1948

Traduit de l'allemand par Gérard BILLY 2016
Les citations de Rosdolsky se réfèrent très souvent à l'édition MEGA (en langue allemande) des écrits de Marx et Engels. Ces références n'ont pas été reprises dans la traduction.

rosdolsky

Roman Rosdolsky

Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire »

Annexe I : La Nouvelle Gazette Rhénane et les Juifs

1948


ANNEXE I : LA NOUVELLE GAZETTE RHÉNANE ET LES JUIFS


La position de la N.G.R. vis-à-vis des Juifs ne peut manquer de nous paraître incompréhensible et de nous faire froncer les sourcils.

Dans la littérature marxiste scientifique et journalistique, on ne trouve malheureusement pas un mot à ce sujet 367. Fr. Mehring est le seul à l'effleurer une fois en passant; et de quelle manière!

À propos de la fin de la N.G.R., il écrit: "Marx n'était pas à Cologne quand fut prise l'ordonnance d'expulsion. Il était parti en Westphalie pour récolter de nouveaux moyens financiers pour le journal, qui se débattait en permanence dans les difficultés d'argent … Le capital, déjà limité, n'avait que peu été abondé, et les articles révolutionnaires avaient eu tôt fait d'éloigner presque tous les actionnaires, à commencer par les usuriers juifs 368 "démocrates", qui, dans des lettres qui se sont conservées, demandaient le remboursement de leurs quelques piécettes, alléguant que le journal prêchait la 'haine confessionnelle', autrement dit parce qu'il stigmatisait le rôle la plupart de temps peu reluisant de la juiverie d'argent dans la Révolution allemande."

La terminologie qu'utilise Mehring (en 1902) est déjà fort déplaisante 369. Encore plus le contenu objectif de ses affirmations quand on le confronte aux articles et aux correspondances de la N.G.R.. La question n'est pas de savoir si cette publication combattait ou non le "rôle peu reluisant" de la "juiverie d'argent", mais de quelle manière il le faisait. Et sous ce rapport, malheureusement, l'attitude de principe du journal laissait beaucoup à désirer.

Pour éviter tout malentendu, notons tout de suite que pour les rédacteurs de la N.G.R., il ne pouvait à cette époque bien sûr pas y avoir de "question juive" nationale au sens actuel. Les Juifs n'étaient pour eux ni une "nation" (au même titre que les Anglais, les Français, les Allemands, les Polonais), ni une "nationalité" (c'est-à-dire une simple communauté linguistique et ethnique comme par exemple les Serbes ou les Tchèques), mais le reste anachronique d'un très ancien peuple commerçant qui se distinguait des peuples au milieu desquels il vivait, par les activités auxquelles il se livrait pour vivre, par sa religion, et aussi par sa mentalité. C'est seulement en ce sens donc, qu'ils parlaient du monde juif comme d'un peuple particulier, ou du judaïsme comme d'un caractère spécifique propre aux Juifs.

Pour revenir à ce qu'affirme Mehring: on trouve dans la N.G.R. très peu de choses au sujet du comportement "peu reluisant" de la "juiverie d'argent" allemande. Ce qui y est dit des Juifs se rapporte presque exclusivement à leur rôle dans la province polonaise-prussienne de Posnanie, et aussi en Autriche.

En ce qui concerne les Juifs de Posnanie, nous n'avons qu'à compléter ce qui a déjà été dit. La N.G.R. mettait en cause, comme on sait, les Juifs de Posnanie surtout parce que ceux-ci, dans leur grande masse, se comportaient alors comme des adversaires des aspirations émancipatrices polonaises et soutenaient les pratiques anti-polonaises massives de la bureaucratie et des hobereaux prussiens. Le fait lui-même est incontestable 370. Minorité ethnique réelle et durement opprimée, les Juifs essayaient d'alléger leur sort dans tous les pays asservis nationalement en se mettant du côté de la nation dominante ou au moins en tentant de garder une certaine neutralité. (Seule, la fraction socialisante de la classe ouvrière juive fit plus tard exception). C'est ainsi que les Polonais se plaignaient, en Posnanie de l'attitude pro-allemande, dans le Royaume de Pologne, de l'attitude pro-russe des Juifs, ainsi encore que les Tchèques reprochaient aux Juifs tchèques leur position pro-autrichienne, et les Ukrainiens aux Juifs de Galicie leur position pro-polonaise. (Plus, même la N.G.R. reproduit à l'occasion les plaintes hongroises selon lesquelles les Juifs de Transylvanie s'entêteraient "à garder leur absurde nationalité en plein cœur d'un pays étranger 371"). L'accusation est donc immémoriale et fondée sur des faits établis. Il suffit cependant de réfléchir une minute pour comprendre qu'il s'agit ici du comportement typique de toute minorité ethnique et qu'aucune nationalité opprimée n'a jamais dédaigné ou ne dédaigne d'engranger des avantages sur le dos d'une autre nationalité opprimée. (Les colons allemands de la Galicie orientale, par exemple, donc au beau milieu d'un pays ukrainien, ont en règle générale soutenu le gouvernement polonais contre les Ukrainiens.) Qu'on justifie ou qu'on condamne ce comportement, qui découle de la nature du nationalisme lui-même, il n'a par lui-même assurément rien à voir avec le judaïsme comme tel, avec le caractère ethnique juif. Mais c'est ce que, en permanence, ne voit pas la N.G.R., quand, non seulement elle s'en prend aux "bouffeurs de Polonais germano-juifs 372", à la "confrérie prussiano-juive 373. " et aux actes barbares "d'une bureaucratie absolue, d'une soldatesque brutale et de Juifs ivres de profit 374" en Posnanie, mais traite à cette occasion le peuple juif polonais "d'expression la plus aboutie des trafics de bas étage, de la pingrerie et de la crasse" et de "race malpropre entre toutes 375". Il n'y a pas de doute que ces invectives ne peuvent être justifiées par l'attitude des Juifs de Posnanie dans le conflit entre Prussiens et Polonais, et étaient déjà en ce temps-là inadmissibles – malgré l'arriération culturelle et le parasitisme d'une grande partie de la population juive de Pologne. Mais dans le cas des Juifs de Posnanie, on peut à la rigueur expliquer l'hostilité de la N.G.R. par le comportement réactionnaire anti-polonais de ces Juifs. Mais ce n'est nullement le cas des Juifs autrichiens et en particulier des Juifs viennois que le correspondant du journal à Vienne, ce Müller-Tellering que nous connaissons, poursuivait d'une haine à proprement parler maniaque. Ci-dessous quelques échantillons de son talent littéraire :

"Sous Metternich", écrit-il le 11 août 1848, "la fiction dite Autriche se maintenait par les baïonnettes et l'obscurantisme, maintenant elle va se maintenir pour un temps par – les tractations de bazar … C'est pourquoi, à Vienne, il n'y a personne que la reconquête [de l'Italie] fasse plus jubiler que les bazaristes juifs de la Bourse … L'humanité européenne est enjuivée, la foi en l'argent et dans le bazar lui a fait perdre depuis longtemps toute tenue morale ... 376"

Les correspondances des 7 et 9 septembre 1848 contiennent encore d'autres sorties contre les Juifs qui attaquent les membres juifs du Reichstag 377, la "presse judéo-démocrate" ainsi que "le grand Juif littéraire Jellinek de Berlin 378". "La démocratie viennoise" – lisons-nous dans la correspondance hautement révélatrice de Tellering du 12 du même mois, "partage encore la misère idéologiue générale de la démocratie allemande … Ce que vous appelez bourgeois, ce sont ici les Juifs, et ils se sont emparés de la direction démocratique. Ce judaïsme est cependant encore dix fois plus infâme que le bourgeoisisme occidental, parce que, hypocrisie marquée du sceau de la Bourse, il dupe les peuples sous le masque de la démocratie, pour les conduire directement au despotisme du bazar. Là où la démocratie a pour fondements seulement la bêtise et la fourberie juive des chasseurs de postes et de profits, elle ira loin. 379"

Voilà donc la source de sa haine des Juifs : c'est "le socialisme des imbéciles", l'humeur anticapitaliste naïve des couches populaires attardées qui parle par sa bouche. Une humeur qui vient certes d'une révolte contre l'exploitation, mais risque à tout moment de basculer dans la franche réaction. Tellering en est une illustration particulièrement claire :

"Abandonnés par le judaïsme français," - se lamente-t-il dans son papier du 17 septembre, "sans espoir du côté de l'Allemagne petite-bourgeoise, avec Jelačić, Windischgrätz, Radetzky et les armées russes dans le dos, avec, à la tête de notre démocratie, rien que des bazaristes juifs peureux et perfides et des héros de la rhétorique creuse, je ne vois pas comment nous pourrions aller à la victoire. Et si nous vainquons, les vrais vainqueurs seront seulement des Juifs sordides dont les lâches spéculations ruinent la réputation de la démocratie auprès du peuple, et qui nous entraîneront dans toutes les infamies d'un gouvernement bourgeois. À la tête de toutes les associations démocratiques, à la tête de toute la presse, on ne voit que des Juifs. Ils avaient le pouvoir aussi dans le comité de sécurité, ils y ont joué les démocrates, ont fait venir de partout des bataillons de Juifs à Vienne, et quand, comme Fischhof, Mannheimer et Mayer, ils ont atteint leur but en devenant conseillers ministériels, du jour au lendemain, ils ont trahi le peuple de la façon la plus éhontée. Cette nuée vorace venue s'abattre ici met à profit la crise générale pour pratiquer la plus ignoble des usures … Il y a en Autriche en tout un million de Juifs qui se nourrissent exclusivement de trafics ; donc, pour 30 personnes, une sangsue. 380"

Ici, Tellering adopte presque le même ton que celui de l'affiche réactionnaire de Vienne du 20 mai 1848 reproduite par Max. Bach : "De misérables créatures qui n'ont rien à perdre et veulent édifier leur bonheur sur la ruine du citoyen, ont provoqué l'anarchie avec leurs pitoyables écrits pleins de haine, ils ont mené l'Autriche, la bonne Autriche, au bord de l'abîme. Qui est donc ce monstre, ce rebut de l'humanité ? C'est le Juif Häfner, le Juif Mahler et consorts … Pour ne pas crier en toutes lettres 'République', ils ont crié : 'Allemagne ! Allemagne unie !', pour gagner aussitôt davantage sur le dos de cette grande république. O vous les Juifs ! Votre mot d'ordre, c'est le gain ! Un Juif ne peut pas être et ne sera jamais un vrai patriote ... 381"

Pas de doute là-dessus : Müller-Tellering a tous les traits d'un frère jumeau de ce "patriote viennois". Certes, les intentions sont différentes, mais le langage est de la même veine, et même encore plus "coloré". Il suffit d'entendre sur quel ton il rend compte pour la N.G.R. d'une séance au Reichstag :

"Indigné de la lâcheté félonne de ces misérables et complètement abattu par le comportement stupide et lâche de la racaille juive démocrate qui tient le gouvernail (au Reichstag), je quittai cette assemblée ... 382"

Mais ses flots d'injures atteignent un sommet après la répression de l'insurrection viennoise d'octobre. Il écrit le 17 octobre 1848 :

"Les Juifs ont fait une bonne affaire avec la conquête. Ce que les Croates ont volé et pillé, ce sont en effet la plupart du temps des démocrates juifs qui l'ont acheté pour une bouchée de pain. Le communisme (!) des Croates a rapporté encore plus que la démocratie journalistique habituelle … La dictature militaire a fait perquisitionner tous les bâtiments publics pour trouver individus et armes. Seule, la synagogue juive, où, à ce qu'on dit, tout l'Israël démocratique a trouvé asile, a été épargnée. Comment [demande-t-il à Marx] vous expliquez-vous cette indulgence 383 ?"

Le lendemain, Tellering écrit :

"Un fait frappant, c'est qu'on n'a encore demandé de comptes à aucun Juif, alors que c'étaient bien les Juifs qui étaient à la tête du mouvement, partout où c'était sans risques, et que cela avait le don d'exciter la fureur des monarchistes. Mais si on se rappelle qu'à Penzing, Rothschild a été démarché pour un prêt de 80 petits millions …, on peut penser avoir trouvé la clé de l'énigme."

Sans cesse, donc, la même vieille rengaine : "Des étrangers, juifs la plupart du temps …", et la même stupide assimilation du judaïsme et de la démocratie. La chose est poussée si loin que Tellering n'hésite pas à faire remonter l'insurrection viennoise d'octobre à de sordides machinations des Juifs ! Il écrit le 20 novembre 1848 :

"Comme cela est désormais attesté avec la plus grande certitude, la toute première cause de la révolution d'octobre n'était pas d'origine viennoise, mais uniquement magyare. - Quand Jelačić franchit la frontière croate pour attaquer les Magyars, Kossuth se serait écrié : 'Maintenant il nous faut du grabuge à Vienne !' Suite à cette intuition, il s'adressa aussitôt aux dirigeants principaux du mouvement viennois. Le sous-secrétariat d'État hongrois des affaires étrangères situé à Vienne aurait servi de lieu où aurait été passé un accord mutuel, et de là, de généreux dons d'argent auraient été distribués parmi les autorités démocratiques de Vienne. On parle de 1200 florins par semaine. - Je ne suis pas en état de désigner plus précisément les personnalités concernées. Mais ce qui est sûr, c'est que le comité étudiant – composé en grande majorité de Juifs – et le comité démocratique – rien que des Juifs également – ont reçu des sommes importantes, et ont donc dû agir en se conformant aux instructions ... 384 Dans ces circonstances" – conclut le correspondant – "toute la population de Vienne s'étonne que Windischgrätz n'ait encore pas touché un cheveu à aucun des Juifs impliqués, car payés dans ce but, et cherche plutôt à détourner l'enquête de cette piste judéo-magyare en demandant des comptes à des gens qui ont agi de façon désintéressée et uniquement par amour de la liberté. - Les Juifs qui se sont enfuis d'ici pour aller trouver refuge dans tous les recoins d'Europe ne vont pas manquer d'exhiber leur titre de combattants viennois de la liberté pour exploiter l'opinion démocratique allemande au profit de leur bourse ... 385"

Certes, quelques jours plus tard seulement, Tellering a bien été obligé de rendre compte de l'exécution sommaire de Jellinek, le "Juif littéraire" évoqué auparavant 386 - mais cela ne l'empêcha absolument pas de poursuivre sa campagne judéophobe. Il tempête dans plusieurs numéros de la N.G.R. contre le traitement indulgent accordé par Windischgrätz à "Israël" 387, contre les mystérieux "Hukules" (Huzules) qui ne seraient "en réalité que des Juifs et des fonctionnaires allemands", contre les "caravanes de Juifs" qui seraient allées au Reichstag de Kremsier demander l'émancipation des Juifs 388, et même … contre "la race judéo-germanique qui a servi d'intermédiaire pour amener les Russes dans le pays. 389" L'homme est tout simplement incurable. Auparavant, c'étaient les journaux démocratiques, maintenant, ce sont toutes les "gazettes impériales à la botte des conseils de guerre" qui sont à ses yeux les représentants de "la bourgeoisie juive, c'est-à-dire de la pire des crapuleries" :

"Parmi les 99 nations et mini-nations autrichiennes," – lit-on dans le papier du 26 novembre signé Tellering – "le plus grand soutien à la camarilla vient pour le moment des Juifs. Ils sont de facto radicalement émancipés, et deux des leurs – Bach 390 et Thinnfeld – ont même intégré le nouveau ministère … Les Juifs sont cependant encore plus malins que la camarilla et cherchent, en mettant à profit une situation monétaire désastreuse, à entrer en possession du sol qu'ils n'avaient auparavant pas le droit d'acheter. 391"

"C'est en Autriche un sentiment répandu chez tout le monde" – déclare-t-il de nouveau le 18 février 1849 – "que le peuple juif y représente la plus infâme sorte de bourgeoisie et le trafic le plus ignoble, et c'est là la source de toute l'antipathie éprouvée contre la racaille juive …" Et la conclusion ? … "On croit que l'émancipation des Juifs ferait, pour le coup, de ceux qui ne le sont pas de vrais esclaves, l'industrie juive non seulement les soumettant à l'état d'exception, mais les faisant en plus passer à l'état de mendiants, de prolétaires. 392"

Voilà pour le florilège littéraire de Müller-Tellering. Certes, il ne faudrait pas oublier qu'à cette époque-là, les rédactions des gazettes laissaient à leurs correspondants plus de libertés que ce n'est le cas aujourd'hui, et que pour cette raison, ses propos doivent être inscrits à son débit personnel 393. Et pourtant, on ne peut absoudre les rédacteurs de la N.G.R. de toute responsabilité : il y a aussi une goutte de leur propre miel dans ce breuvage qui nous reste aujourd'hui en travers de la gorge …

Nous avons déjà cité, tirés des articles de Engels, deux passages fort acerbes concernant les Juifs polonais – en voici un troisième qui s'en prend aux Juifs autrichiens :

"Les Juifs" – ainsi commence un article du 22 février 1849 très probablement rédigé par lui – "se retrouvent, comme on sait, partout, pris à leur propre jeu de dupes, mais particulièrement en Autriche. Ils ont exploité la Révolution (!) et en sont punis maintenant par Windischgrätz. Tous ceux qui savent le pouvoir qu'ont les Juifs en Autriche, pourra juger quel ennemi Windischgrätz s'est mis à dos avec sa … proclamation [aux Juifs de Pest 394] …".

Dans un autre article de Engels (ou Marx) :

"Et maintenant les Juifs, qui, depuis l'émancipation de leur secte se sont partout portés, au moins en la personne de leurs éminents représentants, à la tête de la contre-révolution, quel sort les attend ? On n'a pas attendu la victoire pour les renvoyer dans leur ghetto. 395"

Ici aussi, donc, sans autre forme de procès, les Juifs en général sont stigmatisés comme ennemis de la Révolution et comme exploiteurs. Mais même à cette époque-là, il n'était pas possible de qualifier tout un peuple (qu'il s'agisse des Tchèques, des Croates ou des Juifs) de contre-révolutionnaire et d'inférieur sans alimenter en même temps une haine nationaliste ou "confessionnelle" simpliste. Dans les deux cas, les correspondances de Tellering en livrent une illustration frappante 396.

La question doit cependant être encore considérée sous d'autres aspects. On a à plusieurs reprises tenté, particulièrement ces derniers temps, de cataloguer précisément Marx et Engels comme "antisémites". La méthode est très simple: on extrait un certain nombre de citations de leurs œuvres et de leurs correspondances privées, et on les confronte à la notion "d'antisémitisme" telle que la conçoit l'auteur en question (ou plus exactement : le "bon sens" de son milieu). Le résultat de ce procédé a-critique (parce que de part en part a-historique) est qu'en fin de compte, même les fondateurs du marxisme apparaissent comme une espèce de frères d'armes de Julius Streicher … Il est évident qu'en procédant ainsi, on pourrait sans aucune difficulté ranger les trois quarts des penseurs, des écrivains et des politiciens du passé dans le camp de l'antisémitisme. A. Léon a raison de dire : "Le sionisme (nous préférerions parler ici du nationalisme juif – RR) transpose l'antisémitisme moderne à toute l'histoire, il s'épargne la peine d'étudier les diverses formes de l'antisémitisme, son évolution", il se cramponne au dogme "de l'antisémitisme éternel. 397"

En d'autres termes : le nationalisme juif se révèle être un antisémitisme à l'envers. Alors que celui-ci considère les Juifs comme les ennemis du monde entier, celui-là déclare que le monde entier est l'ennemi des Juifs. Et de la même façon que l'antisémitisme, en exagérant démesurément le rôle et le pouvoir de la "sous-humanité juive", fait apparaître les Juifs, au rebours de son intention, comme une race dotée de qualités et de capacités hors du commun, le nationalisme juif est conduit inexorablement, par ses généralisations absurdes, à une conclusion inverse de celle qu'il souhaitait. En effet, si même des hommes comme Marx et Engels étaient de simples antisémites (diront bon nombre de lecteurs des articles dénonçant leur "antisémitisme"), alors il doit sûrement "y avoir quelque chose de vrai là-dedans", et l'antisémitisme ne peut sans doute pas être regardé comme dépourvu de fondement et vide de sens …

Certes, le critique nationaliste juif de Marx-Engels peut alors se tirer d'embarras en recourant à une explication quasi-psychoanalytique, en renvoyant au "complexe d'infériorité juif" de Marx et à sa "psychologie de renégat" qui lui a fait voiler son ascendance juive par des invectives anti-juives violentes (et souvent fort laides) qu'on trouve en quantité dans sa correspondance privée. Mais, outre que cette "explication" (qui du reste ne rappelle que trop le "regard du valet de chambre sur l'histoire 398" qui était déjà l'objet des railleries de Hegel) ne prend le problème que du point de vue des motivations psychologiques, et le déplace sur un terrain qui n'intervient qu'en second lieu dans les études portant sur l'histoire des idées – outre cela, cette explication se heurte au fait tout simple que le deuxième de la bande, le non-Juif Engels, avait exactement la même position que Marx vis-à-vis des Juifs, et que, de surplus, tous les deux partageaient leur antipathie envers les Juifs avec des socialistes bien plus anciens (citons seulement Fourier 399, Proudhon et Bakounine 400).

Si donc le critique prend son entreprise critique au sérieux, il sera obligé de se plier à la vieille façon de voir historique, c'est-à-dire de chercher à comprendre "l'antisémitisme" de Marx et Engels par les données de leur époque et de leur environnement. Il s'avérera alors que le concept d'antisémitisme dont il use sans tellement y réfléchir, doit d'abord être défini – qu'il peut manifestement y avoir des variétés très différentes "d'antisémitisme" qu'on n'a pas le droit de mettre dans le même sac, si l'on veut faire la clarté sur le sens et l'importance sociologique de ce dérèglement dans l'ordre des idées.

Où passe la ligne de séparation, en quoi les points de vue de Marx et Engels sur le judaïsme et la question juive se distinguent-ils de l'antisémitisme authentique sans phrase ? La différence saute pour ainsi dire aux yeux 401. Alors que pour un antisémite, le judaïsme est une propriété innée et immuable de la race dite juive ou l'émanation d'un mystérieux "esprit juif" (ou de la religion juive), Marx cherche (dans son essai célèbre "Sur la question juive") à déduire le "caractère ethnique juif" de cette époque du rôle historique effectif que les Juifs ont joué comme porteurs du capital commercial et usuraire dans la vie économique du Moyen-Âge et des temps modernes. Le judaïsme devient alors pour lui un "masque social ", la "nationalité chimérique" du Juif devient la "nationalité du marchand, plus généralement de l'homme monétaire". De la même façon que les dieux d'Épicure vivaient dans les interstices du monde, le capital commercial et usuraire juif vivait dans les pores de la société médiévale 402, exploitant cette société sur un mode parasitaire et la poussant simultanément vers sa désagrégation. C'est là, dans cette fonction économique spécifique du judaïsme, que gît la solution de "l'énigme", la clé qui explique comment il se fait que les Juifs, malgré les persécutions inouïes qu'ils ont subies au cours de l'histoire, se sont maintenus comme un peuple à part (ou plutôt comme un "peuple-classe 403". Cela explique par ailleurs le rôle éminent que les Juifs ont pu jouer dans la formation et l'expansion du mode de production capitaliste. Mais ils ne l'ont pu que parce que la société bourgeoise qui a remplacé la société féodale "engendre le Juif en permanence dans ses propres entrailles", parce que l'égoïsme, le culte de l'argent, qui constitue la base terrestre de la religion juive, est devenu aussi le principe directeur de la société bourgeoise, plus, a atteint en elle son zénith 404. Mais la société bourgeoise "s'accomplit d'abord dans le monde chrétien" :

"C'est seulement sous le règne du christianisme, qui rend extérieurs à l'être humain tous les liens nationaux, naturels, moraux, théoriques, que la société bourgeoise a pu déchirer tout ce qui liait l'homme à son espèce, mettre à la place l'égoïsme, le besoin égocentrique, et dissoudre le monde des hommes en un monde d'individus atomisés et se faisant face en ennemis les uns des autres."

C'est seulement grâce au christianisme, donc, que le Juif du Moyen-Âge pratiquant le commerce et l'usure a pu passer, tel qu'il était, dans le monde capitaliste moderne et même y devenir une puissance. Mais l'argent étant élevé "par lui ou sans lui au rang de puissance universelle", "l'esprit juif pratique" ne pouvait que devenir "l'esprit pratique des peuples chrétiens", les chrétiens ne pouvaient que "devenir eux-mêmes des Juifs". "Le christianisme est né du judaïsme, en se dissolvant, il est retourné au judaïsme. 405" "L'étroitesse d'esprit du Juif" ne représente donc qu'une facette particulière de "l'étroitesse d'esprit juive de la société [chrétienne]", de son caractère capitaliste. Cette société doit être abolie, le règne de la propriété privée et de l'argent doit être brisé, pour que le "judaïsme empirique" soit dépassé, pour que l'émancipation politique des Juifs coïncide avec "l'émancipation humaine tout court". D'où la formule de Marx : "L'émancipation du trafic et de l'argent, donc du judaïsme pratique, réel, serait l'auto-émancipation de notre époque."

On le voit : si ces raisonnements méritent d'être considérés comme "antisémites", c'est en tout cas un tout autre "antisémitisme" que celui que les critiques rigoristes posaient tacitement comme hypothèse. Fr. Mehring avait donc bien raison de dire que l'essai de jeunesse de Marx s'élevait bien haut au-dessus des flots de la littérature anti- et philosémites de ce temps. Cela s'applique avant tout à la géniale idée de base, poursuivant le fil de la critique de la religion de L. Feuerbach, selon laquelle le judaïsme "s'est conservé, non pas malgré l'histoire, mais par l'histoire", et que "le secret du Juif" n'a pas à être cherché "dans sa religion, mais au contraire, … le secret de la religion dans le Juif réel". (L'histoire ultérieure du judaïsme – en particulier le processus, stimulé par la différenciation capitaliste des classes, de la renaissance du peuple juif – ne peut être pleinement compris qu'en mettant en œuvre la méthode, matérialiste, de Marx.)

Pourtant, la partie (certes moins significative) de l'essai de Marx qui est consacrée à la question juive proprement dite, ne peut, malgré toute la supériorité de ses perspectives générales, que susciter, à juste titre, la contradiction ! Cela concerne avant tout le trait d'égalité tiré en permanence entre le capitalisme et le judaïsme, car il y a derrière cette équivalence plus que la prédilection du jeune Marx pour une "dialectique dégénérant parfois en pétulante arrogance 406". En effet : si, avec la marche triomphale du capitalisme, les chrétiens sont eux-mêmes "devenus des Juifs", si "l'esprit borné du Juif" n'est qu'un cas particulier de l'étroitesse d'esprit capitaliste généralisée dans la société bourgeoise, comment peut-on encore qualifier de "juive" par essence cette étroitesse capitaliste ? À supposer que le type social du Juif de cette époque ait été équivalent à celui de l'exploiteur capitaliste, est-ce qu'il s'ensuit que cette proposition tenait toujours si on la renversait et qu'on était en droit de ramener l'exploiteur capitaliste au "Juif", circoncis ou pas ? Et ne faut-il pas plutôt déduire des raisonnements de Marx que le judaïsme est en tant que tel contingent au concept de capitalisme, quelle qu'ait été l'importance du rôle joué par le capital commercial et usuraire juif comme pionnier et moteur, à côté d'autres forces, du développement capitaliste ?

Certes, il ne faut pas oublier qu'aux yeux de Marx et de son entourage, comme le fait remarquer G. Mayer, les Juifs étaient en tout premier lieu "the Jewish cattle dealers in the Rhineland, those who bought from, and sold to the small peasants, taking advantage of their own superior business abilities". Et encore : "During the 1840's in Prussia, 431 out of every 1000 Jews were engaged in trade. In the Rhineland … 974 out of the 3137 peddlers were Jews. 407"

Et cela se passait dans une Rhénanie relativement très développée. La population juive d'Europe orientale était encore moins différenciée, pouvait encore bien plus être identifiée à un pur "peuple commercial" : selon le recensement russe de 1818, 86,5% étaient des commerçants 408 qui, en grande partie (comme "juifs de comptoir" attachés au domaine seigneurial), tiraient leurs revenus uniquement de l'exploitation parasitaire des serfs paysans. (D'où l'antisémitisme indéracinable des paysans polonais, ukrainiens, roumains, etc.). Il n'est donc pas étonnant que, non seulement pour la masse de la population d'Europe orientale, mais aussi pour l'Allemand et le Français 409 moyen, "Juif" et "exploiteur" (ou "Juif" et "capitaliste" aient pratiquement été des synonymes. Une généralisation populaire qui paraissait être confirmée par le fait que même les Juifs qui abandonnaient leur métier traditionnel pour se diriger vers d'autres professions, surtout les professions dites libérales, se détachaient en majorité du judaïsme et s'engageaient sur la voie de l'assimilation nationale à la population chrétienne qui les entourait 410. Tout cela doit naturellement être pris en compte si nous voulons rendre justice au traité écrit par Marx en 1844. Pourtant, l'équivalence entre judaïsme et capitalisme qui le parcourt était fausse déjà à ce moment-là. Non seulement parce que le capitalisme avait dépassé depuis longtemps ses "formes antédiluviennes" – le capital commercial et usuraire -, mais aussi parce que d'un autre côté, les Juifs eux aussi, en raison de la différenciation capitaliste qui s'amorçait entre les classes, perdaient leur caractère de peuple commercial par excellence, et de "peuple-classe", se métamorphosaient en nationalité moderne. En maintenant obstinément l'identité historique du "Juif" avec "l'homme de la monnaie", Marx s'est enfoncé dans une contradiction avec la réalité de l'évolution et avec sa propre méthode, et son attitude sur la question juive ne pouvait, avec le temps, que devenir de plus en plus anachronique, et par suite de plus en plus injuste.

Comment cela s'est-il passé, et comment se fait-il que Marx n'ait pas vu ce dangereux écueil ? C'est, à notre avis, l'attitude de la N.G.R. qui permet le mieux d'en rendre compte. Le lecteur aura sûrement été atterré en prenant connaissance des peu ragoutantes correspondances anti-juives de cette gazette. De quelles sources troubles provenaient-elles ? Quelle est la classe sociale qui s'exprimait là ? La réponse est simple : c'est "la voix du peuple" qui se faisait entendre dans ces correspondances, une opinion populaire à plusieurs voix, qui, certes, en grande partie, s'indignait à juste titre de l'exploitation économique des "petites gens", mais qui en même temps exprimait la haine du petit-bourgeois et fabricant chrétien contre la "concurrence" juive, celle du hobereau dissipateur contre ses créanciers juifs, celle de l'Église contre ces hérétiques butés, et qui, en raison de sa cécité devant les réalités sociales comme de l'étroitesse de son horizon religieux et nationaliste, constituait l'instrument le mieux adapté aux besoins des partis réactionnaires, du clergé et des gouvernements. Cet "antisémitisme populaire" était certes largement "anticapitaliste", mais ce devait aussi être le cas de l'antisémitisme des temps à venir, celui de Stöcker, de Lueger et de Hitler … Aujourd'hui, après les effroyables expériences des dernières décennies, cela nous semble une lapalissade de dire que tout antisémitisme ne peut avoir dans la pratique que des conséquences réactionnaires. Mais c'était différent pour les anciens socialistes du milieu du siècle dernier, qui se faisaient des illusions sur le contenu véritable des humeurs populaires antisémites et pensaient même à les exploiter dans un sens révolutionnaire. Les rédacteurs de la N.G.R. ont commis la même erreur : ils ont noté seulement la source anticapitaliste de l'antisémitisme populaire, mais son essence réactionnaire leur a échappé 411. Et ils pouvaient d'autant plus facilement tomber dans cette erreur qu'ils étaient prompts à condamner sommairement des peuples entiers et par ailleurs surestimaient beaucoup le niveau de conscience d'un prolétariat censé libre de préjugés nationaux ou autres. C'est ainsi que le journal dont ils assuraient la rédaction, n'a pas su, lui non plus, garder ses distances avec "l'opinion populaire" antisémite, et que dans la même gazette, où les articles enflammés de Marx avaient porté aux nues l'insurrection viennoise d'octobre, et qui lui dédiait les beaux vers de Freiligrath :

"Si nous savions encore nous agenouiller, nous serions sur les genoux ;

Si nous savions encore prier, nous prierions pour Vienne !",


un Müller-Tellering pouvait quelques semaines plus tard réduire ce soulèvement aux manigances de Juifs cupides … Ce qui prouve à quel point le mouvement socialiste de ces années-là en était encore sous bien des rapports, malgré le "Manifeste communiste", à ses premiers apprentissages, et combien il est déraisonnable de vouloir voir dans l'attitude de la N.G.R., toujours et partout, le modèle inégalé de l'internationalisme prolétarien et d'une politique socialiste conséquente.

Nous avons qualifié l'attitude regrettable de la N.G.R. dans la question juive de maladie infantile du mouvement ouvrier. Et c'est bien qu'elle a été – et en plus une maladie qui n'a épargné le mouvement socialiste de pratiquement aucun pays. Il suffira de renvoyer (outre l'Allemagne) à l'histoire du socialisme français 412 et du socialisme russe. Ce n'est quand même pas un hasard si même le comité central du célèbre parti révolutionnaire russe "Narodna Vola" (Volonté du peuple) publia en 1882, après les premiers pogroms de masse antijuifs en Russie, une proclamation au peuple qui appelait à des insurrections contre les Juifs, les grands propriétaires fonciers et les capitalistes 413. La proclamation aurait certes été retirée immédiatement après, mais les organisations locales du parti en Ukraine ont encore en 1883 déployé une propagande en ce sens 414. Les sources de l'erreur étaient les mêmes : on croyait voir dans les exactions antijuives de la canaille les prodromes d'une révolution sociale, on surestimait la conscience révolutionnaire des masses et sous-estimait l'immense danger de l'antisémitisme. La confusion dans le camp révolutionnaire russe était générale, et ce n'est qu'avec les expériences humiliantes de la vague de pogroms de 1882/83 que le mouvement révolutionnaire russe et ukrainien s'est débarrassé de cette erreur funeste 415. En Europe occidentale, cette tâche a été dévolue à l'affaire Dreyfus. C'est seulement ensuite que le danger de l'antisémitisme a été reconnu dans toute son ampleur et qu'on prit résolument position contre 416. Mais on ne peut contester que parfois même plus tard, pour des raison opportunistes, l'antisémitisme ouvrier naïf qui continuait à sévir dans le mouvement ouvrier de bien des pays (en particulier en Autriche!), étant considéré comme "inoffensif", n'était pas combattu avec l'énergie suffisante. Il ne faut certes ni surestimer ni sous-estimer l'importance de ces faits. L'histoire du gazage des Juifs par les Allemands nous a rendus vigilants. Assurément, le mouvement ouvrier comme tel ne porte pas la moindre responsabilité dans cette bestialité ! Il s'est au contraire révélé comme étant la seule force sociale importante à avoir mené jusqu'à sa défaite tragique une lutte conséquente et intrépide contre la vague d'antisémitisme. Et pourtant, ni le travail d'éducation mené pendant des dizaines d'années, ni la grande tradition du mouvement socialiste n'ont pu empêcher que pendant la guerre, des fractions non négligeables du monde ouvrier se soient laissé séduire par la propagande antisémite du national-socialisme ... 417 Jusqu'à quelles profondeurs le poison a-t-il pu pénétrer ? L'effrayante indifférence de bien des milieux ouvriers vis-à-vis de la question juive est éloquente 418. Il est d'autant plus important d'explorer les racines et les symptômes de cette maladie dans le passé, même s'ils semblent n'avoir que de lointains rapports avec la tragédie culturelle dans laquelle est plongée l'humanité actuelle.

 

 

Notes

367 Il y a en revanche toute une littérature consacrée à la position générale de Marx et Engels vis-à-vis des Juifs et de la question juive. Citons parmi les études les plus récentes surtout celles de S.F. Bloom et de E. Silberner.

368 [Mehring utilise un terme ("Geldjude" = mot à mot "Juif d'argent"), qui était usuel depuis fort longtemps dans l'espace germanophone où les fonctions monétaires étaient souvent exercées par des Juifs.] NdT.

369 Que dirait-on d'une expression comme "chrétien d'argent"?

370 On en trouve un écho aussi dans la "Confession" de Bakounine, p. 52: "Les Polonais …, trompés par les Allemands, insultés par les Juifs allemands ..."

371 Article de Engels : "La Hongrie".

372 21.06.1848

373 Articles d'Engels sur la Pologne.

374 Articles d'Engels du 18.06 et du 9.08.1848.

375 Article d'Engels du 29.04.1849 (Cologne) : "Les lecteurs de la N.G.R. se rappellent …. que les crétins nationaux allemands et les faiseurs d'argent du parlement marécageux de Francfort … ont continué à compter les Juifs polonais au nombre des Allemands, alors que cette race malpropre entre toutes n'a aucun lien de parenté avec Francfort, ni par son jargon, ni par ses origines, tout au plus par son avidité à amasser du profit …"

376 N.G.R., n° 77 et 78 du 17.08.1848.

377 À propos du vote au Reichstag de Vienne sur la question de savoir "si le Reichstag peut publier lui-même ses résolutions" : "L'ensemble des Juifs a naturellement voté non." (N° 102 du 14.09.1848).

378 N° 101 du 13.09. Sur l'écrivain radical N. Jellinek, qui "critiquait philosophiquement la Révolution et la mettait en face des contradictions de son développement", voir Bach, op. cit., p. 257-8 et 855.

379 N° 105 du 17.09.1848.

380 N° 109 du 22.09. Cf. la brochure publiée par Tellering à Vienne en 1848 : "La liberté et les Juifs. À recommander à tous les amis du peuple." (26 p.)

381 Bach, op. cit., 416.

382 N° 117 du 15.10.1848.

383 N° 150 du 23.11.1848.

384 Ces sottises ont été publiées dans la N.G.R. !

385 N° 152 du 25.11.

386 N° 157 du 1.12.

387 N° 191 du 10.01.1849 : "Windischgrätz a donné à Israël une nouvelle fois une preuve de son indulgence ..."

388 19.02.1849

389 "À l'exception de la race judéo-germanique qui a servi d'intermédiaire pour amener les Russes dans le pays, et qui sait partout faire preuve de classicisme dans l'infamie de haut niveau, toutes les populations de Hongrie, même celles qui sont hostiles aux Magyars, s'indignent plus ou moins de ce qu'on ait appelé les Russes. Le crime judéo-germanique commis en Transylvanie est … l'expression sans détours de toute la bourgeoisie allemande." (N.G.R., n°237 du 4.03.1849).

390 Nous lisons chez H. Friedjung ("L'Autriche de 1848 à 1860", I, 361) : "Le ministre Al. Bach est né dans un village de la Basse-Autriche à une époque où son père était régisseur dans un domaine de la noblesse : un frère de son père ainsi que les enfants de celui-ci exploitaient la terre roturière de sa famille … Il est singulier que ses adversaires de l'aristocratie aient néanmoins répandu le bruit qu'il venait d'une famille juive, et quand Bismarck vint à Vienne en 1852, il entendit parler partout dans les milieux qu'il fréquentait de la clique juive au pouvoir dont Bach était le chef. Naturellement - le ministre qui œuvrait en faveur du passage de l'économie naturelle à l'économie monétaire ne pouvait, dans la vision de ses opposants, qu'être lié d'une manière ou d'une autre à Israël."

391 N.G.R., n° 158 du 2.12.1848. Cf. la correspondance de Posnanie adressée à la N.G.R. du 31.10.1848, où est soulignée la nécessité "que les propriétaires de domaines polonais songent à la création d'un institut monétaire qui protège de l'expropriation ceux d'entre eux qui sont endettés." Ici aussi, tout est de la faute des méchants Juifs ! "Les créanciers sont presque exclusivement des habitants juifs du Grand-duché de Posen. Le déclencheur en est la résolution prise par le plus grand nombre, de quitter, une fois raflé tout ce qu'il y avait à rafler (le "capital accapareur" [du programme national-socialiste - NdT]), non pas tant le Grand-duché de Posen, que le continent tout entier, actuellement ébranlé jusque dans ses fondations ..."

392 N° 230 du 24.02.1849

393 Les auteurs du livre "Karl Marx, Man and Fighter", B. Nikolïevski et O. Mänchen-Helfen rendent pour cette raison un mauvais service à Marx en voulant le rendre responsable de "tout ce qui est écrit" dans la Nouvelle Gazette Rhénane. "The paper's policy" – écrivent-ils – "was determined by Marx and Marx alone. Marx edited it as he had editet the 'Rheinische Zeitung' five years before. Just as behind every word of the 'Rheinische Zeitung' there are been the voice of Marx, so did he now make every word of the 'Neue Rheinische Zeitung' his own." (p. 167).

394 Windischgrätz déclarait dans dans cette proclamation : "Enfin, je veux mettre en garde les Juifs de Ofen et de Pest, en particulier de Altofen, qu'ils s'abstiennent de tout accord, quel que soit le nom qui lui serait donné, avec le traître Kossuth … et le Reichstag des rebelles, car j'ai acquis la certitude que ce sont la plupart du temps précisément les Israélites qui se laissent utiliser comme espions et fournisseurs des rebelles, de la même façon qu'ils se donnent pour tâche de répandre de fausses et mauvaises nouvelles sur de prétendues victoires des rebelles …" (N.G.R.  n° 228 du 22.02.1849, Hongrie.)

395 N.G.R. du 17.11.1848.

396 Le mauvais choix dont la N.G.R. s'est rendue coupable en engageant Müller-Tellering comme son correspondant en Autriche, devient patent quand on voit ce monsieur attaquer Marx dans un pamphlet antisémite "Avant-goût de la future dictature allemande de Marx et Engels" dès 1850. Mais ce qu'on ignorait jusqu'ici, c'est le fait, consigné dans les documents de la police de Vienne, que Tellering avait demandé en 1846 à Metternich son admission dans les services de l'État autrichiens. Sa candidature avait alors été rejetée. ("Bureau de police de la cour" 1846, carton 1638, n° 57).

397 A. Léon, "Conception matérialiste de la question juive", 1946, p. 152. (Le livre a été écrit avant la IIème guerre mondiale. L'auteur est mort dans un camp de concentration allemand.) - [Citations en français - NdT]

398 "Les hommes qui comptent dans l'histoire universelle … sont des grands hommes précisément parce qu'ils ont voulu et accompli de grandes choses, à savoir non des choses imaginaires, fictives, mais des choses justes et nécessaires. Cette façon de voir exclut aussi le regard dit psychologique qui, étant le meilleur serviteur de l'envie, s'entend à placer le ressort de toutes les actions dans le cœur et à les mouler dans la forme subjective, de telle sorte que leurs auteurs auraient fait tout ce qu'ils ont fait pour satisfaire une passion, petite ou grande, une addiction. Ces psychologues s'accrochent alors en premier lieu à l'examen de particularités des grandes figures historiques, qu'ils perçoivent comme des personnes privées. L'homme doit manger et boire, est en relations avec des amis et des connaissances, a des émotions et des moments d'excitation. 'Pour un valet de chambre, il n'existe pas de héros', dit un proverbe connu … , mais ce n'est pas parce que celui-ci n'est pas un héros, mais parce que celui-là est un valet de chambre. Ce dernier lui retire ses bottes, l'aide à se mettre au lit, sait qu'il préfère le champagne, etc. - Les personnages historiques font triste figure, quand ils sont l'objet des considérations historiques des valets de chambre psychologiques de cette espèce, ils sont rabaissés par ces valets de chambre qui les servent, placés au même niveau ou plutôt quelques degrés au-dessous de la moralité de ces connaisseurs subtils de l'âme humaine … " (G. W. F. Hegel, "Leçons sur la philosophie de l'histoire".)

399 Voir E. Silberner, "Ch. Fourier on the Jewish Question" et "The Attitude of the Fourierist School towards the Jews", dans "Jewish Social Studies", 1946 et 1947.

400 S.F. Bloom a raison de dire : "Although it may appear paradoxical it is fairer to say that Marx absorbed, without much independent reflexion, the prevailing prejudice of his time and environment than that he made the Jews the scapegoat of his personal dissillusionments and frustrations." (Art. "K. Marx and the Jews", dans "Jewish Social Studies", 1942, p. 16).

401 Nous croyons pouvoir passer sur l'énorme différence pratique qui consiste en ce que Marx et Engels, comme tous les socialistes qui ont suivi, étaient des partisans de l'émancipation intégrale des Juifs.

402 K. Marx, "Le capital", III.

403 A. Léon, op. cit. : "Les Juifs constituent dans l'histoire avant tout un groupe social ayant une fonction économique déterminée. Ils sont une classe, ou mieux encore, un peuple-classe. La notion de classe ne contredit nullement la notion de peuple. C'est parce que les Juifs se sont conservés en tant que classe sociale qu'ils ont aussi gardé certaines de leurs particularités religieuses, ethniques et linguistiques."

404 K. Marx, "Sur la question juive".

405 Dans un de ses poèmes, l'écrivain autrichien K. Kraus caractérise son rapport au judaïsme de la façon suivante : "Je ne suis pas assez chrétien pour être juif."

406 C'est le jugement porté par A. Ruge sur l'essai contemporain de Marx : "Sur la critique de la philosophie du droit de Hegel". (Cf. Mehring, "Karl Marx, Histoire de sa vie").

407 G. Mayer, "Early German Socialism and Jewish Emancipation", dans "Jewish Social Studies", 1939, p. 419.

408 D'après J. Lesczinski, cité chez Léon, op. cit.

409 "I call as the people with that contemptuos name of Jew" – écrit dans son essai antisémite l'ex-fouriériste A. Toussenel – "all those who trafic in money, all unproductive parasites living off the substance and labors of others. Jew, usurer and trader are synonyms for me." ("Les Juifs, rois de l'époque", 1847, cité chez E. Silberner dans "Jewish Social Studies", 1947, p. 344).

410 C'est à ces Juifs que pensait Marx quand il écrivait : "… Quand le Juif … reconnaît son essence comme vide et travaille à son dépassement, il travaille, en sortant de son évolution antérieure, à l'émancipation humaine tout court et se retourne contre l'expression pratique suprême de l'auto-aliénation humaine." ("Sur la question juive")

411 Cf. le compte-rendu élogieux et a-critique d'un obscur pamphlet français : "Histoire édifiante et curieuse de Rothschild 1er, Roi des Juifs", publié par Engels dans "The Northern Star" (5.09.1846). (Dans la N.G.R., on trouve aussi une correspondance ironique sur "Sa Majesté Hébraïque Rothschild".)

412 Voir sur ce sujet les travaux intéressants (quoique très partiaux) de E. Silberner et Z. Szajkovski ("Jewish Social Studies", 1946/1947)

413 On peut trouver le texte complet de cette proclamation dans la revue russe "Katorga i ssylka", 1928, n° 48, p. 36-59, article de Wolk "G. G.Romanenko".

414 Voir M. Bushinskyi, "Les proclamations révolutionnaires de 1883 dans la région de Poltava" (en ukrainien), Ukr. Akad. d. Wiss., Série "Za sto lit", tome III, p. 123-124, et S. Kozlov, "La vie des groupes de la 'Narodna Vola' dans la région de Romny", ibid. tome VI, p. 166-191.

415 Plekhanov écrit en 1901 : "Cette position face aux pogroms juifs n'était en aucune manière seulement le fait d'un militant isolé du parti ; en 1881, c'était pour ainsi dire la conception officielle du parti 'Narodna Vola" … On peut dire sans exagérer en rien que les effets psychologiques des pogroms juifs n'ont pas cessé pendant les 20 années qui se sont écoulées depuis, de nuire à notre mouvement socialiste." (G. Plekhanov, "Œuvres" [en russe], tome 12, p. 370 et 367).

416 Cf. pourtant l'attitude révélatrice, évasive ou plus exactement négative, des délégués français, allemands et autrichiens au congrès socialiste international de Bruxelles en 1892 dans la question d'une résolution à adopter contre l'antisémitisme – ainsi que la polémique contre dans le Social-Démocrate" russe, tome IV, 1892, p. 105-108.

417 J. P. Sartre a certainement raison quand, dans son essai "Réflexions sur la question juive", 1946, il qualifie l'antisémitisme d'idéologie typiquement bourgeoise. Mais il ne s'ensuit pas, qu'on ne puisse pour cette raison "guère trouver d'antisémitisme chez les ouvriers", comme il l'affirme deux pages avant. Il en serait ainsi si le prolétariat n'était pas exposé à l'influence des idéologies bourgeoises. Or, cette influence est parfois très forte et très durable.

418 Ce chapitre a été écrit début 1948.

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