1920

Source : La Dictature du prolétariat (Problèmes économiques) –Traduction française d’Alzir Hella et O. Bournac, Librairie de l’Humanité, Bibliothèque communiste, 1922. – 1ère édition [en allemand] 1920.

J. Varga

La Dictature du Prolétariat

Ch. IV. L'expropriation des expropriateurs

Une fois en possession de la puissance politique et de la force armée, il est possible d’exproprier les expropriateurs. La plus grosse difficulté, qui était la résistance de l’ « Etat de classe » et de ses armes et de sa « puissance de classe », est écartée Cependant, lors de l’accomplissement de l'expropriation, se posent des problèmes d’ordre pratique qui ont une grande importance.

Il faut, avant tout, décider ce qui doit être exproprié : l'entreprise elle-même en général, ou les diverses exploitations eu particulier ou, enfin, rien que les moyens de production sous leur forme matérielle. Si c’est l’entreprise elle même qui est expropriée, toutes les exploitations, avec les créances et les dettes, sont prises en charge à titre d'unité commerciale. Si les exploitations sont expropriées séparément, l’unité existant jusqu’alors est détruite, mais les créances et les dettes sont ou peuvent être prises en charge. Enfin si les moyens de production dans leur forme naturelle, c’est-à-dire les édifices, machines, matières premières et produits manufacturés, sont expropriés, les créances et les dettes perdent leur signification. Cette dernière solution est la plus radicale et celle qui correspond le mieux à l’essence de la dictature prolétarienne. En Hongrie, et aussi, croyons-nous, en Russie, c’est la première forme qui a été choisie. En Hongrie, il y eut à cela deux raisons : primo, la question du capital étranger (nous reviendrons plus tard là-dessus), et secundo, la question des exploitations restant propriété privée. Il parut impossible, ce qui aurait été le cas dans une expropriation basée sur la forme naturelle, d'annuler purement et simplement les dettes des cultivateurs, des industriels et des commerçants. Il est vrai que cela aurait éteint aussi les dettes des exploitations expropriées ; mais comme, par ailleurs, la somme dont les consommateurs pouvaient disposer à n’importe quel titre était fixée à 2 000 couronnes par mois, la reconnaissance provisoire des dettes n’était pas gênante à côté des avantages résultant du maintien des créances relatives aux possédants non expropriés.

Ensuite restait à savoir comment, par quel procédé technique, s’accomplirait l’expropriation.

Avant tout, les exploitations doivent tomber dans la possession de la collectivité des travailleurs. Il faut donc empêcher, avant tout, que les ouvriers des diverses exploitations s’approprient privativement les moyens de production ou même les détournent, comme cela est arrivé maintes fois en Russie pour l’outillage et le cheptel de la grande propriété foncière. Ensuite il faut veiller à ce que la continuité de la production ne soit, autant que possible, pas interrompue au moment où la disposition des moyens de production est enlevée aux ci-devant directeurs et propriétaires des exploitations bourgeoises. En Hongrie ces deux choses ont réussi. Nulle part les biens des entreprises ne furent sérieusement atteints par les ouvriers [1]. Et la continuité de la production fut à peine troublée par la proclamation dé la dictature. Guidé par le désir de montrer au monde que la dictature n’est pas la ruine de la production, le gouvernement des Soviets hongrois s’est efforcé de prévenir tout désordre économique, souvent aux dépens du but politique à atteindre...

Pour transférer les exploitations des mains des capitalistes dans celles du prolétariat, il fallut créer de nouveaux organes prolétariens : les conseils d’exploitation et les commissaires à la production. Mais avant d’en arriver là, il nous faut aborder une question de principe, souvent discutée, à savoir si le prolétariat a la maturité voulue pour diriger la production.

Sur ce point, la conception communiste de la tâche du prolétariat à l’époque actuelle diffère de la conception socialiste. Les communistes pensent que le prolétariat est assez mûr pour pouvoir se passer de la direction capitaliste de la production, autrement dit que le prolétariat ne peut acquérir la capacité nécessaire à la direction de la production que par la pratique elle-même, par la prise en mains de la puissance politique et économique. Les socialistes, au contraire, pensent que le prolétariat doit d’abord se développer davantage intellectuellement et moralement, afin de parvenir à la maturité nécessaire à l’exercice du pouvoir politique et économique; que, par conséquent, l’expropriation ne doit être que progressive, suivant pas à pas le degré de maturité du prolétariat, — si l’on ne veut pas qu’au lieu du socialisme espéré se produise un chaos économique.

Ceux qui dénient au prolétariat la maturité nécessaire à la direction économique du pays, tirent argument des connaissances étendues, des capacités et des aptitudes spéciales d’organisation que réclame la direction d’une entreprise moderne. Nous allons donc examiner tout de suite quelles sont les fonctions qui incombent à la direction d’une entreprise dans le régime capitaliste. Nous trouvons que ces fonctions sont principalement au nombre de trois :

La direction commerciale : elle englobe le travail de fondation et de financement, l’achat des matières premières et de l’outillage de préparation, la comptabilité et la vente des produits, etc.

La direction technique : elle n’intervient que dans les entreprises industrielles, dans la production matérielle des marchandises. Elle comprend le choix des meilleures méthodes et machines techniques, surveille et règle le côté technique de l’exploitation. La comptabilité est l’agent de liaison entre elle et la direction commerciale.

La direction disciplinaire : elle comprend la surveillance du personnel et le contrôle de son travail ; son rôle est d’assurer à l’exploitation un haut niveau de production. Ces trois sortes de directions ont pour mission commune d’obtenir de l’entreprise le « rapport » le meilleur.

Or si l’on posait la question de la maturité du prolétariat de la façon suivante : les ouvriers manuels et les employés appartenant au prolétariat sont-ils actuellement assez mûrs pour assumer ce genre de direction ? tout observateur impartial devrait répondre par un non bien arrêté.

Mais ainsi la question serait mal posée.

L’expropriation des grandes entreprises dans le cadre d’un régime prolétarien ne signifie pas seulement un changement de personnes dans la direction de l’entreprise, ne veut pas dire uniquement que la plus-value ou l’accroissement de valeur du produit n’échoit plus au capitaliste, mais à la collectivité ; elle signifie aussi une transformation complète du système économique lui-même, de manière à rendre superflues les plus difficiles fonctions de la direction capitaliste des entreprises.

Le directeur d’une entreprise, au sein de l’organisation économique socialiste, n’a pas besoin pour faire ses achats de connaître spécialement le marché ; il n’a pas à marchander ni à spéculer, ni à prendre personne dans ses filets. Il reçoit ses matières premières et son outillage à des prix fixés, et ses fournisseurs sont d’autres entreprises également expropriées au profit de la collectivité. Pour la vente, il n’a pas à faire la chasse aux clients, à faire de la réclame, à accorder des crédits et à machiner des combinaisons financières; le produit livré au client lui est facturé à des prix fixes. La direction commerciale se réduit, lorsque cesse l’anarchie de la vie économique, à une simple fonction bureaucratique.

L’importance de la direction technique devient également moindre par suite de l’uniformisation de la production et de la spécialisation des entreprises, mais cela a lieu dans une mesure bien moindre que pour la direction commerciale. Néanmoins, il est assez facile de trouver, pour la direction technique, des techniciens d’une capacité normale, et l’Etat prolétarien peut et doit aussi bien payer que l’Etat capitaliste les services des spécialistes, tant que durera la mentalité égoïstico-cupide.

Par contre, à l’époque de la dictature, de l’exclusive hégémonie politique des classes ouvrières, la direction disciplinaire des entreprises devient de la plus grande importance. Mais il n’y a, précisément, qu’une direction prolétarienne qui puisse créer une discipline du travail d’un genre nouveau. Dans le capitalisme, la discipline sert à pressurer les travailleurs. La discipline capitaliste du travail est autoritaire, elle confond la discipline du travail avec l’exercice de l’« hégémonie de classe ». Le chômage et la famine sont les fouets dont usent les rabatteurs, contremaîtres et autres serviteurs du capitalisme, lesquels sont particulièrement haïs des ouvriers. Les anciens dirigeants capitalistes, à l’esprit autoritaire, sont, après la chute du capitalisme — les circonstances ayant changé — incapables de maintenir la discipline dans les entreprises, et ils doivent être remplacés par de nouveaux organes, du type prolétarien.

En second lieu, la question est mal posée, parce que la force intellectuelle des prolétaires doit s’élever rapidement par l’instruction et par l’expérience, lorsque le capitalisme aura été renversé. A ce propos, signalons encore ceci : beaucoup de socialistes pensent qu’il faut attendre, pour assumer la charge du pouvoir politique et économique, que le prolétariat ait acquis toute la maturité intellectuelle et morale qui est requise. Mais cela est absolument impossible. Dans la contexture capitaliste, l’ouvrier ne peut jamais acquérir les connaissances nécessaires parce que précisément l’occasion lui en fait défaut; de même, on ne peut pas apprendre à nager sans se mettre à l’eau. Le simple fait d’occuper un poste comportant une plus grande sphère d’action et plus de responsabilité personnelle provoquera l’éclosion chez beaucoup de prolétaires de qualités précieuses que jamais ils n’auraient possédées s’ils avaient continué d’accomplir un travail manuel. Nous ne voulons pas nier que le passage de la direction capitaliste à la direction prolétarienne ne soit lié à de grandes difficultés et préjudiciable à la productivité du travail. Cependant il est inévitable qu’il en soit ainsi. La meilleure, voire l’unique préparation à ce changement de régime, est le travail qui est actuellement accompli par les conseils d’exploitation et les conseils ouvriers d’Allemagne, d’Autriche et d’Angleterre.

Mais il nous faut revenir à la nouvelle organisation de la direction des entreprises expropriées.

La nouvelle forme d’organisation doit remplir les conditions suivantes :

1° Elle doit avoir sa racine dans le personnel même de l’entreprise, afin de pouvoir assurer la discipline.

2° Elle doit réaliser l’intégration de l’entreprise dans l’organisation centrale de l’activité économique.

3° Elle ne doit pas se figer dans la routine bureaucratique.

4° Elle doit présenter des sûretés au point de vue politique.

En Hongrie, la solution de ces problèmes a été essayée de la façon suivante (décret du 26 mars 1919, n° 9) :

Dans chaque entreprise expropriée les ouvriers ont élu un conseil d’exploitation, composé, suivant la grandeur de l’entreprise, de trois à sept personnes, ouvriers ou employés, au choix des votants. Voici quelle est la fonction du conseil d’exploitation : maintenir la discipline du travail, protéger le patrimoine de l’entreprise, contrôler le commissaire chargé de l’exploitation ; fixer, de concert avec le commissaire de la production, les conditions du travail, ainsi qu’embaucher et licencier les ouvriers ; répartir les ouvriers en catégories suivant les salaires, etc.

Pour chaque entreprise expropriée, ou du moins pour un groupe de petites entreprises, on nomma un commissaire à la production. Celui-ci représente l’intérêt de la collectivité vis-à-vis du conseil d’exploitation recruté dans le personnel de l’entreprise. Il prend la place du ci-devant directeur général, achète et vend et manie, de concert avec le président du conseil d’exploitation, les espèces et les comptes bancaires de l’entreprise. Dans le cas d’un conflit avec le conseil d’exploitation ou les ouvriers de l’entreprise, ses instructions doivent être suivies, en attendant la décision d’une instance supérieure. Il est le trait d’union personnel et permanent entre l’entreprise et les autorités supérieures, tandis que les membres du conseil d’exploitation peuvent être à chaque instant remplacés par de nouveaux membres, selon le vote des ouvriers.

Ce système satisfait aux quatre conditions précitées, — pourvu que la personne du commissaire à la production soit ce qu’elle doit être ! Le conseil d’exploitation a sa racine dans le personnel lui-même, le commissaire à la production représente les intérêts de la collectivité. L’organisme n’est pas bureaucratique, attendu que les membres du conseil d’exploitation et le commissaire à la production peuvent être à chaque instant remplacés.

Les défauts de cette organisation sont les suivants :

Les membres du conseil d’exploitation tâchent de se libérer entièrement du travail productif. Sous prétexte de contrôle, ils se confinent dans les bureaux. Par conséquent le nombre des employés improductifs augmente. Pour pouvoir conserver de façon durable ce poste agréable, ils s’efforcent de se concilier la faveur des ouvriers par des concessions dans la discipline, dans la quantité de travail accompli, dans la question des salaires, le tout au détriment des intérêts de la collectivité. C’est pourquoi en Russie quelques membres du conseil d’exploitation sont des délégués venus de l’extérieur de l’usine. En Hongrie, nous avions essayé d’accorder aux syndicats une influence sur le choix du conseil d’exploitation. Faute de durée, le succès de cette tentative n’a pu être déterminé.

La plus grande difficulté provient du choix des commissaires à l’exploitation. Ici se produit un antagonisme malaisé à surmonter. Pour assurer la marche régulière de l’exploitation, il est désirable d’avoir un spécialiste expérimenté commercialement et techniquement. Or, ces gens-là, au point de vue politique, sont peu sûrs, étant mal disposés à l’égard d’un régime ouvrier [2]. Et, si c’est un travailleur manuel qui est nommé, il doit naturellement être choisi parmi les camarades qui se sont mis à la tête du mouvement ouvrier. Or, rien ne garantit que ces hommes, qui furent de bons agitateurs et organisateurs contre le Capital, soient particulièrement qualifiés pour diriger une entreprise. Le conflit entre l’aptitude professionnelle et la bonne foi politique n’est pas susceptible d’une solution toujours parfaite. Dans nombre d’entreprises on a choisi des ingénieurs qui avaient déjà adhéré antérieurement au mouvement ouvrier, dans d’autres cas des ouvriers d’un mérite rare, mais alors, naturellement, l’appareil technique et commercial existant jusqu’alors fut provisoirement maintenu. La pénurie de capacités eut pour conséquence que les ouvriers des entreprises proposèrent eux-mêmes les individus qualifiés pour ce poste. Mais cette manière de faire fut préjudiciable à l’autorité des commissaires. Les intérêts locaux passèrent trop au premier plan. C’est, d’ailleurs, une chose bien significative du peu de développement de la conscience de classe dans le prolétariat hongrois, que dans beaucoup d’entreprises les ouvriers réclamèrent la nomination comme commissaire à la production de l’ancien patron ou de l’ancien directeur général. Il fallut souvent du mal pour amener les ouvriers à agir autrement. Dans des cas exceptionnels, en présence de capacités techniques toutes spéciales, les anciens dirigeants restèrent de fait à leur poste. Dans beaucoup de cas, il fallut procéder à une double nomination : à côté du spécialiste bourgeois fut placé comme contrôleur un ouvrier, ou encore un spécialiste technique fut adjoint au commissaire ouvrier.

Comme autorité supérieure, il y eut tout d’abord le Commissariat du Peuple pour la Production Sociale, qui comprenait des sections correspondant aux diverses industries. Tous les travaux d’ordre technique et commercial et tous les travaux d’organisation furent provisoirement à la charge de ce Commissariat. (Pour l’œuvre d’organisation, voir plus bas.)

Quelles entreprises doivent être expropriées ?

L’abondante littérature relative à la socialisation a depuis longtemps exposé la question : les grandes entreprises de l’industrie extractive et de l’industrie des transports, les fonderies, fabriques de machines, etc. Mais toutes ces études ont le défaut commun de concevoir la socialisation comme un simple changement de propriétaire se produisant dans le cadre du système économique capitaliste. L’Etat achète simplement les entreprises. Il est vrai qu’Otto Bauer (Le Chemin du Socialisme, Vienne, 1919) veut se procurer les ressources à ce nécessaires par une taxe sur la fortune, de sorte que l’Etat n’a rien à débourser pour entrer en possession des entreprises. Il est vrai que Kautsky (La Révolution Sociale) veut rapidement récupérer, par un gros intérêt sur le revenu et sur les successions, les rentes d’Etat qui sont attribuées aux anciens possesseurs. Mais, avec ce système, l’ensemble de la structure capitaliste du pays n’en reste pas moins essentiellement intact. La socialisation intégrale que réclame le communisme, c’est-à-dire l’expropriation sans indemnité et s’opérant automatiquement, est à la fois un fait économique et révolutionnaire. Elle doit, en enlevant rapidement à la bourgeoisie les ressources matérielles, lui rendre impossible la contre-révolution. C’est ce point de vue politique qui s’oppose à ce qu’une dictature prolétarienne admette une socialisation lente, méthodique et comportant une indemnité, ce qui ne nous empêche pas de reconnaître qu’il est « injuste » que les gens expropriés perdent tout, tandis que d’autres qui n’ont qu’une petite fortune conservent leurs biens. Mais l’expropriation est un acte de la lutte des classes, et dans la lutte les classes dirigeantes ne connaissent, elles non plus, aucune justice.

L’étendue de l’expropriation n’est donc réglée que par des considérations d’opportunité. L’expropriation doit être assez considérable pour briser la puissance économique de la classe bourgeoise. Et cela aussi vite que possible. Les deux choses dépendent aussi du nombre de personnel dont on dispose à cet effet.

En Russie ne furent expropriées que des entreprises ayant plus de 50 ouvriers ou un capital de plus d’un demi-million ou d’un million de roubles, et cela selon un rythme assez lent. Dans beaucoup de cas l’expropriation n’était pas encore consommée un an après la Révolution. Le décret du 2 juillet 1918 laisse, à titre de bail, l’usage gratuit des exploitations expropriées à leurs anciens détenteurs. L’administration et les anciens détenteurs en assurent provisoirement le financement sur les bases anciennes... En Hongrie au contraire, toutes les entreprises occupant plus de 20 ouvriers furent expropriées, et cela automatiquement, dans le courant même du mois de mars. Qui plus est, dans la pratique, on descendit souvent au-dessous de cette limite, parce que des ouvriers ayant une conscience de classe ne voulurent pas plus longtemps, dans des entreprises de 10 à 15 personnes, obéir au patron, et obtinrent également l’expropriation de l’entreprise.

La différence entre les deux procédés se justifie ainsi qu’il suit. L’industrie russe s’est développée très tard et principalement à l’aide de capitaux étrangers. La conséquence en fut que le capitalisme s’établit d’emblée en Russie sous sa forme la plus avancée, celle des entreprises gigantesques, et que les exploitations moyennes, nées du terroir et basées sur la manufacture, y manquent presque totalement. La Russie est le pays où prévalent les exploitations géantes. C’est pourquoi, économiquement comme politiquement, l'expropriation au delà de 50 ouvriers était suffisante. Au contraire, la Hongrie ne possède que relativement peu de très grandes entreprises, mais beaucoup d’exploitations comptant de 20 à 50 ouvriers. C’est pourquoi la limite dut être abaissée. Et puis la nécessité de réaliser le plus tôt possible, par suite de la grande pénurie de marchandises, une organisation économique rationnelle, obligea à adopter cette basse limite d’expropriation. (Nous parlerons à un autre endroit de l’expropriation des banques, du négoce et de la grande propriété terrienne).

La lenteur de l’exécution fut occasionnée en Russie par la guerre civile, par la grande étendue d'u pays et par le sabotage des fonctionnaires, hostiles aux Bolcheviks.

En Hongrie, la dictature fut implantée sans guerre civile; tout l’appareil administratif et technique des fonctionnaires ne fît au début aucune résistance; étant donné le peu d’étendue du pays, il fut donc possible de réaliser très vite l’expropriation. Il n’y a pas de doute que le système hongrois ne soit politiquement et économiquement le meilleur. Plus l’expropriation est rapide et radicale, plus vite les individus qui constituaient la bourgeoisie sont contraints de dépouiller leur caractère bourgeois, plus la transition est courte et facile. Dans les pays occidentaux, où la classe ouvrière est plus instruite et par conséquent plus apte à la direction des entreprises, après la conquête de la puissance politique, l’expropriation pourra s’opérer encore plus vite et plus radicalement qu’en Hongrie.

Mais l’expropriation des expropriateurs ne constitue que le premier pas dans l’établissement de la nouvelle économie. Le remplacement des capitalistes par une direction prolétarienne a eu pour résultat d’assurer la continuité de la production. A vrai dire, par suite de la diminution de l’intensité du travail, le rendement a baissé (nous parlerons plus tard en détail de ce phénomène), mais un chaos économique a pu ainsi être évité. Nous allons maintenant décrire les tentatives d’organisation de l’économie prolétarienne et les problèmes que soulève ce sujet. Car l’exclusion des capitalistes et la prise en mains de la direction des diverses entreprises par les délégués de la classe ouvrière ne sont que les préliminaires du nouveau régime. Les entreprises expropriées doivent être groupées organiquement, doivent être agencées en un tout bien ordonné ! Telle est la tâche proprement dite de la dictature du prolétariat : réaliser le passage de l’économie capitaliste à l’économie communiste.

Notes

[1] Il est arrivé, très rarement, que des ouvriers des ateliers de couture aient confectionné pour eux-mêmes avec les étoffes existantes des vêtements et qu’ils se soient compté eux-mêmes pour cela un prix très réduit ; mais de pillages et de vols proprement dits, il n’y en a eu presque jamais.

[2] Après la chute du gouvernement des Soviets hongrois, beaucoup de commissaires à la production recrutés parmi les « spécialistes » se targuèrent d’avoir empêché ou entravé la production par un sabotage systématique.

Archives LenineArchives Internet des marxistes
Début Précédent Haut de la page Sommaire Suite Fin