1948

Traduit de l'allemand par Gérard BILLY 2016
Les citations de Rosdolsky se réfèrent très souvent à l'édition MEGA (en langue allemande) des écrits de Marx et Engels. Ces références n'ont pas été reprises dans la traduction.

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Roman Rosdolsky

Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire »

Première section : La politique des nationalités de la Nouvelle Gazette Rhénane

1948


Première section : La politique des nationalités de la Nouvelle Gazette Rhénane


Remarque préliminaire


Cette étude a pour objet l'image qu'au cours de la Révolution de 1848-1849, la publication la plus radicale de la gauche allemande de l'époque, la « Nouvelle Gazette Rhénane », et avant tout les articles de Friedrich Engels, donnent des aspirations et mouvements d'émancipation de ce qui a été appelé les peuples sans histoire de l'Autriche.

Engels désignait ainsi les peuples qui, dans leur passé, n'avaient pas réussi à créer un État vigoureux et qui de ce fait – à qu'il lui semblait – n'avaient plus en eux-mêmes la force nécessaire pour arriver à obtenir leur indépendance nationale 1. Ces peuples sans histoire sont pour Engels avant tout les Slaves autrichiens et hongrois (à l'exception des Polonais), c'est-à-dire les Tchèques, les Slovaques, les Slovènes, les Croates, les Serbes et les Ukrainiens (les Ruthènes), de même que les Roumains autrichiens et hongrois. Des groupes ethniques donc qui se situaient aux niveaux les plus divers du développement économique et culturel et dont les aspirations à la liberté ne pouvaient qu'avoir une intensité et se manifester sous des formes extrêmement variées.

Commençons par le peuple le plus avancé, c'est-à-dire le plus en prise avec le développement capitaliste moderne – les Tchèques.


  1. LES TCHÈQUES


L'attention de Marx et d'Engels avait dès avant la Révolution de 1848 été attirée sur les Tchèques. C'est ainsi que dans son article dirigé contre Heinzen, Marx se réfère aux émeutes ouvrières de Prague en 1844 2, et Engels mentionne dans deux articles écrits à la veille de la Révolution de février l'attitude oppositionnelle des États de Bohème dans laquelle il pense déceler une menace pour la domination autrichienne 3. Mais pour nous, l'essentiel, ce sont les conclusions de l'article d'Engels sur le « début de la fin en Autriche » (novembre 1847), où l'on peut lire :

« Le cas de l'Autriche a pour nous autres Allemands en plus une signification particulière. C'est l'Autriche qui nous a valu dans tous les pays la réputation d'oppresseurs des nations étrangères, de mercenaires de la réaction. Sous l'étendard autrichien, ce sont des Allemands qui maintiennent la Pologne, la Bohème, l'Italie dans la servitude … Nous avons les meilleures raisons du monde d'espérer que les Allemands se vengeront sur l'Autriche de l'infamie dont elle a souillé le nom allemand. Nous avons toutes les raisons d'espérer que ce seront des Allemands qui mettront à bas l'Autriche et déblaieront les obstacles qui bloquent la liberté slave et italienne … 4 ». Ces phrases contiennent une condamnation sans appel de la politique d'oppression autrichienne – encore que Engels ait très probablement sous-estimé à l'époque les difficultés qui s'opposaient à une émancipation des nations asservies par l'Autriche et qu'il n'ait pu avoir non plus (comme nous allons le voir) aucune idée claire et concrète du contenu de la « liberté slave » à laquelle les Allemands devaient frayer la route dans leur révolution.

Tournons-nous à présent du côté de la Nouvelle Gazette Rhénane. Il convient sans doute de considérer l'article du 17 juin 1848 rédigé par Engels et souvent cité, celui qu'il consacre au soulèvement de Prague du 12 juin de la même année, comme la prise de position la plus significative de cette publication sur la question tchèque.

« Un nouveau bain de sang comme à Posen», écrit Engels, « se prépare en Bohème. La soldatesque autrichienne a noyé dans le sang tchèque la possibilité d'une coexistence pacifique des Bohémiens et des Allemands … Quelle que soit l'issue du soulèvement, la seule solution possible n'est plus maintenant qu'une guerre d'extermination menée par les Allemands contre les Tchèques. »

Pourquoi donc ? Pourquoi le soulèvement provoqué par Windischgrätz et la camarilla de cour, quelle que soit l'issue de la lutte, devrait-il avoir des retombées aussi funestes ? Pourquoi le soulèvement de Prague aurait-il forcément pour conséquence – à la différence du mouvement polonais dans le Grand-Duché de Posen qui avait été réprimé peu de temps auparavant – le creusement d'une tranchée séparant définitivement les nations vivant en Bohème, et allant jusqu'à une « guerre d'extermination » des Allemands contre les Tchèques ?

Les raisons poussant à ce pronostic n'étaient évidemment pas à chercher dans la volonté des partis en présence, ni dans la déraison des chefs de partis. Ses racines étaient beaucoup plus profondes !

« Ceux qui sont le plus à plaindre » - continue Engels -, « ce sont les courageux Tchèques eux-mêmes. Qu'ils en sortent vainqueurs ou qu'ils soient battus, leur perte est certaine. L'oppression quatre fois centenaire que les Allemands leur ont fait subir et qui se prolonge maintenant dans les combats de rue à Prague, les pousse dans les bras des Russes. Dans la grande bataille qui dans un avenir tout proche – peut-être dans quelques semaines - va opposer l'est et l'ouest de l'Europe, une fatalité désastreuse place les Tchèques du côté des Russes, du côté du despotisme contre la révolution. La révolution remportera la victoire, et les Tchèques seront les premiers à être réprimés. Et ce sont de nouveau les Allemands qui porteront la responsabilité de la ruine des Tchèques. Ce sont les Allemands qui les ont trahis et vendus à la Russie. »

Voilà pour l'éditorial de Engels. On le voit : la perspicacité politique de son auteur est une fois de plus patente. Effectivement, les développements ultérieurs ont poussé en quelques mois le mouvement national tchèque, si ce n'est dans les bras des Russes, du moins du côté de la camarilla d'Innsbruck, « du côté du despotisme contre la révolution ». Mais cette évolution funeste n'a pas frappé les seuls Tchèques – elle ne devait pas se révéler moins fatale pour les Allemands, pour l'histoire de la révolution allemande !

Engels poursuit : « Dans leur révolution, les Allemands vont devoir expier les péchés de tout leur passé. Ils les ont expiés en Italie. À Posen, ils se sont une nouvelle fois attiré la malédiction de toute la Pologne. Et maintenant, c'est au tour de la Bohème. Même là où ils sont arrivés en ennemis, les Français ont su gagner reconnaissance et sympathie. Les Allemands, eux, ne sont acceptés nulle part, n'éveillent de sympathie nulle part. Même là où ils se présentent comme de généreux apôtres de la liberté, on les repousse en les couvrant de sarcasmes amers. Et on a raison. Une nation qui, dans tout son passé, s'est laissée utiliser contre toutes les autres nations comme instrument d'oppression, doit d'abord apporter la preuve qu'elle a réellement fait sa propre révolution. Elle doit le prouver autrement qu'avec quelques révolutions faites à moitié et qui n'ont d'autre résultat que de prolonger sous d'autres figures la vieille indécision, la vieille faiblesse et la vieille discorde … Il fallait que l'Allemagne révolutionnaire désavoue tout son passé, en particulier en ce qui concerne ses relations avec les peuples voisins. Il fallait qu'elle proclame, en même temps que sa propre liberté, la liberté des peuples qu'elle avait opprimés jusqu'alors. Or, qu'a fait réellement 5 l'Allemagne révolutionnaire ? Elle a ratifié dans son intégralité la vieille oppression par la soldatesque allemande de l'Italie, de la Pologne, et maintenant aussi de la Bohème ? … Et voilà que les Allemands demandent aux Tchèques de leur faire confiance ? Et l'on reproche aux Tchèques de ne pas vouloir rejoindre une nation qui réprime et maltraite d'autres nations dans le même temps où elle se libère elle-même ? On leur reproche de ne pas vouloir envoyer des délégués à une assemblée morose et sans muscle, tremblant de peur devant sa propre souveraineté, comme l'est notre « Assemblée Nationale » ? On leur reproche de rompre les liens avec ce gouvernement autrichien impuissant qui, en plein désarroi, et incapable de quoi que ce soit, semble avoir pour seule mission, non d'empêcher ou au moins d'organiser, mais seulement de prendre acte de la désagrégation de l'Autriche ? »

Un article étonnant, étrange ! Nous y trouvons d'un côté une vibrante profession de foi internationaliste, une proclamation du principe révolutionnaire selon lequel aucun peuple qui continue à opprimer d'autres peuples ne peut se libérer réellement 6, - et de l'autre, la conviction qu'en remportant la victoire, la révolution débouchera sur une oppression des Tchèques ; d'un côté, il sait que la continuation de la politique allemande de répression aura pour résultat que les Tchèques se détourneront de la révolution et qu'on ne peut absolument pas reprocher aux Tchèques de ne pas vouloir rejoindre les rangs des Allemands ni de vouloir envoyer personne à une assemblée dépourvue de nerf, le Parlement de Francfort 7 ; et d'un autre côté il affirme que même une victoire des insurgés de Prague sur la soldatesque autrichienne ne laisserait possible qu'une « guerre d'extermination » des Allemands contre les Tchèques comme « la seule solution possible »... Et pourquoi – peut-on encore se demander – en vertu de quelle fatale nécessité l'insurrection de Prague devait-elle immanquablement pousser les Tchèques dans les bras des Russes ? Pourquoi n'était-il pas possible, avec des concessions raisonnables dans le domaine de l'auto-administration nationale, celui de l'égalité linguistique formelle, de l'enseignement national (les Tchèques n'en demandaient pas plus!), de parvenir à une « coexistence pacifique » des deux nationalités ? Et pour finir : quelle sorte de « liberté » proclamait-on donc pour le peuple tchèque, si on lui permettait seulement, soit de périr, soit de vivre avec les Allemands dans l'État allemand ? Est-ce que tout cela n'est pas totalement contradictoire ?

Certes, il serait assez aisé, de nos jours, cent ans plus tard, de mettre au jour ces contradictions et d'autres analogues dans la politique des nationalités de Marx et Engels. Mais ce qui est bien plus important que de pister ce genre de contradictions dans les idées, c'est de comprendre les contradictions factuelles de la situation historique elle-même dont cette politique était l'expression : de comprendre les gigantesques difficultés qui faisaient obstacle à toute solution de la question des nationalités dans la révolution de 1848. On avait d'un côté des groupes ethniques plébéiens juste en train de s'éveiller à une nouvelle existence historique, sans bourgeoisie nationale ni classe ouvrière propres, à peine encore en état de mener une vie autonome dans le cadre d'un État ; et de l'autre une bourgeoisie allemande qui se sentait chez elle aussi bien dans les pays slaves de la monarchie qu'en Allemagne même, qui habitait les villes de ces pays, était maîtresse de leur industrie et de leur commerce, et qui, en raison de toute sa situation de classe, était aussi peu en état de renoncer à sa position privilégiée que disons la noblesse hongroise ou polonaise à l'exploitation et à la domination de leurs assujettis s'exprimant dans une autre langue. Il était pratiquement impensable pour cette bourgeoisie de perdre ces « acquis nationaux » dans les provinces slaves, une telle perte ne pouvait à ses yeux être aucunement compensée par quelque conquête révolutionnaire, quelques succès politiques que ce fût. Exiger d'elle à l'époque qu'elle y renonce en toutes circonstances, comme une condition sine qua non, cela revenait pour cette raison au fond à rien d'autre qu'à remettre en question la participation même de la bourgeoisie allemande à la révolution !

Malgré tout cela, en 1847-1848, Marx et Engels ont pris parti pour ce qui, de leur point de vue socialiste, allait de soi, l'abandon de la politique allemande d'oppression : leurs prises de position dans les questions italienne, polonaise, et hongroise l'attestent. Mais ne perdons pas de vue que dans tous les cas précités, il s'agissait de nations avec lesquelles il était non seulement hautement souhaitable, mais parfaitement possible de passer un compromis, de nations en outre dont la vitalité nationale et politique ne faisait aucun doute. En ce qui concerne la question italienne, d'abord, il ne pouvait pas y avoir de conflits de frontières importants entre une Allemagne révolutionnaire et le mouvement de libération italien ; le gain que ce mouvement apportait en ébranlant l'absolutisme autrichien contrebalançait tout le reste. Même chose pour le mouvement national polonais ; les Polonais étaient jugés extrêmement importants comme alliés dans la guerre attendue contre le tsarisme russe, et il fallait subordonner à cette perspective la question du « tracé des frontières », qui était ici bien plus complexe 8. Et en ce qui concernait enfin les Hongrois, ceux-ci étaient aux yeux de Marx et Engels pour ainsi dire les « alliés naturels » des Allemands dans la lutte contre la Russie et contre les « panslavistes » dépendants de la Russie. Il n'y avait en outre dans ce cas-ci pratiquement pas de litiges territoriaux non plus 9.

Il en allait tout autrement des Tchèques et des Slaves méridionaux autrichiens ! C'est que les provinces tchèques se situaient « en plein milieu de l'Allemagne 10 » et que, une fois constituées en un État indépendant, elles ne pouvaient manquer d'être comme une écharde fichée dans la chair de la Grande Allemagne à venir. Le mouvement yougoslave menaçait quant à lui de couper l'Allemagne de la Mer Adriatique. Les classes dominantes étaient dans les deux cas allemandes « depuis toujours », et la seule existence de la nationalité tchèque et de la nationalité yougoslave ne pouvait apparaître aux yeux de la bourgeoisie allemande de Prague, de Brünn, de Laibach 11, etc. comme auparavant à ceux de la noblesse allemande, que comme un défi lancé aux intérêts nationaux allemands. A cela s'ajoutait le fait que les Tchèques et les Slaves du sud n'étaient manifestement pas encore suffisamment mûrs et forts pour former des États nationaux réellement indépendants et que de tels États – dans l'éventualité où ils se constitueraient néanmoins – ne pouvaient que trop facilement devenir la proie du tsarisme, ses « avant-postes » en Europe Centrale. Certes, on aurait pu parer à ce danger en instaurant la pleine égalité des droits linguistiques, culturels et politiques aux Slaves. Mais – quelle puissance aurait pu inciter la bourgeoisie allemande à renoncer volontairement à sa position monopolistique ? De ce point de vue, le programme autonomiste de Palacky ne pouvait que se révéler aussi utopique que « l'idée impériale fédéraliste » ultérieure de K. Renner ... 12

Mais ici nous frôlons un des points les plus sensibles de la révolution autrichienne de 1848 : la barrière de classe qui faisait qu'il était extraordinairement difficile, pour ne pas dire totalement impossible, pour la bourgeoisie allemande autrichienne, de trouver un «arrangement » avec les nationalités sans histoire opprimées par l'Autriche. Au regard de la situation du moment, selon toute apparence, ou bien la révolution échouerait sur l'écueil des nationalités, ou bien celles-ci seraient inéluctablement « écrasées » par elle. Ce climat général, ce fatal dilemme se reflète aussi dans l'article si souvent encensé 13 de Engels, lequel, d'un côté, prend résolument fait et cause pour les Tchèques, mais explique tout aussi nettement que leur cause est perdue, et dans lequel, à la place d'un programme concret dans la question tchèque, seule est déployée la perspective d'une inévitable « guerre d'extermination » des Allemands contre les Tchèques. (Une perspective qui nous paraît aujourd'hui très « fataliste », mais qui n'est que tout à fait logique dans la mesure où, pour Engels, il était absolument nécessaire que les provinces tchèques fassent partie de l'État allemand rigoureusement centralisé, les Tchèques étant pour leur part obligés de renoncer à leurs aspirations autonomistes.) En fait, en juin 1848, le mouvement national tchèque était encore à la croisée des chemins ; ils n'étaient pas encore passés dans le camp de la réaction. Et tant que ce pas n'était pas franchi, la Nouvelle Gazette Rhénane, vu ses positions fondamentales, devait prendre le parti des Tchèques et pour cette raison ne cesser de rappeler aux Allemands leurs « obligations » envers le peuple tchèque et leur devoir de rompre avec l'ancienne politique d'oppression.

La preuve que cette interprétation est juste, ce sont les nombreuses correspondances et les nombreux articles de la Nouvelle Gazette Rhénane qui sont consacrés à la question tchèque.

Dès le 29 mai 1848 (donc avant l'insurrection), elle rapportait au sujet de la situation en Bohème :

« Le comte Leo Thun, gouverneur de la province, a décidé, en accord avec les autres autorités de Bohème, l'instauration d'un gouvernement provisoire … La Bohème va donc enfin avoir un gouvernement vigoureux et résolu. Le parti tchèque y est seul représenté 14, et c'est une bonne chose, car c'est le seul qui soit énergique, le seul qui ait fait quelque chose pour la libération du pays, tandis que les Allemands se lamentent et gémissent et n'arrivent à rien, tellement ils sont inconsistants. On peut espérer que nous allons bientôt nous séparer de cette Autriche vermoulue 15. Tout Prague est en liesse ... »

Et le 25 juin :

« Il se confirme de plus en plus que notre interprétation de l'insurrection de Prague est correcte, et que les soupçons répandus par les journaux allemands selon lesquels elle profite à la réaction, à l'aristocratie, aux Russes, etc., ne sont rien que des mensonges. » - Le correspondant fait de l'ironie : « Il a suffi que l'aristocratie ait un court instant fait une tentative pour confisquer le mouvement tchèque en sa faveur et en celle de la camarilla d'Innsbruck, pour que le prolétariat révolutionnaire de Prague qui, en 1844, s'est déjà rendu totalement maître de Prague pendant trois jours, devienne l'agent des intérêts de la noblesse et de la réaction ! »

« Mais toutes ces calomnies » - poursuit l'article - « se sont volatilisées avec le premier coup décisif du parti tchèque. L'insurrection était si résolument démocratique que les comtes Thun, au lieu de se mettre à sa tête, ont immédiatement démissionné et ont été retenus comme otages autrichiens par le peuple. Elle était si résolument démocratique que tous les Tchèques du parti aristocratique ont pris la fuite devant elle. Elle se dressait tout autant contre les seigneurs féodaux tchèques que contre la soldatesque autrichienne. - Les Autrichiens ont attaqué le peuple, non pas parce qu'il était tchèque, mais parce qu'il était révolutionnaire 16. L'assaut lancé contre Prague n'était pour les soldats qu'un prélude, ensuite viendrait la prise de Vienne et sa destruction par le feu 17 ... » (Et la rédaction se réfère ici à une correspondance de Vienne pour le journal « Berliner Zeitungshalle » du 20 juin : « On abat les Tchèques comme des chiens, et quand sonnera l'heure de l'expédition, on marchera sur Vienne ... »)

Le même esprit est présent dans les articles consacrés par la Nouvelle Gazette Rhénane à l'insurrection de Prague et à la situation tchèque dans les numéros 33, 42, 46, 53, 62, 66, 71 et 83. « Nous rappelons » - est-il écrit le 3 juillet 1848 - « que la Nouvelle Gazette Rhénane a dès le début vu dans le soulèvement des Tchèques une lutte contre l'absolutisme. 18 »

" En dépit des hurlements et des roulements de tambour patriotiques de quasiment toute la presse allemande, » - peut-on lire dans un article de la rédaction (vraisemblablement rédigé par Engels) - « la Nouvelle Gazette Rhénane a dès le départ pris parti, à Posen pour les Polonais, en Italie pour les Italiens, en Bohème pour les Tchèques. Jamais, nous n'avons été dupes de la politique machiavélique qui, ébranlée dans ses fondements à l'intérieur de l'Allemagne, a cherché à paralyser l'énergie démocratique, à détourner l'attention, à creuser un canal de dérivation pour y dévier le torrent de lave révolutionnaire, à forger les armes de l'oppression intérieure, en faisant surgir les démons mesquins d'une haine ethnique qui va à rebours du caractère cosmopolite des Allemands 19 … Au moment même où les Allemands se battent contre leurs gouvernements pour leur liberté intérieure, les lancer sous le commandement des mêmes gouvernements dans une croisade contre la liberté de la Pologne, de la Bohème, de l'Italie – quelle profondeur dans la combinaison!Quel paradoxe historique ! En pleine effervescence révolutionnaire, l'Allemagne évacue la pression vers l'extérieur en menant une guerre de restauration, une campagne pour consolider l'ancien pouvoir contre lequel elle est train de faire la révolution 20 ... »

Deux correspondances consacrées à la situation en Bohème (N° 42 et 53) rejettent aussi clairement que ce bel article la haine anti-tchèque :

Dans la première, on peut lire, à propos d'une assemblée allemande s'étant tenue à Aussig (Bohème) : « Il est surprenant que des hommes comme le fondateur de la « société pour la sauvegarde des intérêts allemands à l'est » déclarent devant toute une assemblée : ›Aussi longtemps que durera la lutte à Prague, il ne peut être question de pardon, - et si la victoire nous revient, il faudra l'exploiter à fond‹ De quelle victoire allemande parle-t-il, de quel complot anéanti pour les Allemands ? … Il semble qu'en Allemagne, presque tout le monde pense que les combats dans les rues de Prague n'ont été déclenchés que pour opprimer l'élément allemand et fonder une république slave 21. Ne parlons pas de cette dernière proposition, tellement elle est naïve (!) ; mais en ce qui concerne la première, il était impossible de relever, lors des combats sur les barricades, la moindre trace de rivalité entre les nationalités. Allemands et Tchèques se tenaient là prêts à une défense commune … Il n'y a pas eu un seul mot offensant contre un seul Allemand, pas un seul geste contre les Juifs qui sont ici d'ordinaire tellement haïs 22. La presse libre de Prague n'a jamais défendu une autre tendance que celle du maintien de l'indépendance provinciale de la Bohème et de l'égalité en droits des deux nationalités. Mais elle sait parfaitement que la réaction allemande, comme à Posen, comme en Italie cherche à faire surgir un nationalisme borné, en partie pour réprimer la révolution dans l'Allemagne intérieure, en partie pour habituer la soldatesque à la guerre civile 23. »

Quant à la deuxième correspondance (celle du 23 juillet 1848), on y lit :

« En Bohème, les Allemands et les Juifs ont endossé le même rôle que celui que leurs collègues ont déjà si brillamment joué à Posen. L'autonomie nationale du pays dans lequel ils se sont incrustés comme des essaims de sauterelles tombant sur une proie juteuse, est, depuis la révolution de mars qui les a réveillés en sursaut de leur paisible existence d'usuriers, l'objet de provocations systématiques visant à déclencher une lutte qui, de par sa nature, ne peut qu'opposer la réaction allemande à la dernière révolution et aux conquêtes du peuple. À Posen, ce sont les Allemands et les Juifs qui ont accueilli les mesures attentionnées prises par le général-nitrate Pfühl et le général-schrapnell Hirschfeld, comme autant de messagers impatiemment attendus de « l'ordre ancien » et de la « confiance » ; en Bohème, ce sont eux qui se félicitent de la dictature militaire du prince Windischgrätz, en y voyant un « authentique acte de justice et d'apaisement général. » L'auteur polémique ensuite contre la pétition de « 36 honorables propriétaires et industriels allemands et juifs » de Prague dans laquelle ceux-ci attaquent le rapport du « comité de sûreté » viennois sur la situation à Prague : « Les 36 obligés du sieur Windischgrätz tiennent à éclairer le ministère sur le fait que le comité de sûreté de Vienne défend un point de vue inexact. Alors que pour les hommes de bien, les événements de la semaine de la Pentecôte » (c'est-à-dire l'insurrection de Prague) « sont indubitablement des attentats criminels contre le droit et l'ordre (Chilef 24), le comité de sûreté de Vienne a vu dans la lutte qui s'y est menée une lutte de classes 25, une lutte des prolétaires tchèques exploités contre les exploiteurs étrangers avides de profit ... » « Les Allemands et les Juifs » - conclut le correspondant - « ont accolé jusqu'ici au nom de Tchèque toutes les accusations imaginables, de « fratricide massif » à « atteinte perfide à l'intégrité de l'Empire ». Avec cette mémorable adresse, ils dévoilent cependant pour la première fois eux-mêmes la conception particulière qu'ils se font de l'amour fraternel germano-chrétien et de l'unité juive de l'Empire. (sic) … Puisque les belles âmes émettent des professions de foi de ce genre, le peuple allemand ne manquera pas d'être instruit sur le parti qu'il doit prendre dans la lutte entre les Tchèques et la réaction germano-juive. 26 »

Voilà pour les expressions protchèques de la N.G.R. en juin-août 1848. On le voit : la N.G.R. s'efforce du mieux qu'elle peut de rendre justice au mouvement tchèque. Elle défend à plusieurs reprises l'insurrection de Prague et condamne résolument le bombardement de Prague dans lequel elle voit « un acte barbare, … que le peuple allemand – s'il se sent digne de la liberté – ne doit pas hésiter à dénoncer » (N° 33) ; elle vitupère la presse allemande « qui crache son venin contre la Bohème » (N° 66), fait l'éloge du Dr Rieger, un dirigeant tchèque (N° 62), fait des gorges chaudes de la proclamation de Windischgrätz parlant de « la grande conjuration slave » de Prague (N° 71), de même que de la « fable abominable » selon laquelle les Tchèques auraient projeté une « nuit de la Saint-Barthélémy » contre les Allemands (N° 83), - on peut même dire qu'il lui arrive, comme nous l'avons vu, de pousser trop loin ses sympathies tchèques en traitant, sur un mode outrancier et sans beaucoup de doigté, les Allemands et les Juifs de Prague etc., tout bonnement d'exploiteurs et de capitalistes « avides de profit ». Et pourtant, on est bien obligé de dire que la N.G.R. n'a pas de programme concret dans la question tchèque (une fois posée la revendication d'une égalité des droits pour les deux nationalités dans la province de Bohème, la question est épuisée), et pas non plus d'idée nette sur le sens et le contenu des luttes des nationalités en Autriche. Elle soutient le mouvement tchèque – mais en même temps, elle prend ses distances avec son contenu national et s'efforce de le présenter comme un mouvement dirigé contre le despotisme autrichien, un mouvement ayant un contenu purement social et situé sur le terrain de la démocratie politique. C'est ce que signifie l'affirmation selon laquelle Windischgrätz a attaqué le peuple de Prague, « non pas parce qu'il était tchèque, mais parce qu'il était révolutionnaire » (comme si l'un excluait l'autre), et c'est en ce sens que les rédacteurs de la N.G.R. écrivirent à l'adresse du journal italien ami qu'était « La Concordia » :

« Dans un précédent numéro, la Concordia a écrit que la N.G.R. soutenait tout parti du moment qu'il défende une cause opprimée. Cette invention peu judicieuse lui a été inspirée par notre appréciation des événements de Prague, notre prise de position en faveur du parti démocratique et contre les réactionnaires Windischgrätz & Co. Peut-être le journal de Turin s'est-il entre-temps fait une idée plus exacte de ce qu'est le mouvement prétendument (!) tchèque 27. »

En d'autres termes, le fait de l'oppression nationale n'est pas – selon les rédacteurs - à lui seul une raison suffisante pour que la démocratie soit obligée de prendre parti pour la nationalité opprimée ; il n'y aurait d'obligation de ce genre qu'à partir du moment où les actions politiques de cette nationalité auraient un caractère révolutionnaire et convergeraient avec l'intérêt particulier de la démocratie ; si ce n'est pas le cas, le mouvement « prétendument » national n'aurait aucun titre à revendiquer une protection... Comme si l'hostilité à toute oppression nationale (celle-ci étant précisément la négation de la démocratie dans un domaine partiel) n'était pas par elle-même un élément constitutif essentiel de la démocratie et devait être subordonnée à des conditions particulières ! C'est pourtant le sens réel de la déclaration de la N.G.R. que nous venons de citer, une déclaration par laquelle elle adopte de fait le point de vue de l'indifférentisme à l'égard des nationalités opprimées, et donc celui de ce qu'on appelle le « nihilisme national 28 ».

C'est sans doute cette approche qui permet d'expliquer comment il a pu se faire que la N.G.R. ait commis la lourde faute de se prononcer – dans ses annotations d'un compte-rendu des délibérations du 11 septembre 1848 au Reichstag de Vienne– contre l'admission au Reichstag de langues autres que l'allemand, c'est-à-dire de fait pour le monopole de la langue allemande, « celle de l' État, de l'administration et de l'oppression 29 ». C'est ainsi que la motion présentée – « avec une indignation tchèque tonitruante » - par Rieger : « Il n'existe pas de langue officielle, - pas de nation privilégiée, donc pas non plus de langue privilégiée », est gratifiée du commentaire suivant : « Donc, les députés peuvent parler, présenter des motions, etc., dans leurs langues. Le Reichstag devient un office de traduction, un capharnaüm babylonien, qui débouchera sur sa désintégration. Finis Austriae. » Et le discours du prince Lubomirski, le « renégat de la démocratie » polonais : « Il n'est pas possible de refuser sous prétexte de difficultés ce qui est un droit pour beaucoup de gens ; même si la traduction se faisait en 30 langues, on n'en prendrait pas de retard pour autant », s'attire le commentaire ironique suivant :  « Cette cornemuse à trente voix ferait subir à nos oreilles un merveilleux canon 30 ! »

En d'autres termes : même la N.G.R. n'a pas compris (malgré une remarque lancée occasionnellement par son correspondant à Vienne à propos de la « camisole de force de la langue » imposée surtout « aux députés paysans polonais et ruthènes venus de Galicie 31 »), que la décision du Reichstag de Vienne de ne laisser les députés parler et déposer des motions qu'en langue allemande, était une erreur lourde de conséquences qui ne pouvait manquer de se payer à l'avenir aux dépens précisément de la démocratie allemande. (Au Reichstag siégeaient plusieurs douzaines de paysans polonais, ukrainiens, roumains, que cette décision condamnait à garder le silence et à être dégradés au rang de « troupeau à l'unisson de la réaction » 32. Elle ne comprit pas que ce que les Jacobins pouvaient encore se permettre pendant la grande Révolution française en ce qui concerne les « patois » français, ne pouvait en Autriche que porter préjudice à la révolution et mener à la défaite, autrement dit, ce qu'elle ne comprit pas, c'est le sens et l'importance de la question des nationalités qui était en train de prendre forme précisément en Europe Centrale.

Dans ce contexte, il n'est sans doute pas superflu d'examiner de plus près les discours contre les patois prononcés à la Convention par les Jacobins Barrère et Grégoire :

« Le fédéralisme et la superstition » - dit Barrère à la séance du 8 pluviose 1794 – parlent bas-breton; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle l'italien, et le fanatisme parle le basque. Cassons ces instruments du dommage et de l'erreur »...  « Il faut populariser la langue [c'est-à-dire le français], il faut détenir cette aristocratie du langage, qui semble établir une nation polie au milieu d'une nation barbare 33. » (Autrement dit, pour abattre « l'aristocratie » d'une langue, il faut opprimer toutes les autres – quelle sagacité dans la démonstration !)

Quant à Grégoire, six mois plus tard, il réclamait « dans une République une et indivisible l'usage unique et indivisible de la langue de la liberté 34 », ce qui était pour lui, bien sûr, synonyme de langue française.

Et voici maintenant à titre de comparaison, les discours analogues des députés allemands au Reichstag de Vienne en 1848, discours dans lesquels ils s'opposaient à la demande des Dalmates (Italiens) et de tous les Slaves que « les questions, les motions, les extraits des débats etc. soient traduits dans leur langue. Ainsi par exemple B. Borrosch (un Allemand de Bohème) 35 :

« Nous siégeons depuis maintenant 8 semaines en parlant allemand. Si nous introduisons de la polyglottie (!), ce premier Reichstag aura aussi été le dernier … Aucun républicain français n'a jamais émis la demande absurde que le Basque, le Provençal puisse parler dans sa langue … Si nous continuons à nous occuper de sujets de ce genre, c'est le knout qui restera vainqueur en fin de compte ; la nationalité est très souvent abusivement utilisée pour semer la discorde. »

Et Löhner, de l'aile radicale, exhorta les auteurs de la motion à la laisser tomber en prononçant ces paroles significatives :

« N'oublions pas la seule langue que nous devons tous parler, la langue de la liberté, qui nous est si nécessaire. » (Bien entendu, pour Löhner, il s'agissait de l'allemand.) « Derrière cette controverse, il y a la réaction, l'horreur absolutiste 36. »

Donc de nouveau la « langue de la liberté » façon Grégoire, celle que nous rencontrons aussi bien dans la révolution française de 1789 que dans la révolution allemande de 1848 – et même dans la révolution russe de 1917 -, et qui malheureusement finit à chaque fois par se révéler être une fausse « langue de la liberté ». Quelle autre tonalité par contre dans le discours de Sawka, paysan ukrainien à peine sorti du servage, discours par lequel il s'adressa à son auditoire bourgeois-aristocratique lors du débat sur les langues au Reichstag de Vienne !

« À qui la faute », - s'écria Sawka dans un allemand approximatif - « si en Galicie le paysan ne parle pas allemand [c'est-à-dire ne sait pas l'allemand] ? Ce sont les seigneurs qui en sont responsables. De tout temps, … on nous a accablés jusqu'aux limites de ce qui était possible. En Galicie, le paysan n'a pas de logement, pas de vêtement, rien. Les seigneurs se sont acharnés à tout lui arracher, il n'a rien pour vivre et donc, il ne peut pas aller à l'école 37. Je prie donc la haute Assemblée de s'expliquer à elle-même pour quelles raisons nous [paysans] n'avons personne qui comprenne l'allemand. »

Cependant, la « haute Assemblée » n'a pas voulu d'explications ; au lieu de cela, effrayée par le brutal langage de classe du paysan, elle a peu de temps après, à l'instigation des députés du groupe démocrate polonais, éloigné de ses travées ce personnage incommode. En prenant parti dans ce débat autrichien, non pas pour les Sawka, mais pour les Borrosch et les Löhner, la N.G.R. n'a assurément pas gagné un bon point pour son activité révolutionnaire 38.

À noter cependant que ce faux-pas se situe déjà à une étape où les relations entre les peuples « historiques » et les peuples « sans histoire » en Autriche se font de plus en plus tendues et où se profilent de plus en plus nettement les contours de la future « alliance Slaves-Habsbourg ». Des colonnes du journal disparaît alors complètement toute prise de position pro-tchèque, et à leur place surgissent des jugements et des formules « à l'emporte-pièce » qui laissent parfois – pour un journal comme la N.G.R. - une curieuse impression. (Dans ce genre, c'est le correspondant viennois de la N.G.R., Müller-Tellering, qui se distingue particulièrement – nous le reverrons plus loin sous les traits d'un antisémite borné et repoussant.)

On ne va bien sûr pas lui reprocher ses piques contre les chefs tchèques (Palacky, Rieger entre autres), désormais en train de faire les yeux doux à la cour impériale ni ses diatribes indignées contre leur rôle contre-révolutionnaire. Ils s'étaient déclarés eux-mêmes adversaires de la révolution 39, et ne méritaient pas d'être traités autrement qu'en cette qualité. - Mais, est-ce que la N.G.R. n'a pas poussé trop loin une colère parfaitement justifiée, est-ce qu'elle ne s'est pas mise elle-même en situation de faiblesse en développant des points de vue qui étaient difficilement compatibles avec le mouvement et les idées qu'elle représentait ?

Le 6 septembre 1848 déjà, le correspondant viennois se répand en invectives contre le « fanatisme slave » et « l'insolence » de cette « nationalité tchèque qu'on vient d'inventer ». « En Autriche » - écrit-il - « les nationalités poussent maintenant comme des champignons, et plus elles sont insignifiantes, informes et creuses, plus elles gesticulent furieusement. Et étant donné que, livrées à elles-mêmes, elles resteraient irrémédiablement privées de toute influence, elles conspirent avec l'absolutisme contre la liberté 40 » Le 12 du même mois, Müller-Tellering note : « Les Slaves ne toléreront plus aucun ministère allemand ; ils créeront un ministère du knout 41 » Le 20 septembre, il écrit : « Les Tchèques comprennent très bien que si les Hongrois et les Allemands font bloc avec le slavisme libéral des Polonais, des Ruthènes (?) etc., l'hégémonie dont ils rêvent est dans le lac 42. »

Mais tout cela n'était qu' « escarmouches d'éclaireurs ». L'hostilité déclarée de la N.G.R. envers les Tchèques comme envers les autres Slaves sans histoire ne date que de l'écrasement de l'insurrection viennoise d'octobre, sous les applaudissements et avec le concours des dirigeants tchèques et croates. Marx écrit alors dans un de ses éditoriaux :

« À Vienne, tout un essaim de nationalités 43 qui croit voir son émancipation dans la contre-révolution … Qu'on n'oublie pas que siégeait à Vienne un congrès des peuples (c'est-à-dire le Reichstag constituant) et que les représentants slaves, à l'exception des Polonais, sont passés avec tambours et trompettes dans le camp impérial. La guerre de la camarilla viennoise contre l'Assemblée était simultanément la guerre de l'Assemblée slave contre l'Assemblée allemande … En Autriche, le parti slave a remporté la victoire en s'associant à la camarilla ; il va maintenant se battre avec la camarilla pour le partage du butin 44 ... »

Et dans un autre éditorial (du 31 décembre 1848), il écrit :

« À Vienne, les Croates, les Pandoures 45, les Tchèques, les Sérézans 46 et autres gredins loqueteux de la même espèce ont égorgé la liberté germanique, et en ce moment, le tsar est omniprésent en Europe. »

À partir de cette date, donc, la N.G.R. traite à plusieurs reprises la victoire de Windischgrätz et Jelačić remportée sur les insurgés viennois de victoire de « l'ordre et de la liberté croates », et Windischgrätz de … « vipère vénède 47». Müller-Tellering écrit dans le n° du 12 octobre 1848 : « Ces chiens infâmes de Tchèques et de Ruthènes croyaient pouvoir faire de Vienne une capitale panslave et la livrer à l'absolutisme 48 » … « Le lieutenant-colonel Urban [commandant des troupes autrichiennes en Bucovine] » - écrit-il dans le même numéro - « fait appel au crétinisme des Valaques qui habitent au nord de la Transylvanie, de la même façon que Hurban [homme politique slovaque] a fait appel au crétinisme des Slovaques et des Hanaques [Tchèques de Moravie] » …

« Les Tziganes, dits Tchèques en langage commun » - peut-on lire dans un reportage sur le Reichstag de Kremsier [Kroměříž] (Brünn, 26 novembre) - « ont apporté dans leurs bagages toutes leurs effronteries nationales … Les Tchèques sont malgré tout très remontés contre la camarilla … Mais pour que la camarilla ne soit jamais débordée par le slavisme, celle-ci fait surgir quotidiennement d'un coup de baguette de nouvelles mini-nations et promet à chacune d'entre elles Dieu et le diable. C'est ainsi qu'elle a déjà coupé en deux la Galicie et monté les Ruthènes contre les Polonais ; c'est ainsi qu'à l'instant même, elle détache la Croatie. 49 »

Dans le n° 186, Müller-Tellering se lamente :

« On nomme dans les ministères rien que des Ruthènes, des Tchèques et des Croates. Preuve que l'Autriche, pour être dé-germanisée et dé-magyarisée, va être de plus en plus croato-tchéco-ruthénisée, ou, ce qui est la même chose, russifiée. On voit venir le moment où on va rebricoler la monarchie impériale pourrie avec les bêtes fauves slaves 50» Et de nouveau dans une correspondance du 6 janvier 1849 : « Le caractère minable du tchéquisme devient de plus en plus inouï. La « Slovanska Lipa » veut ressusciter le temps des Hussites 51. (Dans la séance secrète du Reichstag de Kremsier où fut débattue l'expulsion du député Kaim, si l'on en croit Tellering, les Tchèques se seraient « illustrés par leurs manières de Hussites 52 ».)

Mais le pompon revient à sa correspondance du 15 février 1849 :

« Que fait la dynastie autrichienne ? » - demande-t-il. « Après avoir massacré les Magyars, les Italiens, les Polonais et les Allemands en utilisant ses Slaves au front de taureau, elle se met maintenant de nouveau du côté des Allemands et des Magyars pour, histoire de varier les plaisirs, anéantir maintenant ces Slaves assez bêtes pour lui avoir tiré les marrons du feu. … Les plus stupides de ces ânes slaves se frottent les yeux, à l'exception de Palacky » (la N.G.R. l'appelle une fois « Palacky, ce Tchèque qui est le roi des abrutis 53 »). Tellering menace : « Chiens de Tchèques ! Ces Tziganes [c'est-à-dire les Tchèques] sont assez finauds pour se rendre compte que les Allemands pourraient se venger sur eux des potences, de la poudre et du plomb dont les ont gratifiés les bandits qui leur servent de généraux 54 »

Qu'encore un autre correspondant viennois de la N.G.R. voie dans les Tchèques « le peuple plus stupide du monde 55 » ne va plus nous étonner.

Nous voilà au bout de notre désagréable collecte de perles 56. Certes, le langage de la révolution n'est pas celui des salons littéraires et des chambres d'enfants. N'oublions pas : « Dans cette période, la démocratie de l'Europe entière haïssait les petites nations slaves qui n'avaient pas peu contribué, en s'alliant avec la réaction, à la défaite de la démocratie 57. » C'est pourquoi le langage de la N.G.R. ne nous intéresse pas en raison de la brutalité des expressions qu'on y trouve, mais pour ce qu'il nous fait voir du désordre des idées et des sentiments qu'elles manifestent. Et il faut bien dire que, par exemple, l'emploi du terme « Hussites » comme injure – un emprunt au dépotoir idéologique des féodaux allemands catholiques (réutilisé tout récemment aussi par les nazis pour désigner les Tchèques) – ne peut rien avoir de commun avec la vision du monde développée par Marx et Engels, et représente dans tous les cas de figure un dérapage regrettable 58.

Cependant, il faut bien reconnaître que ce genre de dérapages n'aurait sûrement pas été possible si la N.G.R. avait eu à la base une vision claire et correcte des problèmes de nationalités en Autriche et en particulier de la question tchèque, au lieu de se fourvoyer dans le labyrinthe de cette théorie indéfendable selon laquelle les peuples « sans histoire » sont condamnés en permanence à un rôle contre-révolutionnaire et de ce fait à la mort nationale 59. Nous verrons à quelles incohérences et à quelles conclusions fallacieuses cette théorie à entraîné son auteur lui-même. Mais il y a une chose évidente : il est quasiment impossible de cataloguer des populations entières comme méprisables « résidus de peuples », comme simples objets du processus d'assimilation historique, sans ouvrir en même temps les vannes à une disqualification arrogante des réalisations et des capacités intellectuelles de ces peuples. Et on ne peut pas impunément, même « dans l'intérêt de la Révolution », proclamer une « guerre d'anéantissement » contre des « peuples réactionnaires tout entiers » (comme tels) 60 sans produire, à côté d'une « haine des Tchèques et des Croates » 61 aux motivations révolutionnaires, une toute simple xénophobie nationaliste. En ce sens, la N.G.R. (en dépit des motivations bien différentes qui déterminaient la pensée et l'action de ses rédacteurs), a récolté ce qu'elle méritait avec ses Tellering …

Voilà pour la « politique tchèque » de la N.G.R., sur laquelle nous reviendrons ultérieurement quand nous nous occuperons de la « théorie » de Engels « sur les peuples sans histoire ». (C'est seulement à ce moment-là qu'il sera possible d'arrêter un jugement sur cette politique.) Contentons-nous de noter que c'est encore l'attitude sur la question tchèque qui correspond le mieux à l'idée qu'on se fait traditionnellement des motifs et du sens de la politique des nationalités de Marx et Engels. Dans le cas des Tchèques, en effet, on ne peut que porter au crédit de la N.G.R. les efforts réellement faits au début, dans les premiers mois de la Révolution, pour rendre justice aux aspirations émancipatrices des Tchèques (dans la mesure où le lui permettaient la confusion de son approche des problèmes de nationalités et son scepticisme sans doute déjà présent quant à la viabilité de la nation tchèque), et pour prendre leur défense contre le chauvinisme de la bourgeoisie allemande. De même, le fait que la « haine des Tchèques » hissée au rang de « vertu révolutionnaire » ne devint pour elle un mot d'ordre qu'après que les dirigeants tchèques se furent vendus à l'absolutisme. Mais il en fut tout autrement avec les autres nationalités autrichiennes sans histoire : les Serbes, les Croates, les Slovènes, les Slovaques, les Ukrainiens et les Roumains. Pour ceux-ci, nul besoin de commencer par se vendre à la réaction. Pour la N.G.R., ils n'étaient de toute façon que de simples « décombres de peuples » et leurs actions autonomes ne furent dès le départ reçues que par la négative, comme « réactionnaires » et « contre-révolutionnaires ». Sous ce rapport, la N.G.R. ne fut au fond la plupart du temps que le porte-parole de son alliée, la démocratie aristocratico-bourgeoise hongroise et polonaise, et partageait de ce fait ses préjugés et ses illusions. Nous allons le voir avec l'exemple des Slaves du sud, et en particulier celui des Ukrainiens.

 

Notes

1 Le lecteur trouvera dans la section II, chapitre 4, de la présente étude, une critique de ce concept.

2 K. Marx, « La critique moralisatrice et la morale critique » (octobre 1847)

3 « En Bohème, les États refusent cinquante mille florins d'impôts, l'Autriche veut néanmoins les prélever, et elle a tellement besoin de ses troupes sur les Alpes que, pour la première fois depuis que l’Autriche existe, elle cède aux États et est obligée de renoncer aux cinquante mille florins ! » - « Est-ce que l'Autriche va risquer une guerre ? C'est peu croyable. Ses finances sont dans un état lamentable, la Hongrie est en pleine ébullition ; la Bohème n'est pas sûre ... »

4 Cf. également l'article d'Engels : « Un mot à la Riforma » (février 1848) : « Le torchon des rives de la Lech (Augsburger Allgemeine Zeitung) n'avait pas seulement chanté des louanges hyperboliques à la fidélité des 518 000 soldats autrichiens à leur Ferdinand hydrocéphale, mais aussi prétendu que tous ces soldats, Bohémiens, Polaques, Slovaques, Croates, Heiduques, Valaques, Hongrois, Italiens, etc. sont des partisans enthousiastes de l'unité de l'Allemagne et seraient prêts à lui sacrifier leur vie dès que l'empereur l'aurait décidé ! Comme si ce n'était pas précisément cela qui est la malédiction de l'Allemagne, de devoir, tant que l'Autriche existera, courir le risque de voir son unité défendue par des Heiduques, des Croates et des Valaques, comme si l'unité allemande, tant que vivra l'Autriche, était autre chose que l'unité de l'Allemagne avec des Croates, des Valaques, des Magyars et des Italiens ! »

5 souligné par Engels.

6 « Une nation ne peut en même temps accéder à la liberté et continuer à opprimer d'autres nations. » (Engels, Discours sur la Pologne, 29.11.1847)

7 Franz Mehring écrit dans son « introduction » : « Quand la Nouvelle Gazette Rhénane rendait la morosité et le manque d'énergie de l'assemblée de Francfort responsable de la vive résistance opposée par les Tchèques au Parlement allemand, elle mettait quand même un peu les choses à l'envers. Les Tchèques trouvaient cette assemblée non pas trop réactionnaire, mais trop révolutionnaire, du moins dans la mesure où elle était allemande. » Cette expression « du moins dans la mesure où elle était allemande » est tout sauf claire. Certes, Mehring a parfaitement raison quand il constate que les Tchèques ne boycottaient pas le Parlement de Francfort parce qu'ils le trouvaient trop « réactionnaire » ; mais ce n'était pas non plus parce qu'ils trouvaient cette (combien molle!) assemblée trop « révolutionnaire » (il y avait aussi à cette époque parmi les Tchèques une fraction radicale et démocratique). Pourquoi ne pas dire simplement que les Tchèques craignaient (et avaient lieu de craindre) qu'il sorte du Parlement de Francfort une aggravation de l'oppression nationale, et que c'est la raison pour laquelle ils ne voulaient pas se mêler à ce Parlement ?

8 Les articles écrits par Engels en 1852 dans le N.Y Tribune et sa lettre à Marx du 23.5.1851 montrent chez lui de fort singulières oscillations. (G. Mayer rapporte dans sa biographie de Engels que celui-ci connut les mêmes hésitations dans les années 80 sur la question polonaise :  « Il voulait 'seulement si c'était nécessaire' laisser à la nouvelle Pologne également un bout de la Pologne prussienne »)

9 « Si les frontières de la Hongrie et de l'Allemagne avaient laissé place au moindre doute » - écrivit Engels plus tard dans le N. Y. Tribune - « il y aurait eu là aussi un motif de mésentente. Mais heureusement, là, aucun prétexte ne pouvait être avancé, et comme les intérêts des deux nations étaient intimement liés les uns aux autres, ils luttèrent contre les mêmes ennemis, à savoir le gouvernement autrichien et le fanatisme panslave. Cette bonne entente ne fut troublée à aucun moment. »(« Révolution et contre-révolution en Allemagne »)

10 Marx ; « Herr Vogt »

11 Brünn = Brno, Laibach = Ljublana (NdT)

12 « En vérité, il y a une idée impériale qui plane au-dessus de nos têtes ! Pourquoi la monarchie ne devrait-elle pas devenir un peuple uni fait de plusieurs peuples, le toit qui abrite en commun tous les petits (!) afin que ceux-ci puissent exister à côté des grands, chacun libre dans son mode de vie, libre dans sa circonscription, tous égaux sous une dynastie vieille de plusieurs siècles, et désormais aussi rigoureusement parlementaire ? » (Rud. Springer/K. Renner, « Fondements et finalités de la monarchie austro-hongroise », 1906. On trouve les mêmes accents monarchistes en nombre aussi chez O. Bauer :  « La question des nationalités et la social-démocratie ».

13 C'est précisément cet article qui est la plupart du temps considéré comme la preuve que les rédacteurs de la Nouvelle Gazette Rhénane ne seraient retournés contre les Slaves autrichiens qu'après que ceux-ci étaient passés dans le camp de la contre-révolution. Cette affirmation n'est malheureusement, comme nous allons le voir bientôt, qu'une légende.

14 Inexact : les deux nationalités étaient représentées dans le « conseil gouvernemental provisoire » de Bohème.

15 Et qu'est-ce qui allait se passer ensuite ? Quelle idée la Nouvelle Gazette Rhénane se faisait-elle de l'avenir de la Bohème ? un État tchèque indépendant ? Sûrement pas.

16 Souligné dans l'original.

17 N° 25

18 N° 33

19 Ce « caractère cosmopolite des Allemands » relève lui aussi des illusions largement répandues de cette époque (et pas seulement de cette époque). C'est à la fois vrai et faux, exactement comme lorsque Engels affirme en généralisant que le « sentiment national est, comme on sait, très prononcé chez les Slaves »...

20 N° 42

21 Cf. Mehring (Introduction) :  « Cette conception (celle de la N.G.Rh. dans la question tchèque) était tout à fait bienvenue à un moment où des assemblées populaires en Bohème et en Saxe saluaient dans le prince Windischgrätz le gérant des intérêts allemands et où l'historien démocrate Wuttke, la main droite de Blum à Leipzig, dans des déclamations pleines de bruits de bottes, mettait en garde contre un « humanitarisme inopportun » dans l'exploitation de la victoire remportée par Windischgrätz. »

22 Le correspondant pense ici sans doute aux débordements antisémites qui avaient eu lieu à Prague le 16 et le 26 avril 1848 (voir : Fr. Roubik, « L'année tchèque 1848 » (en tchèque), 1931. Sur la position singulière de la N.G.Rh. vis-à-vis des Juifs, voir annexe I à la fin de cette étude.

23 N° 42 – 12.7.1848

24 Argot : lettre de change – chilfner : personne qui pratique l'escroquerie dans les opérations de change.

25 Souligné par le correspondant.

26 N° 53

27 Souligné dans l'original.

28 La politique des nationalités de la plupart des partis ouvriers était marquée à l'époque de la IIème Internationale précisément par ce « nihilisme ». Ce n'est qu'avec les travaux bien connus de Lénine sur la question nationale que la théorie a surmonté ce nihilisme.

29 Définition ironique de V. Adler.

30 N° 105

31 N° 69

32 Notons toutefois, tout à l'honneur de ces députés paysans, qu'en dépit de leur ignorance de l'allemand, ils parvinrent avec le temps à se repérer dans les débats du Reichstag, et que, dans les questions les concernant (comme par exemple celle de l'indemnisation compensatoire des charges féodales etc.), ils défendirent avec une rare unanimité leur intérêt de classe. (Voir les « Procès-verbaux sténographiques » du Reichstag constituant autrichien 1848-49)

33 « Gazette Nationale, ou le Moniteur Universel », n° 129. (Le texte est cité en français. NdT)

34 Grégoire, « Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois, et d'universaliser l'usage de la langue française », 1794.

35 Un adage de Borrosch bien connu montre à quel point son nationalisme allemand était borné : « Vivre à Prague en étant allemand, c'est la même chose que subir le martyre pour la cause allemande » (H. Kudlich, « Rétrospective et souvenirs). Engels a écrit un jour à son sujet : « K. Marx rencontra alors (1848) à Vienne Borrosch, libraire à Prague et dirigeant de la fraction des Allemands de Bohème à l'Assemblée Nationale autrichienne. Borrosch se plaignit beaucoup des querelles de nationalités en Bohème et de prétendues attaques fanatiques dirigées par les Tchèques contre les Allemands. Marx lui demanda ce qu'il en était des ouvriers de Bohème. « Ah ! », répondit Borrosch, « ça, c'est un chapitre à part ! Les ouvriers ne sont pas plutôt entrés dans le mouvement que cessent les disputes entre nationalités ; il n'est plus alors question de Tchèques ou d'Allemands, ils sont tous solidaires. » (V. Adler « Essais, discours et lettres »). Ici, on peut croire Borrosch sur parole : à cette époque (1848), en Bohème, les politiciens allemands de son espèce pouvaient encore apprécier les ouvriers tchèques, précisément parce qu'ils n'avaient pas de conscience nationale et acceptaient d'être à la remorque de la bourgeoisie radicale allemande. Raison pour laquelle il n'a qu'éloges pour « l'internationalisme » des ouvriers tchèques – un internationalisme bien commode pour la gauche allemande-autrichienne de cette époque. Qu'aurait dit ce bon Borrosch 30 ou 40 ans plus tard, quand les ouvriers tchèques devinrent à leur tour adeptes du mouvement national et se mirent à se dresser de plus en plus énergiquement, non seulement contre leur oppression sociale, mais aussi contre leur oppression nationale ?

36 N.G.R. 17.9.1848

37 Il y aurait lieu ici de noter que cette même aristocratie polonaise de Galicie dont Engels vante si souvent l'attitude prétendument libérale et favorable à la paysannerie, avait, en 1840, lors de l'assemblée provinciale (Landtag), rejeté à la presque unanimité la proposition de l'évêque grec-catholique Snigurski de multiplier des écoles populaires dans les campagnes ; « À quoi est-ce que cela servirait aux paysans » - s'écrièrent les États. « À écrire des doléances contre nous ?! » (« Biblioteka Warszawska », 1843)

38 Cf. chapitre 2 (la position de Engels dans la controverse linguistique hungaro-croate).

39 Le 19.09.1848, Rieger refuse que la députation hongroise soit admise à la séance du Reichstag. La plupart des députés tchèques (pas tous!) quittent précipitamment Vienne. Cf. en particulier leur proclamation du 09.10.1848 contre l'assemblée-croupion de Vienne (N.G.R., n° 112, 114 et 117)

40 N° 100 du 12 septembre – Voilà déjà le type de jugement porté sur les luttes de nationalités en Autriche que nous retrouverons plus tard dans les articles de Engels « Sur la Hongrie » et « Le panslavisme démocratique ».

41 N° 105 du 17.09

42 N° 112 du 26.09

43 La multitude et la diversité des problèmes de nationalités au cours de la révolution autrichienne de 1848 déroutaient les démocrates et les révolutionnaires de l'époque. Ces problèmes les embarrassaient et les incommodaient, raison pour laquelle ils parlaient ironiquement de « l'essaim ethnique autrichien », du « fatras ethnique de l'Europe orientale », de la « cacophonie autrichienne », des « 99 (ou 100) nations et mini-nations de l'Autriche » etc.

44 Lors de ces journées, la N.G.R. nourrissait l'espoir d'un conflit entre le « parti slave » et la camarilla de cour (voire même d'un retour des Tchèques dans le camp révolutionnaire). « Le fanatisme national des Tchèques » - écrivit Marx le 6.11.1848 – « a été l'outil le plus efficace de la camarilla viennoise. Les alliés ont commencé à en venir aux mains … C'est le premier symptôme de la guerre qui va se déclencher entre le parti slave avec son héros Jelačić et le parti de la camarilla tout court, au-dessus de toutes la nationalités avec son héros Windischgrätz. » [souligné par Marx]. La veille, Marx (ou Engels) écrit : « Même les fanatiques tchèques de Prague, les néophytes de la Slovanska Lipa (association tchèque national-démocratique) se réveillent de leur rêve dément et se déclarent pour Vienne et contre le brigand de grand chemin impérial [Windischgrätz] ». Ultérieurement encore, on trouve dans la N.G.R. encore des espoirs de ce genre. Müller-Tellering lui écrit le 8.11.1849 : « Vous pouvez être assurés que nous n'aurons plus besoin de Français ; les 100 nations du monstre global qu'est l'Autriche » (on parlait alors fréquemment de la « monarchie globale autrichienne ») « vont maintenant devenir, selon leur suprême conviction, une seule nation, et cette métamorphose fera tomber le gouvernement, fera tomber le monstre. » (N° 220 du 13.11.1849). Les N° 289 et 291 du 4 et du 10 mai 1849 font état d'une « effervescence » non seulement dans l'Allemagne du sud et à Vienne, mais aussi à Prague, ainsi que de la disparition du panslavisme dans les cercles intellectuels tchèques ; des étudiants tchèques auraient chanté à ce moment-là « Czech a niemec gedno tĕlo » (Tchèques et Allemands sont un seul corps). Il est probable que les préparatifs d'une insurrection armée à Prague entrepris par Bakounine au printemps 1849 n'aient pas été ignorés de la N.G.R. .

45 Il ne s'agit pas d'une « nationalité » particulière, mais d'une troupe autrichienne recrutée parmi les Slaves du sud.

46 (serežan) Gendarmes servant à la frontière militaire autrichienne. Ils portaient des bonnets, des tuniques et des manteaux rouges, d'où le sobriquet populaire en 1848-49 de « manteaux rouges » (Rotmäntel)

47 « vénède » : nom donné par les germanophones aux Slaves présents à l'est de l'Elbe (NdT)

48 N° 114

49 N° 158 du 2.12.

50 N° 186 du 4. 01. 1849

51 N° 193 du 12.01.

52 N° 233 du 29. 02

53 N° 235 du 2. 03.

54 N° 226 du 19. 02.

55 « Une Autriche démocratique, constitutionnelle … est pour le moment une totale absurdité qui ne peut plus encore être défendue que par les Tchèques, « le peuple plus stupide du monde »  … (N° 243 du 11. 03. 1849)

56 Nous mettons de côté pour le moment les deux articles anti-slaves de Engels que nous avons évoqués.

57 O. Bauer, « La question des nationalités et la social-démocratie », 1907

58 On peut dire la même chose d'un poème (d'un auteur inconnu) contre les Croates cité dans la N.G.R. du 5. 11. 1849 : Un essaim de vagabonds, de fripons, de va-nu-pieds, / la racaille croate, des valets de ferme de bas étage - / qui, vomis sur le pays en aventuriers sans foi ni loi, / en assurent la ruine. » Certes, en 1848, les Croates étaient à 95% des paysans, mais même alors, ce n'était pas une raison suffisante de les traiter de « valets de ferme de bas étage » et de « racaille croate » ...

59 « Nous avons montré comment les mini-nations de ce genre, traînées contre leur propre volonté par l'histoire depuis des siècles, sont nécessairement contre-révolutionnaires ... »

60 « La prochaine guerre mondiale fera non seulement disparaître de la surface de la terre, des classes réactionnaires et des dynasties, mais aussi des peuples réactionnaires tout entiers ... » « Alors lutte, lutte implacable à mort contre le slavisme traître à la révolution ; lutte d'anéantissement et terrorisme impitoyable – non pas dans l'intérêt de l'Allemagne, mais dans l'intérêt de la révolution. »

61 « Aux phrases grandiloquentes sur la fraternité …. nous répondons : que la haine des Russes a été et continue à être la première passion révolutionnaire chez les Allemands ; que depuis la Révolution, est venue s'y ajouter la haine des Tchèques et des Croates, - et que nous ne pourrons mettre en sécurité la Révolution, en lien avec les Polonais et les Magyars, qu'en pratiquant le terrorisme le plus énergique contre ces peuples slaves. »

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