1948

Traduit de l'allemand par Gérard BILLY 2016
Les citations de Rosdolsky se réfèrent très souvent à l'édition MEGA (en langue allemande) des écrits de Marx et Engels. Ces références n'ont pas été reprises dans la traduction.

rosdolsky

Roman Rosdolsky

Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire »

Première section : La politique des nationalités de la Nouvelle Gazette Rhénane

1948

  1. LES SLAVES DU SUD


D'abord donc les Slaves du sud 62. Nous avons déjà cité dans le chapitre précédent quelques appréciations très crues de la N.G.R. sur les Croates. Elles étaient inspirées par l'esprit de la « haine des Croates » qui s'empara de la démocratie révolutionnaire après les déchaînements de sauvagerie des troupes impériales (constituées en grande partie de Croates) dans Vienne écrasée. Mais la question est : quel regard la N.G.R. portait-elle sur les Slaves du sud et leur mouvement national avant le soulèvement d'octobre 1848 ?

Nous sommes renseignés par plusieurs correspondances (expédiées pour la plupart de Pest) qui toutes sont rédigées dans le sens de la propagande hongroise de l'époque à l'intention de l'étranger ; qui donc, d'un côté, nient l'existence de quelque question de nationalités que ce soit concernant les Slaves du sud, la présentant comme une construction artificielle, mais qui, d'un autre côté, affirment savoir que tous les intérêts et tous les besoins des Slaves du sud sont garantis par la « généreuse » législation hongroise, et estiment que les Slaves du sud doivent être regardés comme des « rebelles » poussés par la réaction, la camarilla de la cour ou même la Russie 63.

C'est seulement dans la première de ces correspondances que l'on perçoit quelque chose comme un vague idée de la réalité :

« Les Illyriens » - écrit le correspondant de la N.G.R. depuis Pest le 18 juin 1848 - « ont … pour eux les montagnes, les frontaliers, bien entraînés et courageux 64, la lutte en défense de la nationalité et de l'indépendance et enfin les liens très douteux avec les principautés danubiennes et indirectement avec la Russie (!). Si la volonté royale exprimée dans les décrets et les proclamations ne réussissait pas à régler pacifiquement le conflit 65, la Hongrie serait alors dans une situation très critique, d'autant plus qu'en cas de guerre sérieuse, les Valaques en Transylvanie, les Slovaques et les Russniaques 66 au nord ne resteraient pas non plus inactifs 67

Ici s'exprime donc la même appréhension que celle qui a incité « le grand Magyar », le comte St. Szechenyi, à noter dans son journal intime à la date du 12 avril 1848 les singulières phrases suivantes : « Les Slaves nous anéantiront. Ils nous haïssent – et ce à juste raison. »

Mais cette correspondance est le seul passage de la N.G.Z. qui permettrait de soupçonner un certain degré de compréhension pour les luttes de nationalités en Hongrie et les dangers dont elles sont porteuses ! En-dehors d'elle, on ne trouve dans la N.G.Z. que des reportages tendancieux anti-serbes et anti-croates. Le 19 juillet, elle rapporte les propos tenus par Kossuth à la séance de la chambre basse, où il déclare « qu'il est inouï qu'un peuple (il vise les Croates) renonce, en faveur d'un petit parti réactionnaire corrompu, aux plus splendides bienfaits de la liberté et veuille plier la nuque sous le joug de l'absolutisme » … « Ce à quoi ils aspiraient, ce n'était pas l'indépendance, c'était accéder au joug autrichien 68. »

Le 29 juillet, Müller-Tellering rend compte depuis Vienne d'une « manifestation de la réaction en faveur de Jelačić », manifestation yougoslave dans laquelle on a pu entendre « un concert de vociférations croates ». « Jelačić a voulu célébrer à Vienne sa victoire sur les Allemands (?) et les Hongrois », mais « la mise en scène montée par le cabinet metternichois pour dresser les peuples les uns contre les autres a, cette fois encore, complètement échoué 69. »

Dans la N.G.R. du 8 août, nous trouvons de nouveau une lettre de Pest sous le titre « Les Slaves du sud soutenus par la camarilla », et dans le numéro du 13 août, le correspondant hongrois (qui est sans doute le même) raconte que « les rebelles illyriens auraient déclaré à un parlementaire de nos forces armées hongroises qu'ils ne céderont pas, - que, non seulement Dieu, mais l'empereur Nicolas leur viendra en aide, et qu'ils reconquerront tout qu'ils ont possédé avant le roi Étienne 70 ». (Dans la N.G.R., toutes les atrocités possibles 71 sont attribuées à ces « rebelles » - et rien qu'à eux – , alors qu'on ne trouve aucune mention de la pratique de la pendaison qui est celle des autorités et des troupes hongroises, mais cela n'a rien de vraiment surprenant, vu la position pro-hongroise du journal et ses sources d'information unilatérales 72. Le 24 août, une nouvelle correspondance parle de « la campagne d'incitation à la haine entre les peuples dans le Vendée serbo-croato-illyro-autrichienne 73 », et le n° du 5 septembre publie un « manifeste des fils loyaux de la nation croato-slavonne » contre les Croates insurgés (manifeste bien sûr inspiré par le côté hongrois), dans lequel on peut lire :

« Il n'y a pas d'oppression des Slaves en Hongrie ! … Les Hongrois ont dû, pour gagner les sympathies du peuple, ériger leur propre langue à la place du latin que le peuple ne comprenait pas. Ils nous ont permis, à nous autres Croates, de faire de même (!). À peine la camarilla s'en est-elle aperçue qu'elle en a conclu, par une manœuvre calculée, que maintenant, la lutte linguistique était terminée en Croatie, qu'il lui était désormais impossible de continuer à asservir le peuple. » (Sic.) (Et ce fut, y est-il encore dit, précisément la raison pour laquelle elle a mis sur pied les « rebelles croates » 74.)

Une déclaration dont l'incohérence et la naïve hypocrisie sautent aux yeux. Et pourtant, les rédacteurs de la N.G.R. n'ont manifestement rien trouvé à redire sur les informations de ce genre, comme le prouve ce que Engels dit ultérieurement sur l'égalité linguistique qui aurait été accordée aux Slaves hongrois par le gouvernement révolutionnaire hongrois, ou même par l'assemblée provinciale prérévolutionnaire de Presbourg. C'est ainsi que dans son article (du 14 février 1849) contre Bakounine, Engels n'a rien d'autre à reprocher à la politique des nationalités des Hongrois que le fait « qu'ils aient été, notamment depuis la Révolution, beaucoup trop conciliants et trop faibles vis-à-vis de ces Croates bouffis de suffisance. Il est de notoriété publique que Kossuth leur a fait toutes les concessions possibles (?), la seule exception étant que leurs députés n'auraient pas le droit de parler croate au Reichstag. Et cette attitude conciliante à l'endroit d'une nation contre-révolutionnaire par nature, est la seule chose qu'on puisse reprocher aux Magyars. »

Et dans son dernier article publié le 19 mai de la même année dans la N.G.R., Engels souligne pour l'en féliciter « que, dès avant la Révolution de février, … le Reichstag de Presbourg dirigé par Kossuth … a accordé aux Croates et aux Slavoniens l'usage de leur propre langue dans leurs affaires intérieures 75. » Il oublie cependant d'ajouter que la même assemblée provinciale [Landtag] hongroise (celle de 1843-44) imposa aux autorités croates le hongrois dans leurs relations avec les Hongrois 76  et décida début 1848 d'introduire comme langue officielle le hongrois à l'intérieur de la Croatie.

On peut lire dans l'ouvrage de Wendel : « Au Landtag hongrois de janvier et février 1848, se sont tenus de violentes diatribes contre les Hongrois : dans la réalité historique, la Croatie n'aurait absolument aucune existence, envers la Slavonie il conviendrait d'avoir une démarche impériale, on ne devrait honorer les desiderata des Slaves du sud d'aucune réponse. La décision avait été prise d'introduire dans les plus brefs délais en Croatie le hongrois comme langue officielle, et le nouveau règlement électoral hongrois réduisait, en passant par-dessus la vieille unité Croatie-Slavonie, les « župa » de Slavonie au statut de comitats magyars. 77 »

C'était donc une législation qui « ne pouvait manquer de blesser profondément les Croates 78 ». Certes, la loi linguistique de Presbourg ne fut pas reprise dans les « articles » des lois d'avril hongroises, mais elle ne fut expressément révoquée. Dans les premières semaines de la Révolution, Kossuth se borna à envoyer une adresse à « nos frères bien-aimés les Croates », « dans laquelle le croate était admis pour les communes, les municipes et les comitats, le hongrois, en revanche, était réservé pour la législation et les affaires de l'État 79 ». Les Croates repoussèrent naturellement ces prétentions 80, sans arriver à obtenir des Hongrois aucune concession. (Alors qu'il s'agissait du plus élémentaire de tous les « droits nationaux », celui d'utiliser sa langue!) « C'est seulement quand ces messieurs hautains se virent avec de l'eau jusqu'au cou, que l'assemblée hongroise se décida à un acte solennel de reconnaissance des l'égalité des droits entre toutes les nationalités 81 », - mais c'était déjà trop tard. Et c'est cette politique-là que Engels croit devoir qualifier de par trop « conciliante » ! - Il n'était alors que parfaitement logique que la N.G.R. écrivît le 13 septembre 1848 :

« Si on veut porter une appréciation correcte, du point de vue de la liberté et de l'indépendance, sur la situation régnant entre Hongrois et Croates, on ne court jamais le risque de se tromper en ne voyant dans la lutte de n'importe quel peuple contre la Hongrie rien d'autre qu'une manipulation de la camarilla pour barrer la route à la liberté et à l'indépendance 82. »

Comment, avec une telle position, la N.G.R. aurait-elle pu porter un jugement correct et juste sur les problèmes de nationalités autrichiens ? Tâche impossible !

Résumons : les jugements négatifs que la N.G.R. porte sur les peuples slaves du sud ne s'expliquent en aucune manière, comme on le croit souvent, seulement par le rôle contre-révolutionnaire que les Slaves du sud ont joué dans la révolution de 1848-49 83. L'explication doit chercher plus profond. En premier, les rédacteurs du journal voyaient dans les Hongrois des alliés de la révolution et croyaient devoir pour cette raison défendre avant tout leurs intérêts. En second lieu, il y avait, le danger – en partie bien réel, en partie seulement hypothétique, – du panslavisme, qui semblait lié au mouvement des Slaves du sud. Cela ressort nettement, non seulement des deux articles de Engels sur les Slaves reproduits par Mehring 84, mais aussi d'autres contributions parues dans la N.G.R. et consacrées à la Hongrie et aux Slaves du sud, et que nous devons également attribuer à Engels.

« La victoire finale de la Hongrie » - peut-on lire dans l'article intitulé « La lutte des Hongrois », Cologne – dépend seulement de sa capacité à attendre les développements en Allemagne, et à nous ouvrir les yeux sur le caractère de l'idée du panslavisme exploitée par le côté russe 85 » … Et dans un autre article traitant également de la Hongrie, Engels écrit :

« Sans aucun doute, les Autrichiens n'ont pris que difficilement la décision de faire appel aux Russes. Il est clair comme de l'eau de roche que l'invasion russe va immanquablement donner un tout nouvel élan aux aspirations panslaves des Tchèques et des Slaves du sud. Ces peuples, depuis longtemps habitués à respectueusement voir dans le tsar leur protecteur naturel et leur libérateur final 86, ont maintenant sous les yeux la preuve flagrante que l'Autriche n'a ni la force ni la volonté de leur garantir un développement national ; et voilà que maintenant, le tsar russe entre en scène et en action au moment décisif et valide par les faits les espoirs qu'ils ont placés en lui. Comme autrefois aux Serbes allemands 87, le Tsar prouve aux Serbes, aux Croates, aux Tchèques etc. d'Autriche qu'il est bien le protecteur suprême de la nationalité slave. Et nous avons déjà vu à plusieurs reprises que les appétits des nationalités slaves représentent pour la « monarchie globale » autrichienne un danger tout aussi grand que le soulèvement armé des Magyars. - L'invasion russe en Transylvanie 88 permet au tsar de franchir un pas supplémentaire vers la réalisation du panslavisme ; il a proclamé l'alliance des Russes avec les Slaves autrichiens et s'est érigé en souverain de fait des Slaves autrichiens eux-mêmes. Il a de toute façon déjà les autres sous son commandement ; les Polonais sont ses valets, les Slaves turcs ses vassaux ; et le voilà maintenant qui se pose en protecteur des Slaves autrichiens. Encore un pas, et l'Autriche tombe complètement sous son autorité comme la Turquie 89. C'est le prix à payer pour la monarchie impériale pour éviter pendant quelques mois d'être renversée par la Révolution 90. »

On voit maintenant en quoi consistait, selon Engels, le vrai caractère « de l'idée du panslavisme exploitée par les Russes » : elle était exclusivement au service de l'expansionnisme de l'empire des tsars, et ne visait pas seulement à l'écrasement des Hongrois engagés dans une lutte farouche avec les Slaves du sud, mais aussi à la domination de l'Autriche elle-même. Or, si de cette façon, le tsarisme russe devait avancer, avec l'aide de ses satellites slaves, et avant tout des Slaves du sud, jusqu'au Danube et à la Moldau, et devenir le maître absolu de l'Europe centrale, - est-ce que, du même coup, puisqu'il les utilisait comme ses agents, il ne fallait pas considérer ceux-ci, non seulement comme des ennemis des Hongrois, mais tout autant comme des ennemis de l'Allemagne ?

Cette façon de voir est exposée dans un article plus développé et manifestement rédigé par Engels, qui parut dans la N.G.R. le 21 avril 1849 sous le titre significatif : « Le nouvel État prédateur croato-slavono-dalmate 91 ». L'objet en est un projet de loi élaboré au printemps 1849 à Agram par la commission commune « croato-slavone » du Landtag, projet de loi envisageant l'édification d'un « royaume trinitaire de Croatie-Slavonie-Dalmatie » dans le cadre de l'État des Habsbourg.

« Alors qu'en Hongrie proprement dite » - ainsi commence l'article - « la monarchie impériale k. k.a est ébranlée jusque dans ses fondements par les armes magyares victorieuses, le mouvement national particulier des Slaves du sud ne cesse de créer de nouvelles difficultés au gouvernement autrichien. Les Croates ont maintenant 92 inventé l'idée d'un royaume trinitaire croato-slavono-dalmate destiné à constituer le centre de gravité des aspirations panslaves » … « Ce document » – il s'agit du projet de loi - « est singulier. On n'y trouve aucune trace de haine anti-magyare ni de mesures préventives contre des agressions magyares, en revanche, il est marqué du sceau de la haine anti-allemande, de la protection contre les agressions allemandes et de l'alliance panslave contre les Allemands 93. Voilà les fruits que récoltent nos pleurnicheurs du Saint-Empire romain adeptes du patriotisme constitutionnel, le résultat de leur enthousiasme pro-croate ! Nous avons déjà informé du fait que dans la Voïvodine serbe règnent la même haine et la même méfiance à l'égard des Allemands 94. »

Quel était donc le contenu de ce projet « singulier », comment s'exprimait la « haine anti-allemande » de ses rédacteurs ?

« La trinité des coupeurs de têtes aux rouges manteaux » (… les Pandours, les Sérézans et les Heiduques 95 ») - continue Engels – inaugure immédiatement son existence par des conquêtes 96. Outre qu'elle arrache toute la Croatie et toute la Slavonie à la Hongrie, elle revendique le Medjimurje, c-à-d. le petit territoire du comitat de Szalad situé entre la Drave et la Mur, et les îles de Kvarner du district istrien-dalmate, c-à-d., en plus d'un petit bout de la Hongrie, aussi un petit bot d'Allemagne 97. Ensuite, elle demande le droit : 1. de confier aux assemblées provinciales (Landtage) respectives régler les relations intérieures de la Croato-Slavonie avec la Dalmatie ; de régler par des accords réciproques ses relations avec la Voïvodine serbe ; de constituer, sur la base d'accords avec les autres provinces slaves voisines, une entité politique plus resserrée, c-à-d. une ligue panslaviste contre les Allemands et les Magyars à l'intérieur de la monarchie impériale. Et ce droit à se liguer entre eux est, selon l'opinion pandoure-sérézane, le premier des droits de l'homme … Autrement dit, le premier de nos droits de l'homme « naturels » est la réanimation du congrès slave de Prague comme autorité législative » … « Ces conquêtes et ces alliances panslavistes sont suivies d'une déclaration solennelle : 'Le royaume trinitaire n'a jamais été un pays allemand (Dieu merci!b), il ne veut pas le devenir ni même seulement faire partie du Reich allemand ; et c'est pourquoi le royaume trinitaire ne peut et ne pourra sans son consentement explicite être inclus dans quelque regroupement que ce soit que l'Autriche déciderait maintenant ou plus tard de conclure avec l'Allemagne.' On estime qu'il y a urgence à publier les déclarations de ce type face aux Allemands, bien qu'à notre connaissance, personne n'ait jamais pensé que la Croatie et les autres régions de coupeurs de têtes fussent une « terre allemande », et que l'Allemagne ne se sente pour le moment aucune envie d'incorporer au Reich allemand ces messieurs d'Otočac 98 et ces Serezans. - Et dans tout ce texte, pas un mot sur les Magyars, pas un seul paragraphe destiné à protéger l'État prédateur objet de tous les vœux, de l'oppression magyare qui fait l'objet de tant de lamentations ! Mais on voit à quoi revient toute cette affaire : l'Autriche unie et centralisée qui est l'objectif du ministère [Schwarzenberg-Stadion] et dans laquelle il est vrai à la longue les Allemands, qui sont la nation la plus civilisée, seraient moralement prédominants, fait mille fois plus peur à la trinité panslaviste que les Magyars que l'on pense défaits. On voit en outre que dans ces petites nations prédatrices, la haine anti-allemande dépasse de loin la haine anti-magyare. Et pourtant, elles ont les alliées de l'organe du patriotisme allemand, de la Gazette de Cologne 99 ! » Et Engels conclut :  « C'est l'ébauche du nouvel État prédateur trinitaire, otočano-pandouro-croate, qu'on veut nous coller à la frontière sud-est de l'Allemagne, si la Révolution et les Magyars laissent faire. »

Aucun doute : on ne peut qu'être troublé par le ton et le contenu de l'article. Il y est reproché aux « mini-nations prédatrices 100 » et aux « régions de coupeurs de têtes 101 » d'être travaillées par des envies de conquêtes …, parce qu'elles veulent arracher à la domination étrangère des territoires qui sont les leurs de mémoire d'homme et qu'elles peuplent en masses compactes (la Croatie et la Slavonie) ; et elles sont accusées de « haine anti-allemande » parce qu'elle refusent la suprématie des Allemands dans l'État fédératif autrichien projeté et se dressent (comment pourrait-on leur en faire grief, vu les appétits réels de conquêtes de l'Assemblée Nationale de Francfort?) contre un rattachement au Reich allemand ! Et ce sont ces motifs qui justifient, pour la N.G.R., les remontrances adressées « aux pleurnichards patriotiques constitutionnels » et à la « Gazette de Cologne, la voix du patriotisme allemand », pour le manque de patriotisme dont ils font preuve avec leurs sympathies pour les Croates … Il faut bien admettre que ces arguments n'ont rien à voir ni avec l'attitude contre-révolutionnaire des Slaves du sud en 1848-49, ni avec la conception matérialiste-dialectique du processus historique, et que, bien au contraire, ils constituaient une concession, déjà inadmissible à cette époque-là, au mode de pensée national-allemand 102. Il nous faut maintenant examiner la (très significative) interprétation du point de vue de Marx et Engels dans la question sud-slave par laquelle Riazanov introduit la publication de leurs articles de la « New York Tribune ».

Dans cette introduction, il souligne à juste titre « le peu d'intérêt » que les rédacteurs de la N.G.R. « manifestèrent au cours des années 1848 et 1849 pour les liens entre la révolution allemande et la question d'orient » (c-à-d. la question des Slaves des Balkans). « Ils justifiaient toujours la guerre contre la Russie en partant du point de vue de la révolution européenne et l'associaient étroitement à une guerre civile en Allemagne même. Jamais ils n'invoquent, pour justifier l'antagonisme qui les oppose à la Russie, les intérêts spécifiquement allemands dans la péninsule balkanique, la « mission germanique », la nécessité de protéger le « commerce allemand » aux embouchures du Danube, de libérer le « Danube allemand ». Ils défendent passionnément la restauration de la Pologne dans les frontières de 1772 103, l'indépendance de la Hongrie et des principautés danubiennes 104, l'unification et l'indépendance de l'Italie, mais nous ne trouvons dans leurs articles aucune trace des différentes tentatives [Riazanov pense ici sans doute à Lassalle] pour établir un lien entre les intérêts de la révolution allemande et la question orientale. On peut en penser ce qu'on veut, mais le fait est là. Ennemis implacables de toutes les barrières féodales s'opposant au développement économique, ils ne sont pourtant jamais mis au service du capitalisme » (comme pendant la première guerre mondiale, les social-démocrates allemands à l'esprit patriotique contre lesquels Riazanov polémique indirectement). « Partisans de la Grande Allemagne et républicains, ils étaient convaincus que la république allemande dont ils visaient l'établissement, posséderait et développerait, en alliance avec l'Europe révolutionnaire, suffisamment de forces intérieures pour ne pas avoir besoin d'un seul pouce du sol polonais, hongrois ou italien, et à plus forte raison n'aurait pas à prouver sa viabilité en colonisant les territoires jusqu'alors dominés par les Turcs. »

Tout cela est tout à fait exact : Marx et Engels n'ont effectivement jamais revendiqué pour l'Allemagne un seul pouce du territoire croate, serbe ou bulgare. (Ils le laissaient … aux Hongrois, et – au moins pour un temps – aux Turcs.) Mais qu'en était-il des territoires slovènes et tchèques ? Riazanov passe sous silence cette question délicate, alors que personne ne savait mieux que lui combien les rédacteurs de la N.G.R. étaient peu disposés à renoncer à un seul pouce de ces territoires-là. « On peut en penser ce qu'on veut, mais le fait est là. » … Bien entendu, il serait absurde d'accuser pour cette raison Engels et Marx de « services rendus au capitalisme », voire à l'impérialisme allemand : la situation et les motivations étaient – nous allons le voir – bien plus complexes, et on ne peut les faire rentrer de force dans cette formule commode. Mais il ne sert à rien non plus de passer sous silence et de vouloir enjoliver cette « verrue » que porte la politique de la N.G.R. .

Nous l'avons vu auparavant : la N.G.R. a eu une attitude hostile envers le mouvement national des Slaves du sud avant que celui-ci ait pu se prononcer pour ou contre la révolution ; et nous voyons maintenant : il lui est arrivé de le combattre avec des arguments sans lien aucun avec le rôle effectivement joué par les Slaves du sud lors de la révolution de 1848-49, et qui auraient semblé bien plus naturels (et moins embrouillés) … précisément dans la bouche de « l'organe du patriotisme allemand, la Gazette de Cologne ». Dans un cas comme dans l'autre, elle a été très loin d'une appréciation exacte et objective de la question sud-slave et de sa problématique (en particulier de la compréhension du fait qu'il s'agissait ici en dernière analyse de la libération du joug féodal de masses paysannes se comptant par millions.

Mentionnons pour conclure que Engels n'a plus tard non plus jamais dévié de l'approche qui avait été celle de la N.G.R. concernant le sens et le caractère des luttes nationales en Hongrie et lui faisait même un mérite particulier « d'avoir plus que tout autre journal contribué à populariser la cause hongroise en Allemagne en expliquant la nature de la lutte entre les Magyars et les Slaves 105 ». Ceci relève de la suite de notre étude, dans laquelle nous allons nous pencher sur l'évolution des points de vue de Marx et Engels sur la question des Slaves du sud.



 

Notes

62 Sur la conception qu'ont Engels et Marx de la question des Slaves du sud, voir la brochure de Mijo Radošević, « Marxisam, panslavizam, i jugosloventsvo » (croate), Zagreb, 1921, ainsi que deux deux articles de H. Wendel, très instructifs, bien que pas tout à fait incontestables : « Marxism and the Southern Slav Question » (in « Slavonic Review, 1923-4, pp. 289-307) et « Magyars et Slaves du sud en 1848 et 1849 » (in « Le marxisme vivant », 1924, pp. 315-31). En revanche, l'article de H. Malcolm Macdonald, « K. Marx, Fr. Engels and the South Slavic Problem in 1848/49 » (in « University of Toronto Quarterly, vol. VIII, pp. 452-60) est très mauvais et très superficiel. Voir aussi la contribution de Riazanov « Marx et Engels sur la question balkanique » dans «Esquisses à propos de l'histoire du marxisme », (en russe), 1923, pp. 591-603.

63 Depuis les années 30 du siècle passé, les Hongrois ne se sont jamais lassés de dénoncer le réveil national des Slaves hongrois comme du « panslavisme » et comme des « machinations tsaristes ». Les National-révolutionnaires polonais en faisaient du reste autant pour le mouvement national des Ukrainiens de Galicie. (Voir ma contribution : « À propose de l'histoire des relations tchéco-polonaises dans la première moitié du siècle précédent » dans la « Prager Rundschau » [Revue de Prague], 1938, p. 140

64 Les habitants de ce qui était appelé la « frontière militaire autrichienne », soumis au service militaire obligatoire.

65 On sait qu'au début, tant qu'elle a cru pouvoir espérer un compromis avec les Hongrois, la couronne a battu froid aux Serbes et aux Croates et leur a demandé d'obéir à Pest.

66 Ukrainiens des Carpates

67 N.G.R. N° 32 du 02.07. 1848

68 N.G.R. N° 49 du 19. 07. 1848

69 N.G.R. N° 64 du 03. 08

70 N.G.R. N° 74 du 13. 08

71 N° 103 du 15. 09 : « les gens brûlés vifs, les femmes violées par les Serbes d'Illyrie et les Croates ... » - Cf. n° 232 du 27.02.1849 : « Les Manteaux Rouges [les troupes frontalières] possèdent un grand talent dans l'art de couper les têtes, d'éventrer, de disséquer, d'embrocher les enfants, de violer les femmes, de scalper, de brûler vifs etc., et portent en permanence sur eux les armes et les instruments de mort utiles pour exercer ce savoir-faire – et en même temps, ils sont tout aussi cupides que les Juifs » (sic).

72 En réalité, pendant la guerre de 1848-1849 entre Hongrois et Slaves du sud, beaucoup d'abominations ont été commises des deux côtés. « Loi martiale ou pas, on exécutait, on violait, on brûlait, on détruisait et ravageait, et toujours, l'un des deux partis mettait sur le compte de l'autre des atrocités encore plus barbares. » (Wendel, « La lutte des Slaves du sud pour la conquête de la liberté et de l'unité », 1925, p. 258.)

73 N.G.R. du 24.08. 1848

74 Ibid., n° 94.

75 N.G.R., n° 301 du 15.05. 1849

76 Cf. sur ce sujet O. Jaszi, « The Dissolution of the Habsburg Monarchy », 1929, p. 304-5.

77 Wendel, op. cit., 258-9

78 Bach, op. cit., 555

79 « Nous souhaitons seulement » - disait cette adresse - « que, lorsque vous avez à faire à la législation et au gouvernement de la métropole, vous vous serviez de la langue hongroise. » (ibid.)

80 Pour le publiciste yougoslave Šulek, la politique linguistique des Hongrois signifiait « que les Magyars pourraient se former et s'éduquer vu qu'ils pourraient se mouvoir à l'aise dans leur langue maternelle, alors que nous autres resterions là comme des idiots ; raison pour laquelle ils resteraient les seigneurs et nous les valets. Ce serait le retour des temps anciens, où ceux qui ne comprenaient pas le latin étaient valets et mendiants. Ce serait le retour de la vieille aristocratie, à cette différence près qu'elle ne serait plus plurielle, mais seulement hongroise. » (Wendel, ibid., 259)

81 Ibid., 261. - Cf. aussi ibid., 262 : « Quand Andrassy, nommé ambassadeur à Constantinople, conseilla au ministre des affaires étrangères Batthyany de lancer une proclamation aux Serbes et aux Croates pour les rassurer sur la préservation de leurs libertés, il ajouta qu'une manifestation de ce genre n'engageait à rien, car si la Hongrie remportait la victoire, elle pourrait tout modifier, et dans le cas contraire, on n'avait de toute façon rien à perdre. »

82 N.G.R., n° 101. (Lettre de Vienne, 7.09.)

83 « De façon générale, le traitement expéditif auquel la N.G.R. soumet les nations et les mini-nations slaves du sud, interloque au premier abord. Il faut se remettre en mémoire le rôle lamentable de ces nations et mini-nations dans les années de la Révolution pour comprendre la violence révolutionnaire du traitement que le journal leur fait subir. (Mehring, « Introduction », p. 76) Mehring, à vrai dire, reconnaît dans le même texte (p. 78) que « Marx et Engels ont toujours traité avec beaucoup de légèreté les « insurrections de ces gaillards » [allusion à une lettre de Engels] quand il s'agissait de leurs causes réelles, et toujours avec beaucoup de sévérité quand il s'agissait de leurs répercussions, même seulement éventuelles, sur le politique mondiale » - ce qui ne peut s'expliquer jusqu'au bout ni par le rôle contre-révolutionnaire des Slaves du sud en 1848-1849, ni par le danger du panslavisme qui accompagnait leurs aspirations à l'émancipation.

84 Il s'agit des articles intitulés « La Hongrie » et « Le panslavisme démocratique » (Œuvres littéraires posthumes)

85 N.G.R. n° 207 du 28.01.1849

86 Cette affirmation, assurément très exagérée (même si on met les Tchèques de côté), se retrouve souvent chez Engels. Ainsi dans son article sur les « nationalités en Turquie » (New York Tribune, 7.04.1853). « Whatever may happen », - écrit-il - « he (the Servian, the Bulgarian, the Bosnian Rayah, the Slavonian peasant of Macedonia and Thracia) looks to St. Petersburg for the advent of the Messiah, who is to deliver him from all devil ; and if he calls Constantinople his Czarigrad, or Imperial City, it is as much in anticipation of the orthodox Czar coming from the north and entering it to restore the true faith, as in recollection of the orthodox Czar who held it before the Turks overran the Country. » (K. Marx, « The Eastern Question », 1897, p. 8). La chose est vraie : l'entrée de l'armée russe en Autriche, sous les ordres de Paskevitch, en 1849, a suscité, même chez les paysans ukrainiens de Galicie une croyance naïve au « tsar libérateur ». Mais cette croyance n'avait strictement rien à voir avec le nationalisme et tout aussi peu avec la confession orthodoxe (les Ukrainiens de Galicie sont [ou étaient alors] catholiques), mais s'expliquait surtout par des raisons sociales ! Les paysans de Galicie espéraient simplement que le tsar légendaire (sur lequel ils reportaient leur croyance traditionnelle à l'empereur autrichien) les délivrerait de l'arbitraire des « seigneurs » et redistribuerait entre eux les domaines seigneuriaux. De la même manière que les paysans russes attendaient de chaque tsar, et même de Napoléon une « libération » de ce genre ! La croyance paysanne au tsar (ou à l'empereur) était de fait un élément constitutif de la psychologie des paysans de cette époque et avait avant tout des racines sociales ; Constantinople, tout comme d'autres intérêts « impériaux » analogues, étaient bien entendu parfaitement indifférents à ces paysans slaves qui étaient encore en grande partie des serfs. Cela concerne tout autant les paysans russes, dont Engels affirme en 1852 qu'ils verraient dans Constantinople « la vraie métropole de leur religion et de leur nation » (« Révolution et contre-révolution en Allemagne »), alors que la plupart du temps, ils ne savaient même pas qu'il existe une Constantinople ni où elle se trouvait ...

87 Erreur typographique. Sans doute : « les Serbes turcs » ?

88 L'article a été publié le 28.02. A cette date, la Russie n'a contribué que par un seul corps d'armée opérant en Transylvanie à l'écrasement du soulèvement hongrois. L'entrée d'une armée russe entière en Autriche ne s'est produite que deux mois plus tard.

89 Ce deuxième pas, ce moment décisif, sembla arrivé quand, sur la demande de la cour de Vienne, des troupes russes se mirent à déferler en direction des frontières hongroises pour éteindre ce dernier « foyer de troubles » en Europe. Maintenant, suivant Engels, la défaite définitive de la démocratie ne pouvait plus être empêchée que par la reprise de la révolution allemande et par l'intervention armée des puissances occidentales contre la Russie. Avec l'entrée des troupes russes – écrivit-il le 18.05.1849 – la guerre hongroise allait inévitablement se transformer, de guerre intérieure à l'Autriche, en guerre européenne ; or du fait « que la guerre hongroise est devenue européenne, elle entre en interaction avec tous les autres facteurs du mouvement européen. Son déroulement a des effets non seulement en Allemagne, mais aussi en France et en Angleterre. Il n'y a pas lieu de penser que la bourgeoisie anglaise va tolérer la transformation de l'Autriche en province russe ; le peuple français ne va pas regarder tranquillement en spectateur la contre-révolution se rapprocher de plus en plus de lui, c'est certain. Quel que soit le résultat des élections, l'armée s'est déclarée en tout cas pour la révolution, et c'est l'armée qui décide pour le moment. Si l'armée veut la guerre – et elle la veut -, alors c'est la guerre. - Et elle viendra. La révolution parisienne … est à nos portes. » (N.G.R. ? N) 301 du 19.05.1849)

90 Ibid., n° 233 du 28.02.1849

91 N° 278, Agram

a « kaiserlich-königlich » = impériale et royale (NdT)

92 L'unification administrative de la Croatie-Slavonie avec la Dalmatie avait déjà été revendiquée le 25.03.1848 par l'assemblée populaire croate d'Agram. (cf. Jaszi, op. cit., 368)

93 Soulignés par Engels.

94 Cf. l'article de Engels paru sous le titre « Nouvelles de la guerre hongroise » dans le n° 250 du 20.03.1849 : « On voit quelles nuées orageuses s'accumulent dans la Voïvodine serbe pour la monarchie autrichienne en pleine déroute, et à quel point nous avions raison de noter il y a quelque temps combien peu la camarilla ne peut faire confiance aux Serbes. » À propos de la Voïvodine serbe, qui se vit garantir l'auto-administration par la charte d'Olmütz du 15.12.1848, Engels écrit dans l'article déjà cité du 28.02.1849 : « Pour que, du reste, on voie quel genre de petit pays à la population très mélangée est la Voïvodine serbe, et combien sont ridicules les prétentions des panslavistes de fabriquer de petits États slaves dans tous les recoins de la Hongrie, nous reproduisons les données statistiques empruntées aux Srbske Novine de Belgrade : « Les habitants se répartissent, selon leur origine ethnique, en 917 916 Serbes, 26 200 Slovaques, 13 000 Bulgares, 283 000 Valaques, 278 400 Allemands, 6160 Français et 81 932 Maggyars ... » Ce petit pays dit de nationalité serbe compte donc 700 000 Allemands, Valaques, Magyars, etc. pour 900 000 Serbes. Et ces 900 000 Serbes ne sont même pas tous serbes, mais incluent encore les « Slaves du sud catholiques », c-à-d. les Schokazes de Syrmie et du comitat de Bács, qui ne sont pas serbes du tout!” … (N.G.R. N° 233). Voilà ce qu'écrit Engels. On se demande seulement pourquoi, vu la composition ethnique de ce „petit pays” (dans lequel les Serbes constituaient malgré tout, selon les données statistiques relevées par Engels, une majorité absolue), la Voïvodine devait revenir précisément au groupe national le plus faible – aux Hongrois qui ne faisaient que 5 % à peine de la population? À plus forte raison, du point de vue de l'appartenance ethnique qui est ici celui de Engels, les «prétentions» des Hongrois pouvaient-elles apparaître «ridicules»!

95 On appelait « Heiduques » en Hongrie les huissiers et les sbires des magnats ; chez les Slaves de la péninsule balkanique – des paysans « qui se retiraient seuls ou en groupes dans les montagnes et les forêts pour se venger de leurs oppresseurs, les Turcs »... (« Der Große Brockhaus »)

96 Souligné par Engels

97 Ce mot et tous les suivants en italique soulignés par Engels.

b En français dans le texte (NdT)

98 Otočac : bourg en Haute Croatie (forteresse frontalière importante aux XVIème et XVIIème siècles).

99 « Kölnische Zeitung ». Cf. la polémique de Engels contre la « Kölnische Zeitung » (Article : « Schwanbeck dans la Kölnische Zeitung ») dans le n° 225 de la N.G.R. du 18.02.1849 – reproduite dans l'édition russe des « Oeuvres complètes » de Marx et Engels. Vol. VII, p. 283-4.

100 Dans l'article d' Engels contre Bakounine, on peut lire : « Est-ce que les Slaves du sud autrichiens ne pourraient pas rejoindre les Serbes, les Bosniaques, les Morlaques, et les Bulgares ? … Mais entre ces gens-là, qui se connaissent depuis des siècles, et se reconnaissent les uns les autres comme des coquins et des bandits, la haine est infiniment plus forte, malgré leur parenté ethnique, que celle entre Slaves et Magyars. » On trouve également parfois dans la correspondance de Marx et Engels des épithètes semblables appliquées aux Slaves de Hongrie et des Balkans ; dans une lettre du 18.12.1860, Marx traite les Slaves hongrois de « bande de brigands », le 25.07.1876, Engels se moque de « l'armée serbe de la liberté » obligée de « retourner dans sa caverne de brigands ». Du reste, à la même époque, le « Vorwärts » de Liebknecht traitait les « rajahs » serbes de « canailles » et de « pillards », et leurs insurrections de «razzias » (cf. Hermann Levi, «À propos de la Question d'Orient, ou : Est-ce que le parti ouvrier socialiste doit devenir turc ? Une mise en garde à l'adresse de la social-démocratie allemande », 1878, p. 36 et 53). Nous ne pouvons que constater (en le regrettant) que « le cliché aussi stupide que dangereux sur les voleurs de moutons des Balkans », selon les termes de Wendel, n'est pas resté sans influence sur le mouvement ouvrier d'Europe centrale et occidentale, même ultérieurement … « Even in 1912 at the outbreak of the Balkan war, in which pacific Social Democracy rightly saw a prelude to world-war, the highly unhistorical view was put forward that the Balkan States were no fighting to free their oppressed kinsmen, but were mere robbers and peace-breakers. All of a sudden the status quo was something respectable, not only for the diplomatist, but also for the Socialists, and after the decision, Jean Jaurès lamented the expulsion of the Turks almost in the sentimental tones of a Pierre Loti. » (Wendel, « Marxism and the Southern Slav Question, p. 303.)

101 Cf. la lettre de Engels à Bebel du 17.11.1885, dans laquelle il parle des « misérables débris d'anciennes nations  « les Serbes, les Bulgares, les Grecs et autres coupeurs de têtes ».

102 Nous reviendrons sur les autres arguments dirigés contre les Slaves dans cet article (comme dans celui intitulé « La Hongrie » dans le cadre de la discussion de la « théorie des peuples sans histoire » de Engels.

103 Comme si le rétablissement de la Pologne « dans les frontières de 1772 » (et donc en incluant l'Ukraine, la Russie Blanche etc.) était une évidence ! (En tout cas, on ne trouvera ni chez Riazanov, ni chez Mehring, ni ailleurs ne serait-ce qu'une amorce de critique concernant ces frontières ; on a laissé cette critique aux anarchistes [Drahomanov, Nettlau] ou aux socialistes-révolutionnaires [Tchernov]

104 Riazanov oublie d'ajouter que Marx et Engels déniaient aux Roumains de Transylvanie tout droit à une existence nationale et considéraient leur territoire comme la propriété « naturelle » des Hongrois.

105 « Révolution et contre-révolution en Allemagne »

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