1976

La marche à la révolution et son développement seront faits d'alternances, de flux et de reflux, qui s'étendront vraisemblablement sur une longue période. Il y aura des situations confuses. des formes confuses. (...) C'est la conséquence de la contradiction entre la maturité des conditions objectives, et le retard accentué à la solution de la crise de l'humanité qui "se réduit à celle de la direction révolutionnaire". Résoudre cette contradiction est la tâche des organisations qui se réclament de la IV° Internationale, de ses origines, de son programme.


A propos des « 25 thèses sur "La révolution mondiale" » d'E. Mandel

Stéphane Just


Les soviets, les conseils ouvriers

Après avoir répété au commencement de la Thèse 9 sensiblement la même chose, le camarade Ernest Mandel nous livre une de ses pensées profondes :

« La combinaison de ces facteurs, stimulés par le renforcement de l'avant‑garde révolutionnaire, a con­féré aux luttes ouvrières une impétuosité anti‑bureau­cratique et anti‑capitaliste accrue, dont la source ma­térielle provient du besoin objectif et de la capacité du prolétariat à centraliser démocratiquement (c'est­-à‑dire à planifier) l'autogestion de la société et de l'économie. Pour cette raison fondamentale, la prochaine vague de la révolution socialiste se dévelop­pera avec un niveau quantitativement supérieur de la force et de la conscience du prolétariat que lors de la vague de 1917‑1923, sans parier de celle qui suivit la Deuxième Guerre mondiale. »

(dont Mandel a déjà dit qu'il était qualitativement inférieur à celui des années 1917-­1918). Ce n'est pas rien. Mais que signifie « centraliser démocratiquement (c'est‑à-­dire planifier) l'autogestion de la société et de l'économie ». Jusqu'alors, les marxistes pensaient, écrivaient, disaient que le prolétariat, lorsqu'il prend le pouvoir et exproprie le capital, gère la société et l'économie. Est‑ce simplement un superlatif mais qui, au fond, voudrait dire la même chose ? Certainement pas. C'est quelque chose de nouveau et de fondamentalement nouveau, puisque cela découle « d'un besoin objectif », et que « Pour cette raison fondamentale, la prochaine vague de la révolution se développe à un niveau qualitativement supérieur de la force et de la conscience de classe du prolétariat que lors de la vague de 1917‑1923. » Cherchons de quoi il s'agit.

Le camarade Ernest Mandel consacre ses 10°, 11°, 12°, 13°, 14°, 15° Thèses: à affirmer la nécessité des soviets, des conseils ouvriers, d'abord en tant qu'embryons du pouvoir prolétarien, organismes du double pouvoir, l'exigence de leur fonctionnement démocratique avant, pendant, après la prise du pouvoir; à la nécessité qu'ils incluent les organisations syndicales et politiques des masses, à celle de la pluralité des partis. Ces parties des thèses soulèvent abondamment la question de « l'État ouvrier », de la destruction de l'État bourgeois, de la dictature du prolétariat. Le camarade Ernest Mandel fait preuve d'une si grande volonté démocratique qu'il écrit :

« Toute alternative, toute variante du système à parti unique, qu'il s'agisse de la plus « modérée », comme celle en cours entre 1921 et 1923 en Union soviétique, entretient inévitablement la passivité grandissante des masses comme la restriction tout aussi grande de la démocratie ouvrière (jusqu'à l'intérieur même du parti révolutionnaire), et provoque un recours accru au commandement et à la règle administratifs, en d'autres termes, la croissance de la bureaucratie et de son pouvoir. (Cela ne veut pas dire que le système à parti unique dans la période 1921‑1923 en Union soviétique fut la cause fondamentale de la passivité des travailleurs. Cette passivité était le résultat avant tout des sacrifices et des efforts énormes consentis par le prolétariat durant la guerre civile. Mais elle fut accentuée et maintenue par la faillite à revenir à la démocratie soviétique par la suite.) »

Ce ne fut pas la « cause fondamentale » mais une cause quand même : laissons au camarade Ernest Mandel la responsabilité de cette opinion.

De toute façon, cela n'est pas nouveau. Les soviets sont apparus pour la première fois en 1905 en Russie. Ils ont surgi à nouveau en Russie en 1917. Les conseils ouvriers ont surgi en 1918 en Allemagne. Au cours de toutes les grandes explosions révolutionnaires entre 1917 et 1938, les soviets, les conseils ouvriers ont surgi, sous une forme ou sous une autre, de façon plus ou moins développée, de l'URSS de 1917 à l'Espagne de 1936. Au cours de la vague révolutionnaire d'après‑guerre, les formes soviétiques qui surgirent furent beaucoup plus embryonnaires, bien qu'elles aient existé., A partir de 1953, elles ressurgissent en Allemagne de l'Est, en Pologne en 1956, et surtout avec une formidable ampleur en Hongrie au cours de la révolution des conseils. Au cours de la grève et des mouvements des ouvriers des chantiers navals polonais de la Baltique en 1970­-1971, c'est une véritable organisation centralisée des conseils ouvriers qui surgit et qui dirigea le combat, et en de nombreuses entreprises de Pologne se formèrent également des conseils ouvriers. Ainsi, nullement par hasard, dans les pays où le capital a été exproprié, dès que les masses relancent ouvertement le combat contre les bureaucraties parasitaires, la tendance est au surgissement des formes d'organisation de type soviétique. En Bolivie sous la forme de l'Assemblée populaire, au Chili sous celle des « cordons », au Portugal sous celle des commissions ouvrières élues, et jusqu'à Irbid pour résister à l'armée jordanienne, les formes soviétiques plus ou moins nettement développées sont apparues au cours de ces dernières années. C'est une confirmation de ce que Lénine écrivait dès les premières lignes de la maladie infantile du communisme :

« C'est un fait que l'exemple russe montre à tous les pays quelque chose, (même de tout à fait essentiel) de leur avenir inévitable et non éloigne. Il y a beau temps que l'avant‑garde ouvrière de tous les pays l'a compris et, le plus souvent, moins compris que saisi, pressenti avec son instinct de classe révolutionnaire. De là, la « portée internationale » au sens étroit du mot du pouvoir des soviets, et aussi des principes, de la théorie et de la tactique bolcheviques. »

En ce sens, le camarade Ernest Mandel a parfaitement raison d'insister sur l'importance des soviets, des conseils ouvriers, de la démocratie ouvrière. Pourtant, encore une fois, il n'y a là rien de nouveau, le programme de fondation de la IV° Internationale insiste sur ce point en nombre de ses parties. On en pourrait conclure que l'omission de la fin de la Thèse 7 quant à la nécessité de la prise du pouvoir est réparée. Ce n'est pas certain, et la clarté n'est toujours pas faite sur le sens, le contenu de la partie de la Thèse 9, citée plus haut. Qu'y a‑t‑il de fondamentalement nouveau qui justifie, explique, concrétise ce qui y est écrit ?


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