1913

Un ouvrage qui est encore discuté aujourd'hui...


L'accumulation du capital

Rosa Luxemburg

I: Le problème de la reproduction


2: analyse du procès de la reproduction chez Quesnay et chez Adam Smith

Jusqu'à présent, nous avons considéré la reproduction du point de vue du capita­liste individuel, le représentant typique, l'agent de la reproduction, qui est réalisée en effet par les différentes entreprises capitalistes privées. Cette façon de considérer le problème nous en a déjà montré un assez grand nombre de difficultés. Mais ces diffi­cultés s'accroissent et se développent d'une façon extraordinaire dès que nous passons du point de vue du capitaliste individuel à celui de l'ensemble des capitalistes.

Déjà un simple coup d'œil superficiel nous montre que la reproduction capitaliste, en tant que tout social, ne peut pas être considérée simplement comme la somme mécanique des différentes reproductions capitalistes privées. Nous avons vu, par exemple, qu'une des principales conditions pour la reproduction élargie du capitaliste individuel est un élargissement correspondant de ses possibilités d'écoulement sur le marché. Or, cet élargissement, le capitaliste individuel ne peut pas l'obtenir au moyen d'un élargissement absolu du marché, en général, mais au moyen de la concurrence, au détriment d'autres capitalistes individuels, de sorte que ce que l'un gagne, un autre, ou plusieurs autres, éliminés du marché, le perdent. Ce que gagne l'un pour l'élargis­se­ment de sa reproduction, c'est ce que perd la reproduction d'un autre. Un capitaliste pourra réaliser une reproduction élargie, d'autres ne pourront même pas réaliser une reproduction simple, et ainsi la société capi­taliste, dans son ensemble, ne connaîtra qu'un déplacement local, mais non une modification quantitative de la reproduction. De même, la reproduction élargie d'un capitaliste déterminé peut être réalisée grâce aux moyens de production et aux forces de travail qui auront été rendues disponibles par la faillite, autrement dit la cessation, complète ou partielle, de la reproduction chez d'autres capitalistes.

Ces phénomènes quotidiens prouvent que la reproduction du capital social est autre chose que la reproduction, accrue à l'infini, du capitaliste individuel ; que, tout au contraire, les phénomènes de reproduction des différents capitaux se croisent d'une façon incessante et peuvent, à tout moment, dans ces rencontres, se supprimer réci­proquement, totalement ou en partie. C'est pourquoi, avant d'étudier le mécanisme et les lois de la reproduction capitaliste, il est nécessaire de nous demander ce que nous devons nous représenter par reproduction du capital social, et s'il est possible, en général, dans le flot des mouvements innombrables des différents capitaux, qui se modifient à chaque instant selon des règles qui échappent à tout contrôle et à tout calcul et qui, tantôt, marchent parallèlement, de concert, tantôt se croisent et se sup­pri­ment réciproquement, de discerner quelque chose qui ressemble à une reproduction sociale. Existe-t-il même, d'une façon générale, un capital social, et que représente cette notion dans la réalité ? Telle est la première question que doit se poser la recherche scientifique des lois de la reproduction. Le père des physiocrates, Quesnay, qui aborda le problème avec toute l'assurance et la simplicité classique des premiers débuts de l'économie politique comme de l'ordre économique bourgeois, admit sans aucune hésitation, comme allant de soi, l'existence du capital social en tant que phénomène réel et agissant. Son célèbre Tableau économique, que personne, jusqu'à Marx, ne réussit à déchiffrer, représente, à l'aide d'un petit nombre de chiffres, le mouvement de la reproduction du capital social, dont il dit également qu'on doit le comprendre sous la forme de l'échange des marchandises, c'est-à-dire en même temps en tant que processus de circulation. « Dans son Tableau économique, Quesnay montre à grands traits comment un produit, de valeur déterminée, de la production nationale, se répartit dans la circulation de telle sorte que, les autres conditions restant les mêmes, sa simple reproduction, c'est-à-dire la reproduction à la même échelle, puisse s'opérer. La période de production a naturellement comme point de départ la dernière récolte. Les innombrables actes individuels de la circulation sont immédiatement réunis dans leur mouvement global à caractère social, la circulation entre deux grandes classes sociales à fonctions économiques déterminées  [1]».

D'après Quesnay, la société se compose de trois classes : 1º la classe productrice, c'est-à-dire les cultivateurs ; 2º la classe stérile, qui comprend tous ceux qui sont occupés dans d'autres branches d'activité que l'agriculture : industrie, commerce, professions libérales ; 3º la classe des propriétaires fonciers, y compris le souverain et les bénéficiaires de la dîme. Le produit total national apparaît, dans les mains de la classe productrice, comme une quantité de denrées alimentaires et de matières premières, d'une valeur de cinq milliards de livres. Sur cette somme, deux milliards représentent le capital d'entreprise annuel de l'agriculture, un milliard l'usure annuelle du capital fixe, et deux milliards le revenu net, qui va aux propriétaires fonciers. Outre ce produit total, les cultivateurs - qui sont considérés ici, dans un sens purement capitaliste, comme fermiers - ont en main deux milliards de livres en argent. La circulation se poursuit maintenant de telle façon que la classe des fermiers paie aux propriétaires fonciers deux milliards de livres en argent ne résultat de la période de circulation précédente) en qualité d'arrérages. Avec cette somme, la classe des pro­priétaires achète pour un milliard de denrées alimentaires aux fermiers, et pour l'autre milliard des produits industriels à la classe stérile. Les fermiers, de leur côté, achètent, avec le milliard qui leur est revenu, des produits industriels, sur quoi la classe stérile achète avec les deux milliards qu'elle possède ainsi des produits agricoles, à savoir pour un milliard des matières premières, etc., en vue de reconstituer son capital d'entreprise annuel, et pour un milliard des denrées alimentaires. Ainsi finalement l'argent est revenu à son point de départ : la classe des fermiers, le produit a été réparti entre toutes les classes, de telle sorte que toutes ont leur consommation assurée et qu'en même temps la classe productrice et la classe stérile ont renouvelé leurs moyens de production, et la classe des propriétaires a obtenu son revenu. Ainsi, toutes les conditions de la reproduction sont là, celles de la circulation ont toutes été observées, et la reproduction peut commencer son cours régulier  [2].

A quel point est insuffisante et primitive cette représentation des choses, malgré toute la génialité de la pensée, c'est ce que nous verrons plus loin au cours de notre étude. Ce qu'il faut, en tout cas, souligner ici, c'est que Quesnay, sur le seuil de la science économique, n'avait pas le moindre doute en ce qui concerne la possibilité de représenter le capital social et sa reproduction. Ce n'est que chez Adam Smith que nous voyons apparaître, en même temps qu'une analyse plus approfondie du régime de production capitaliste, la confusion dans les grandes lignes claires de la doctrine physiocratique. Smith renversa toute la base de la production capitaliste en établissant cette fausse théorie des prix qui, après lui, domina longtemps la science économique bourgeoise, à savoir la théorie selon laquelle la valeur des marchandises est bien représentée par la quantité de travail extériorisé en elle, mais aussi selon laquelle le prix ne se compose que des trois parties suivantes : salaires, profit et rente. Étant don­né que cela se rapporte également à l'ensemble des marchandises, au produit natio­nal, nous découvrons avec stupéfaction que la valeur de l'ensemble des marchandises produites dans la société capitaliste représente bien tous les salaires payés, les profits des capitaux et les rentes, c'est-à-dire toute la plus-value, et par conséquent peut les remplacer, mais encore qu'aucune partie de la valeur des marchandises produites ne correspond au capital constant employé à la fabrication de ces marchandises : v + pl, telle est, d'après Smith, la formule représentant la valeur de l'ensemble de la produc­tion capitaliste. « Ces trois parties, dit Smith, appuyant son point de vue sur l'exemple du blé (salaire, profit et rente), semblent constituer immédiatement ou en définitive la totalité du prix du blé. On pourrait peut-être penser qu'il faut y ajouter une quatrième partie, nécessaire pour remplacer le capital du fermier ou pour compenser le dépérissement de ses chevaux de labour et autres instruments d'agriculture. Mais il faut considérer que le prix de tout instrument de labourage, tel qu'un cheval de charrue, est lui-même formé de ces mêmes trois parties : la rente de la terre sur laquelle il a été élevé, le travail de ceux qui Pont nourri et soigné, et les profits d'un fermier qui a tait les avances, tant de cette rente que des salaires de ce travail. Ainsi, quoique le prix du blé doive payer aussi bien le prix du cheval que son entretien, la totalité du prix de ce blé se résout toujours, soit immédiatement, soit en dernière analyse, dans ces trois mêmes parties : rente, travail et profit  [3]». En nous renvoyant ainsi, selon l'expression de Marx, de Ponce en Pilate, Smith décompose toujours de nouveau le capital en v + pl. A vrai dire, il lui arrivait de temps en temps de douter et de retomber dans l'opinion opposée. C'est ainsi que dans la deuxième partie de son ouvrage, il écrit :

« On a fait voir dans le premier livre que le prix de la plupart des marchandises se résout en trois parties, qui ont concouru à produire la marchandise et à la mettre au marché, et que l'une paye les salaires du travail, l'autre les profits du capital, et la troisième la rente de la terre... que, puisqu'il en était ainsi pour toute marchandise quelconque prise séparément, il fallait nécessairement qu'il en tût de même pour les marchandises qui composent la totalité du produit de la terre et du travail d'un pays, prises en masse. La somme totale du prix ou de la valeur échangeable de ce produit annuel doit se résoudre de même en ces trois parties et se distribuer entre les différents habitants du pays, ou comme salaires de leur travail, ou comme profits de leur capital, ou comme rentes de leur terre. »

Mais ici Smith s'arrête court et déclare immédiatement après :

« Mais quoique la valeur totale du produit annuel des terres et du travail d'un pays soit ainsi partagée entre les différents habitants, et leur constitue un revenu, cependant, de même que dans le revenu d'un domaine particulier nous distinguons le revenu brut et le revenu net, nous pouvons aussi faire une pareille distinction à l'égard de tous les revenus de tous les habitants d'un grand pays.
« ... Le revenu brut d'un domaine particulier comprend généralement tout ce que débourse le fermier; le revenu net est tout ce qui reste franc et quitte de toutes charges ait propriétaire, après la déduction des frais de régie, des réparations et tous les autres prélèvements nécessaires, ou bien ce qu'il peut, sans nuire à sa fortune, placer dans le fonds qu'il destine à servir immédiatement à sa consommation, c'est-à-dire dépenser pour sa table, son train de vie, les ornements et l'ameublement de sa maison, ses jouissances et amusements personnels. Sa richesse réelle n'est pas en proportion de son revenu brut, mais de son revenu net.
« ... Le revenu brut de tous les habitants d'un grand pays comprend la masse totale du produit annuel de leur terre et de leur travail; leur revenu net est ce qui leur reste franc et quitte, déduction faite de ce qu'il faut pour entretenir premièrement leur capital fixe; secondement, leur capital circulant, ou bien ce qu'ils peuvent placer, sans empiéter sur leur capital, dans leur fonds de consommation, c'est-à-dire ce qu'ils peuvent dépenser pour leurs subsistance, commodités et amusements. Leur richesse réelle est aussi en proportion de leur revenu net, et non pas de leur revenu brut  [4]. »

Mais Smith n'introduit ici une partie de la valeur du produit correspondant au capital constant que pour s'en débarrasser immédiatement en le décomposant de nouveau en salaires, profits et rentes. Et finalement il en reste à son explication :

« ... De même que les machines et instruments d'industrie, etc., qui composent le capital fixe, soit d'un individu, soit d'une société, ne font partie ni du revenu net de l'un ou de l'autre, de même l'argent, au moyen duquel tout le revenu de la société est régulièrement distribué entre ses différents membres, ne fait nullement lui-même partie de ce revenu  [5]. »

Le capital constant (que Smith appelle le capital fixe) est ainsi placé sur le même rang que l'argent et n'entre pas dans la produc­tion sociale (son « revenu brut »), il n'existe pas en tant que partie de valeur du produit total !

Étant donné que là où il n'y a rien, le roi lui-même perd ses droits, il est clair que de la circulation, de l'échange réciproque du produit total ainsi composé on n'obtien­dra que la réalisation des salaires (v) et de la plus-value (pl), mais non pas le rempla­ce­ment du capital constant, et dès lors la continuation de la reproduction s'avère impossible. Certes, Smith savait parfaitement, et il ne songeait pas le moins du monde à le nier, que chaque capitaliste, pour faire marcher son entreprise, a besoin, outre un fonds de salaires, c'est-à-dire un capital variable, d'un capital constant. Mais pour l'ensemble de la production capitaliste, le capital constant a, dans l'analyse ci-dessus du prix des marchandises, disparu mystérieusement, sans laisser de traces, et ainsi le problème de la reproduction du capital social était complètement escamoté. Il est clair que si la condition la plus élémentaire du problème, à savoir l'explication du capital social, avait échoué, toute l'analyse devait échouer également Cette fausse théorie d'A. Smith, Ricardo, Say, Sismondi et d'autres la reprirent à leur tour, et tous se heurtèrent, dans l'étude du problème de la reproduction, à cette difficulté élémentaire : la représentation du capital social.

Une autre difficulté encore s'ajouta à la première dès le début de l'analyse scien­tifique. Qu'est-ce que le capital social ? Pour le capitaliste individuel, la chose est claire. Son capital, ce sont ses dépenses d'exploitation. La valeur de son produit lui rapporte - en supposant le mode de production capitaliste, et par conséquent le travail salarié - outre toutes les sommes avancées par lui, un excédent, la plus-value, qui ne remplace pas son capital, mais constitue son revenu net, qu'il peut consommer entiè­re­ment, sans réduire son capital, par conséquent son fonds de consommation. Certes, le capitaliste peut « mettre de côté » une partie de ce revenu net, ne pas la consommer lui-même, mais la transformer en capital. Mais cela, c'est une autre affaire, un phéno­mène nouveau, la constitution d'un nouveau capital, qui sera remplacé également par la prochaine reproduction, avec le surplus. Mais, en tout cas et toujours, le capital du capitaliste individuel est ce dont il avait besoin en tant qu'avances d'exploitation en vue de la production, son revenu ce qu'il consomme ou peut consommer, en tant que fonds de consommation. Si nous demandons maintenant à un capitaliste ce que sont les salaires qu'il paie à ses ouvriers, il répondra qu'ils constituent évidemment une partie de son capital d'entreprise. Mais si nous demandons ce que sont ces salaires pour les ouvriers qui les reçoivent, on ne pourra pas nous répondre que c'est du capital. En effet, pour les ouvriers qui les reçoivent, les salaires ne sont pas du capital, mais du revenu, un fonds de consommation. Prenons un autre exemple. Un fabricant de machines fait construire dans son usine des machines. Son produit annuel sera un certain nombre de machines. Mais dans ce, produit annuel, dans sa valeur, se trouvent tant le capital avancé par le fabricant que le revenu obtenu par lui. Une partie des machines construites chez lui représente ainsi son revenu et est destinée à constituer ce revenu dans le procès de la circulation, dans l'échange. Mais celui qui achète à notre fabricant ses machines ne les achète évidemment pas en tant que revenu, dans le but de les consommer, mais pour les employer en tant que moyens de production. Pour lui, ces machines sont du capital.

Nous arrivons par ces exemples au résultat suivant : ce qui est capital pour l'un est revenu pour l'autre, et réciproquement. Comment peut-on, dans ces conditions, parler d'un capital social ? Et, en effet, toute la science économique jusqu'à Marx en concluait qu'il n'existe pas de capital social  [6]. Chez Smith, ainsi que chez Ricardo, nous voyons encore des hésitations et des contradictions dans cette question. Mais déjà un Say déclare catégoriquement :

« C'est de cette manière que la valeur entière des produits se distribue dans la société. Je dis leur valeur tout entière, car si mon profit ne s'élève qu'à une portion de la valeur du produit auquel j'ai concouru, le surplus compose le profit de mes coproducteurs. Un fabricant de drap achète de la laine à un fermier ; il paie diverses façons d'ouvriers et vend le drap qui en provient à un prix qui lui rembourse ses avances et lui laisse un profit. Il ne regarde comme un profit, comme servant à composer le revenu de son industrie, que ce qui lui reste net, ses déboursés payés, mais ses déboursés n'ont été que l'avance qu'il a faite à d'autres producteurs de diverses portions de revenus dont il se rembourse sur la valeur brute du drap. Ce qu'il a payé au fermier pour la laine était le revenu du cultivateur, de ses bergers, du propriétaire de la ferme. Le fermier ne regarde comme produit net que ce qui lui reste après que ses ouvriers et son propriétaire sont payés; mais ce qu'il leur a payé a été une portion de leurs revenus à eux-mêmes : c'était un salaire pour l'ouvrier, c'était un fermage pour le propriétaire ; C'est-à-dire pour l'un le revenu qu'il tirait de son travail, et pour l'autre le revenu qu'il tirait de sa terre. Et c'est la valeur du drap qui a remboursé tout cela. On ne peut concevoir aucune portion de la valeur de ce drap qui n'ait servi à payer un revenu. Sa valeur tout entière y a été employée.
« On voit par là que ce mot produit net ne peut s'appliquer qu'aux revenus de chaque entrepreneur particulier, mais que le revenu de tous les particuliers pris ensemble, ou de la société, est égal au produit brut résultant des terres, des capitaux et de l'industrie de la nation - ce qui ruine le système des économistes du XVIII° siècle, qui ne regardaient comme le revenu de la société que le produit net des terres et qui concluaient que la société n'avait à consommer qu'une valeur égale à ce produit net, comme si la société n'avait pas à consommer tout entière une valeur qu'elle a créée tout entière  [7]. »

Say justifie cette théorie d'une façon qui lui est particulière. Tandis qu'Adam Smith s'efforçait d'en donner la preuve en renvoyant tous les capitaux privés à leur lieu de production, pour en faire de simples produits du travail, mais ne considérait chaque produit du travail, dans un sens strictement capitaliste, que comme une som­me de travail payé et de travail non payé, c'est-à-dire de v + pl, et arrivait ainsi à ramener en fin de compte tout le produit social à v + pl, Say s'empresse de corriger d'une main sûre ces erreurs classiques en banalités tout à fait ordinaires. Il s'appuie sur ce fait que l'entrepreneur, à tous les stades de la production, paie les moyens de production (qui constituent pour lui du capital) à d'autres personnes, représentant les anciens stades de production, et que celles-ci, de leur côté, empochent ce paiement, en partie en qualité de revenu, en partie en qualité de remboursement des sommes qu'elles avaient avancées elles-mêmes, pour payer encore à d'autres personnes leur revenu. La chaîne sans fin de processus de travail de Smith se transforme chez Say en une chaîne sans fin d'avances mutuelles sur le revenu et de remboursements sur la vente. L'ouvrier lui-même apparaît ici comme placé dans la même situation que l'entrepreneur : il reçoit l' « avance » de son revenu, sous forme de salaire, et le paie en travail. C'est ainsi que la valeur finale de l'ensemble du produit social se présente uniquement comme une somme de revenus « avancés », et l'échange n'a, par consé­quent, d'autre but que de rembourser toutes ces avances. Il est caractéristique pour la façon tout à fait plate dont Say se représente les choses qu'il s'efforce d'expliquer les rapports sociaux de la reproduction capitaliste en s'appuyant sur l'exemple de l'industrie horlogère, branche d'industrie - à cette époque et aujourd'hui encore - en grande partie manufacturière, où les « ouvriers » sont en réalité de petits entrepre­neurs et où le processus de la production de la plus-value est masqué par des actes d'échange successifs de la simple production marchande.

Ainsi, Say ne fait que donner son expression la plus grossière à la confusion intro­duite par Smith : toute la valeur des produits annuellement fabriqués par la société se compose de revenus, par conséquent elle est chaque année consommée tout entière. Dès lors, la reprise de la production, sans capital, sans moyens de production, apparaît comme une énigme, la reproduction capitaliste comme un problème insoluble.

Si l'on examine le chemin parcouru par le problème depuis les physiocrates jusqu'à Adam Smith, on constate à la fois un progrès et un recul. Ce qui caractérisait le système économique des physiocrates, c'était leur affirmation selon laquelle seule l'agriculture crée un excédent, c'est-à-dire une plus-value, et par conséquent le travail agricole est le seul productif, au sens capitaliste du terme. C'est ainsi que nous voyons, dans le Tableau économique, que la classe « stérile » des ouvriers de manu­fac­ture ne crée qu'une valeur correspondant aux deux milliards qu'ils consomment en matières premières et en denrées alimentaires. C'est ainsi qu'au cours de l'échange, tous les produits manufacturés vont pour moitié à la classe des fermiers et pour moitié à la classe des propriétaires, tandis que la classe industrielle ne consomme même pas ses propres produits. Cette classe ne fait que reproduire dans la valeur des marchan­dises fabriquées par elle le capital circulant usagé et ne crée aucun revenu pour les entrepreneurs. Le seul revenu de la société dépassant tous les placements de capitaux, et qui entre dans la circulation, est créé par l'agriculture et consommé par la classe des propriétaires sous forme de rente, tandis que la classe des fermiers ne fait que remplacer son capital à savoir : un milliard d'intérêts du capital fixe et deux milliards de capital circulant, c'est-à-dire les deux tiers en matières premières et en denrées alimentaires et un tiers en produits manufacturés. D'autre part, il apparaît clairement que Quesnay n'admet de capital fixe, qu'il appelle « avances primitives », en les distin­guant des « avances annuelles  [8] » que dans l'agriculture. Il semble, d'après lui, que la manufacture travaille sans aucun capital fixe et seulement avec le capital d'entreprise circulant annuellement, et que, par conséquent, elle ne crée, dans la masse de marchandises qu'elle fabrique annuellement, aucune valeur destinée à remplacer l'usure du capital fixe (bâtiments, instruments de travail, etc.)  [9].

En face de ces erreurs manifestes, l'école classique anglaise réalise un progrès décisif avant tout en ceci qu'elle déclare productive toute espèce de travail, c'est-à-dire qu'elle montre que l'industrie crée de la plus-value tout comme l'agriculture. Nous disons : l'école classique anglaise, parce que Smith lui-même, malgré ses affirmations claires dans ce sens, retombe cependant de temps en temps dans les erreurs des physiocrates. Ce n'est que chez Ricardo que la théorie de la valeur basée sur le travail reçoit la forme la plus haute et la plus conséquente qu'elle pouvait atteindre dans les limites de la science bourgeoise. Il en résultait que nous devons admettre que la section industrielle de la production sociale, tout comme l'agriculture, fournit annuellement une valeur dépassant celle des capitaux engagés, un bénéfice net, c'est-à-dire une plus-value  [10]. D'autre part, le fait qu'il mit en évidence, que tous les genres de travaux, qu'ils soient industriels ou agricoles, produisent de la plus-value, le mena à la conclusion suivante : que le travail agricole, outre la rente pour les propriétaires fonciers, doit rapporter encore un excédent à la classe des fermiers, une fois remboursées leurs avances de capitaux. C'est ainsi qu'à côté du remplacement du capital apparut le revenu annuel de la classe des fermiers  [11]. Enfin, en approfondissant systématiquement les notions introduites par Quesnay des « avances primitives » et des « avances annuelles », qu'il appela capital fixe et capital circulant, Smith démon­tra que la section manufacturière de la production sociale a tout autant besoin que l'agriculture d'un capital fixe en dehors du capital circulant, et par conséquent aussi d'une partie de valeur correspondante pour remplacer l'usure de ce capital. Smith était en meilleure voie d'apporter de l'ordre dans les notions de capital et de revenu de la société et de les représenter d'une façon exacte. Le passage ci-dessous montre quel fut le maximum de clarté auquel il parvint en cette matière :

« Quoique la totalité du produit annuel des terres et du travail d'un pays soit, sans aucun doute, destinée en définitive à fournir à la consommation de ses habitants et à leur procurer un revenu, cependant à l'instant où il sort de la terre ou des mains des ouvriers productifs il se divise naturellement en deux parties. L'une d'elles, et c'est souvent la plus forte, est, en premier lieu, destinée à remplacer un capital ou à renouveler la portion de vivres de matières ou d'ouvrages faits qui a été retirée d'un capital; l'autre est destinée à former un revenu, ou au maître de ce capital, comme profit de ces fonds ou à quelque autre personne, comme rente de sa terre  [12]. »
« Le revenu brut de tous les habitants d'un grand pays comprend la masse totale du produit annuel de leur terre et de leur travail; leur revenu net est ce qui leur reste franc et quitte, déduction faite de ce qu'il faut pour entretenir, premièrement, leur capital fixe, secondement, leur capital circulant, ou bien ce qu'ils peuvent placer, sans empiéter sur leur capital, dans leur fonds de consommation, c'est-à-dire ce qu'ils peuvent dépenser pour leurs subsistance, commodités et amusements. Leur richesse réelle est aussi en proportion de leur revenu net, et non pas de leur revenu brut  [13]. »

Nous avons ici les notions du capital et du revenu social, conçues d'une façon générale et plus rigoureuse que dans le Tableau économique ; le revenu social détaché de sa liaison unilatérale avec l'agriculture le capital, sous ses deux formes de capital fixe et de capital circulant servant de base à toute la production sociale. Au lieu de la distinction erronée entre les deux principales branches de la production : l'industrie et l'agriculture, nous voyons ici apparaître au premier plan d'autres catégories de nature plus profonde : la distinction entre le capital et le revenu, puis celle entre capital fixe et capital circulant. Partant de là, Smith passe à l'analyse des rapports mutuels et des transformations de ces catégories dans leur mouvement social : dans la production et la circulation, c'est-à-dire dans le processus de reproduction de la société. Il souligne ici une différence radicale entre le capital fixe et le capital circulant du point de vue social.

« Il est évident qu'il faut retrancher du revenu net de la société toute la dépense d'entretien du capital fixe. Les matières premières nécessaires pour l'entretien des machines utiles, instruments d'industrie, bâtiments d'exploitation, etc., pas plus que le produit du travail nécessaire pour donner à ces matières la forme convenable, ne peuvent jamais faire partie de ce revenu net. Le prix de ce travail, à la vérité, peut bien en faire partie, puisque les ouvriers qui y sont employés peuvent placer la valeur entière de leurs salaires dans leur fonds de consommation, mais la différence consiste en ce que dans les autres sortes de travail et le prix et le produit vont l'un et l'autre à ce fonds; le prix va à celui des ouvriers, et le produit à celui d'autres personnes dont la subsistance, les commodités et les agréments se trouvent augmentés par le travail de ces ouvriers  [14]. »

Ici Smith se heurte à la distinction importante entre ouvriers produisant des moyens de production et ouvriers produisant des moyens de consommation. Au sujet des premiers, il remarque que la valeur qu'ils créent en remplacement de leurs salaires vient au monde sous forme de moyens de production (tels que matières premières, machines, etc.), c'est-à-dire qu'ici la partie du produit destinée au revenu des ouvriers existe sous une forme naturelle, qui ne peut absolument pas servir à la consommation. En ce qui concerne la seconde catégorie d'ouvriers, Smith remarque qu'ici, au con­traire, tout le produit, par conséquent tant la partie de valeur qu'il contient et qui remplace les salaires (le revenu) des ouvriers que l'autre partie (Smith ne le dit pas expressément, mais cela découle de son raisonnement : ainsi la partie également qui représente le capital fixe usagé) apparaît sous forme d'articles de consommation. Nous verrons plus loin combien Smith s'est approché ici du point crucial de l'analyse, d'où Marx est parti pour aborder le problème. Cependant, la conclusion générale à laquelle Smith lui-même reste attaché, sans poursuivre plus loin l'analyse, est la suivante : en tout cas, ce qui sert à l'entretien et au renouvellement du capital fixe de la société ne peut être compris dans le revenu net de la société.

Il en est autrement du capital circulant.

« Mais quoique toute la dépense d'entretien du capital fixe se trouve ainsi néces­sai­rement retranchée du revenu net de la société, il n'en est pas de même à l'égard de la dépense d'entretien du capital circulant. On a déjà observé que, des quatre articles qui composent ce capital, qui sont l'argent, les vivres, les matières et l'ouvrage fait, les trois derniers en sont régulièrement retirés pour être versés, soit dans le capital fixe de la société, soit dans le fonds de consommation. De ces choses consommables, tout ce qui ne se trouve pas employé à l'entretien du premier de ces deux fonds va en entier à l'autre et fait partie du revenu net de la société : ainsi l'entretien de ces trois parties du capital circulant ne retranche du revenu net de la société aucune autre portion du produit annuel que celle qui est nécessaire à l'entretien du capital fixe  [15]. »

On voit que Smith fait tout entrer dans la catégorie du capital circulant, à l'excep­tion du capital fixe déjà employé, par conséquent tant les moyens de consommation que les matières premières et tout le capital de marchandises non encore réalisé (par conséquent en partie ces mêmes moyens de consommation et matières premières déjà mentionnés, en partie des marchandises qui, confor­mément à leur forme naturelle, doivent servir au remplacement du capital fixe), rendant ainsi tout à fait confuse et équivoque la notion du capital circulant. Mais, à côté et au milieu même de cette confusion, il fait encore une autre distinction importante :

« A cet égard, le capital circulant d'une société diffère de celui d'un individu. Celui d'un individu ne peut entrer pour la moindre partie dans son revenu net, qui se compose uniquement de ses profits. Mais encore que le capital circulant de chaque individu fasse une partie de celui de la société dont il est membre, il ne s'ensuit pas que ce capital ne puisse de même entrer pour quelque chose dans le revenu net de la nation  [16]. »

Smith appuie ce qui vient d'être dit par l'exemple suivant :

« Quoique les marchandises qui composent le fonds de boutique d'un marchand ne puissent nullement être versées dans son fonds de consommation, elles peuvent néanmoins aller à celui d'autres personnes qui, au moyen d'un revenu qu'elles tirent de quelque autre source, sont en état d'en remplacer régulièrement la valeur au marchand, ainsi que ses profits, sans qu'il en résulte aucune diminution, ni dans le capital du marchand ni dans le leur  [17]. »

Smith a mis au jour des catégories fondamentales relativement à la reproduction et au mouvement du capital social. Capital fixe et capital circulant, capital privé et capital social, revenu privé et revenu social, moyens de production et moyens de consom­mation sont élevés ici au niveau de catégories importantes, et, en partie, étudiés dans leur entrecroisement réel, objectif, en partie noyés dans les contra­dictions théoriques, subjectives, de l'analyse smithienne. Le schéma simple, sévère et d'une pure clarté classique des physiocrates fait ici place à une foule de notions et de rapports qui semblent à première vue former un chaos. Mais, de ce chaos apparent, surgissent déjà petit à petit de nouveaux rapports de production sociale représentés d'une façon plus profonde, plus moderne et plus vivante que chez Quesnay, rapports qui se trouvent à l'état inachevé dans le chaos, tel l'esclave de Michel-Ange dans son bloc de marbre.

C'est là un des aspects du problème, tel que l'aperçoit Smith. Mais, en même temps, il l'étudie sous un tout autre aspect, celui de la valeur. Ce sont précisément cette théorie du caractère productif de tout travail, puis la division strictement capita­liste du travail en travail payé (destiné à remplacer le salaire) et en travail non payé (créateur de la plus-value), enfin la division de la plus-value en ses deux catégories fondamentales : le profit et la rente - ce qui représente autant de progrès sur les physiocrates - qui ont amené Smith à cette affirmation remarquable, d'après laquelle le prix de toute marchandise se compose de salaire + profit + rente, ou, pour employer la formule plus brève de Marx, de v + pl. Il en résultait, par conséquent, que toutes les marchandises produites annuellement par la société se divisent en ces deux parties : salaires et plus-value. Ici disparaissait brusquement la catégorie du capital, la société ne produit que du revenu, que des articles de consommation, entièrement consommés par la société. La reproduction sans capital devient une énigme, et le problème dans son ensemble fait, par rapport aux physiocrates, un bond formidable en arrière.

Les successeurs de Smith ont pris sa double théorie juste du mauvais côté. Tandis que personne, jusqu'à Marx, ne sut utiliser les indications importantes qu'il fournit dans la deuxième partie de son ouvrage en vue d'une exposition exacte du problème, sa fausse théorie des prix, contenue dans la première partie, fut considérée par ses successeurs comme un legs précieux et acceptée telle quelle, comme chez Ricardo, ou transformée en un dogme plat, comme chez Say. Là où il y avait chez Smith des dou­tes et des contradictions fécondes, nous voyons chez Say la suffisance de l'économiste vulgaire. Pour Say, l'observation de Smith, selon laquelle ce qui est capital pour l'un peut être revenu pour l'autre, devient un motif de déclarer absurde, d'une façon générale, toute distinction entre capital et revenu dans le cadre social. Par contre, cette absurdité d'après laquelle la valeur totale de la production annuelle se compose exclusivement de revenus et est, par conséquent, consommée tout entière est élevée par lui à la hauteur d'un dogme absolu. Étant donné que la société consomme entière­ment chaque année toute ce qu'elle produit, la reproduction sociale, sans moyens de production, devient une répétition annuelle du miracle biblique, une création ex nihilo.

C'est dans cet état que resta le problème de la reproduction jusqu'à Marx.


Notes

[1] Le Capital, II, p. 332 de la deuxième édition, 1893 trad. Molitor, VII, p. 178.

[2] Voir Analyse du Tableau économique dans le Journal de l'Agriculture, du Commerce et des Finances, de Dupont, 1766, p. 305 de l'édition d'Oncken des Œuvres de F. Quesnay. Quesnay remarque expressément que la circulation décrits par lui suppose deux conditions : une liberté Illimitée des relations commerciales et un système d'impôts pesant exclusivement sur la rente : « Mais ces données ont des conditions sine quabus non ; elles supposent que la liberté du commerce soutient le débit des productions à un bon prix, - elles supposent d'ailleurs que le cultivateur n'ait à payer directement ou indirectement d'autres charges que le revenu, dont une partie, par exemple les deux septièmes, doit former le revenu du souverain. » (p. 311.)

[3] Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (traduction Germain Garine, Parts, 1843), liv. I. chap. 6, pp. 68-69.

[4] Ibidem, liv. Il, chap. 2, pp. 345-46.

[5] Ibidem, p. 349.

[6] Sur Rodbertus et son « capital national », voir plus loin, dans la deuxième partie.

[7] J.-B. Say, Traité d'Économie Politique, livre II, chap. V (6° éd., Parts, 1841), pp. 353-354.

[8] En français dans le texte.

[9] Il faut d'ailleurs remarquer que Mirabeau, dans ses Explications au sujet du Tableau économique, mentionne expressément le capital fixe de la classe stérile : « Les avances primitives de cette classe pour établissement de manufactures, pour instruments, machines, moulins, forges et autres usines... 2 000 000 000 de livres » (Tableau économique avec ses explications. Mil sept cent soixante. p. 82).
Il est vrai que dans son projet confus de Tableau, Mirabeau ne fait pas entrer en ligne de compte ce capital fixe de la classe stérile.

[10] Smith écrit encore d'une façon tout à fait générale : « La valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se résout alors en deux parties, dont l'une paye leurs salaires, et l'autre les profits que fait l'entrepreneur sur la somme des fonds qui lui ont servi à avancer ces salaires et la matière à travailler. » (Op. cit., livre I, ch. VI, p. 66.) Dans l'original : « The value which the workmen add to the materials, therefore, resolves itself in this case into two parts, of which the one pays their wages, the other the profite of their employer upon the whole stock of materials and wages which ho advanced » (Wealth of Nations, ed. Mac Culloch, 1828, tome I, p. 83). Et, dans le livre Il, chapitre III, spécialement sur le travail industriel : « Le travail d'un ouvrier de manufacture ajoute en général à la valeur de la matière sur laquelle travaille cet ouvrier la valeur de sa subsistance et du profit de son maître. Le travail d'un domestique, au contraire, n'ajoute à la valeur de rien. Quoique le premier reçoive des salaires que son maître lui avance, il ne lui coûte, dans le fait, aucune dépense, la valeur de ces salaires se retrouvant en général avec un profit de plus dans l'augmentation de valeur du sujet auquel ce travail a été appliqué. » (pp. 410-411.)

[11] « Les hommes... employés aux travaux de la culture, non seulement, comme les ouvriers des manufactures, donnent lieu à la reproduction d'une valeur égale à leur consommation ou au capital qui les emploie, en y joignant de plus les profits des capitalistes, mais ils produisent encore une bien plus grande valeur. Outre le capital du fermier et tous ses profits, ils donnent lieu à la reproduction régulière d'une rente pour le propriétaire. » (Op. cit., p. 455.)

[12] P. 445. Il est vrai qu'une phrase plus loin, Smith transforme le capital tout entier en salaires, c'est-à-dire en capital variable : « That part of the annual produce of the land and labour of any country which replaces a capital, never is immediately employed to maintain any but productive hands. It pays the wages of productive labour only. That which is immediately destined for constituting a revenue, either as profit or as rent, may maintain indifferently either productive or unproductive hands. » (Ed. Mac Culloch, tome I, p. 98.)

[13] Ibid., p. 346.

[14] Ibid., p. 346.

[15] Ibid., p. 348.

[16] Ibid., p. 348.

[17] Ibid., p. 348.


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