au sein de l'I.C. Mais échecs et défaites se multiplient. Une fois encore, le nouveau cours de l'I.C. est étroitement dépendant de la situation en U.R.S.S. Au cours de l'hiver 1927-1928, c'est la crise du blé : les koulaks stockent le blé, la famine réapparaît. L'industrie est incapable de fournir la campagne en produits manufacturés, en instruments agricoles. Dans ces conditions, au lieu de « s'intégrer au socialisme », ainsi que le prévoyait Boukharine, la couche des paysans riches qui s'est formée et qui contrôle la production agricole garde son blé. A la ville, le « nepman » règne. Il est l'alter ego du koulak et contrôle une importante partie de la production et du commerce. L'économie de l'U.R.S.S. est en péril. Non sans hésitations, Staline s'engage dans un cours ultra-gauche, qui va s'affirmer en 1929. Ce sera : la collectivisation forcée, le plan quinquennal qui doit permettre de « rattraper et dépasser l'industrialisation des pays capitalistes dans les plus courts délais », et enfin « le plan quinquennal réalisé en quatre ans ». On est loin de la « réalisation du socialisme au pas de tortue ». La « théorie » et la pratique sont désormais : « feu sur le koulak et le nepman ». En réalité, des millions de paysans et d'ouvriers seront baptisés « koulaks », « nepman ».

Staline rejette sur la droite du parti bolchevique la responsabilité de la montée du koulak et du nepman, ainsi que celle des défaites des P.C. et de l'I.C. Après la gauche, la droite du parti bolchevique est écrasée.

Le Guépéou, la bureaucratie, commandent et se renforcent. Boukharine est écarté du bureau politique et de l'I.C., où Molotov le remplace. La caractérisation de la social-démocratie ainsi que social-fasciste est complémentaire à toute cette politique.

La social-démocratie étant caractérisée ainsi que l'« aile gauche du fascisme », il n'est plus question naturellement d'accords entre les dirigeants « social-fascistes » et ceux des P.C. : « le front unique doit se réaliser à la base ». En d'autres termes, les ouvriers sociaux-démocrates doivent se mettre sous la direction des P.C., sans quoi ce sont aussi des « social-fascistes ». Cet échafaudage reposait sur l'identification de la démocratie bourgeoise et du fascisme, car ce sont deux formes de domination de classe de la bourgeoisie. A quoi Léon Trotsky répondait :

« Le système parlementaire démocratique et le système fasciste s'appuient sur différentes combinaisons des classes opprimées et exploitées et ils se heurtent inévitablement et d'une façon aiguë l'un contre l'autre.
« La social-démocratie qui, aujourd'hui, est le représentant principal du régime parlementaire bourgeois, s'appuie sur les ouvriers. Le fascisme, lui, s'appuie sur la petite bourgeoisie. La social-démocratie ne peut avoir d'influence sans les organisations ouvrières de masse. Le fascisme, lui, ne peut pas consolider son pouvoir autrement qu'en détruisant les organisations ouvrières. L'arène principale de la social­-démocratie est le Parlement. Le système fasciste est fondé sur la destruction du parlementarisme. Pour la bourgeoisie monopoliste, le régime parlementaire et le régime fasciste ne représentent que différents instruments de domination : elle recourt à l'un ou à l'autre selon les conditions historiques. Mais pour la social-démocratie, de même que pour le fascisme, le choix de l'un ou de l'autre instrument a une importance propre ; bien plus, c'est une question de vie ou de mort politique. »

Et encore : « Pendant de nombreuses décades, à l'intérieur de la démocratie bourgeoise, se servant d'elle et luttant contre elle, les ouvriers édifièrent leurs bases, leurs foyers de démocratie prolétarienne : syndicats, partis, clubs d'éducation, organisations sportives, coopératives, etc. Le prolétariat peut arriver au pouvoir non dans les cadres formels de la démocratie bourgeoise, mais seulement par la voie révolutionnaire, cela est démontré en même temps par la théorie et par l'expérience. Mais c'est précisément pour la voie révolutionnaire, que le prolétariat a besoin des bases d'appui de la démocratie ouvrière à l'intérieur de l'Etat bourgeois. C'est dans la création de telles bases que s'est exprimé le travail de la II° Internationale à l'époque où elle remplissait encore un travail historiquement progressif. Le fascisme a comme fonction essentielle et unique la destruction jusqu'à leur fondement de toutes les institutions de la démocratie prolétarienne. » Et Trotsky pose l'amère question : « Ce fait a-t-il une "importance de classe", oui ou non ? » (Et maintenant.)

Le « social-fascisme » en action

L'Allemagne des années 1930-1933 a été le tragique champ d'expérience de la « théorie » du « social-fascisme ». Conjuguée au crétinisme parlementaire de la social-démocratie, elle allait contribuer à la paralysie de la classe ouvrière et à la venue au pouvoir d'Hitler. En 1929, c'est la fin du boom économique. Le 24 octobre, la Bourse de New York s'effondre : la pyramide spéculative, de crédits, qui avait alimenté le boom, s'effondre. Pour l'Allemagne, c'est la catastrophe. L'essor économique a été financé par des emprunts à court et moyen terme auprès des banques américaines, et reconvertis par les banques allemandes en emprunts à long terme. Le retrait des capitaux américains entraîne la crise bancaire. Le 13 juillet 1931, la Darmstader und National Bank suspend ses paiements, la Dresdner Bank est en difficulté. Le 14 juillet, le gouverne. ment ordonne la fermeture des guichets et vient au secours des banques privées qu'il couvre avec les réserves de la Reichbank.

Le 7 juin 1929, le plan Young avait été signé. Bien qu'il réduisît la somme des réparations, les Alliés réclamaient encore 132 milliards de mark-or à l'Allemagne. Celle-ci s'engageait à payer pendant cinquante-neuf ans 2 050 millions chaque année. Seule une formidable ncroissance des exportations allemandes pouvait équilibrer les échanges. Or, le marché mondial se disloquait. La production industrielle allait baisser de 42 % entre début 1930 et début 1933. En septembre 1929, il y avait 1 320 000 chômeurs. En septembre 1930, 3 millions. En septembre 1931, 4 350 000; en septembre 1932, 5 102 000 ; au début 1933, plus de 6 millions. A ces chiffres, il faut ajouter 2 millions de chômeurs non inscrits. A nouveau, la petite bourgeoisie, la paysannerie, étaient ruinées. Au total, il y eut près de 12 millions de sans-travail.

Les salaires de ceux qui continuaient à travailler avaient baissé du tiers. Le déficit budgétaire s'élevait en 1932 à 6,6 milliards de mark. L'Allemagne dût suspendre unilatéralement le paiement des réparations, A nouveau, tous les rapports sociaux se décomposaient.

Au gouvernement que le social-démocrate Müller dirigeait, succédait en mars 1930 le gouvernement Brüning. Mis en minorité au Reichstag sur son plan de redresse-ment économique et financier, le gouvernement Brüning est maintenu au pouvoir par le président de la République Hindenburg au nom des pouvoirs d'urgence que lui accorde l'article 48 de la Constitution de Weimar. Le Reichstag ayant proclamé cet acte illégal, Hindenburg le dissout. Les élections de septembre marqueront la polarisation politique qui commençait : en 1928, les nazis n'obtenaient que 810 000 voix, en septembre 1930, ils obtenaient 6 409 000 voix ; le P.C.A. passa de 3 265 000 voix à 4 592 000.

Le S.P.D. reculait : de 9 millions, il descendait à 8,5 millions de voix, mais restait de loin le grand parti ouvrier et le plus grand parti d'Allemagne, d'autant que le gouvernement de Prusse, dirigé par Severing, restait aux mains du S.P.D.

Mais le score électoral n'enregistrait que faiblement l'alignement et les affrontements entre le parti nazi et les partis ouvriers dans le, pays. Financé par le capital financier, Hitler montait une formidable machine de guerre civile. De quelques milliers mal organisés en 1930, les S.A. passaient à 100 000 hommes en janvier 1931 et 300 000 un an plus tard, organisés militairement. De son côté, le S.P.D. organisait le « Front de fer », mais qui n'avait ni les moyens ni la discipline des nazis, et le P.C.A. Io « Front rouge ». Peu de jours se passaient sans combats qui ne fissent morts et blessés.

La politique du S.P.D. était fondée sur le respect de la Constitution de Weimar. Pendant un temps, il soutint même le gouvernement Brüning. Il comptait sur l'appareil d'Etat, la Reichswehr, la police, pour défendre la légalité. Aux élections présidentielles de 1932, il alla jusqu'à appeler à voter pour Hindenburg. L'un des bastions de la S.D. était le gouvernement de Prusse.

Face à cette politique, la « théorie » du « social-fascisme » et ses applications se déchaînaient. Thaelmann au moment de la formation du « Front de fer » tonnait : « La création du prétendu " Front de fer " social-démocrate [ ... ] est la tentative d'une plus grande activité fasciste. » Il écrivait : « Sans la victoire de notre lutte contre la social-démocratie, nous ne pourrons vaincre le fascisme. »

Le C.C. de mai 1931 déclarait dans une résolution : « Le fascisme ne représente nullement une contradiction de principe avec la démocratie, sous laquelle se réalise aussi la dictature du capital financier [ ... ] uniquement un changement dans les formes, une transition organique. » Et en février 1932 : « Démocratie et dictature fasciste sont non seulement deux formes qui cachent le même contenu [...] mais elles se rapprochent l'une de l'autre en ce qui concerne les méthodes extérieures et s'entrelacent. »

La pratique était au niveau de la « théorie ». Le gouvernement de Prusse, le plus important des Länder, était dirigé par le S.P.D. Au cours de l'été 1931, les nazis, les nationaux allemands, les Casques d'acier, introduisaient une demande de référendum du Landstag de Prusse. Le P.C.A. se joignit au référendum qu'il baptisa « référendum rouge ». 9,8 millions d'électeurs, soit 37 %, répondirent « oui » au référendum du 9 août 1931. Le Landstag et le gouvernement prussiens restèrent dirigés par le S.P.D. jusqu'au coup d'Etat du gouvernement von Papen de juillet 1932 qui déposa le gouvernement social-démocrate de Prusse. C'était une sanction significative de la politique légaliste du S.P.D. et de celle du « social-fascisme » du P.C.A. En 1932, le groupe communiste alla jusqu'à déposer au Landstag badois une demande de dissolution de l'organisation sociale-démocrate de combat, le « Front de fer ».

Le Nationalsozialist écrivait non sans une cynique ironie : « Mais ce qui est plus comique et grotesque que toutes les injures est [ ...]  l'hommage tout à fait injustifié fait aux sociaux-démocrates désignés comme des fascistes. Présenter la masse petite-bourgeoise de la Ile Internationale, la bande juive, les ennemis mortels du fascisme italien, comme fascistes, il faut pour cela une gymnastique cérébrale peu ordinaire... Mais patience ! Communistes et socialistes, autrement dit marxistes, auront bientôt l'occasion d'apprendre ce que signifie le fascisme. »

Tout à fait légalement appelé par Hindenburg élu un an plus tôt président de la République avec l'appui des voix social-démocrates, Hitler accédait le 30 janvier 1933 au pouvoir.

Sans discrimination, il broyait les os au P.C.A. et au S.P.D., et détruisait le mouvement ouvrier organisé.

Naissance de la « théorie » des fronts populaires

Les derniers échos de la « théorie » du « social-fascisme » se faisaient encore entendre en France au début de l'année 1934. Mais ils allaient s'éteindre. La politique des « fronts populaires » leur succédait. Le VII° Congrès de l'I.C. se tenait en juillet 1935. Dimitrov, devenu à son tour président de l'I.C., allait officialiser et fourbir la nouvelle « théorie ». Au préalable, il rejetait sur le dos de la classe ouvrière allemande la responsabilité de la défaite :

« La victoire du fascisme était-elle inévitable en Allemagne ? Non. La classe ouvrière allemande pouvait la conjurer.
« Mais pour cela, elle aurait dû parvenir à réaliser le front unique prolétarien antifasciste, obliger les chefs de la social-démocratie à cesser leurs campagnes contre les communistes et accepter les propositions répétées du parti communiste sur l'unité d'action contre les fascistes.
« Lors de l'offensive du fascisme et de la liquidation dation graduelle des libertés démocratiques, elle n'aurait pas dû se contenter des résolutions verbales de la social-démocratie, mais répondre par une véritable lutte de masse qui eût entravé les plans fascistes...
« [ ... ] Elle aurait dû contraindre les leaders sociaux-démocrates placés à la tête du gouvernement de Prusse à prendre des mesures de défense contre le fascisme, à arrêter les chefs fascistes, à interdire leur presse, à confisquer leurs ressources matérielles et les ressources des capitalistes finançant le mouvement fasciste, à dissoudre les organisations fascistes, à leur enlever leurs armes, etc. »

Il est impossible d'être plus cynique.

Une fois cette « autocritique » faite sur le dos du prolétariat allemand écrasé sous la botte fasciste, Dimitrov s'appuyait sur l'exemple du P.C.F. pour illustrer la politique dite de « front populaire » : « La France est le pays où, comme on le sait, la classe ouvrière donne l'exemple à tout le prolétariat international de la façon dont il faut combattre le fascisme. Le parti communiste français donne à toutes les sections de l'Internationale l'exemple de la façon dont il faut réaliser la tactique du front unique ; les ouvriers socialistes donnent l'exemple de ce que les ouvriers sociaux-démocrates des autres pays capitalistes doivent faire aujourd'hui dans la lutte contre le fascisme. La démonstration antifasciste d'un demi-million de manifestants qui s'est déroulée le 14 juillet de cette année à Paris, et les nombreuses manifestations dans les autres villes de France ont une portée énorme. Ce n'est plus seulement le front unique ouvrier, c'est le début d'un vaste front populaire contre le fascisme en France. »

Ainsi, après avoir pendant des années préconisé le front unique à la base, à l'exclusion des accords de sommet, c'est-à-dire la négation du front unique, l'I.C. « dépassait » le front unique qui se transformait en front populaire. Après la négation de gauche, c'était la négation de droite.

Jacques Duclos commente : « Le choix à faire n'était pas, comme l'auraient voulu les fascistes (sic), entre le fascisme et le communisme, mais entre le fascisme et la démocratie. »

Hier, le fascisme et la démocratie bourgeoise, c'était bonnet blanc et blanc bonnet. Désormais, seuls les « fascistes » pouvaient estimer que la démocratie bourgeoise n'était pas immortelle. Hier, la « social-­démocratie » était « social-fasciste ». Désormais, le parti radical devient le parti des classes moyennes et un des remparts contre le fascisme. Les exigences de la nouvelle orientation sont clairement exprimées par le même Duclos : le 14 juillet 1935, un Comité national du rassemblement populaire était constitué à la suite du meeting de Buffalo. Il se fixait l'objectif d'élaborer un programme. Mais, écrit Duclos : « Nous avions nettement discerné dès le début les difficultés aux. quelles nous allions avoir à faire face. Ces difficultés se présentent sous la forme de propositions de nationalisation faites par le parti socialiste, moins semblait-il pour nationaliser les monopoles de fait que pour déterminer un mouvement de recul de la part du parti radical. » Duclos poursuit : « Une telle situation était d'autant plus dangereuse que les oligarchies financières tendaient visiblement à mettre tout en oeuvre pour miner l'alliance de la classe ouvrière et des classes moyennes. »

Le maquillage politique est un art que Duclos cultive sans vergogne. Le parti radical était, et est toujours, un des partis classiques de l'oligarchie financière. L'élimination du « programme » du Front populaire de toute nationalisation, et de toute réforme importante, n'avait d'autre raison que de subordonner la classe ouvrière à l'alliance avec le Parti de l'« oligarchie financière ».

Analysant les travaux du congrès du parti radical qui venait de confirmer la participation de ce parti au Front populaire, Duclos écrivait le 1er novembre 1935 : « D'aucuns misaient sur la rupture de l'unité radicale, ce qui aurait eu comme conséquence de rejeter sur la droite d'importantes masses de radicaux et de modifier le rapport des forces dans la lutte pour la défense de la paix et de la liberté ; mais cette rupture a été attendue en vain. Mieux, l'unité du parti s'est affirmée avec un éclat rarement égalé. » La conclusion dégagée par Duclos est à la hauteur de l'analyse : « En somme, le gouvernement Laval, s'il n'était pas frappé immédiatement, était dangereusement menacé. A la rentrée parlementaire, il obtint la confiance de la Chambre des députés. » Mais (splendeur du Front populaire, d'un « parti uni pour la défense de la paix et de la liberté ») : « Sur 156 députés [radicaux], 56 avaient voté contre lui, et 19 s'étaient abstenus. »

La nature du parti radical est ici « affirmée avec un éclat rarement égalé » : parti du capital financier, soutenant et participant au gouvernement Laval - le gouvernement qui diminuera les salaires des fonctionnaires de 10 % ; parti du capital financier, se préparant à s'orienter « à gauche » selon les intérêts de celui-ci et les exigences des élections législatives proches. Avec non moins d'éclat, le contenu du front populaire est ainsi démontré : le front populaire, c'est la soumission des intérêts de la classe ouvrière aux intérêts du grand capital ; c'est la défense de la société bourgeoise dans le cadre parlementaire ; c'est la théorie du bloc des « classes démocratiques » déjà mise en avant pendant la révolution chinoise de 1924-1927, à la différence, toutefois, que la bourgeoisie française est une composante importante du système impérialiste.

1929 : vers des affrontements décisifs entre les classes

Il s'agit bien, en vue de défendre les mêmes intérêts, d'un tournant tactique à 180 degrés de la politique de l'Internationale communiste. Les raisons en sont profondes. La crise économique de 1929 a à nouveau mis à l'ordre du jour la révolution prolétarienne. Dans toute l'Europe, aux U.S.A., sans parler des pays économiquement arriérés, c'est un effondrement : de 1929 à 1932, le revenu national de l'Allemagne baisse de 40 %, des U.S.A. de 40%, de la France de 16 %, du Royaume-Uni de 12%. Ce sont les pays les plus développés qui supportent le choc le plus rude ; la part respective de ces pays dans la production industrielle mon­diale était en 1928 de : 44,8 % pour les U.S.A. ; 11,3 % pour l'Allemagne ; 9,3% pour l'Angle­terre ; 7 % pour la France.

Finalement, les conséquences de la crise sont les plus lourdes en Allemagne. Seconde puissance industrielle du monde, elle est lourdement endettée, elle est écrasée par le poids des « réparations », ses débouchés sont fragiles et pourtant, plus qu'aucun autre pays, elle dépend du marché mondial. Or, de 1929 à 1933, la valeur des importations tombait de 13 447 millions de mark à 4 204 millions, et la valeur des exportations de 13 483 millions de mark à 4 871 millions.

Cette fantastique crise économique se répercuta sur une classe ouvrière européenne et mondiale qui depuis 1919 avait subi de dures défaites, mais qui était loin d'être écrasée. Trotsky écrivait en 1928 : « Nous ne doutons pas [ ...] du caractère inévitable de la crise. Nous pensons même que celle qui va se produire peut être déjà très aiguë et très profonde à cause de la puissance mondiale que possède aujourd'hui le capitalisme américain. » Trotsky tirait la conclusion : « Si au cours de la dernière décennie les situations révolutionnaires étaient les conséquences immédiates de la guerre impérialiste, en revanche, dans la prochaine décennie, les secousses révolutionnaires viendront surtout des rapporte existants entre l'Europe et l'Amérique. Une grande crise aux U.S.A. ferait à nouveau retentir le tocsin des guerres et des révolutions. Nous le répétons, les situations révolutionnaires ne manqueront pas. »

Et, en effet, au cours de la décennie qui suivit, les situations révolutionnaires ne manquèrent pas en Allemagne, en France, en Espagne, et jusqu'à la classe ouvrière américaine qui allait engager de puissantes luttes de classe, constituer le syndicalisme d'industrie, la centrale C.I.O. (Congress Industrials Organisations) en opposition au vieux syndicalisme de métier représenté par l'A.F.L. (American Federation of Labour) - les deux centrales ont aujourd'hui fusionné et formé le C.I.O.-A.F.L. - et conquérir le droit de cité dans les grandes entreprises américaines.

Le nazisme n'était pas fatal

Malgré les défaites de 1919 et de 1923, la crise économique, sociale, politique et même culturelle qui déchirait l'Allemagne de 1929 à 1933 pouvait être transformée en crise révolutionnaire. Il suffit de considérer les résultats électoraux pour s'en convaincre. Le Reichstag a été dissous à plusieurs reprises. En dépit de la politique du S.P.D. et du P.C.A., de l'appui fantastique du capital financier allemand à Hitler, les nazis firent leur meilleur score, électoral en juillet 1932. Ils totalisèrent 13 745 000 voix, mais le S.P.D. obtenait plus de 8 millions de voix et le P.C.A. 5 370 000 ; le total S.P.D. + P.C.A. était 13 370 000 voix. Le Reichstag élu le 31 juillet siégea deux jours : le 30 août où Goering était élu président du Reichstag, et le 12 septembre où un décret du gouvernement von Papen le dissout.

Les élections du 6 novembre 1932 aboutirent à une perte de 2 millions de voix pour les nazis et à une augmentation de plus de 500 000 voix pour le P.C.A. : au total environ 1 1750 000 voix pour les nazis et 14 millions de voix pour les partis ouvriers. Et encore, après qu'Hitler eut été appelé au pouvoir par Hindenburg, que la provocation de l'incendie du Reichstag eut été montée, que les troupes fascistes et l'appareil policier eurent traqué le P.C.A. et le S.P.D., truqué le scrutin, le total des voix S.P.D. + P.C.A. était de : 7 181 000 + 4 848 000 = 12 029 000. Il n'est pas vrai que le prolétariat allemand ait cédé devant les S.A. et les S.S.

Ces résultats électoraux ne donnent qu'une image déformée de la réalité. La force du prolétariat allemand était beaucoup plus considérable. Si on additionne les chômeurs de toutes origines en 1932-1933, il y avait en Allemagne 12 millions de sans-travail. Pourtant, des grèves avaient lieu. En réponse aux décrets de von Papen qui réduisaient les salaires de la mi-septembre, début octobre 1932, il y eut plus de 280 grèves ; en novembre 1932, les travailleurs des transports de Berlin faisaient grève. Rien qu'en Prusse, par exemple, en un mois les S.A. tuaient 99 militants ouvriers et en blessaient 125 grièvement.

Mais on ne peut juger sérieusement des possibilités qui existaient sans tenir compte des politiques suicidaires des dirigeants du S.P.D. et du P.C.A. qui déroutaient totalement la classe ouvrière allemande, exaspéraient par leur impuissance la petite bourgeoisie, laissaient la rue aux S.A. et à la police.

Le front unique des partis ouvriers eût bouleversé la situation en 1931-1932. Toute défaite infligée au parti nazi, que ce soit sur le terrain électoral, sur celui de la rue, ou par toute autre forme de la lutte des classes, aurait contribué à sa désagrégation. La cohésion de ce parti, formé d'aventuriers, de petits bourgeois, de mercenaires payés, n'était faite que de son impunité. Celle des partis ouvriers était faite de ce qu'ils étaient les organisations politiques du prolétariat, seule classe cohérente de la société bourgeoise par sa place dans la production. Et c'est sur cette classe que Dimitrov faisait reposer la responsabilité de la défaite !

Le parti nazi, l'appui qu'il reçut du capital financier, le pouvoir que celui-ci lui donna, prouvent a contrario la peur que la bourgeoisie allemande avait du prolétariat. Le capital financier, et la bourgeoisie en général, préfèrent un système de domination souple et huilé. Ce n'est qu'en dernier recours qu'ils abandonnent les rouages de l'Etat aux bandes armées, à la dictature de fer des partis fascistes ; car ceux-ci s'y installent et y défendent leurs intérêts de chevaliers de la politique, faussant le jeu normal à l'intérieur même des couches du capital. En Allemagne, à partir de 1930-1931-1932, un problème dominait tout : écraser la classe ouvrière et ses organisations. C'est cette tâche que la bourgeoisie a dévolue au nazisme, et c'est pour la réaliser qu'elle a appelé Hitler au pouvoir en janvier 1933. L'alternative était : ou l'écrasement du prolétariat, ou la révolution prolétarienne. En dernier ressort, et après de longues hésitations, la bourgeoisie appela Hitler au pouvoir.

Le choix de Staline

Si, au début de ces années 1930, une situation révolutionnaire pouvait résulter de la crise de la société bourgeoise, la lutte des classes n'est pas donnée d'avance. Elle met aux prises des classes qui ont leurs partis, leurs organisations. Or, la politique et l'intervention de ces partis et organisations, fondée sur les données objectives de la situation, loin d'en être le reflet passif, modifie à leur tour la situation et change le cours des événements. L'action politique des partis ouvriers est finalement déterminante dans la lutte des classes. Trotsky, aux lignes déjà citées, ajoute : « Leur issue [aux situations révolutionnaires] dépend du parti international du prolétariat [en l'occurrence l'I.C.], de la maturité et de la capacité de lutte de l'Internationale communiste, de la justesse de sa stratégie et de ses méthodes tactiques. »

En combattant pour le front unique du S.P.D. et du P.C.A., la direction de l'I.C. et le P.C.A. pouvaient unifier en un même combat le prolétariat allemand, et infliger des défaites écrasantes au parti nazi dès 1930-­1931. Du même coup, la dynamique de l'unité du prolétariat ouvrait la perspective d'un gouvernement des partis ouvriers appuyé sur la classe ouvrière pour des solutions ouvrières à la crise. Le prolétariat entraînait à sa suite les masses petites-bourgeoises à la recherche d'une solution que la division de la classe ouvrière ne leur ouvrait pas. L'herbe était coupée sous les pieds d'Hitler.

La politique de L'I.C. et du P.C.A. semble aberrante. Sans doute. Cependant ce « gauchisme » avait des racines, des raisons. Il n'était pas seulement le produit d'erreurs théoriques et d'incapacités politiques. Il faut bien le dire, à partir de 1924-1925, la bureaucratie prenait conscience d'elle-même. Ses intérêts se séparaient de plus en plus de ceux du prolétariat. La condition de son existence, c'était avant tout la prostration et ensuite l'écrasement politique du prolétariat d'U.R.S.S. Inconsciemment, semi-consciemment, et finalement très consciemment, elle redoutait la victoire du prolétariat allemand. Elle savait que la prise du pouvoir par le prolétariat allemand bouleverserait l'équilibre entre les classes en Europe à son désavantage et sonnerait le réveil du prolétariat de l'U.R.S.S. C'est pourquoi elle imposa à l'I.C. et au P.C.A. de tels dirigeants, et une telle politique. En résumé, sa politique, dictée par ses intérêts de caste parasitaire et contre-révolutionnaire, fut : plutôt Hitler que la révolution prolétarienne en Allemagne, en quoi elle rejoignait non seulement la bourgeoisie allemande, mais l'impérialisme mondial.

Hitler au pouvoir en Allemagne, la crise économique n'était pas résolue en Europe et dans le monde. Elle nourrissait la crise de tous les rapports sociaux, politiques, culturels, de la société bourgeoise. Combinée à la venue au pouvoir des nazis, elle avait de profondes répercussions sur les rapports entre les classes, à l'intérieur des classes, et entre les puissances européennes et mondiales.

Après Mussolini, Salazar, Pilsudski, Hitler. Dollfuss, qui avait pris le pouvoir en mai 1932, supprimé le Parlement le 4 mars 1933, dissous le Schutzbund (organisation paramilitaire sociale-démocrate) le 31 mars, dissous le parti communiste autrichien le 26 mai, créait les camps d'internement politique le 23 septembre, destituait les dirigeants syndicaux le 1er janvier 1934, interdisait la vente de l'Arbeiterzeitung, journal de la social-démocratie, le 23 janvier. Au début février, la direction de la S.D. se résignait finalement à la résistance armée. Du 1er au 16 février, les travailleurs socialistes qui formaient le Schutzbund de la banlieue de Vienne se battaient héroïquement, mais ils étaient écrasés par l'artillerie de Dollfuss. En réalité, ils payaient les conséquences de la politique de capitulations successives de la direction S.D. qui les avait isolés et acculés  à cette résistance désespérée.

Raisons de la politique des fronts populaires

La classe ouvrière ne pouvait plus tolérer longtemps la division des rangs du prolétariat, que celle-ci soit imposée au nom du respect de la légalité, de l'Etat bourgeois, ou du « social-fascisme ». En cette première quinzaine de février 1934, travailleurs et militants imposaient aux dirigeants du P.S. et du P.C.F., de la C.G.T. et de la C.G.T.U., le front unique en réplique à la tentative fasciste du 6 février. C'était le point de départ du profond et puissant mouvement qui allait aboutir à juin 1936. En Espagne, la crise politique de la bourgeoisie, le mouvement des masses, conduisaient à la guerre civile. Le spectre de la révolution hantait encore l'Europe...

La nouvelle politique définie par l'I.C. à l'usage des P.C., dite des « fronts populaires », était principalement appliquée en France et en Espagne. Les P.S. allaient l'adopter. La bourgeoisie, confrontée aux masses, allait l'utiliser. C'était la réponse de la bureaucratie aux nouveaux développements de la lutte des classes. Elle correspondait également aux nouveaux rapports politiques en Europe et dans le monde entre grandes puissances.

Hitler au pouvoir en Allemagne, la préparation de la Seconde Guerre mondiale commençait. Les nazis ne pouvaient garder le pouvoir que s'ils résorbaient le chômage, que s'ils ouvraient au capital allemand la perspective de briser l'étau de Versailles, que s'ils tentaient de redonner à l'impérialisme  allemand la première place en Europe, une place à sa mesure dans le monde : à l'Ouest, réduire l'impérialisme français à un rôle secondaire, éliminer l'influence anglaise en Europe ; à l'Est, subordonner les petites puissances de l'Europe centrale à l'impérialisme allemand, écraser l'U.R.S.S., faire de l'Ukraine et de la Russie le Lebensraum du capital allemand.

Dès janvier 1933, Hitler proposait à Hindenburg un plan de quatre ans qui était le plan de réarmement de l'Allemagne ; les grands travaux s'intégraient aux exigences de la préparation à la guerre. Il déclarait en 1939 : « Nous avons consacré 90 milliards de mark entre 1932-1937 au réarmement. » Le 14 octobre 1933, l'Allemagne quittait la S.D.N. Les revendications sur l'Autriche, les Sudètes, le corridor de Dantzig, etc., se précisaient. Le 21 mai 1935, Hitler publiait la loi sur « la reconstruction de la Wehrmacht » : création d'une armée allemande unique ; institution d'un service militaire obligatoire.

La politique internationale de la bureaucratie du Kremlin devait être modifiée.

Dès avril 1934, le ministre français des Affaires étrangères Barthou a été à Prague et à Varsovie, il y retourne en juin. Il s'agit d'encercler l'Allemagne. « Coup de théâtre », le Kremlin demande l'admission de l'U.R.S.S. à la S.D.N., que Lénine considérait comme une « caverne de brigands », et, appuyée par la France, il l'obtient en septembre 1934. Litvinov déclare : « Je tiens tout d'abord à rappeler avec reconnaissance l'initiative qui a été prise par le gouvernement français ainsi que les efforts sincères qui ont été déployés par son mInIstre des Affaires étrangères, M. Barthou, ainsi que le président du Conseil  de la S.D.N., M. Benès, pour faire admettre l'U.R.S.S. à la Société des Nations. »

Le tournant est pris. La bureaucratie du Kremlin s'efforce de nouer une alliance politique et militaire d'abord avec la France et la Tchécoslovaquie, et ensuite avec les « pays démocratiques ». Les négociations sont engagées en vue de la conclusion d'un pacte franco-soviétique. Il est signé le 2 mai 1935 par Potemkine, ambassadeur d'U.R.S.S. en France, et Pierre Laval, qui est devenu ministre des Affaires étrangères après l'assassinat de Barthou. Ce pacte prévoit qu' « au cas où la France ou l'U.R.S.S. serait l'objet d'une menace ou d'un danger d'agression de la part d'un Etat européen, l'U.R.S.S. et réciproquement la France s'engagent à procéder à une consultation immédiate, en vue des mesures à prendre [ ...]. L'U.R.S.S. et réciproquement la France se prêteront aide et assistance ». La signature du pacte est assorti d'une déclaration :

« Le devoir [des contractants] tout d'abord leur incombe, dans l'intérêt même du maintien de la paix, de ne pas laisser affaiblir en rien leur défense nationale. M. Staline comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir ses forcbes armées au niveau de sa sécurité. »

Immédiatement, le P.C.F. approuve.

Un pacte semblable est signé entre l'U.R.S.S. et la Tchécoslovaquie.

C'est un tournant radical. La position classique du P.C.F. était jusqu'alors : « il ne peut y avoir de défense nationale en régime capitaliste ». Désormais, il n'est plus possible de dire à la classe ouvrière que « la démocratie bourgeoise et le fascisme, c'est bonnet blanc et blanc bonnet », ni que « la social­-démocratie et le fascisme sont frères jumeaux ». La classe ouvrière ne pourrait ni comprendre ni accepter. La bourgeoisie exige que le P.C.F. ne « laisse affaiblir en rien » son régime et les formes politiques du moment qui assurent sa domination de classe.

La politique des « fronts populaires » est devenue nécessaire. Non seulement la social-démocratie n'est plus la sœur jumelle du fascisme, mais les partis bourgeois, tel le parti radical, deviennent des partis « démocratiques » et des alliés privilégiés. Il faut les soutenir et même empêcher les ruptures en leur sein, ainsi que le dit Duclos. Les « fronts populaires » ne sont d'ailleurs qu'une transition. Dès août 1936, Maurice Thorez proposait la constitution du « front des Français », de Paul Reynaud à Thorez...

A la vérité, le « contenu » de la « théorie » des fronts populaires est nul sur le plan théorique proprement dit, mais par contre très concret sur celui de la pratique politique. C'est un retour aux vieilles lunes de la collaboration de classe, des vertus du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise. La lutte des classes est niée. Le caractère de classe de l'Etat est nié. I'expérience de plus d'un siècle du mouvement ouvrier est effacé. La crise de la société bourgeoise parvenue au stade suprême du capitalisme est gommée.


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