1913

Un ouvrage qui est encore discuté aujourd'hui...


L'accumulation du capital

Rosa Luxemburg

III: Les conditions historiques de l'accumulation


28 : L'introduction de l'économie marchande

La seconde condition indispensable à l'acquisition de moyens de production ainsi qu'à la réalisation de la plus-value, c'est l'accession au commerce et l'intégration au sein de l'économie marchande des organisations sociales dont l'économie naturelle a été détruite.

Toutes les classes et sociétés non capitalistes doivent acheter les marchandises produites par le capital et lui vendre leurs propres produits. Il semble qu'on puisse ici au moins commencer à parier de « paix » et d'« égalité », du « do ut des », et d'« ac­tion civilisatrice ». Le capitalisme peut bien arracher par la violence leurs moyens de production aux structures sociales étrangères et forcer les travailleurs à devenir les objets de l'exploitation capitaliste, mais il ne peut pas les contraindre par la violence à acheter ses marchandises, il ne peut pas les forcer à réaliser sa plus-value. L'introduc­tion des moyens de transport - chemins de fer, bateaux, canaux - est la condition préa­lable de l'expansion de l'économie marchande dans les territoires où règne une écono­mie naturelle, ce qui semble confirmer cette hypothèse. La conquête de l'écono­mie marchande commence généralement par la création d'ouvrages grandioses de civili­sa­tion, par la construction de transports modernes, comme les lignes de chemin de fer traversant les forêts vierges et franchissant les montagnes, les télégraphes tendant leurs fils au-dessus des déserts, les paquebots qui font escale dans les ports du monde entier. Cependant le caractère pacifique de ces bouleversements techniques est illusoire. Les relations commerciales des compagnies des Indes orientales avec les pays fournisseurs d'épices étaient des actes de brigandage, de chantage ou des escro­queries grossières accomplis sous la bannière du commerce, comme le sont aujour­d'hui les relations des capitalistes américains avec les Indiens du Canada à qui ils achètent des fourrures, ou celles des marchands allemands avec les nègres d'Afrique. Un exemple classique du commerce « pacifique » avec les sociétés arriérées est fourni par l'histoire moderne de la Chine à laquelle les Européens ont fait la guerre tout au long du XIX° siècle pour l'ouvrir par la force au commerce. Persécutions des chrétiens provoquées par les missionnaires, désordres suscités par les Européens, massacres périodiques où une population de paysans pacifiques et sans défense dut se mesurer avec la technique perfectionnée des forces européennes alliées, lourdes contributions de guerre, système de la dette publi­que, d'emprunts européens, de contrôle européen des finances avec comme consé­quence l'occupation des forteresses chinoises, ouverture forcée de ports libres et concessions de chemin de fer obtenues sous la pression des capitalistes européens, telles furent les méthodes employées pour ouvrir la Chine au commerce des mar­chandises depuis le milieu du XIX° siècle jusqu'à la révolution chinoise.

L'ère de l'ouverture de la Chine à la civilisation européenne, c'est-à-dire à l'échan­ge de marchandises avec le capital européen, fut inaugurée par la guerre de l'opium, par laquelle la Chine fut contrainte d'acheter ce poison des plantations indiennes pour aider les capitalistes anglais à le monnayer. Au XVII° siècle la culture de l'opium fut introduite au Bengale par la Compagnie anglaise des Indes orientales et l'usage du stupéfiant fut répandu en Chine grâce à sa filiale de Canton. Au début du XIX° siècle, le prix de l'opium avait tellement baissé qu'il devint bientôt un « objet de consom­mation du peuple ». En 1821 encore 4 628 caisses d'opium étaient importées en Chine pour un prix moyen de 1 325 dollars, puis le prix tomba de 50 %, et en 1825 l'impor­tation chinoise s'éleva à 9 621 caisses, en 1830 à 26 670 caisses  [1].

Les effets désastreux de la drogue et notamment de l'espèce la plus commune et la moins chère dont usait la population pauvre, devinrent une calamité publique et obligèrent la Chine à en prohiber l'importation. Dès 1828, le vice-roi de Canton avait interdit l'importation de l'opium, mais cette mesure ne réussit qu'à détourner le trafic vers d'autres ports. L'un des censeurs de Pékin fut chargé d'une enquête à ce sujet et rédigea le rapport suivant :

« J'ai appris que les fumeurs d'opium ont un tel désir de cette drogue néfaste qu'il font tout pour s'en procurer la jouissance. S'ils n'ont pas l'opium à l'heure habituelle, ils se mettent à trembler, des gouttes de sueur coulent sur leur front et sur leur visage et ils sont incapables de se livrer à la moindre occupation. Mais dès qu'on leur apporte une pipe d'opium, ils en aspirent quelques bouffées et sont aussitôt guéris.
« L'opium est donc devenu pour tous ceux qui le fument un besoin absolu, et il ne faut pas s'étonner que lorsqu'ils sont convoqués par l'Autorité publique ils préfèrent subir n'importe quel châtiment plutôt que de révéler le nom de celui qui leur fournit l'opium. Parfois on apporte des présents aux autorités locales pour les inciter à tolérer ce mal ou à interrompre une enquête commencée. La plupart des marchands qui fournissent des marchandises à Canton vendent également de l'opium au marché noir.
« Je suis d'avis que l'opium est un mal bien plus grand que le jeu et qu'il faudrait punir les fumeurs d'opium aussi sévèrement que les joueurs. »

Le censeur proposait de condamner chaque fumeur d'opium découvert à quatre-vingts coups de bambou, celui qui refuserait d'indiquer le nom du vendeur à cent coups de bambou et à un exil de trois ans. Et avec une franchise inconnue des auto­rités européennes, le Caton de Pékin terminait son rapport par la réflexion suivante : « Il semble que l'opium soit surtout importé par des fonctionnaires indignes qui, en accord avec des négociants cupides, le font parvenir à l'intérieur du pays ; là ce vice est d'abord pratiqué par des jeunes gens de bonne famille, par de riches particuliers et des marchands et il se répand finalement dans le peuple. J'ai appris qu'il existe des fumeurs d'opium dans toutes les provinces, non seulement parmi les fonctionnaires civils mais aussi dans l'armée. Tandis que les fonctionnaires des différents districts renforcent par des édits l'interdiction légale de la vente de l'opium, leurs parents, leurs amis, leurs subordonnés, leurs serviteurs continuent à fumer comme aupara­vant et les négociants profitent de l'interdiction pour faire monter les prix. La police, elle-même, gagnée à ces habitudes, achète la drogue au lieu d'aider à la faire disparaître, et c'est aussi la raison pour laquelle les inter­dictions et les mesures légales restent peu appliquées  [2]. »

A la suite de ce rapport, on promulgua en 1833 une loi plus sévère qui rendait chaque fumeur d'opium passible de cent coups de bambou et de deux mois de pilori. Les gouverneurs des provinces durent rendre compte dans leurs rapports annuels des résultats de la lutte contre l'opium. La campagne eut le double effet suivant : d'une part on se mit à cultiver le pavot sur une grande échelle à l'intérieur de la Chine, en particulier dans les provinces de Honan, de Se-Tchouan et de Kweitchan, et, d'autre part, l'Angleterre déclara la guerre à la Chine pour l'obliger à lever l'embargo sur l'opium. C'est alors que commença « l'ouverture » glorieuse de la Chine à la culture européenne sous la forme de pipes d'opium.

La première attaque porta sur Canton. Les fortifications de la ville sur le bras principal de l'estuaire du fleuve Perle étaient très primitives. La seule défense consistait, chaque jour au coucher du soleil, à barrer le fleuve par des chaînes de métal fixées à des poteaux ancrés dans l'eau à des distances différentes. Il faut ajouter que les canons chinois n'avaient pas de hausse leur permettant de régler leur tir, ils étaient donc assez inoffensifs. C'est avec ces défenses primitives, tout juste bonnes à empêcher quelques navires de commerce d'entrer dans le port, que les Chinois subirent la première attaque anglaise. Dix navires de guerre anglais suffirent pour forcer l'entrée du port, le 7 septembre 1839. Les 16 jonques de guerre et les 13 bateaux-pompes que les Chinois mirent en ligne pour leur défense furent bombardés et dispersés en trois quarts d'heure. Après cette première victoire les Anglais réussirent à renforcer leur flotte de guerre et passèrent au début de 1841 à une nou­velle attaque. Cette fois ils attaquèrent à la fois la flotte et le port. La flotte chinoise consistait en un certain nombre de jonques de guerre. La première fusée incendiaire pénétra dans la chambre à poudre d'une jonque, faisant sauter celle-ci avec tout son équipage. Peu de temps après, 11 jonques, y compris le bateau amiral, furent détruites, le reste de la flotte chercha son salut dans une fuite éperdue. Les opérations à terre prirent un peu plus de temps. L'artillerie chinoise était totalement inefficace ; les Anglais avancèrent au beau milieu des fortifications, grimpèrent jusqu'à un point stratégique qui n'était même pas gardé et massacrèrent d'en haut les Chinois sans défense. La bataille se solda par les pertes suivantes : du côté chinois 600 morts, du côté anglais 1 mort et 30 blessés, dont plus de la moitié avaient été atteints par l'explosion accidentelle d'un réservoir de poudre. Quelques semaines plus tard les Anglais se livraient à un nouvel exploit. Il s'agissait de s'emparer des forts d'Anunghoy et de Nord Wantong. Les Anglais disposaient pour cette tâche de 12 vaisseaux de ligne entièrement équipés. Par ailleurs, les Chinois négligeant encore une fois l'essentiel, avaient omis de fortifier l'île de Sud Wantong. Ainsi les Anglais purent débarquer en toute tranquillité une batterie pour bombarder le fort d'un côté tandis que les croiseurs le prenaient sous leur feu de l'autre côté. Quelques minutes suffirent pour chasser les Chinois des forts. Le débarquement eut lieu sans rencontrer la moindre résistance. La scène inhumaine qui suivit - selon un rapport anglais - restera toujours dans la mémoire des officiers anglais comme un sujet de remords. Les Chinois, en effet, cherchant à s'enfuir de leurs retranchements, étaient tombés dans les fossés, qui étaient remplis de soldats sans défense suppliant qu'on leur fasse grâce. Les Sepoys tirèrent sans relâche - contre l'ordre de leurs officiers, paraît-il - sur cette masse de corps humains étendus à terre. C'est ainsi que Canton fut ouverte au commerce des marchandises.

Les autres ports connurent le même sort. Le 4 juillet 1841 trois bateaux de guerre anglais armés de 120 canons apparurent au large des îles à l'entrée de la ville de Mingpo. Le lendemain d'autres vaisseaux se joignirent aux premiers. Le soir l'amiral anglais envoya un message au gouverneur chinois exigeant la capitulation des îles. Le gouverneur déclara qu'il n'était pas en mesure de résister mais qu'il ne pouvait se rendre sans ordre de Pékin : il demandait donc un délai. Ce délai ne lui fut pas accordé, et à deux heures et demie du matin, les Anglais assaillirent l'île sans défense. En neuf minutes, le fort et les maisons situées sur la plage étaient réduits en un tas de cendres fumantes. Les troupes débarquèrent sur la côte abandonnée et couverte de lances, de sabres, de boucliers, de fusils brisés, où gisaient quelques morts ; ils s'avancèrent jusqu'aux remparts de la ville insulaire de Tinghaï. Le lendemain matin, avec le renfort des équipages de bateaux nouvellement arrivés, ils posèrent des échelles contre les murailles qui étaient à peine protégées et, quelques minutes plus tard ils étaient maîtres de la ville. Les Anglais proclamèrent cette victoire glorieuse dans un ordre du jour modeste : « Le sort avait décidé que le matin du 5 juillet 1841 serait un jour mémorable où le drapeau de Sa Majesté d'Angleterre flotterait au-dessus de la plus belle île de l'Empire Céleste du Milieu, première bannière euro­péenne s'élevant victorieuse au-dessus de ces contrées florissantes  [3]».

Le 25 août 1841, les Anglais arrivèrent en vue de la ville d'Amoy dont les forts étaient équipés de plusieurs centaines de canons du plus grand calibre chinois. Comme la plupart de ces canons étaient parfaitement inefficaces et comme par ailleurs les commandants chinois étaient peu préparés à soutenir une attaque, la prise du port fut, une fois encore, un jeu d'enfants. Protégés par un tir continu, les vais­seaux anglais s'approchèrent des murailles de Koulangsou, puis les marins débarquè­rent et repoussèrent après une courte résistance les troupes chinoises. 26 jonques de guerre équipées de 120 petits canons qui avaient été abandonnées par leur équipage, furent prises par les Anglais. Une batterie servie par des Tatares résista héroïquement au feu réuni de cinq bateaux anglais. Après avoir débarqué, les Anglais les attaquè­rent par derrière et les massacrèrent dans un bain de sang.

C'est ainsi que se termina la glorieuse guerre de l'opium. Par le traité de paix du 27 août 1842, l'île de Hong-Kong fut cédée aux Anglais: en outre, Canton, Amoy, Fou-Tchéou, Mingpo et Shangaï durent être ouvertes au commerce. Quinze ans plus tard il y eut une deuxième guerre contre la Chine. menée cette fois par les Anglais et les Français réunis. En 1857, les troupes alliées attaquèrent Canton avec le même héroïsme que pendant la première guerre. La paix de Tientsin en 1858 avait pour clauses la libre exportation de l'opium, l'ouverture du pays au commerce et le droit pour les missions de pénétrer à l'intérieur de la Chine. Dès 1859, les Anglais ouvri­rent à nouveau les hostilités et décidèrent de détruire les fortifications chinoises au bord du Peiho. Mais ils furent repoussés après une bataille meurtrière qui fit 464 victimes, morts et blessés  [4].

L'Angleterre et la France avaient de nouveau réuni leurs forces. A la fin du mois d'août 1860, des troupes anglaises de 12 600 hommes et des troupes françaises de 7 500 hommes, réunies sous le commandement du général Cousin-Montauban, com­men­cèrent par s'emparer des forts de Takou sans tirer un seul coup de fusil, puis pénétrèrent jusqu'à Tientsin et enfin avancèrent jusque devant Pékin. Le 21 septembre 1860 eut lieu la bataille sanglante de Palikao, qui livra Pékin aux puissances européennes. Les vainqueurs entrèrent dans la ville à peu près désertée et absolument sans défense et commencèrent par piller le palais impérial ; le général Cousin, plus tard maréchal et « comte de Palikao », participa personnellement et activement au pillage. Mais Lord Elgin fit incendier le palais « en guise de représailles »  [5].

Les puissances européennes obtinrent alors le droit d'avoir des ambassadeurs à Pékin et à Tientsin, et d'autres villes furent ouvertes au commerce. Tandis qu'en Angleterre, à Londres, à Manchester et dans d'autres régions industrielles une ligue anti-opium luttait contre la diffusion de ce stupéfiant, et qu'une commission nommée par le Parlement en proclamait la nocivité, la convention de Tchifou en 1876 garan­tissait la libre exportation de l'opium en Chine. En même temps tous les traités signés avec la Chine garantissaient aux Européens - négociants ou missionnaires - le droit d'acquérir des terres. La fraude consciente joua ici son rôle à côté de la force des armes. Non seulement l'ambiguïté des textes du traité préparait les voies à l'extension progressive des territoires occupés par le capital européen dans les ports affermés, mais des falsifications reconnues du texte chinois de la convention supplémentaire française de 1860, traduit par l'abbé Delamarre, missionnaire catholique, permirent d'extorquer des concessions aux Chinois : les missions reçurent l'autorisation d'acqué­rir du terrain non seulement dans les ports affermés mais encore dans toutes les provinces de l'empire. La diplomatie française et les missions protestantes en parti­culier furent unanimes à condamner l'escroquerie raffinée du religieux ; elles n'en tinrent pas moins à exiger l'application de ce droit élargi des missions françaises et à en réclamer l'extension aux missions protestantes  [6].

L'ouverture de la Chine au commerce, introduite par la guerre de l'opium, fut scellée par la série des « affermages » et par l'expédition chinoise de 1900, où la défen­se des intérêts commerciaux du capital européen se transforma ouvertement en un pillage international des terres. L'impératrice douairière soulignait ce contraste entre la théorie initiale et la pratique des « civilisateurs » européens en Chine, lors­qu'elle écrivait à la reine Victoria après la prise des forts de Takou :

« A Votre Majesté, salut ! Au cours de toutes les négociations entre l’Angleterre et l'empire chinois depuis le début des relations entre les deux pays, il n'a jamais été question d'extension territoriale de la part de la Grande-Bretagne, mais uniquement de son désir ardent de servir les intérêts de son commerce. Constatant le fait que notre pays est précipité dans une guerre pénible, nous nous rappelons que 70 % ou 80 % du commerce chinois se font avec l'Angleterre. En outre, vos tarifs douaniers maritimes sont les plus bas du monde et vous imposez peu de limitations à l'impor­tation étrangère dans vos ports. Pour ces raisons nos relations amicales avec les négociants anglais dans les ports affermés se sont maintenues sans interruption pendant le dernier demi-siècle pour notre avantage à tous deux. Mais un changement soudain s'est produit et une méfiance générale s'est élevée contre nous. C'est pourquoi nous vous prions de songer que, si par quelque combinaison de circonstan­ces, notre Empire venait à perdre son indépendance et si les puissances s'unissaient pour exécuter leur plan concerté de longue date, à savoir s'emparer de notre terri­toire - (dans une dépêche envoyée en même temps à l'empereur du Japon, l'impulsive Tsou Hsi parle ouvertement « des puissances avides de l'Occident dont les regards de tigre affamé se portent en notre direction ») - cette action aurait des conséquences désastreuses pour votre commerce. Actuellement notre empire s'efforce de mettre sur pied une armée et d'assurer les moyens de sa défense. Cependant nous faisons confiance à vos bons offices de médiation et nous attendons impatiemment votre décision  [7]. »

Entre-temps, au cours de chaque guerre, les civilisateurs européens se livraient au pillage et au vol sur une grande échelle dans les palais impériaux chinois, dans les bâtiments publics et les monuments de la civilisation antique, tant en 1860, lorsque les Français pillèrent le palais impérial avec ses trésors inestimables, qu'en 1900, lorsque « toutes les nations » dérobèrent à l'envi les biens publics et privés. Destruc­tion des villes les plus anciennes et les plus importantes, ruine de l'agriculture dans de vastes régions, pression fiscale insupportable pour le paiement des contributions de guerre, tels étaient les phénomènes qui accompagnaient chaque attaque européenne et allaient de pair avec les progrès du commerce. Chacun des plus de quarante ports affermés chinois (treaty-ports) a été acheté par des flots de sang, des massacres et des ruines.


Notes

[1] En 1854, 77 379 caisses d'opium furent importées. Plus tard l'importation diminua un peu à cause de l'extension de la production indigène. Cependant la Chine resta le client principal des plantations indiennes. En 1873-1874, 6 400 000 kilos d'opium furent récoltés en Inde, dont 6 100 000 kilos furent vendus à la Chine. Aujourd'hui encore l'Inde exporte annuellement 4 800 000 kilos pour une valeur de 150 millions de marks, et ceci presque exclusivement à la Chine et à l'archipel malais.

[2] Cité par le major J. Scheibert, Der Krieg in China, 1903, p. 179.

[3] Major Scheibert, op. cit., p. 207.

[4] Un édit impérial du 3° jour de la 3° lune de la 10° année Hsien-Feng (6 sep­tembre 1860) proclame : «Nous n'avons jamais interdit ni à l'Angleterre ni à la France le commerce avec la Chine, et pendant de longues années la paix a régné entre ces pays et nous-mêmes; mais il y a trois ans, les Anglais ont envahi notre ville de Canton, animés d'intentions malveillantes, et ont emprisonné nos fonctionnaires. Nous avons à cette époque refréné nos désirs de vengeance et avons évité les représailles, parce que nous avons dû reconnaître que l'entêtement du vice-roi Yeh était jusqu'à un certain point responsable des hostilités. Il y a deux ans, le chef barbare Elgin est monté vers le Nord et nous avons ordonné au vice-roi de Schihli, T'an-Ting-Siang d'examiner la situation avant de passer aux négociations. Mais le barbare a profité de notre surprise pour attaquer les forts de Takon et avancer vers Tientsin. Soucieux d'éviter à notre peuple les horreurs de la guerre, nous refrénâmes encore une fois notre désir de vengeance et ordondâmes à Kuei-Liang de procéder à des négociations de paix. Malgré les exigences scandaleuses des barbares, nous donnâmes l'ordre à Kuei-Liang de se rendre à Shangaï en vue de négocier le traité commercial proposé, et nous acceptâmes même de le ratifier en signe de notre bonne foi.
« Malgré cela, le chef barbare Bruce fit de nouveau preuve d'un entêtement déraisonnable et, au cours de la 8° lune, il apparat avec une escadre de bateaux de guerre dans le port de Takou. Sur ce, Seng Ko Liu Th'in l'attaqua violemment et l'obligea à une retraite précipitée. De tout cela il ressort que la Chine n'a pas rompu les relations et que les barbares étaient dans leur tort. Au cours de l'année, les chefs barbares Elgin et Gros sont apparus de nouveau au large de nos côtes, mais la Chine, ne souhaitant pas en venir à des mesures extrêmes, leur permit de débarquer et de se rendre à Pékin en vue de ratifier le traité. Qui aurait pu croire que pendant tout ce temps les barbares n'avaient rien fait d'autre que semer l'intrigue, qu'ils amenaient une armée de soldats et de l'artillerie, grâce auxquels ils attaquèrent par derrière les forts de Takou et marchèrent sur Tientsin après en avoir chassé les défenseurs ! » (China unter der Kaiserinwitwe, Berlin 1912, p. 25 - Cf. dans le même ouvrage le chapitre intitulé « Die Flucht nach Jehol ».)

[5] Les exploits des héros européens pour l'ouverture de la Chine au commerce sont liés à un joli épisode de l'histoire intérieure de la Chine. Juste en revenant du pillage du palais d'été des souverains mandchous, le « Gordon chinois » entreprit une campagne contre les rebelles de Taiping et il prit même en 1863 le commandement des forces armées Impériales. La répression de la rébellion fut l'œuvre de l'armée anglalse. Mais tandis qu'un nombre considérable d'Européens, parmi lesquels un amiral français, sacrifiaient leur vie pour maintenir la dynastie mandchoue en Chine, les représentants du commerce européen profitèrent de ces combats pour conclure de bonnes affaires, fournissant des armes aux champions européens de l'ouverture de la Chine au commerce aussi bien qu'aux rebelles contre qui ils se battaient. « En outre, par amour des affaires, le commerçant le plus honnête fut amené à fournir des armes et des munitions aux deux parties ; comme les difficultés d'approvisionnement étaient plus grandes pour les rebelles que pour les forces impériales, que par conséquent les prix de livraison étaient plus élevés pour les premiers, on traita de préférence avec eux ces marchés qui leur permettaient de résister non seulement aux troupes de leur propre gouvernement, mais encore aux troupes anglaises et françaises. » (M. v. Brandt, 88 Jahre in Ostasien, 1901, vol. 3  « China », p. 11.)

[6] Dr O. Franke, Die Rechtsverhältnisse am Grundeigentum En China. Leipzig, 1903, pp. 82 et suiv.

[7] China unter der Kaiserin-Witwe, p. 334.


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