1920

Source : La Dictature du prolétariat (Problèmes économiques) –Traduction française d’Alzir Hella et O. Bournac, Librairie de l’Humanité, Bibliothèque communiste, 1922. – 1ère édition [en allemand] 1920.

J. Varga

La Dictature du Prolétariat

Ch. XIV. Conclusion

Plus d’un lecteur ne quittera pas cet ouvrage sans une désillusion. Plus d’un sera épouvanté de l’énormité de la tâche qu’a à remplir la révolution prolétarienne et reculera devant les dures privations qui sont imposées aux pionniers du prolétariat. Notre but n’était pas d’éveiller un enthousiasme éphémère, devant tomber à plat à la première difficulté. La révolution prolétarienne a besoin de champions résolus, prévoyant toutes les difficultés et prêts à toutes les privations...

L’interprétation évolutionniste de la doctrine marxiste conduit à la persistance d’une mentalité passive et fataliste chez les masses prolétariennes. La doctrine marxiste de la chute fatale du mode de production capitaliste, sa démonstration économique de l’approche du socialisme, a été mal comprise, lorsqu’on lui fait dire que la chute du capitalisme pourra se produire automatiquement, sans une active lutte révolutionnaire de la part du prolétariat. C’est là une erreur fatale. Parmi les facteurs qui amèneront la chute du capitalisme, Marx cite en première ligne le prolétariat révolutionnaire. Si le prolétariat acceptait l’existence du capitalisme, le capitalisme subsisterait éternellement, surmontant toutes ses contradictions internes aux dépens du prolétariat. Ni l’anarchie de la production, ni les crises, ni la réduction du taux du profit, ni l’accroissement de la misère des masses ne donneraient le coup de grâce à la société capitaliste. Seule, la lutte révolutionnaire et consciente de la classe ouvrière peut aboutir à ce résultat.

Les difficultés énormes qui se présentent au régime prolétarien ne doivent pas être traitées à la légère ; nous en avons fait en Hongrie l’expérience. Mais la plus grosse de toutes les difficultés résulte de l’isolement. Nous avons déjà plusieurs fois indiqué les méfaits économiques de l’isolement. Cependant, ces méfaits économiques en eux-mêmes sont moins importants que la démoralisation des esprits, qui est la conséquence de l’état d’isolement où se trouve le jeune Etat prolétarien.

Les classes non-révolutionnaires de la population, et même les ouvriers, considèrent le régime prolétarien isolé comme un épisode politique d’ordre éphémère. Les éléments contre-révolutionnaires actifs se réfugient dans les pays capitalistes du voisinage, et y organisent la contre-révolution armée. La bourgeoisie organise également dans ces pays le boycottage financier et économique du nouveau gouvernement. En même temps, on s’occupe systématiquement de démoraliser les esprits. Sans cesse, dans les journaux, dans la correspondance privée et dans les conversations verbales, se glissent des informations qui parlent de l’imminence de l’intervention armée des Puissances capitalistes qui sont limitrophes. Il en résulte une insécurité générale, un sentiment d’abandon international, une peur indéfinissable, pénétrant dans les rangs des adhérents du régime qui ne sont pas absolument convaincus. Par là, le développement de l’organisation du nouvel Etat se trouve entravé. Les forces intellectuelles les meilleures se tiennent à l’écart de l’œuvre d’organisation ; ceux qui offrent leurs services pratiquent un muet sabotage. Il en est de même, consciemment ou inconsciemment, de la majorité des fonctionnaires des soviets issus des milieux ouvriers. Ces fonctionnaires cherchent, par des complaisances, à se créer des amis dans les rangs de la bourgeoisie ; ils rassemblent ainsi des preuves de leur innocence ; ils cherchent à se ménager de la sorte une sortie. La dictature tourne au gâchis; les règlements ne sont pas observés comme il faudrait; les privations ne sont pas fièrement supportées. Au lieu d’un élan révolutionnaire, règne une misérable atmosphère de petits bourgeois inquiets, dans laquelle tous les éléments de droite de la classe ouvrière se sentent fléchir, essaient d’assurer leur vie par l’abolition de la dictature, tentent de négocier un compromis avec la bourgeoisie et vont jusqu’à la trahison...

Une dictature du prolétariat ainsi isolée ne peut se maintenir que dans un vaste pays, comme la Russie, dont le prolétariat a un caractère révolutionnaire énergique et éprouvé, et où le parti communiste, — cette fraction avancée du socialisme qui considère le capitalisme comme mûr pour la chute et le prolétariat comme capable d’organiser la communauté socialiste, — a des sectateurs nombreux et convaincus. En Hongrie, au contraire, où avant la dictature il n’y avait pas, à proprement parler, de parti communiste organisé, la dictature devait fatalement tomber, si l’essence n’en était pas fortifiée du dehors par l’avènement de la révolution dans les pays voisins. La nécessité, ou, si l’on peut dire, l’indispensabilité de la solidarité révolutionnaire internationale, — non en paroles, mais en actes, — si l’on veut que le succès de la révolution prolétarienne soit assuré, est démontrée par le lamentable destin de la République des soviets de Hongrie, — laquelle, en dépit des nombreuses erreurs commises, n’en a pas moins inscrit dans l’histoire de la révolution internationale une page qui n’est pas sans gloire.

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