1952

« De même que la propriété par un groupe d'actionnaires d'une entreprise capitaliste s'accompagne du droit de voter au sujet de son administration et de décider la nomination ou le renvoi de ses directeurs, la propriété sociale de la richesse d'un pays doit s'exprimer par le pouvoir donné à la société de décider de son administration ainsi que de la nomination ou du renvoi de ses dirigeants. Les « démocraties populaires » sont basées sur des conceptions différentes. Une dictature policière et bureaucratique s'est établie au-dessus du peuple et demeure indépendante de la volonté de celui-ci, tout en prétendant gouverner au nom de ses intérêts. »

Tony Cliff

Les satellites européens de Staline

TROISIÈME PARTIE — LE SATELLITE REBELLE
Chapitre VI — Les procès à grand spectacle contre le titisme

1952

L'Europe orientale a connu deux procès à grand spectacle destinés à diffamer le titisme : celui de Rajk à Budapest et celui de Kostov, à Sofia. La technique de tous ces procès est foncièrement la même, de sorte qu'en traçant les grandes lignes de l'un on définit le caractère général de tous les autres. Nous relaterons donc celui de Rajk, nous bornant à parler brièvement de celui de Kostov1.

Tout au long de l'interrogatoire des huit inculpés et des dix-neuf témoins du procès Rajk, les avocats de la défense ne posèrent pas une seule question et n'ouvrirent la bouche que trois fois : l'avocat de Pálffy demanda que l'accusé fût « autorisé à se servir de ses notes pour faire sa déclaration », celui de Brankov réclama la même faveur pour son client, enfin celui de Korondy fit observer, après l'interrogatoire du sien, qu'il ne désirait pas poser de questions, mais s'en réservait le droit lors de l'audition des témoins (ce qu'il oublia d'ailleurs de faire par la suite). L'explication selon laquelle les inculpés, se sachant condamnés d'avance, ne firent aucun effort pour se défendre n'est pas suffisante en soi, il suffit de se rappeler le procès de Nuremberg où la culpabilité des dirigeants nazis ne fut jamais en doute et où la défense se comporta cependant d'une manière toute différente.

Sur les dix-neuf témoins, douze furent qualifiés dans le réquisitoire ou au cours des débats de « collaborateurs fascisto-titistes de Rajk et Cie », et cinq d'ex-fonctionnaires de la police de Horthy, c'est-à-dire de gens dont la vie ou la mort dépendent entièrement des autorités. Quelle valeur peut avoir leur témoignage ? Vichinsky, qui est lui-même un juriste, a fourni une réponse dans un cas analogue. La commission des Balkans, à l'O. N. U. ayant déclaré que la Yougoslavie, la Bulgarie et l'Albanie aidaient les partisans en lutte contre le gouvernement royal de Grèce, il déclara que. cette affirmation était sans valeur parce qu'elle reposait sur les témoignages d' « hommes condamnés à mort ou qui étaient menacés de l'être au cours de leur interrogatoire ». C'est là, à ce qu'il semble, un critère excellent s'appliquant d'une façon générale, sauf quand il s'agit de Vichinsky lui-même et de ses disciples.

Cela suffit pour établir le véritable caractère du procès. Mais l'examen de certaines déclarations des accusés et des témoins révèle des contradictions si absurdes, des inventions si évidentes, qu'on en aperçoit aussitôt l'aspect complètement artificiel.

Rajk avoua avoir été un mouchard de la police de Horthy depuis 1931. On apprit à la brigade internationale, déclara-t-il, qu'il était un « espion trotskyste », aussi fut-il exclu du parti communiste en juin 1938. La date est habilement choisie : la brigade internationale fut en effet dissoute officiellement au début de juillet 1938, de sorte qu'il est difficile de savoir exactement ce qui se passa dans le bataillon Rákosi à cette époque2. Le Deuxième Bureau français savait qu'il était un espion fasciste au moins depuis 1939, et la Gestapo à partir de 1941. Les services de renseignements américain et yougoslave l'apprirent en 1945. Rajk collabora avec tous. Ainsi, les services de renseignements de cinq pays et la brigade internationale savaient qu'il était un espion, mais les responsables communistes de cette dernière, qui l'expulsèrent comme « mouchard trotskyste », oublièrent apparemment d'en prévenir Moscou, de sorte que le N. K. V. D. demeura dans l'ignorance la plus complète. On veut ainsi expliquer pourquoi il lui fut ultérieurement permis d'occuper une position aussi importante en Hongrie. Rajk déclara lui-même :

Quand j'arrivai à Budapest, le parti communiste hongrois opérait alors légalement, bien entendu, dans le pays libéré. Sa direction ignorait tout de mes activités antérieures. Elle me croyait un des membres du parti les plus fidèles. C'est pourquoi il me fut confié des fonctions importantes dès mon retour.3

Les services de renseignements hongrois, français et allemand savaient donc, d'après ses propres déclarations, qu'il était un espion. Pourquoi son défenseur ne demanda-t-il pas comment on pouvait concilier le fait avec celui que Rajk, entre 1932 et 1945, passa près de quatre ans dans les prisons hongroises, deux dans un camp de concentration français et près d'un autre dans un camp allemand ? C'était assurément une étrange façon d'utiliser un espion et de récompenser ses services.

On relève une absurdité aussi manifeste au sujet d'une certaine Ljubitsa Hribar, qui déposa que les services de renseignements britannique et yougoslave collaboraient en Hongrie. A ce qu'elle déclara, la légation yougoslave à Budapest essaya de la recruter comme espionne. Sur son refus, elle fut enlevée par des fonctionnaires de cette légation et transportée clandestinement en territoire yougoslave. Elle y resta « à peu près du 15 décembre 1947 au 5 janvier 1948 ». Les agents du gouvernement « m'intimèrent alors l'ordre de faire du travail de renseignements en Hongrie, contre le gouvernement hongrois, ils voulaient aussi me faire assurer la liaison entre les agents britanniques et yougoslaves. Devant mon refus, ils menacèrent de me liquider et me firent signer une déclaration par laquelle je m'engageais à travailler pour l'U. D. B. yougoslave. » Ainsi, c'est à une recrue nouvelle et se refusant à servir d'espionne à la Yougoslavie qu'était confiée « la liaison entre les agents britanniques et yougoslaves » ! Ce que le N. K. V. D. avait ignoré pendant tant d'années, à savoir les rapports de Tito avec l'Intelligence Service, fut tout bonnement dévoilé à Ljubitsa Hribar. Peut-on imaginer quelque chose de plus bête !

Cette association de Tito avec l'Intelligence Service et le Service de renseignements américain est affirmée par Szőnyi et d'autres témoins, qui racontent une histoire aussi naïve que celle de Hribar. En novembre 1944, pour passer de Suisse dans la partie de la Hongrie occupée par l'armée soviétique, Szőnyi et cinq autres membres importants du parti communiste hongrois furent présentés à un grand nombre d'officiers de renseignements yougoslaves et américains — tout cela afin d'obtenir un avion pour les transporter. Les autorités russes ne pouvaient rien pour eux à elles seules. Il n'était possible de se procurer un avion qu'en impliquant Tito et le F. B. I.

Toutes les histoires au sujet des principaux accusés — Tito et ses amis — sont dans le même goût. Ranković, ministre yougoslave de l'Intérieur, révéla à Rajk les intentions de la clique titiste : « Il faut renverser le régime des démocraties populaires constituées après la Libération, empêcher qu'il se développe dans le sens du socialisme, en partie vaincre les forces révolutionnaires démocratiques et les arracher au camp de l'Union soviétique, en partie les détruire quand il n'y aura pas d'autre moyen. Dans tous ces pays, il faut remplacer le régime de démocratie populaire par un régime démocratique bourgeois, c'est-à-dire qu'au lieu d'une évolution vers le socialisme il faut restaurer le capitalisme. Ces gouvernements bourgeois s'orienteront vers les États-Unis et non vers l'U. R. S. S... »

Il y avait bien longtemps qu'on nourrissait en Yougoslavie des intentions aussi sinistres. La plupart des volontaires de la brigade internationale, sinon tous, étaient des agents de la Gestapo ; rien que dans le camp français où fut interné Rajk, il y avait cent cinquante de ces agents yougoslaves.

Mais le metteur en scène du procès commit ici une grande erreur. Cinq jours avant qu'il commençât, Radio-Budapest diffusa l'acte d'accusation (également imprimé dans le Szabad Nép et le compte rendu officiel) spécifiant que les Yougoslaves suivants avaient appartenu à la brigade internationale, qu'ils étaient en réalité des fascistes et avaient été internés avec Rajk dans un camp de concentration français : Bebler, Kosta Nađ, Gošnjak, Maslarić, Mrazović. Après cette publication, les volontaires yougoslaves de la brigade internationale se réunirent et établirent que ni Bebler, ni Maslarić, ni Mrazović n'avaient été enfermés dans un camp français ; aussi le metteur en scène s'arrangea-t-il pour que Rajk, dans sa déposition, ne citât plus ces trois noms. Mais il parla, à la place, de Vukmanović (Tempo) comme de l'un des volontaires d'Espagne qu'il avait rencontrés dans le camp français. Pas de chance encore ! Vukmanović n'avait pas été volontaire en Espagne et ne pouvait donc avoir été interné en France4 !

Rajk déclara au sujet de Tito lui-même : « Les Américains étaient probablement en possession de quelques documents compromettants pour Tito, datant de l'époque fasciste en Yougoslavie, qui leur permettaient de le tenir en leur pouvoir, de même que d'autres dirigeants yougoslaves occupant aujourd'hui de très hautes positions » — amiable allégation que Tito et Cie étaient des mouchards de la police, même avant la guerre. Pourquoi, dès lors, Tito dirigea-t-il le mouvement des Partisans et chassa-t-il les ennemis nazis, le roi Pierre, les banquiers et les industriels ? En fait, il leur était tout dévoué, mais c'est la pression des masses qui le contraignit à les éliminer. (D'après la même logique, Hitler pouvait aimer les Juifs et n'en avoir assassiné six millions que sous l'effet de la pression antisémite des masses !) Même dans ces conditions, Tito essaya d'en tirer quelque avantage personnel. Brankov fouilla sa mémoire : « Il fut beaucoup question pendant la guerre que Tito, en 1941, 1942 et au début de 1943, avait essayé de négocier avec les Allemands, se déclarant prêt à cesser la lutte si ceux-ci consentaient à lui laisser établir un gouvernement en Yougoslavie. » C'était alors bien connu, d'après Brankov, d'un grand nombre de gens en Yougoslavie, mais, apparemment, Hebrang et Žujović, agents de Moscou, dirigeants du parti communiste dans ce pays, l'ambassadeur, les consuls, les conseillers militaires soviétiques, etc., n'eurent pas le moindre soupçon de ces tractations avant le 28 juin 1948, date de la rupture entre Tito et Staline.

Rajk déclara également que Tito était un allié du Vatican et « comptait beaucoup » sur le cardinal Mindszenty — Tito, qui avait fait condamner l'archevêque Stepinac à seize années de prison et avait confisqué la presque totalité des terres de l'Église catholique (ce que les gouvernements polonais, hongrois, tchèques et roumains n'avaient pas fait).

Deux « confessions », celle de Pálffy, chef d'état-major général de l'armée, et celle de Korondy, colonel de la police, éclairent le caractère de l'armée et de la police dans les « démocraties populaires ». Ces déclarations renferment manifestement plus de vérités que la plupart des autres, car elles se fondent non sur des on dit, mais sur des faits qui s'étaient passés en Hongrie et qui pouvaient être vérifiés par de nombreux Hongrois et chercheurs. Elles montrent la continuité des institutions militaires et policières avec celles de l'époque de Horthy et démentent ainsi la propagande communiste prétendant qu'elles ont pris un caractère complètement nouveau et démocratique depuis la « révolution de 1944 ». Pálffy déclara :

J'ai saboté l'introduction dans l'armée de cadres provenant de la classe ouvrière. Non seulement je n'ai pas soutenu les quelques ouvriers qui s'y trouvaient déjà ou qui parvinrent à y pénétrer, mais je les ai refoulés en les reléguant à des postes secondaires. J'ai été le chef de la section politique militaire pendant trois ans et, au cours de cette période, pas un seul ouvrier ne réussit à prendre une place de dirigeant, même d'un rang subalterne. Bien au contraire, dans l'intérêt du but antérieurement mentionné, j'ai rappelé un grand nombre d'officiers de l'ancienne armée Horthy qui, en partie, nourrissaient des convictions pro-occidentales ou, en partie, des sympathies fascistes et chauvines. Je leur ai accordé des promotions et les ai poussés aux plus hauts postes... J'ai exercé mes autres activités subversives dans le cadre de la section militaire où, en ma qualité de président de l'organisation du parti, j'ai systématiquement introduit un régime dictatorial.

Korondy déposa :

Pour développer cet esprit anti-démocratique, nous publiâmes même des manuels de police, copiés sur ceux de l'ancienne gendarmerie. Au début de 1948, nous dressâmes le programme des examens obligatoires pour tous les fonctionnaires de la police en le rendant exactement conforme à ce qu'il était autrefois, de sorte que les nouveaux fonctionnaires ne purent satisfaire à ces examens et furent écartés. Par nos activités, nous parvînmes à faire des unités d'entraînement de la police une importante force armée pouvant être, à cause de son orientation, utilisée à tout moment contre la démocratie et le régime démocratique.

Bien évidemment Rákosi, Gerő et les autres dirigeants étaient au courant de ce que, depuis près de cinq ans, il était interdit aux ouvriers d'atteindre des situations importantes dans l'armée et dans la police, et de ce que les manuels de cette dernière étaient la copie de ceux qu'utilisait l'ancienne gendarmerie. Pálffy, Korondy et naturellement Rajk acceptèrent simplement de se faire les boucs-émissaires, mais, ce faisant, ils révélèrent la véritable situation de l'armée et de la police.

Le procès Rajk démontre une fois de plus qu'aucun homme ni aucun mouvement ne peut s'écarter de l'obéissance aveugle aux ordres de Moscou sans être immédiatement flétri du nom d' « espion fasciste ». On en eut deux exemples particulièrement significatifs au cours des débats. L'un fut celui d'Earl Browder, qui fut pendant seize ans le secrétaire général du parti communiste américain, « unanimement » appuyé et applaudi par tous les partis communistes du monde. Soudainement, sans plus ample cérémonie, quand la ligne de Moscou changea, il fut démis de la direction (juillet 1945), puis expulsé du parti (février 1946). Szőnyi attribua sa propre dégradation au rang d'espion américain et yougoslave à son influence. Il déclara : « Sous l'influence politique de Micha Lompar, — dans laquelle un grand rôle doit être attribué à la théorie de Browder, ancien dirigeant du Parti Communiste Américain, théorie que Lompar et Field diffusaient alors, en Suisse et en France, sur ordre des services secrets américains en un grand nombre de brochures imprimées en langue française et allemande » Et encore : « En 1944, je professais déjà ouvertement, des vues favorables aux intérêts de l'impérialisme américain. A cet égard, la théorie du traître Browder joua un rôle important. »

Le second exemple se rapporte au mouvement sioniste. Celui-ci sortit assez maltraité du procès, flétri du nom d'agent de l'impérialisme américain. Le procureur du Peuple demanda à Szőnyi, sans aucun rapport avec les débats : « Vous apparteniez au mouvement sioniste ? » Szőnyi répondit :

Autant que je le sache, Ferenc Vagi et György Demeter en étaient membres. Je sais à ce propos, et j'en ai fait l'expérience en Suisse, que, d'une façon générale, le mouvement sioniste travaille dans une collaboration très étroite avec le Service secret américain.

L'accusé Szalai fit une déposition étrangement embrouillée qui mettait en cause le mouvement sioniste. Il dit :

J'étais en liaison avec la police de Horthy. J'y fus intégré en 1933 par l'inspecteur Réti, chef du service politique de la police de Pécs. Je travaillais depuis 1930 dans un groupe trotskyste, sioniste, où j'avais reçu une formation tellement anti-ouvrière que cela facilita la tentative de Réti en vue de me faire entrer dans la police.

Le président demanda à l'accusé Pál Justus s'il était sioniste et, pour le cas où quelqu'un aurait pu oublier que Szalai l'était, il lui posa la même question.

Szabad Nép, le quotidien du parti des Ouvriers hongrois, écrivit : « L'ambiance et le bourbier idéologique dans lesquels vécurent Rajk et ses complices étaient faits de trotskysme, de fascisme, de sionisme et d'antisémitisme » (19 juin 1949). Un rédacteur de la Pravda compléta cet étrange amalgame (20 septembre 1949) en affirmant que Tito et l'impérialisme américain recrutaient leurs agents dans un milieu « de traîtres professionnels, d'infâmes espions, d'assassins, de gendarmes, de trotskystes et de sionistes ».

Le procès de Kostov se déroula d'une manière analogue à celui de Rajk. Mais l'inattendu survint. Kostov rétracta dès le début sa « confession » écrite. Un « repos » d'une demi-heure, pour « rafraîchir sa mémoire », lui fut accordé, mais, à la reprise, il plaida encore « non coupable ». Il maintint cette attitude à la fin du procès, alors même que son « avocat » souligna rageusement sa culpabilité en déclarant que, « dans un pays socialiste, le devoir de la défense est d'aider l'accusation publique ». Pas un seul des accusés, des témoins ni des avocats de la défense ne mentionnèrent que Kostov avait rétracté ses « aveux » et ils utilisèrent, au contraire, abondamment ceux-ci. Étant donnée son obstination, il ne fut interrogé que pendant quelques minutes, alors que d'autres accusés beaucoup moins importants l'étaient dix fois plus. Quand il prononça ses « dernières paroles », il fut hué et sifflé par le public de l'audience, agissant spontanément, bien entendu.

Les commentateurs officiels bulgares, aussi bien que les commentateurs communistes des autres pays, ne surent s'expliquer pourquoi Kostov avait rétracté sa « confession écrite ». (Il y avait eu un précédent. Au cours d'un des procès de Moscou des années 30, l'accusé Krestinsky avait également rétracté ses « aveux ». Mais, le lendemain, il se repentit de cette obstination et avoua tout ce que Vichynski désirait.) Pendant deux jours, aucun journal, aucune station d'émission n'osa faire de commentaire à ce sujet en Russie ou dans les « démocraties populaires ». Le troisième jour, la Pravda indiqua la «ligne» en disant de Kostov que c'était un « ennemi artificieux, expérimenté et résolu », ayant une « voix douce et onctueuse » et « les yeux audacieux d un voleur ». Il se moqua de sa « bosse », causée par la déviation de la colonne vertébrale subie en 1924, alors qu'organisateur du parti il avait sauté du plus haut étage du bâtiment de la police, à Sofia, pour se soustraire à la torture.

Quelques heures après sa pendaison, la presse communiste publia une « confession », écrite par lui, dans laquelle il approuvait sa condamnation à mort, disant qu'elle était « parfaitement juste et répondait aux intérêts du développement pacifique de la Bulgarie dans sa lutte contre l'impérialisme anglo-américain et son agent Tito ». La machine fonctionne aujourd'hui beaucoup plus rapidement dans les « démocraties populaires », car, après le procès Petkov, il avait fallu attendre pendant trois semaines la publication d'une « confession posthume » du même ordre5.

Notes

1 Il existe des comptes rendus de ces procès en français : Laszlo Rajk et ses complices devant le tribunal du peuple, Budapest, 1949, et Le procès de Traïtcho Kostov et de son groupe, Sofia, 1949.

2 Les organisateurs du procès montrèrent le même soin, en ce qui concerne les dates, dans un autre cas. Certains témoins parlèrent d'une prétendue rencontre secrète, en Hongrie, entre Rajk et Ranković, ministre yougoslave de l'Intérieur. On donna de nombreux détails sur cette rencontre, mais on n'en indiqua pas la date exacte, le danger de commettre un faux pas étant trop grand. Il aurait pu être démontré, si on en avait donné une, qu'il était matériellement impossible à Ranković de se trouver à l'endroit indiqué. Le cas s'était présenté lors du procès des mencheviks à Moscou (1931). Il avait été prétendu que leur chef, R. Abramovitch, était venu secrètement en Russie à une certaine date. Mais il fut démontré que, justement ce jour-là, il assistait à une conférence à Bruxelles, les journaux belges ayant publié sa photographie.

3 Il est intéressant de noter qu'une absurdité aussi flagrante est tout de même assez difficile à « avaler ». Le communiste britannique Derek Kartun, dans son livre Tito's plot against Europe (Londres, 1949), apologie du procès Rajk, qu'il affirme basé sur le compte rendu officiel, omet complètement de dire que Rajk fut expulsé du bataillon Rákosi ou du parti communiste en Espagne, voire que quiconque le soupçonna, dans le parti, d'être un « trotskyste », avant 1948.

4 Un événement intéressant, survenu après le procès Rajk, montre combien celui-ci convainquit peu de gens en dehors des dévots du Kremlin. Deux mois plus tard, des membres yougoslaves de la brigade internationale, mentionnés comme des espions nazis au cours du procès, reçurent du gouvernement républicain espagnol de hautes décorations pour les services rendus au cours de la guerre civile. Quelle défaite morale pour les organisateurs du procès !

5 Il est intéressant de noter, incidemment, que l'une des plus graves accusations portées contre Kostov fut d'avoir été l'ami de Béla Kun, chef du gouvernement communiste hongrois de 1919, car il avait été « prouvé que ce Béla Kun était un trotskyste-fasciste ».

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